LE PETIT PRINCE - ia-prod

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sont pas des enfants de cœur. Il reste cette figure particulière, celle d’une
femme hantée, développée dans Exils et Transylvania, qui demeure intrigante.
Par rapport aux autres longs métrages de ce réalisateur, Les
Princes ne déroge pas à la règle ; il l’a fait même ressortir. La recherche de
l’illustration qui sclérose la première partie fait contrepoint à la vitalité de
la seconde, lorsque les personnages prennent la route. La force singulière
des films de Tony Gatlif réside dans leur dimension poétique, quand celuici capte le voyage.
novembre 2010
LE PETIT PRINCE
Auteur : Antoine de Saint-Exupéry
Littérature, Gallimard, 1946
Face à un conte particulièrement connu, le lecteur s’engage
avec appréhension, voir même avec méfiance. Souvent écorchés par de
mauvaises adaptations ou réduits à quelques formules, on a tendance
à oublier que ces contes sont des œuvres à part entière. Connaître leur
histoire est une chose mais les lire leur rend leur dimension.
Je crois n’avoir jamais lu Le Petit Prince, ou seulement des
fragments. L’image d’un renard, celle du petit prince réclamant le dessin
d’un mouton, mais j’aurai été incapable de résumer cette histoire que l’on
réserve d’habitude aux enfants… A 23 ans, il était temps de réparer cette
irrévérence à la littérature française !
Après avoir lu les premières pages, mon appréhension a été
remplacée par une sorte de joie, le plaisir de découvrir la fraicheur de ce
texte, très loin des mièvreries de certains livres jeunesse. Avec un langage
très simple, Saint-Exupéry vient mettre en place un univers où il ouvre
la réalité avec notre imagination. L’auteur, se faisant narrateur, donne
au langage une dimension presque magique. Simplement énoncés, les
personnages et les lieux prennent corps et on se surprend à contempler
la fleur de l’astéroïde du petit prince. Les aquarelles de l’auteur viennent
parfois perturber les résonnances que produit le texte.
Le lecteur peut être tenté de réduire cet ouvrage à la parole
du narrateur, par laquelle chaque chose prend forme. Cependant, les
déplacements subtils qu’opère sa voix font osciller ce conte entre la
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tradition orale et la nouvelle. Dans un premier temps, le narrateur partage
ses observations sur le monde et se fait médiateur en nous présentant
le petit prince. Puis progressivement, il s’estompe pour laisser place aux
aventures de l’enfant. Des aventures qui rejoignent l’aviateur.
Au fil des chapitres, un glissement s’opère de la réalité vers un
univers singulier. A partir de là, tout devient possible et l’on saute de
planète en planète avec le petit prince à la rencontre de personnages
étranges. Comme ce businessman s’appropriant « des petites choses
dorées qui font rêvasser les fainéants ». En temps que lecteur, on s’étonne
de se sentir proche des personnages lorsque le petit prince vient à rester
suffisamment de temps avec eux.
La distance entre notre monde et cet univers permet à l’auteur de
proposer son point de vue. Les questions naïves du petit prince, adressées
aux autres personnages, viennent parfois fissurer notre quotidien.
Plusieurs phrases, prononcées par différents protagonistes résonnent
comme des morales. Mais, comme pour les différents symboles que l’on
peut reconnaître dans ce texte, ces morales restent légères en étant des
sources d’inspiration et non pas des dogmes à imposer.
Vendredi 3 décembre 2010
OUASMOK ?
La Compagnie des Gentils
Mise en scène : Aurélien Villard
Texte : Sylvain Levey
Théâtre, Espace 600, Grenoble
C’est un jeu, ou presque. On se croise, on se rencontre, on se
séduit puis on se marie. On s’installe, on découvre l’ivresse de vivre à
deux et ses difficultés et on divorce. L’histoire de Ouasmok semble banale,
autant que les lieux où elle se déroule : un quartier populaire où se mêlent
plusieurs influences. Ouasmok ? « C’est de l’arabe, ça veut dire comment
tu t’appelles ». Quant aux personnages, mademoiselle Léa et monsieur
Pierre, on les a déjà croisés. Elle, maladroite sur ses talons, un brin trop
maquillée ; et lui, la tête rentrée dans les épaules, un peu plus assuré. Ils
ne sont plus vraiment des enfants et pas tout à fait des adolescents. Rien
de bien nouveau et pourtant cet univers familier ne laisse pas indifférent.
Le texte de Sylvain Levey, avec la mise en scène de la Compagnie
des Gentils, nous amène à un plaisir simple : découvrir le quotidien des
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personnages et de s’y reconnaître. De retrouver les détails qui donnent vie
à notre environnement au travers les yeux de pré-ados, sans se perdre
dans la niaiserie. Il est évident que l’on s’amuse avec mademoiselle Léa
quand elle énumère les objets de l’appartement de sa grand-mère, loin
du catalogue aseptisé d’Ikéa. De même, on sourit lorsque monsieur Pierre
énonce, telle une règle d’arithmétique, les courants littéraires étudiés en
français, de la 6e à la 3e. Mais cette proximité laisse une sensation douceamère. En imitant les adultes, les personnages empruntent leurs paroles.
Et dans leurs bouches, les mots retrouvent leur sens que l’habitude
estompe, avec leur gravité. Le serment du mariage résonne d’une façon
particulière dans une salle de théâtre. Cette sensation persiste dans les
jeux cruels de monsieur Pierre et mademoiselle Léa à la limite entre faire
comme si et être, entre l’enfance et l’adolescence. Mais l’acidité de cette
pièce prend sa source dans l’univers dépeint, banal. Celui-ci convoque en
hors champs nos inquiétudes face à la réalité. Elles contrastent avec la
naïveté et la fragilité des personnages. Traversant le rire, les larmes, la
lassitude, la passion, perchés en haut d’un clocher choisi comme maison,
les personnages emmènent le spectateur vers une certaine sympathie à
leur égard.
Un sentiment que l’on développe également pour la jeune
compagnie interprétant ce spectacle. Les moyens financiers semblent
avoir été limités et la scénographie le révèle particulièrement. C’est une
boite pivotante construite de bric et de broc. Bien investie par la mise
en scène, tour à tour, cette boite devient rue ou clocher, découvre un
nouveau lieu ou tourbillonne dans la colère de mademoiselle Léa. Quant
aux acteurs, leur plaisir interpréter la pièce est communicatif. Il fait oublier
leurs quelques maladresses. Aussi, le nom de leur compagnie, les Gentils,
se révèle moqueur. C’est un jeu, ou presque.
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Petites Utopies, en associant les membres du public à son travail et en faisant part des ces étapes de sa création, propose son regard, en équilibre.
Jeudi 16 décembre 2010
MUE
Compagnie La Manœuvre
Mise en scène : Gaëlle Bisellach-Roig
Cirque, danse & manipulation d’objets, Amphithéâtre de Pont-de-Claix
Est-ce du cirque ? Une corde, une technique de jongle particulière
avec des massues et l’idée d’une prouesse. La filiation est présente, mais
il y a autre chose. Est-ce de la manipulation d’objets ? Prothèses de bras
et masques semblent prendre vie sous le contrôle des actrices mais cela
serait trop réducteur. Est-ce de la danse ? Ces mouvements des corps dans
l’espace, amplifiés par l’absence de paroles, tendent évidemment vers une
chorégraphie mais… quelque chose d’autre subsiste, un ensemble difficile
à circonscrire. Du ça.
Au commencement, rien, puis un chaos sonore nous plonge
dans l’obscurité. Un pied, des doigts palpent une chaine dans un trait de
lumière. Peu à peu, une quiétude s’installe et trois silhouettes étranges se
dessinent. Entremêlées, se fondant les unes dans les autres, s’hybridant
avec des objets, une transformation s’opère. Mue nous parle du corps, à la
fois chair et instinct, animal, parfois insecte mais aussi représentation.
Un soin particulier a été apporté à l’esthétique et la mise en
lumière très fine capte l’attention des spectateurs. L’environnement
sonore soutient l’ensemble. Les chuchotements, le souffle des actrices,
les chocs sur le plateau sont distordus, mis en boucle, mixés à d’autres
sons. Dans cette texture, Gaëlle Bisellach-Roig expose une vision de
l’évolution, débutant dans l’indéfini, rencontrant l’objet puis l’image pour
atteindre l’individu. Alors que l’on se rapproche de l’Homme au fil de Mue,
les disciplines artistiques, elles, restent enchevêtrées.
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Vendredi 4 mars 2011
UNE ANTIGONE DE PAPIER,
TENTATIVE DE DEFROISSAGE DU MYTHE
Compagnie Les Anges Au Plafond
Texte & Mise en scène : Brice Berthoud
Jeu et manipulation : Camille Trouvé
Théâtre et marionnettes, Festival de la marionnette, salle Olivier Messian, Grenoble
De part et d’autre de la scène, les gradins, le public. Ça et
là, quelques tas de vieux papiers. Une mélodie à quatre voix et deux
violoncelles monte doucement et se stoppe nette, un couteau lancé au
cœur d’une cible. Le papier frémit, tremble, se déchire ; les marionnettes
virevoltent et se réenfouissent dans un froissement.
Après 7 années passées sur les routes aux côtés de son père, Antigone
revient à Thèbes. Elle ne reconnaît plus sa ville, coupée en deux par une
frontière. D’abord simple trait à la craie puis mur infranchissable, c’est sur
cette ligne, contre, à travers ce symbole de l’arbitraire de Créon que ce
raconte Une Antigone de papier.
Le jeu des comédiens et des marionnettes, la musique, la matière,
élaborent des images d’une grande force. Une constellation de références
se déssine comme ce mur s’élevant au fil des scènes. celui-ci devient
la barrière entre l’Europe et le Maghreb avec le fort accent provençal
de ses bâtisseurs ; le jeu des violoncelles face à lui rappelle Mstislav
Rostropovitch au pied du mur de Berlin ; la lumière et la violence de
ce spectacle évoquent le Moyen Orient, la frontière entre la Palestine et
Israël. Des murs au Mur, le spectateur s’interroge et voyage, transporté,
jusqu’à l’univers de la pièce.
Dans ce monde de papier, les paroles et les gestes des
personnages, insufflés par la marionnettiste Camille Trouvé sous la plume
de Brice Berthoud, vibrent avec des thèmes actuels, universels. Face à
Hémon cherchant à vivre heureux malgré le monde et Créon invoquant
la paix pour imposer cette frontière, Antigone est la dernière à s’opposer.
Adolescente fière, encore empreinte de l’enfance et de l’ailleurs, fragile
comme une feuille de papier, elle tente d’ouvrir des brèches.
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Mars 2011
INCENDIES
Réalisateur : Denis Villeneuve, Scénario adapté de la pièce Incendies de Wajdi Mouawad
avec Lubna Azabal, Rémi Girard, Mélissa Désormeaux-Poulin, Maxim Gaudette
Cinéma, sortie le 12 janvier 2010
29 mars, Québec
A toi qui lis cette lettre,
Je dis qu’une promesse non tenue est une dette.
Le monde
La vie
Rendent certaines vérités trop dures pour qu’elles soient écrites ou même
prononcées.
N’ayant honoré ma parole
Murée dans le silence
Je suis enterrée nue, sans cercueil,
Tournée vers la terre,
Sans pierre et sans nom.
Ici
Dans la grisaille et le froid
J’étais la secrétaire du notaire Jean Lebel
Mais là-bas
Sur cette terre
Frappée par le soleil
Labourée par l’horreur,
J’ai été tant d’autres.
A mes enfants,
Jeanne
Simon
Je confie deux enveloppes.
La première doit être remise à leur père qu’ils croyaient mort,
La seconde est destinée à leur frère dont je leur avais caché l’existence.
Puissent-t-ils les retrouver, remonter le chemin calciné de ma vie.
Nawal Marwan
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