1-1
Chapitre 1
Rappels de mécanique statistique :
introduction aux phénomènes critiques, le
modèle d’Ising
Sur l’exemple de la transition ferromagnétique/paramagnétique dans les systèmes magnétiques classiques,
je rappelle les concepts de transition de phase et de phénomènes critiques (fluctuations critiques, exposants
critiques, lois d’échelle, universalité, etc.). Ensuite je présente le modèle d’Ising, qui est le modèle le plus simple
de mécanique statistique ou l’on peut calculer (dans certains cas exactement) les quantités thermodynamiques
et les fonctions de corrélations, et mettre en évidence les comportemenst critiques. A partir de ce modèle je
rappelle les concept fondamentaux de la mécanique statistique et je fixe des notations utilisées dans la suite
du cours.
1.1 Brève introduction aux phénomènes critiques : exposants critiques,
lois d’échelle et universalité
Un exemple classique de phénomène critique est la transition de phase ferromagnétique-paramagnétique
au point de Curie dans les matériaux magnétiques. Je renvoie aux manuels de physique statistique et de phy-
sique de la matière condensée pour une présentation précise du sujet. Je ne vais considérer ici que des si-
tuations très idéalisées où on peut décrire la physique de la transition par des modèles simples, mais qui
permettent de capturer l’essence de la physique sous-jacente à la transition de phase.
1.1.1 Transition ferro-paramagnétique et point critique
Dans ces matériaux, à basse température il existe une aimantation spontanée globale !
M0: dans des do-
maines de taille macroscopique (très grande devant la maille élémentaire du cristal) l’aimantation est non
nulle et homogène. La physique des domaines d’aimantation et des parois de domaine est riche et complexe
mais nous allons simplifier énormément les choses en nous intéressant à ce qui se passe dans un seul domaine.
Nous allons de plus considérer un ferromagnétique uniaxe, c’est à dire un matériau très aniotropique tel que
l’aimantation spontanée ne peut s’orienter que dans une seule direction (disons l’axe z, tel que !
M0=M0~
ez).
Pour sélectionner une aimantation spontanée M0on applique au matériau un champ magnétique externe B
(selon l’axe z), auquel cas il apparaît une aimantation induite M(du même signe que B). A basse tempéra-
ture (matériau ferromagnétique) lorsque l’on fait tendre Bvers 0 l’aimantation tend vers ±M0(l’aimantation
spontanée) suivant le signe de B.AB=0 l’aimantation est discontinue, puisqu’elle saute de +M0àM0
(transition du premier ordre).
Par contre à haute température le matériau devient paramagnétique : l’aimantation spontanée en champ
nul est nulle et l’aimantation Mvarie continument avec Bquand Bchange de signe.
Dans les cas qui nous intéressent la transition entre la phase ferro (basse température) et la phase para
(haute température) est une transition de phase continue (du deuxième ordre). A la température critique (tem-
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1-2 CHAPITRE 1. RAPPELS DE MÉCANIQUE STATISTIQUE
B
M
B
M
FIGURE 1.1 – Variation de l’aimantation induite Mavec le champ externe Bdans les phases ferromagnétiques
et paramagnétique
pérature de Curie) Tcl’aimantation spontanée Ms’annule continuement. Les diagrammes de phase du sys-
M
TTc
FIGURE 1.2 – Variation de l’aimantation spontanée M0avec la température T
tème dans les variablesTempérature-Aimantation et Température-Champ magnétique ont l’allure suivante
Para
TTc
M
Ferro
1er ordre TTc
Ferro Para
B
FIGURE 1.3 – Diagramme Température-Aimantation (a) et Température-Champ (b).
1.1.2 Paramètre d’ordre et brisure de symétrie
La caractéristique principale du point critique est qu’il sépare deux phases thermodynamiques où la symé-
trie du matériau est réalisée d’une façon différente. Dans un magnétique uniaxe le matériau doit être au niveau
microscopique invariant sous une réflexion dans un plan orthogonal à l’axe z, c’est à dire sous la transforma-
tion
z!z
tant que le champ externe Best nul bien sûr.
c
François David, 2014 Notes de cours – 11 février 2014
1.1. PHÉNOMÈNES CRITIQUES 1-3
Dans la phase paramagnétique (T>Tc) cette symétrie est satisfaite. En effet le système est dans une
seule phase thermodynamiquement stable, telle que sous une réflexion z!zl’aimantation spontanée reste
inchangée puisque M!M=M=0. Cette phase est la phase désordonnée.
Par contre dans la phase ferromagnétique (T<Tc) cette symétrie est spontanément brisée. En effet le système
possède maintenant deux phases thermodynamiques stables et distinctes : celle d’aimantation positive Met
celle d’aimantation opposée M. Sous la réflexion z!zles deux phases s’interchangent. Ces deux phases
pures sont les phases ordonnées du système.
L’aimantation spontanée Mest le paramètre d’ordre de la transition.
1.1.3 Singularités au point critique et exposants critiques
La première caractéristique d’une transition continue est que les quantités thermodynamiques du système
se comportent de façon continue mais singulière à la transition. Le point critique apparaît mathématiquement
comme une singularité dans le diagramme de phase, cette singularité est caractérisée par des exposants cri-
tiques.
Pour notre système les deux quantités thermodynamiques sont l’énergie interne par unité de volume Evet
l’aimantation moyenne M. Ces deux quantités s’obtiennent à partir de l’énergie libre F, fonction de la tempéra-
ture Tet du champ magnétique appliqué Bcomme
Ev=E
V=T2
V
T
F
T,M=1
V
F
B(1.1.1)
Vest le volume du système. Si la transition est continue et de deuxième ordre Evet Msont continues au
point critique (T,B)=(Tc,0). Par contre on constate expérimentalement que leurs dérivés, la chaleur spécifique
par unité de volume Cvet la susceptibilité magnétique c
Cv=Ev
T,c=M
B(1.1.2)
divergent au point critique. La divergence de ces quantités est algébrique, c’est à dire donnée par des lois de
v
TTc
C
v
TTc
χ
FIGURE 1.4 – Divergences de la chaleur spécifique et de la susceptibilité magnétique au point critique
puissance caractérisées par des exposants critiques (appelés aussi indices critiques). Les singularité de Cvet c
définissent quatre exposants critiques, notés dans la littérature a,b,get d. Les trois premiers se réferent au
comportement du système en champ nul (B=0) quand T!Tc.
Cv(T)µ|TTc|a(1.1.3)
M(T)µ|TTc|b(1.1.4)
c(T)µ|TTc|g(1.1.5)
et en principe suivant que T<Tc(phase ordonnée) ou T>Tc(phase désordonnée) les exposants aet g
peuvent être différents (auquel cas on les notera respectivement aet a+, idem pour g). L’exposant dse réfère
au comportement de l’aimantation en fonction du champ à la température critique
M(Tc,B)µ|B|1
d(1.1.6)
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1-4 CHAPITRE 1. RAPPELS DE MÉCANIQUE STATISTIQUE
En anticipant sur la suite, la théorie simple du champ moléculaire (Curie-Weiss) ou du champ moyen prédit
pour ces exposants les valeurs
a=0, b=1/2 , g=1, d=3 (1.1.7)
1.1.4 Corrélations et fluctuations au point critique, longueur de corrélation et exposants
associés
La seconde caractéristique très importante d’une transition continue est qu’il existe dans le système des
fluctuations thermodynamiques très importantes en amplitude et sur de grandes échelles spatiale et tempo-
relle. L’existence de singularités dans les quantités thermodynamique est en fait la conséquence de ces fluctua-
tions critiques.
Corrélations : Pour mesurer ces fluctuations il faut consider les corrélations entre quantités thermodyna-
miques locales du système. On définit donc l’aimantation locale m(x)au point xcomme la moyenne spaciale
de l’aimantation sur un petit domaine autour de x, domaine très petit devant la taille de l’échantillon, mais qui
est bien sûr plus grand que la distance interatomique. L’aimantation globale par unité de volume Mest bien
sûr donnée par la valeur moyenne de la moyenne spaciale de m(x)
M=1
VhZdx m(x)i=hmi(1.1.8)
hidésigne la moyenne sur les fluctuations thermique (voir plus loin les rappels de mécanique statistique).
L’aimantation locale fluctue localement autour de sa valeur moyenne. On considère l’écart entre met sa
valeur moyenne
Dm(x)=m(x)M=m(x)hm(x)i
et la fonction de corrélation spatiale de Dmen deux points différents
G(x,y)=hDm(x)Dm(y)i=hm(x)m(y)ihm(x)ihm(y)i(1.1.9)
notée dans la suite «fonction de corrélation connexe» 1à deux points. G(x,x)mesure l’amplitude des fluc-
tuations de mautour de sa valeur moyenne au point x(variance). G(x,y)mesure les corrélations entre les
fluctuations de maux points xet y. En pratique dans des matériaux magnétiques cette fonction de corrélation
est accessible par des expériences de diffusion de neutrons ou de rayons X.
Longueur de corrélation : On observe de facon générale que cette fonction de corrélation décroit exponentiel-
lement à grande distance comme
G(xy)µexp(|xy]/x)quand |xy|!(1.1.10)
xest la longueur de corrélation pour les fluctuations d’aimantation (en pratique xdepend légèrement de
l’orientation du vecteur xypar rapport aux axes crystallographiques, mais cette anisotropie s’avère négli-
geable au voisinage du point critique, pour des raisons que l’on verra plus loin). La longueur de corrélation
définit la distance sur laquelle les fluctuations des aimantations locales sont corrélées. Dans la phase parama-
gnétique où l’aimantation moyenne est nulle, mais où il peut exister localement des petits domaines d’aiman-
tation positive et négative, xest également la taille typique de ces domaines microscopiques.
FIGURE 1.5 – Configurations typiques des domaines d’aimantation pour le modèle d’Ising en D=2 (voir plus
loin) dans la phase paramagnétique loin du point critique (a) et au voisinage du point critique (b).
Loin du point critique la mongueur de corrélation xest petiteet (typiquement de l’ordre de la portée des
forces d’échange entre moments magnétiques, quelques mailles de réseau tout au plus). Ce qui est intéressant
est que près du point critique la longueur de corrélation devient très grande et quelle devient infinie au point
critique. Cette divergence reflète la présence des fluctuations critiques.
1. La dénomination connexe est utilisée par les physiciens parce que dans une représentation diagrammatique - voir plus loin - seuls
les diagrammes connexes contribuent à G(x,y), tandis que des diagrammes non-connexes contribuent à la fonction de corrélation simple
hm(x)m(y)i. En probabilité et en statistique les fonctions connexes correspondent simplement aux cumulants de la variable aléatoire m(x).
c
François David, 2014 Notes de cours – 11 février 2014
1.1. PHÉNOMÈNES CRITIQUES 1-5
Exposants net h:A cette divergence sont aussi associées deux exposants critiques, notés net h. Quand Ttend
vers la température critique Tc(à champ nul) xdiverge en effet en suivant une loi de puissance
xµ|TTc|n(1.1.11)
qui définit l’exposant nde la longueur de corrélation (en principe il y a deux exposants n+et n). Puisque à
T=Tcx=ceci veut dire que la fonction de corrélation à deux points G(x,y)décroit à grande distance plus
lentement que toute exponentielle ; en fait elle décroit aussi en suivant une loi algébrique de a forme
G(x,y)µ|xy|2Dh, quand |xy|!(1.1.12)
Dest la dimensionnalité du système 2et hest l’exposant de la fonction de corrélation. Cette définition de
hvient du fait qu’on considère généralement la transformée de Fourier ˆ
G(k)de Gdans l’espace réciproque, et
que le comportement algébrique pour Gdevient une divergence algébrique à petit vecteur d’onde pour ˆ
G
ˆ
G(k)µ1
|k|2h, quand |k|!0 (1.1.13)
En anticipant encore sur la suite, la théorie simple du champ moyen prédit pour ces exposants les valeurs
n=1/2 , h=0 (1.1.14)
1.1.5 Universalité et lois d’échelle
Les phénomènes critiques sont intéressants car ils soulèvent des questions fondamentales sur la physique
des systèmes avec un grand nombre de degrés de liberté, en particulier sur l’émergence d’une dynamique
non-triviale sur une gamme très grande d’ échelles de longueur (de vecteur d’onde) ou de temps (d’énergie).
1.1.5.a - Invariance d’échelle au point critique
1.1.5.b - Lois et relations d’échelle
A un point critique, les fluctuations thermodynamiques sont présentes à toutes les échelles de distance
(et aussi de temps quand on étudie la dynamique des fluctuations au point critique : phénomène du
ralentissement critique).
Il faut comprendre pourquoi, qu’est ce qui régit ce phénomène et quelles sont les conséquences.
Apparition de comportements d’échelle, c’est à dire de lois de puissance non-triviale en fonction de
l’échelle d’observation (caractère “fractal" des configurations d’aimantation) au point critique.
On constate aussi que près du point critique les fonctions de corrélations (les observables) prennent des
forme universelles qui ne dépendent que des rapport distances/longueur de corrélation. Par exemple la
fonction à deux points se comporte comme
G(x,y;T)µH(|xy|/x(T)) (1.1.15)
ou Hest une fonction d’échelle universelle.
Ceci entraîne que certains rapports entre quantités physiques sont aussi universels au voisinage d’un
point critique. Par exemple, si la longueur de corrélation diverge en Tccomme
x=(X+(TTc)nquand T>Tc
X(TTc)nquand T<Tc.(1.1.16)
le rapport X+/Xest une quantité universelle. De telles quantités sont appelés rapports d’amplitudes
critiques.
Les exposants critiques ne sont pas donnés par la théorie simple du champ moyen (voir plus bas), mais
ne sont pas indépendant. Il existe des relations d’échelle donnant les quatres autres exposants en fonction
des deux exposants net h
2. D=3 pour les matériaux usuels, mais on peut fabrique et étudier des matériaux de structure bidimensionnelle (D=2) et unidimen-
sionnelle (D=1).
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