Rachis, 1998, vol. 10, n° 1pp 3-10 ARTICLE ORIGINAL
RACHIS ET PARACHUTISME
Analyse des mécanismes étiopathogéniques et prévention des lésions
rachidiennes survenues lors de la pratique du parachutisme militaire
A propos d'une série de 39 patients opérés
THE SPINE AND PARACHUTE JUMPING
Analysis of the pathogenic mechanisms and prevention of spinal
lesions that occur during military parachute jumping
Report of aseries of 39 operated patients
R, BOUVET, N, KERDILES, R,C, MAITROT, F. TOVAGLIARO, J. BAHUAUD*, J. LACOMBE**
*Service d'orthopédie- Traumatologie H./AR. Picqué (Prof. Bahuaud) 33998 Bordeaux-Armées.
**Ecole des Troupes Aéroportées 64000 Pau.
RESUME SUMMARY
La survenue de traumatismes rachidiens lors de la
pratique du parachutisme militaire nécessite une
connaissance parfaite de leurs mécanismes
étiopathogéniques permettant ainsi une prise en charge
thérapeutique spécifique sur le terrain et en milieu
hospitalier. Leur prévention passe par l'amélioration
du matériel de saut, la modification des techniques en
vol surtout en saut à ouverture commandée retardée et
le maintien d'une surveillance médicale régulière,
associée à un entretien physique permanent et adapté
du parachutiste militaire.
Mots clés: Parachutisme - Rachis - Etiopathogénie - Prévention.
The occurrence of spinal trauma du ring military
parachute training calls for thorough understanding of
their pathogenic mechanisms thus permitting specifie on-
site and hospital management. Their prevention
necessitates improved jumping equipment, the
modification of flight techniques especially concerning
delayed parachute actioning, as weIl as sustained medical
monitoring associated with proper physical training that
ispermanent and adapted to militar parachute exercises.
Keys words :Parachute jumping - Spine - Pathogenicity - Prevention.
R. BOUVET, N. KERDILES, R.C. MAITROT, F. TOV AGLIARO, J. BAHUAUD, J. LACOMBE
En parachutisme, la traumatologie de l'appareil locomoteur
et des membres inférieurs est trés fréquente, mais aussi
l'axe vertébral, soumis à des contraintes en compression
axiale responsables de lésions spécifiques (1),
A travers l'étude d'une série de 39 patients opérés de
lésions rachidiennes survenues lors de la pratique du para-
chutisme militaire, nous allons en analyser les mécanismes
étiopathogéniques et en discuter les modalités préventives.
HISTORIQUE
Imiter l'oiseau à la manière d'Icare est un des plus beaux et
des plus vieux rêves de l'homme. On peut retrouver en
2000 ans avant Jésus Christ le saut de l'Empereur Shun
sautant d'une grange enflammée, tenant pour amortir sa
chute deux larges chapeaux de roseaux. De nombreuses
expériences plus ou moins malheureuses suivirent, mais il
faudra attendre le XVIIè siècle et la théorie mathématique
sur la chute des corps de Newton et les premières expé-
riences de parachutage d'animaux avec Sebastien en 1783.
L'histoire du parachutisme humain remonte en fait au 22
octobre 1797 et à André-Jacques Garnerin effectuant, sus-
pendu à la nacelle d'un ballon en osier à plus de 700 mètres
d'altitude, un saut aprés avoir sectionné le fille reliant au
ballon, qui permit ainsi à la corolle du parachute de se
déplier aprés avoir rompu la boule de soie le maintenant.
L'auteur de ce premier saut atteignit le sol suffisamment
lentement pour ne se fouler qu'un pied. Le début du XIXè
siècle verra la création d'un modèle sans armatures ni
nacelle, Paulus préconisant déjà à cette époque le pliage du
parachute avant le saut. Le parachutisme du XXè siècle a
beaucoup évolué, passant de la mission de sauvetage (appa-
rition du parachute à ouverture automatique (Berry-19l3) à
celle opérationnelle (parachute à ouverture commandée
(Lallemand-1918) puis sportive par la création de la
Fédération Française de Parachutisme (1951).
MATÉRIEL
39 observations ont été collationnées au Centre Médical des
Troupes Aéroportées de 1981 à 1995.
Il s'agit de patients masculins, militaires engagés, prati-
quant le parachutisme de manière professionnelle.
L'âge moyen est de 31 ans
Extrêmes entre 21 et 46 ans
L'activité parachutiste moyenne
Elle a été par patient:
- 118,82 sauts en ouverture automatique (S.O.A.);
- 494,69 sauts en ouverture commandée et retardée
(S.O.C.R);
- 96,46 sauts en charge.
4
Etiopathogénie
(tableau] )
- 46% des lésions(19/39 cas) sont directement liées à un
accident aigu de parachutisme et surviennent en majorité
(15/19 cas) à l'atterrissage au décours d'un saut en ouverture
automatique (O.A) (9,]6), ou au décours d'un saut en ouver-
ture commandée (O.R) (4.] ]), mais aussi lors de choc à
l'ouverture (4/19 cas);
- 54% des lésions (20/39 cas) surviennent sur un mode
chronique la responsabilité de l'activité parachutiste
n'est pas formellement démontrée.
Le niveau lésionnel retrouvait:
- 6 lésions cervicales;
- 33 lésions lombaires et lombo-sacrées.
La répartition lésionnelle s'établit en:
- 6 lésions discales cervicales (1C3C4/1 C4C512C5C6/
2C6C7);
- 31 lésions discales lombaires (8L4L5123L5S 1) (7);
- une fracture instable de L2 (]5) sans trouble neurologique;
- un spondylolisthésis L5S 1 de grade Il révélé lors du trau-
matisme initial
Remarque: Il est à noter que le sondylolisthésis (5) de L4/L5
ou de L5/S1, responsable fréquemment de lombalgie chro-
nique, ne constitue pas une inaptitude à la pratique du para-
chutisme lors de S.O.A.
Le délai moyen entre le début de la symptomatologie et la
date de l'intervention chirurgicale est de:
- 4,30 mois pour les lésions aigues
- 22,6 mois pour les lésions chroniques.
MÉTHODE
Les patients ont été traités dans 60% des cas par un neurochi-
rurgien et dans 40% des cas par un chirurgien orthopédique.
Le type d'interventions réalisées a consisté en
- 36 disectomies simples (8)
>5 au niveau du rachis cervical par voie antérieure
>31 au niveau du rachis lombaire et lombo-sacré par
micro incision postérieure
- 3 arthrodèses :
>un Cioward antérieur au niveau cervical (17)
>deux avec matériel d'ostéosynthèse par vis pédiculaire et
greffons osseux apposés en postéro-latéral (2.13).
RÉSULTATS
Les résultats ont été évalué par une étude clinique, radiolo-
gique et fonctionnelle.
RACHIS ET PARACHUTISME
Tableau 1:
Mécanismes étiopathogénigues selon le type de saut.
Hernies cervicales 1
1 \
Activité parachutiste (39)
19/39 ~
~
4/19 ~
[
41
Cause humaine 1 [
~
Mauvaise position du
corps à l'ouverture
Choc à l'ouverture 1
\
Cause technique
Ouverture sèche
Néant
Sur le plan clinique:
35,89% des patients opérés sont asymptomatiques.
Les complications post-opératoires retouvées sont:
- précoces: une reprise chirurgicale à la 48è heure pour
hémato-rachis responsable d'un syndrome de Brown-
Sequard;
- tardives: deux reprises chirurgicales pour récidive herniaire;
- séquellaires à distance à type de :
>douleurs mécaniques de dévérouillage lombaire matinal
(51,29% des rachis lombaires opérés);
>névralgies cervico-brachiales résiduelles
(43,3% des rachis cervicaux opérés);
>sciatalgie résiduelle
(21,2% des rachis lombaires opérés).
Sur le plan radiologique:
Il n'a pas été retrouvé radiologiquement de rupture
d'implants ou de "débricolage" du montage sur les 3
arthrodèses pratiquées.
73
Corrpétition
oQui
.Non
Saut en charge
Activité
parachutiste
100
80
60
40
20
o
Sur le plan fonctionnel:
La durée d'hospitalisation a été en moyenne de 10 jours et
ce quelque soit la pathologie traitée. La rééducation a duré
en moyenne 43 jours et s'est effectué dans:
- 62% des cas en secteur libéral;
- 33% des cas en centre de réédaptation fonctionnelle;
- 5% des cas par autoréeducation.
Le délai entre la reprise professionnelle en milieu militaire
et l'intervention chirurgicale a été similaire à celle que l'on
peut observer pour des sportifs de haut niveau (14) avec:
- une reprise d'activité sédentaire à 1,87 mois;
- une reprise d'activité physique à 3,76 mois;
- une reprise d'activité parachutiste à 8,75 mois (figure 1)
(tout type d'intervention confondue).
Activité parachutiste (39)
20/39 ~
~
'1 \,
Activité parachutiste (39)
19/39 ~
~
15/19 ~
Hernies lombaires
ou lombo-sacrée
Hernies
cervicales
;1 Atterrissage l'\
O.A. 1\O.R.
1 ). lO
~ Fracture
1L2
3' tl l'l' '3'6
1Cause humaine 1 1 Cause humaine 1
l~ ~2 l~ l~
Traumatisme
en torsion
Traumatisme en
compression axiale
Figure 1:
Reprise activité parachutiste.
5
R. BOUVET, N. KERDILES, R.C. MAITROT, F. TOV AGLIARO, J. BAHUAUD, J. LACOMBE
DISCUSSION Tableau 3:
Aptitude de parachutisme selon étiologie.
Hernies discales 1 1 Autres pathologies
Spondylolisthesis
L5,Sl de grade II
• Absence d'ablation du matériel
d'ostéosynthèse
• Apte à 7 mois en O,R.
• Apte tandem
(poids maxi: 250 kg autorisé)
• Intervention de Gill
• Curetage discal
• Réduction +stabilisation
TA? =Troupes aeroportées
21
1Lombaires 1
\
1Simple
~ ~
Apte à 6
Apte à 10
mois 1/2en :
mOIsen :
O.A.et O.R.
O.A. etO.R.
*O.A. =Ouverture Automatique
*O.R. =Ouverture Retardée
Spécificité du matériel
Deux types de parachute sont actuellement utilisés par les
parachutistes militaires:
- l'ensemble de parachute individuel (E.P.!.) pour la pra-
tique de saut à ouverture automatique (S.O.A.),doté d'une
voilure de 74 m2 entraînant une faible vitesse de déplace-
ment horizontal. Teyssandier (20) a pu montrer q'un para-
chutiste pesant 75 kgs reçoit un choc à l'arrivée au sol de
95 kgs en cas de vent nul mais de 190 kgs pour un vent au
sol de 5 mis (figures 1et 2) (22).
PRÉVENTION DES TRAUMATISMES
RACHIDIENS (3)
Si le parachutisme militaire doit son avènement à la
deuxième guerre mondiale avec la naissance des Troupes
Aéroportées, la fréquence accrue des sauts (80000 sauts/an
à l'Ecole des Troupes Aéroportées) doit intégrer dans son
approche la prévention des traumatismes rachidiens. Outre
un entretien physique permanent de l'individu, il ne faut
pas oublier l'évolution des techniques de parachutisme
comme la modification des postures avant l'ouverture lors
d'un saut en ouverture commandée retardée et l'évolution
des matériels (transformation des voilures, utilisations de
composants viscoélastiques) (10).
Patients Aptes TAP (34/39)
33 l "
1Cervicales 1
~
Course à pied VéloNatation
Pré. Op.
Post Op,Pré. Op.Post Op.Pré. Op.Post Op.
63,9%
59,5%
11,4%
13%
24,6%27,4%
La majorité des patients (34/39 cas soit 81%) (figure 2) a
récupéré une aptitude T.A.P à 6 mois après discectomie
simple sans limitation qualitative et quantitative des sauts
en ouverture automatique et commandée retardée et à 8
mois après cure de spondylolisthésis par arthrodése en saut à
ouverture commandée retardée et tandem avec une charge
maximale de 250 kgs. L'inaptitude définitive T.A.P (5/39
cas) a été prononcée aprés des gestes chirurgicaux plus
lourds (arthrodèses cervicale selon Cloward et lombaire
aprés montage type "Argenson"), et après récidive de her-
nie lombo-sacrée à l'origine de lombalgie invalidante et
d'instabilité lombaire.
L'analyse des résultats fait apparaître de manière significa-
tive l'imputabilité des sauts dans la survenue de trauma-
tismes rachidiens (19 cas/39): le saut en ouverture automa-
tique ne semble pas plus dangereux que le saut en ouvertu-
re commandée retardée, Il existe une différence significati-
ve dans la survenue:
- d'une lésion cervicale et le fait de pratiquer le saut en
ouverture commandée retardée (4 cas/5);
- d'une lésion lombaire et le fait de pratiquer le saut en
ouverture automatique (9 cas/12).
Dans 20 cas sur 39, il semble que le saut en parachute soit
un cofacteur déclenchant. Teyssandier (19) parle d'un véri-
table syndrome vertébral douloureux du parachutiste, en
faisant une authentique maladie professionnelle. Ce syn-
drome semble résulter de l'association de facteurs favori-
sants à type de:
- microtraumatismes disco-corporéaux vertébraux répétés
lors de l'atterrissage ou de l'ouverture du parachute surtout
en effectuant des sauts en charge (supérieur à 30 Kgs);
- antécédents de pathologie vertébrale acquise n'entraînant
pas obligatoirement une inaptitude parachutiste définitive
comme la Maladie de Scheuermann, l'existence de troubles
de la statique vertébrale ou d'anomalies transitionnelles,
surtout si elles intéressent un hémi-corps vertébral, et le
sondylolisthésis;
- pratique intensive de sports (footing +++);
- fatigue psychologique.
L'analyse de la reprise des activités physiques et sportives
montre qu'elle a été effective 3,76 mois aprés l'interven-
tion avec une diminution significative de la course à pied
au profit d'autres activités comme le vélo et la natation,
(tableau 2).
Tableau 2:
Reprise activité physiques sportives
6
RACHIS ET PARACHUTISME
.!!!.
E
o
<0
Il
>
.!!!.
E
o
<0
Il
>
Position actuelle
- le parachute de type aile pour la pratique du saut à ouverture
commandée retardée (s.a.c.R.), doté d'une vitesse verticale
modulable et d'une vitesse horizontale propre en plané
intégral. Lors de la pratique du saut en ouverture comman-
dée retardée, le choc à l'ouverture en est le mécanisme
principal (6), agissant tel un véritable coup de fouet entraî-
nant des contraintes importantes au niveau du rachis cervi-
cal. L'ouverture du parachute en chute libre passe en deux
secondes d'une vitesse de SOm/s à une vitesse de Sm/s:
cette décélération brutale est associée à des mouvements de
compensation aérodynamique de rotation de la tête lors du
déclencement de cette ouverture par une poignée spéci-
fique. La difficulté à quantifier l'intensité du choc à
l'ouverture lors de sauts en aile responsables de lésions
rachidiennes cervicales a amené le Centre Aéroporté de
Toulouse à proposer l'utilisation de capteur accéléromé-
trique intrabuccal permettant ainsi de préconiser une nou-
velle posture lors de l'ouverture (figures 3et 4).
Figure 2:
Position préconisée à la sortie de l'aéronef
Position préconisée
Figure 3:
Position préconisée à la sortie de l'aéronef Figure 4:
Ouverture lors du saut commande retardée.
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