1-1 Chapitre 1 Rappels de mécanique statistique : introduction aux phénomènes critiques, le modèle d’Ising Sur l’exemple de la transition ferromagnétique/paramagnétique dans les systèmes magnétiques classiques, je rappelle les concepts de transition de phase et de phénomènes critiques (fluctuations critiques, exposants critiques, lois d’échelle, universalité, etc.). Ensuite je présente le modèle d’Ising, qui est le modèle le plus simple de mécanique statistique ou l’on peut calculer (dans certains cas exactement) les quantités thermodynamiques et les fonctions de corrélations, et mettre en évidence les comportemenst critiques. A partir de ce modèle je rappelle les concept fondamentaux de la mécanique statistique et je fixe des notations utilisées dans la suite du cours. 1.1 Brève introduction aux phénomènes critiques : exposants critiques, lois d’échelle et universalité Un exemple classique de phénomène critique est la transition de phase ferromagnétique-paramagnétique au point de Curie dans les matériaux magnétiques. Je renvoie aux manuels de physique statistique et de physique de la matière condensée pour une présentation précise du sujet. Je ne vais considérer ici que des situations très idéalisées où on peut décrire la physique de la transition par des modèles simples, mais qui permettent de capturer l’essence de la physique sous-jacente à la transition de phase. 1.1.1 Transition ferro-paramagnétique et point critique ! Dans ces matériaux, à basse température il existe une aimantation spontanée globale M0 : dans des domaines de taille macroscopique (très grande devant la maille élémentaire du cristal) l’aimantation est non nulle et homogène. La physique des domaines d’aimantation et des parois de domaine est riche et complexe mais nous allons simplifier énormément les choses en nous intéressant à ce qui se passe dans un seul domaine. Nous allons de plus considérer un ferromagnétique uniaxe, c’est à dire un matériau très aniotropique tel que ! l’aimantation spontanée ne peut s’orienter que dans une seule direction (disons l’axe z, tel que M0 = M0~ez ). Pour sélectionner une aimantation spontanée M0 on applique au matériau un champ magnétique externe B (selon l’axe z), auquel cas il apparaît une aimantation induite M (du même signe que B). A basse température (matériau ferromagnétique) lorsque l’on fait tendre B vers 0 l’aimantation tend vers ±M0 (l’aimantation spontanée) suivant le signe de B. A B = 0 l’aimantation est discontinue, puisqu’elle saute de +M0 à M0 (transition du premier ordre). Par contre à haute température le matériau devient paramagnétique : l’aimantation spontanée en champ nul est nulle et l’aimantation M varie continument avec B quand B change de signe. Dans les cas qui nous intéressent la transition entre la phase ferro (basse température) et la phase para (haute température) est une transition de phase continue (du deuxième ordre). A la température critique (temProgramme Doctoral de Suisse Occidentale Théorie statistique des champs et groupe de renormalisations 1-2 CHAPITRE 1. RAPPELS DE MÉCANIQUE STATISTIQUE M M B B F IGURE 1.1 – Variation de l’aimantation induite M avec le champ externe B dans les phases ferromagnétiques et paramagnétique pérature de Curie) Tc l’aimantation spontanée M s’annule continuement. Les diagrammes de phase du sysM Tc T F IGURE 1.2 – Variation de l’aimantation spontanée M0 avec la température T tème dans les variablesTempérature-Aimantation et Température-Champ magnétique ont l’allure suivante M B Ferro Para Tc T Ferro 1er ordre Para Tc T F IGURE 1.3 – Diagramme Température-Aimantation (a) et Température-Champ (b). 1.1.2 Paramètre d’ordre et brisure de symétrie La caractéristique principale du point critique est qu’il sépare deux phases thermodynamiques où la symétrie du matériau est réalisée d’une façon différente. Dans un magnétique uniaxe le matériau doit être au niveau microscopique invariant sous une réflexion dans un plan orthogonal à l’axe z, c’est à dire sous la transformation z! z tant que le champ externe B est nul bien sûr. c François David, 2014 Notes de cours – 11 février 2014 1.1. PHÉNOMÈNES CRITIQUES 1-3 Dans la phase paramagnétique (T > Tc ) cette symétrie est satisfaite. En effet le système est dans une seule phase thermodynamiquement stable, telle que sous une réflexion z ! z l’aimantation spontanée reste inchangée puisque M ! M = M = 0. Cette phase est la phase désordonnée. Par contre dans la phase ferromagnétique (T < Tc ) cette symétrie est spontanément brisée. En effet le système possède maintenant deux phases thermodynamiques stables et distinctes : celle d’aimantation positive M et celle d’aimantation opposée M. Sous la réflexion z ! z les deux phases s’interchangent. Ces deux phases pures sont les phases ordonnées du système. L’aimantation spontanée M est le paramètre d’ordre de la transition. 1.1.3 Singularités au point critique et exposants critiques La première caractéristique d’une transition continue est que les quantités thermodynamiques du système se comportent de façon continue mais singulière à la transition. Le point critique apparaît mathématiquement comme une singularité dans le diagramme de phase, cette singularité est caractérisée par des exposants critiques. Pour notre système les deux quantités thermodynamiques sont l’énergie interne par unité de volume Ev et l’aimantation moyenne M. Ces deux quantités s’obtiennent à partir de l’énergie libre F, fonction de la température T et du champ magnétique appliqué B comme Ev = E = V T2 ∂ F V ∂T T , ∂Ev ∂T c = M = 1 ∂F V ∂B (1.1.1) où V est le volume du système. Si la transition est continue et de deuxième ordre Ev et M sont continues au point critique ( T, B) = ( Tc , 0). Par contre on constate expérimentalement que leurs dérivés, la chaleur spécifique par unité de volume Cv et la susceptibilité magnétique c Cv = , ∂M ∂B (1.1.2) divergent au point critique. La divergence de ces quantités est algébrique, c’est à dire donnée par des lois de χv Cv Tc Tc T T F IGURE 1.4 – Divergences de la chaleur spécifique et de la susceptibilité magnétique au point critique puissance caractérisées par des exposants critiques (appelés aussi indices critiques). Les singularité de Cv et c définissent quatre exposants critiques, notés dans la littérature a, b, g et d. Les trois premiers se réferent au comportement du système en champ nul (B = 0) quand T ! Tc . Cv ( T ) µ |T M( T ) µ | T c( T ) µ | T Tc | Tc | Tc | a b (1.1.3) (1.1.4) g (1.1.5) et en principe suivant que T < Tc (phase ordonnée) ou T > Tc (phase désordonnée) les exposants a et g peuvent être différents (auquel cas on les notera respectivement a et a+ , idem pour g). L’exposant d se réfère au comportement de l’aimantation en fonction du champ à la température critique 1 M( Tc , B) µ | B| d Programme Doctoral de Suisse Occidentale (1.1.6) Théorie statistique des champs et groupe de renormalisation 1-4 CHAPITRE 1. RAPPELS DE MÉCANIQUE STATISTIQUE En anticipant sur la suite, la théorie simple du champ moléculaire (Curie-Weiss) ou du champ moyen prédit pour ces exposants les valeurs a = 0 1.1.4 , b = 1/2 , g = 1 , d = 3 (1.1.7) Corrélations et fluctuations au point critique, longueur de corrélation et exposants associés La seconde caractéristique très importante d’une transition continue est qu’il existe dans le système des fluctuations thermodynamiques très importantes en amplitude et sur de grandes échelles spatiale et temporelle. L’existence de singularités dans les quantités thermodynamique est en fait la conséquence de ces fluctuations critiques. Pour mesurer ces fluctuations il faut consider les corrélations entre quantités thermodynamiques locales du système. On définit donc l’aimantation locale m( x ) au point x comme la moyenne spaciale de l’aimantation sur un petit domaine autour de x, domaine très petit devant la taille de l’échantillon, mais qui est bien sûr plus grand que la distance interatomique. L’aimantation globale par unité de volume M est bien sûr donnée par la valeur moyenne de la moyenne spaciale de m( x ) Corrélations : M = 1 h V Z (1.1.8) dx m( x )i = hmi où h i désigne la moyenne sur les fluctuations thermique (voir plus loin les rappels de mécanique statistique). L’aimantation locale fluctue localement autour de sa valeur moyenne. On considère l’écart entre m et sa valeur moyenne Dm( x ) = m( x ) M = m( x ) hm( x )i et la fonction de corrélation spatiale de Dm en deux points différents G ( x, y) = hDm( x )Dm(y)i = hm( x )m(y)i hm( x )ihm(y)i (1.1.9) notée dans la suite «fonction de corrélation connexe» 1 à deux points. G ( x, x ) mesure l’amplitude des fluctuations de m autour de sa valeur moyenne au point x (variance). G ( x, y) mesure les corrélations entre les fluctuations de m aux points x et y. En pratique dans des matériaux magnétiques cette fonction de corrélation est accessible par des expériences de diffusion de neutrons ou de rayons X. On observe de facon générale que cette fonction de corrélation décroit exponentiellement à grande distance comme Longueur de corrélation : G(x y) µ exp( | x y]/x ) quand |x y| ! • (1.1.10) où x est la longueur de corrélation pour les fluctuations d’aimantation (en pratique x depend légèrement de l’orientation du vecteur x y par rapport aux axes crystallographiques, mais cette anisotropie s’avère négligeable au voisinage du point critique, pour des raisons que l’on verra plus loin). La longueur de corrélation définit la distance sur laquelle les fluctuations des aimantations locales sont corrélées. Dans la phase paramagnétique où l’aimantation moyenne est nulle, mais où il peut exister localement des petits domaines d’aimantation positive et négative, x est également la taille typique de ces domaines microscopiques. F IGURE 1.5 – Configurations typiques des domaines d’aimantation pour le modèle d’Ising en D=2 (voir plus loin) dans la phase paramagnétique loin du point critique (a) et au voisinage du point critique (b). Loin du point critique la mongueur de corrélation x est petiteet (typiquement de l’ordre de la portée des forces d’échange entre moments magnétiques, quelques mailles de réseau tout au plus). Ce qui est intéressant est que près du point critique la longueur de corrélation devient très grande et quelle devient infinie au point critique. Cette divergence reflète la présence des fluctuations critiques. 1. La dénomination connexe est utilisée par les physiciens parce que dans une représentation diagrammatique - voir plus loin - seuls les diagrammes connexes contribuent à G ( x, y), tandis que des diagrammes non-connexes contribuent à la fonction de corrélation simple hm( x )m(y)i. En probabilité et en statistique les fonctions connexes correspondent simplement aux cumulants de la variable aléatoire m( x ). c François David, 2014 Notes de cours – 11 février 2014 1.1. PHÉNOMÈNES CRITIQUES 1-5 A cette divergence sont aussi associées deux exposants critiques, notés n et h. Quand T tend vers la température critique Tc (à champ nul) x diverge en effet en suivant une loi de puissance Exposants n et h : x µ |T n Tc | (1.1.11) qui définit l’exposant n de la longueur de corrélation (en principe il y a deux exposants n+ et n ). Puisque à T = Tc x = • ceci veut dire que la fonction de corrélation à deux points G ( x, y) décroit à grande distance plus lentement que toute exponentielle ; en fait elle décroit aussi en suivant une loi algébrique de a forme G ( x, y) µ | x y |2 D h , quand |x y| ! • (1.1.12) où D est la dimensionnalité du système 2 et h est l’exposant de la fonction de corrélation. Cette définition de h vient du fait qu’on considère généralement la transformée de Fourier Ĝ (k) de G dans l’espace réciproque, et que le comportement algébrique pour G devient une divergence algébrique à petit vecteur d’onde pour Ĝ Ĝ (k) µ 1 | k |2 , h quand |k| ! 0 (1.1.13) En anticipant encore sur la suite, la théorie simple du champ moyen prédit pour ces exposants les valeurs n = 1/2 1.1.5 , h = 0 (1.1.14) Universalité et lois d’échelle Les phénomènes critiques sont intéressants car ils soulèvent des questions fondamentales sur la physique des systèmes avec un grand nombre de degrés de liberté, en particulier sur l’émergence d’une dynamique non-triviale sur une gamme très grande d’ échelles de longueur (de vecteur d’onde) ou de temps (d’énergie). 1.1.5.a - Invariance d’échelle au point critique 1.1.5.b - Lois et relations d’échelle — A un point critique, les fluctuations thermodynamiques sont présentes à toutes les échelles de distance (et aussi de temps quand on étudie la dynamique des fluctuations au point critique : phénomène du ralentissement critique). — Il faut comprendre pourquoi, qu’est ce qui régit ce phénomène et quelles sont les conséquences. — Apparition de comportements d’échelle, c’est à dire de lois de puissance non-triviale en fonction de l’échelle d’observation (caractère “fractal" des configurations d’aimantation) au point critique. — On constate aussi que près du point critique les fonctions de corrélations (les observables) prennent des forme universelles qui ne dépendent que des rapport distances/longueur de corrélation. Par exemple la fonction à deux points se comporte comme G ( x, y; T ) µ H (| x y|/x ( T )) (1.1.15) ou H est une fonction d’échelle universelle. — Ceci entraîne que certains rapports entre quantités physiques sont aussi universels au voisinage d’un point critique. Par exemple, si la longueur de corrélation diverge en Tc comme ( X+ ( T Tc ) n quand T > Tc x= (1.1.16) X ( T Tc ) n quand T < Tc . le rapport X+ /X est une quantité universelle. De telles quantités sont appelés rapports d’amplitudes critiques. — Les exposants critiques ne sont pas donnés par la théorie simple du champ moyen (voir plus bas), mais ne sont pas indépendant. Il existe des relations d’échelle donnant les quatres autres exposants en fonction des deux exposants n et h 2. D = 3 pour les matériaux usuels, mais on peut fabrique et étudier des matériaux de structure bidimensionnelle (D=2) et unidimensionnelle (D=1). Programme Doctoral de Suisse Occidentale Théorie statistique des champs et groupe de renormalisation 1-6 CHAPITRE 1. RAPPELS DE MÉCANIQUE STATISTIQUE F IGURE 1.6 – Configuration microscopique «typique» d’un système magnétique à la température critique : modèle d’Ising en 2 dimensions, le noir représente les domaines d’aimantation m > 0, le blanc les domaines m < 0. = 2 nD 1 b = n( D 2 + h ) 2 g = n (2 h ) D+2 h d = D 2+h a (1.1.17) (1.1.18) (1.1.19) (1.1.20) Certaines de ces relations découlent déjà de l’hypothèse dite «de scaling» (due à B. Widom) qui est que la partie singulière de l’énergie libre est une fonction homogène de B et T Tc (et d’une hypothèse reliée «d’hyperscaling»). Mais la compréhension complète et la démontration de ces relations n’a été fournie que par la théorie du groupe de renormalisation, qui implique que les fonctions de corrélations sont données par des fonctions d’échelles dans le domaine critique. 1.1.5.c - Universalité Les exposants critiques sont les mêmes dans la phase para et la phase ferro. Différents systèmes magnétiques du même type (ferromagnétique uni-axe) et des modèles simples comme le modèle d’Ising (voir plus loin) ont le même comportement critique : mêmes exposants critiques, mêmes fonctions d’échelles pour les fonctions de corrélations près du point critique, mêmes rapports d’amplitudes. De plus, des systèmes physiques complètement différents peuvent avoir le même comportement critique. Par exemple, le point critique des fluides binaires est le même que celui des ferro uni-axes ! Température T et fraction relative x des deux constituants remplacent les variables température T et aimantation moyenne M. A priori le point critique d’un fluide comme l’eau est du même type, mais il y a des interactions à longue portée (VdW) dans l’eau qu’il n’y a pas dans les mélanges binaires simples non polaires. c François David, 2014 Notes de cours – 11 février 2014 1.1. PHÉNOMÈNES CRITIQUES 1-7 F IGURE 1.7 – Idem à basse température (gauche) et haute température (droite). XA/B µ A/B 1 phase 2 phases pt critique pt critique re r ord 1e 1 phase T T Tc Tc F IGURE 1.8 – Diagramme de phase et point critique pour les fluides binaires dans les variables température/fraction relative (gauche) et température/potentiel chimique relatif (droite) 1.1.5.d - Autres systèmes et classes d’universalité La nature de paramètre d’ordre et la dimensionalité du système influent sur le comportement critique. Les ferromagnétiques bi-axes (l’aimantation est dans un plan) ou habituels (l’aimantation peut prendre toutes les orientations) ont des comportement critiques différents. Des systèmes physiques ont des paramètre d’ordre plus complexes (systèmes magnétiques frustrés) ou d’autres interactions interviennent (désordre par exemple). Il existe plusieurs classes d’universalité caractérisées par des comportements critiques différents. Mais les relations d’échelles sont toujours satisfaites. Le tableau suivant donne des exemples pour les modèles d’Ising (système magnétique avec N = 1 composante), XY (N = 2), Heisenberg (N = 3), et le polymère en bon solvant (SAW = self avoiding walk), qui peut être vu comme un système magnétique avec N = 0 composantes. Champ moyen Ising D = 3 Ising D = 2 XY D = 3 O(3) D = 3 SAW D = 3 SAW D = 2 a 0 0.1 0 0.0 -0.1 0.23 1/2 b 1/2 0.31 1/8 0.34 0.36 0.30 15/192 g 1 1.25 7/4 1.31 1.38 1.16 43/32 d 3 5.0 15.0 91/5 n 1/2 0.64 1 0.67 0.70 0.58 3/4 h 0 0.04 1/4 0.03 0.03 0.03 5/24 Les comportements critiques sont donc universels, des systèmes physique différents ont en général le même Programme Doctoral de Suisse Occidentale Théorie statistique des champs et groupe de renormalisation 1-8 CHAPITRE 1. RAPPELS DE MÉCANIQUE STATISTIQUE comportement critique si la symétrie caractérisant un point critique est la même. 1.1.5.e - Invariance d’échelle en physique L’apparition de fluctuations spaciales et temporelles sur de grandes games d’échelles et l’invariance d’échelle se manifestent dans des tas de domaines, pas seulement la physique des points critiques dans les systèmes magnétique et les fluides simples. Citons quelques exemples. — “Matière molle" : polymères, cristaux liquides — Systèmes hors d’équilibre : Croissance, Agrégation, Fractures, Coalescence — “Systèmes critiques auto-organisés", Turbulence — Fractales — Systèmes dynamiques "complexes" : Economie, Biologie, Astrophysique L’émergence de propriétés d’échelle et de l’universalité peut-elle être décrite et comprise par des mécanismes simples ? 1.2 Rappels de mécanique statistique : l’exemple du modèle d’Ising Je rappelle la définition du modèle d’Ising et les concepts de mécanique statistique dont nous aurons besoin dans la suite. 1.2.1 Définition du modèle d’Ising Le modèle d’Ising est un modèle simple de spin classique à deux états sur réseau. Dans la pluspart des cas on considère un réseau hypercubique L de maille a = 1. Pour le système infini L = Z D ; pour un système fini, pour simplifier on considérera un réseau de taille L = Na (N entier) avec des conditions aux limites périodique, c.a.d. un tore L = (Z N ) D . La coordinance (nombre de voisins) d’un site est C = 2D. Les sites sont étiquetés par un vecteur entier i = (i1 , · · · , i D ) 2 Z D . On pourra aussi considérer des réseaux triangulaires, anisotropes, des conditions aux limites plus compliquées, etc. A chaque site i est attaché un spin classique Si qui prend la valeur ±1. Si = ± 1 Enfin on se donne couplage ferromagnétique entre plus proches voisins, , c’est à dire entre les spins qui sont sur des sites i et j appartenant à un lien < ij > du réseau. i j <ij> F IGURE 1.9 – Le réseau carré 2D De façon compacte on notera S (en gras) une configuration S = {Si ; i 2 L} des spins sur le réseau L. c François David, 2014 Notes de cours – 11 février 2014 1.2. MODÈLE D’ISING 1-9 L’énergie d’une configuration S = {Si } est donnée par le Hamiltonien 3 de Ising-Lenz J H[S] =  Si S j , J>0 couplage (1.2.1) <ij> Cette énergie est minimale quand tous les spins sont alignés. En présence d’un champ magnétique externe B il faut rajouter à H un terme en B Âi Si J H[S] = 1.2.2  Si S j B  Si <ij> , B champ externe (1.2.2) i Ensemble canonique, fonction de partition L’ensemble canonique décrit un système en équilibre thermodynamique avec un thermostat à température T. Le poids de Bolzmann d’une configuration S est h i b J  Si S j + B  Si 1 <ij> i w[S] = e bH[S] = e , b = (1.2.3) kB T Pour simplifier on absorbe le facteur de Boltzman dans la définition de la température, c’est à dire kB = 1 ; b = 1 T (1.2.4) La fonction de partition du système à température T est donnée par la somme sur toutes configurations Z =  w[S] = Âe 1 T H[S] (1.2.5) S S et les valeurs moyennes à l’équilibre des observables A[S] sont données par  A[S]w[S] S h Ai = (1.2.6)  w[S] S L’énergie libre est T log Z F = (1.2.7) et l’énergie interne est E = hH[S]i = T 2 La magnétisation totale M est M = et la magnétisation moyenne par site m est m = M/V 1.2.3 ; ⌦ ∂ log Z = ∂T  Si i E = T2 ∂ ∂T ✓ ◆ F T ∂F ∂B V volume du système (1.2.8) (1.2.9) (1.2.10) Observables et fonctions de corrélation La chaleur spécifique totale est C = ∂E = T 2 h H [S] H [S]i ∂T h H [S]ih H [S]i (1.2.11) 3. Mathématiquement S est une fonction de L = Z D ! Z2 = { 1, +1} et le Hamiltonien H[S] est une fonction de la fonction S, c’est à dire une fonctionnelle de tous les spins. Dans toute la suite on désignera une fonction f d’une variable x avec des parenthèses par f ( x ). On notera une fonctionnelle F d’une fonction X avec des crochets par F [X]. Programme Doctoral de Suisse Occidentale Théorie statistique des champs et groupe de renormalisation 1-10 CHAPITRE 1. RAPPELS DE MÉCANIQUE STATISTIQUE et la chaleur spécifique par unité de volume est Cv = C/V. La susceptibilité magnétique est c = ∂m 1 = ∂B V  h Si S j i ij (1.2.12) hSi ihS j i On voit apparaître la fonction de corrélation connexe de deux spins (déjà introduite pour les systèmes magnétiques). Gij = hSi S j i hSi ihS j i et la relation entre c et Gij est le premier exemple d’une relation de type fluctuation-dissipation reliant ici la susceptibilité magnétique, une quantité caractérisant la réponse du système à une perturbation (ici magnétique), à l’intégrale d’une quantité mesurant les fluctuations à l’équilibre du système, la fonction de corrélation à deux spins c =  Gij = ÂhSi S j iconnexe (1.2.13) j j De la même façon la chaleur spécifique (réponse du système à une perturbation de température) est reliée (à B = 0) à la fonction de corrélation de l’opérateur d’énergie Ei défini comme Ei = 1.2.4 J 2  j voisin de i Si S j , Cv = T 2 ÂhEi Ej iconnexe (1.2.14) j Limite thermodynamique : Rappelons que dans la phase de haute température (paramagnétique) il n’y a qu’une phase thermodynamique stable en champ nul B = 0. La limite thermodynamique (volume infini) V ! • et la limite de champ nul B ! 0 commutent. Par contre dans la phase de basse température (ferromagnétique) il y a deux phases pures stables d’aimantation ±mo . Pour obtenir une seule phase pure il faut d’abord prendre la limite thermodynamique V ! • en champ B 6= 0, puis prendre la limite de champ nul B ! ±0. Si on fait l’inverse en prenant d’abord la limite de champ nul à volume fini, puis que l’on fait la limite thermonynamique, on se trouve dans une phase mixte (mélange équiprobable des deux phases pures) et l’aimantation totale est nulle m = 0. Les limites thermodynamiques et de champ nul ne commutent pas, la symétrie m $ m est spontanément brisée. 1.3 Potentiel thermodynamique et transformation de Legendre J’introduis maintenant un objet important, le potentiel thermodynamique (le potentiel de Gibbs, aussi appelé dans le contexte de la théorie statistique des champs le potentiel effectif ) du système. On est souvent intéressé aux propriétés d’un système magnétique en fonction de son aimantation (spontanée ou induite) M plutôt que du champ appliqué B qui a permis d’obtenir cette aimantation. De la même façon qu’en thermodynamique on passe des propriétés d’un gaz en fonction du volume, décrite par son énergie interne E , à celle du gaz en fonction de la pression, décrite par son enthalpie H (H est donnée mathématiquement par une transformée de Legendre de E par rapport à la variable volume), on va définir un potentiel thermodynamique associé à l’aimantation. Cette définition va être générale, et donc un peu formelle à ce stade, mais ce formalisme va s’avérer très puissant dans la suite. 1.3.0.a - Source externe et aimantation locale Pour cela couplons chaque spin Si à un champ externe (appelé aussi source externe) hi . Chaque source hi est une variable indépendante. Comme pour les Si on notera h une configuration de ces champs externes h = { hi ; i 2 L } (1.3.1) Le Hamiltonien total du système couplé à la source est donc Hh [S] = H [S] c François David, 2014  h i Si = H [S] hS (1.3.2) i Notes de cours – 11 février 2014 1.3. POTENTIEL THERMODYNAMIQUE ET TRANSFORMATION DE LEGENDRE 1-11 Sa fonction de partition Z et son énergie libre F sont maintenant des fonctions des sources {hi }, donc des fonctionnelle de h (et toujours des fonctions de J/T et de B/T). Z [h] = 1 T ( H [S] Âe h S) , F [h] = T log Z [h] (1.3.3) { Si } (on a toujours normalisé k B = 1). En théorie statistique des champs on appelle le logarithme de la fonction de partition la fonction génératrice connexe 4 du système W. W [h] = T log Z [h] = (1.3.4) F [h] L’aimantation locale mi du site i est simplement la dérivée partielle de W par rapport à la source hi du site i ∂W [h] ∂hi m i = h Si i = (1.3.5) h =0 De même, la fonction de corrélation connexe à deux spins est donnée par la dérivée seconde de W par rapport aux sources Gij = hSi S j i hSi ihS j i = T ∂2 W [ h ] ∂hi ∂h j (1.3.6) h =0 1.3.0.b - Définition du potentiel effectif G[m] Maintenant au lieu de considérer que les aimantations mi dépendent des champs externes hi , inversons les variables et considérons que ce sont les hi qui sont fonctions des mi . mi = mi [ h ] hi = hi [ m ] ! Le potentiel effectif G est défini par la transformée de Legendre de F par rapportaux hi , c’est à dire que c’est la fonction des mi définie comme G[m] =  mi hi ; W [h] mi [ h ] = j ∂W [h] ∂hi (1.3.7) 1.3.0.c - Propriétés du potentiel effectif : Les propriétés du potentiel découlent des propriétés standard de la transformée de Legendre. Les plus importantes sont les suivantes : P.1 - Définition variationnelle de G : La définition de m correspond à extrémiser F [h] + hm par rapport aux variations de la source h. En fait l’extremum est un maximum (voir les propriétés de convexité de G). Une définition équivalente du potentiel G est donc G[m] = max F [h] + hm (1.3.8) h P.2 - Relation champ/aimantation : Le champ externe au site i, hi est la dérivé partielle du potentiel par rapport à l’aimantation mi au site i hi = ∂G[m] ∂mi (1.3.9) Conséquences : La transformée de Legendre est une involution, c’est à dire que W est la transformée de Legendre de l’action effective G. W [h] =  hi mi j G[m] ; hi [ m ] = ∂G[m] ∂mi (1.3.10) 4. Elle s’écrit en fonction des diagrammes connexes dans un développement de basse température Programme Doctoral de Suisse Occidentale Théorie statistique des champs et groupe de renormalisation 1-12 CHAPITRE 1. RAPPELS DE MÉCANIQUE STATISTIQUE et en utilisant P.1 on a aussi une définition variationnelle de W à partir de G F [h] = min (G[m] (1.3.11) hm) m P.3 - Aimantation moyenne = Extremum de G : Ceci implique que, si on connaît le potentiel G, les aimantations moyennes des sites i dans le champ externe h sont données par les solutions de l’équation précédente. En particulier, l’aimantation en champ nul mi (h = 0) est donnée par le zéro de la dérivée de G, c’est à dire par le point où le potentiel est extrémal (et en fait par des arguments de convexité minimal). m0 = aimantation en champ nul m0 minimum de G[m] , et de façon générale m(h) = aimantation en champ h m(h) minimum de G[m] , hm C’est donc le potentiel G qu’il faut minimiser pour obtenir l’état thermodynamique d’équilibre du système. P.4 - Corrélations à 2 spins et dérivée seconde de G : Il existe aussi une relation importante entre la matrice des dérivés secondes du potentiel effectif par rapport aux aimantations Hij = ∂2 G ∂mi ∂m j (1.3.12) et les fonctions de corrélations connexe à deux spins, définies comme au dessus par Gij = hSi S j i hSi ihS j i (pour un système fini avec N sites, Hij et Gij définissent des matrices N ⇥ N). Ces deux matrices sont l’inverse l’une de l’autre (à la température près)  Gik Hkj k = T dij autrement dit G = TH 1 (1.3.13) P.5 - Convexité de G : Ceci implique en particulier que le potentiel G est une fonction convexe des mi . En effet, comme les poids de Boltzmann du modèle d’Ising sont réels et positifs, la matrice Gij = hDSi DS j i (DSi = Si hSi i) des corrélations connexes à deux spins est une matrice définie positive (c’est à dire que Âij ui Gij u j > 0 8u 6= 0). Sa matrice inverse Hij est donc aussi définie positive, comme c’est la matrice des dérivés secondes de G, G est une fonction convexe. Si G a un extremum, c’est un minimum. P.6 - Potentiel effectif dans un champ externe : Il est facile de montrer que si G[m] est le potentiel effectif pour le modèle d’Ising en champ externe nul B = 0, le potentiel effectif du modèle en champ non nul est simplement donné par G[m; B] = G[m] B  mi (1.3.14) i Si le champ externe est non homogène B ! Bi , la relation reste valable G[m; B] = G[m]  Bi mi (1.3.15) i P.7 - Le potentiel effectif comme énergie libre avec contrainte : Enfin une formule très utile. On peut écrire le potentiel effectif G comme G[m] = h H ih T S[h] , h tel que hSih = m (1.3.16) T est la température, S[h] est l’entropie totale du système de spin lorsqu’il est couplé au champ externe h (donc décrit par le Hamiltonien micropscopique Hh . H est le Hamiltonien «interne» du système de spins 1.5 (sans tenir compte du couplage au champ externe h), et h H ih est la valeur moyenne de H calculée pour le système couplé au champ externe h. Enfin dans la formule le champ externe h est fixé à sa valeur telle que l’aimentation moyenne hSi ih = mi . c François David, 2014 Notes de cours – 11 février 2014 1.4. MATRICE DE TRANSFERT 1.4 Matrice de transfert 1.4.1 Matrice de transfert 1D 1-13 Les méthodes de matrice de transfert sont un outil important en physique statistique. Historiquement ce sont elles qui ont permis de résoudre le modèle d’Ising en une et deux dimensions. Elles sont à la base des méthodes exactes et des applications des systèmes intégrables et physique statistique. C’es sur elles que repose également l’équivalence entre problèmes de physique statistique et problèmes quantiques (matrice de transfert ' opérateur d’évolution). Enfin elles permettent des études numériques précises (méthodes de finite size scaling). Je renvoie aux exercices de TD et au cours de physique statistique pour plus de détails. On considère le modèle d’Ising 1D sur une chaîne unidimensionnelle. Les sites i sont simplement étiquetés par des entiers i 2 Z, et dans la suite on considère une chaîne de longueur L avec des conditions aux limites périodiques Si+ L = Si . Le Hamiltonien est donc Modèle d’Ising 1D : H [S] = L  i =1 JSi Si+1 (1.4.1) BSi et peut se réécrire comme une somme sur chaque lien de termes ne dépendant que des spins aux extrémités du lien. H [ S ] =  E ( Si , Si + 1 ) , E(Si , Si+1 ) = JSi Si+1 B(Si + Si+1 )/2 (1.4.2) i On définit la matrice de transfert T(`) pour le lien (`) = (i, i + 1) comme la matrice dont les lignes e et les colonnes f sont étiquetées respectivement par toutes les configurations “entrantes” possibles ei des spins sur le site i, et les configurations “sortantes” f i+i pour le site i + 1 du lien `. Dans notre cas c’est une matrice 2 ⇥ 2 car il y a deux états «in» e et 2 états “out” f e ! {Si = +1, Si = 1} , f ! {Si+1 = +1, Si+1 = 1} , (1.4.3) Les éléments de matrice Te f de la matrice de transfert pour ce lien ` = (i, i + 1) sont les poids de Boltzmann pour ce lien Te f = T (Si , Si+1 ) = exp( b E(Si , Si+1 )) (1.4.4) La matrice de transfert est explicitement pour la chaine d’Ising ✓ ◆ ✓ b( J + B) T++ T+ e T= = T + T e bJ e e b( J bJ B) ◆ (1.4.5) C’est une matrice réelle symétrique. Le point crucial est que le poids de Bolzman d’une configuration S s’écrit comme un produit d’élément de matrice T e bH [S] = Ta1 ,a2 Ta2 ,a3 · · · Tai 1 ,ai Tai ,ai+1 · · · Ta L ,a1 (1.4.6) où chaque ai correspond à l’état du site i (ai = ± si Si = ±1). La somme sur tous les microétats S correspond à sommer sur tous les indices ai répétés ; donc à prendre la trace (à cause des c.a.l. périodiques a L+1 = a1 ) d’un produit de N matrices de transfert. On a donc simplement pour la fonction de partition Z = tr(T L ) (1.4.7) De façon similaire, on peut calculer les fonctions de corrélations de spin en introduisant la matrice S dont les éléments de matrice sont Se f = (Si )e de, f . Ici cette matrice est la matrice diagonale ✓ ◆ 1 0 S = diag(Si ) = = s3 0 1 Les fonctions de corrélation à un point et à deux points sont données simplement par 1 1 tr(ST L ) , hSi Si+n i = tr(STn ST L n ) (1.4.8) Z Z On en déduit que la longueur de corrélation du modèle est donnée par le rapport des deux valeurs propres l0 > l1 de T par x = 1/ log(l0 /l1 ) (1.4.9) h Si i = Programme Doctoral de Suisse Occidentale Théorie statistique des champs et groupe de renormalisation 1-14 CHAPITRE 1. RAPPELS DE MÉCANIQUE STATISTIQUE Calculer les 2 valeurs propres l0 > l1 > 0 de T et leurs vecteurs propres associés. En déduire les valeurs de Z et des corrélateurs hSi et hSi S j i dans la limite thermodynamique de la chaîne de longueur infinie L ! •. Exercice : Pour un modèle de spin classique à q états en une dimension avec des interactions entre plus proches voisins < i, i + 1 >, montrer que la fonction de partition s’écrit toujours comme la trace d’une puissance de la matrice de transfert T , avec T une matrice q ⇥ q. En déduire que la formule 1.4.9 se généralise, l0,1 étant les deux plus grandes valeurs propres de T Généralisations : l0 > l1 > l2 > · · · c François David, 2014 Notes de cours – 11 février 2014