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Adolphe a donc acquis un statut de fait d'associé-gérant de la banque, et son expérience d'une décennie dans la
banque en a fait, sinon un capitaliste, du moins l'irremplaçable collaborateur d'un banquier d'affaires.
Eugène, le cadet, est également redevable aux Seillière. Mais à la différence de son frère, il fait ses armes dans
l'industrie, textile puis métallurgique. Son activité d'industriel commence dans une filature de laines peignées aux
Petits Longaux (Reims) possédée par les Seillière, avant de se voir confier en 1827 la direction des forges à
Bazeilles (Ardennes), rachetée par les Seillière à André Poupart de Neuflize, industriel et maire sedannais, futur
baron d'Empire.
Leurs mariages élèveront, sinon la fortune des frères, du moins leur statut social. Eugène épouse en 1837
Constance Lemoine des Mares, nièce d'André de Neuflize. Adolphe s'était marié en 1831 avec la fille de Louis
Boigues, maître de forges à Fourchambault (Nièvre), et industriel influent. Louis Bergeron5 évoque à ce sujet
l'engagement d'une "vraie négociation" entre Adolphe et son futur beau-père, la date du mariage est différée tant
que la dot de cent mille francs n'est pas débloquée : "M. Boigues, écrit Adolphe, comme bien je le pensais est
comme tous les manufacturiers, c'est-à-dire sans trop d'argent comptant".
La banque a formé Adolphe, et la forge a trempé Eugène. Tandis qu'Adolphe gagnait la confiance des banquiers,
Eugène s'imposait comme dirigeant d'usine. L'alliance de la finance et de l'industrie se noue dans cette double
trajectoire des deux frères.
2. LA REPRISE DU CREUSOT
La houille est aux origines du bassin du Creusot. Le charbon affleure à ciel ouvert. La proximité de cette source
d'énergie est le facteur déterminant de l'installation dès la fin du XVIII ème d'une fonderie, puis d'une verrerie.
Sous l'ancien régime, la fonderie du Creusot participe à la fabrication de canons pour la marine royale. Elle fournira
plus tard des armatures de bâtiment (pour la halle aux grains de Paris en 1809, par exemple). En 1786, la verrerie de
la Reine s'installe au Creusot, elle appartiendra ensuite à la Cristallerie de Baccarat et sera reprise par les Schneider
avec une clause de non production pendant 50 ans : la verrerie deviendra la résidence (“ le château ”) de la famille.
A la suite de pertes répétées, une première faillite intervient en 1818, et la société est reprise par un de ses
créanciers, François Chagot, également propriétaire des mines de Blanzy et de Montceau-les-Mines. Il tente de
développer la production des canalisations urbaines (eau et gaz). Mais la mauvaise conjoncture des années 1818-
1822, puis le manque de capitaux des Chagot ne permettront pas de réaliser les investissements nécessaires. Une
deuxième transmission intervient en 1826, quand la veuve Chagot cède un tiers du capital (10/32è) à deux anglais,
Manby et Wilson. A leur tour, ceux-ci échouent à redresser les performances de la compagnie, la faillite est
déclarée en 1833, avec un passif de onze millions de francs. La troisième reprise, celle qui fait rentrer les Schneider
au Creusot, n'intervient qu'en 1836.6
Cette reprise aurait été qualifiée aujourd'hui d'opération de "capital-risque" : d'une part, elle succède à trois
échecs, d'autre part les Schneider ne possèdent pas les capitaux nécessaires pour racheter et relancer la fonderie.
5 Louis Bergeron, "Les Schneider : la famille et l'entreprise (1830-1942)", in Les Schneider, Le Creusot, catalogue
d'exposition, 1995.
6 Bertrand Gille (1959).