J.P. Rozet 2007
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CHAPITRE X
MÉCANIQUE ONDULATOIRE
I - L'EMERGENCE DE NOUVEAUX CONCEPTS QUANTIQUES
1) Problèmes posés par l'ancienne théorie des quantas
Dans le cadre de l'ancienne théorie des quantas, le point de départ pour la résolution d'un problème donné était
toujours la solution classique du problème. Ensuite venait l'étape de la traduction quantique du problème, basée sur
l'utilisation du principe de correspondance : trouver les "bonnes" conditions de quantification était un problème délicat,
faisant plus appel à l'intuition qu'à une méthodologie raisonnée. Certains problèmes conduisaient de plus à des
difficultés apparemment insurmontables, tels que ceux correspondant aux propriétés des systèmes polyatomiques ou de
façon plus fondamentale encore, ceux correspondant à l'interaction d'une onde électromagnétique (continue) avec un
atome (aux états d'énergie quantifiés). Le caractère discontinu des échanges d'énergie d'un atome avec le milieu
extérieur s'opposait au caractère continu des ondes électromagnétiques dont l'existence, démontrée par les phénomènes
de diffraction et d'interférence, ne pouvait être mise en cause. Ceci conduisait d'ailleurs Darwin à suggérer dès 1919 la
possibilité d'une non-conservation (au moins locale ou temporaire) de l'énergie.
Deux nouvelles théories quantiques vont se développer parallèlement et de façon quasi-simultanée : la
mécanique des matrices et la mécanique ondulatoire. L'équivalence mathématique de ces deux formalismes sera établie
dès 1926 par Schrödinger. La même année, Wentzel, Brillouin et Kramers établiront que les conditions de
quantification de Bohr-Sommerfeld peuvent se déduire du formalisme de Schrödinger dans le cadre d'une
approximation connue aujourd'hui sous le nom de méthode WKB (Wentzel, Brillouin, Kramers).
2) La mécanique des matrices (1925)
Nous nous contenterons ici de donner une vue très schématique des idées contenues dans cette théorie, et
n'utiliserons pas la démarche (historique) utilisée à l'époque.
Les concepts fondamentaux de la mécanique des matrices ont été introduits par Heisenberg en 1925 ; Born et
Jordan en ont développé le formalisme. L'idée de base de cette théorie est que la théorie de Bohr (ou Bohr-Sommerfeld)
repose sur des concepts classiques tels que ceux de trajectoire et de vitesse (par exemple, d'un électron sur son orbite
autour d'un noyau d'atome), mais qu'en réalité ces grandeurs échappent à l'observation (nous reviendrons plus loin sur
ces questions à propos du principe d'incertitude d'Heisenberg). La théorie devrait donc se limiter à l'introduction et au
calcul des seules grandeurs observables, par exemple la fréquence et l'intensité des transitions radiatives dans un
atome.
La méthode de base repose sur le développement en série de Fourier de quantités physiques dépendant du temps
et le développement de certaines propriétés mathématiques établies a priori en se basant sur le principe de
correspondance de Bohr. Nous ne donnerons qu'un résumé des conclusions et de certaines parties du raisonnement en
utilisant un formalisme largement postérieur à celui utilisé à l'époque.
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On peut caractériser la fréquence d'une transition par hνij = Ei – Ej , et son intensité par une quantité |aij|2 , où aij
est l'amplitude de la "vibration" correspondante. Considérons alors une quantité du type
aijbij
(un cas particulier est Iij = (aij)2).
A partir du principe de correspondance et la loi de combinaison de Ritz sur les termes spectraux, Heisenberg a
montré que nécessairement, on a la règle de multiplication (dite d'Heisenberg) :
=
kkjikijij ba)b)(a(
Born et Jordan remarquèrent que cette règle de multiplication est précisément celle du produit matriciel. Dans le
cadre de la mécanique des matrices, on associe donc à chaque grandeur physique une matrice la représentant. Par
exemple, (aij) représente la matrice des amplitudes de transition. Cependant, le produit de deux matrices est en général
non commutatif. En particulier, examinant la quantité
QP - PQ
où Q et P sont les matrices représentant des variables conjuguées q et p (position et impulsion par exemple),
Born et Jordan montrent que les règles de quantification de l'ancienne théorie des quanta conduisent (et sont
équivalentes) à la loi de commutation :
QP – PQ = i h I
(où I est la matrice unité).
Ce formalisme permet de retrouver tous les "anciens" résultats (avec parfois quelques différences, comme le fait
que les niveaux d'énergie de l'oscillateur harmonique sont donnés par 0
)
2
1
n(E ω+= h au lieu de nhω0 énergie du
"zéro absolu" = 0
2
1ωh). Il permet de plus de résoudre toute une série de problèmes impossibles à traiter dans le cas de
l'ancienne théorie. Nous en donnerons un exemple d'application à la fin de ce chapitre.
3) Dualité onde-corpuscule
a) Introduction : ondes électromagnétiques et photons
Parallèlement à la mécanique des matrices va se développer un autre formalisme, complètement différent, basé
sur une idée introduite par Louis de Broglie. Nous avons vu que peu à peu s'était imposée l'idée que la lumière était
constituée de photons. En fait, la notion de photon ne s'impose que lorsque le rayonnement interagit avec la matière.
Dans d'autres circonstances, les phénomènes observés ne peuvent s'expliquer que par la nature ondulatoire de la
lumière. Il faut donc, en fait, conserver à la fois l'aspect ondulatoire et l'aspect corpusculaire de la lumière. Cette
nécessité est bien mise en évidence par quelques expériences que les techniques expérimentales modernes ont permis
de réaliser. On peut en particulier réaliser une expérience d'interférences "photon par photon" : dans l'expérience
d'interférences lumineuses des fentes d'Young, par exemple, on peut se placer dans des conditions expérimentales telles
que le résultat obtenu ne peut s'expliquer entièrement ni avec la théorie ondulatoire seule, ni avec la théorie
corpusculaire seule.
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Examinons tout d'abord la relation qui peut être établie entre intensité lumineuse et nombre de photons :
- si la lumière est constituée d'un "jet" de photons d'énergie E = h ν = h ω, alors l'intensité lumineuse
en un point est proportionnelle au nombre de photons par seconde qui passent en ce point.
- si la lumière est de nature ondulatoire, alors l'intensité lumineuse est proportionnelle au carré de
l'amplitude du champ électrique en ce point.
Lorsque, dans l'expérience des fentes d'Young, on diminue très fortement l'intensité de la source émettrice, on
peut détecter l'arrivée des photons (dans la zone de visualisation des franges) de façon individuelle : on peut en
particulier diminuer le flux de photons de telle sorte que l'intervalle de temps moyen entre l'arrivée de deux photons
consécutifs soit 100 ou 1000 fois plus long que le temps de transit total des photons entre la source et l'écran. Dans de
telles conditions, où les photons traversent l'appareil un par un (et sont détectés individuellement), on observe
néanmoins que les franges restent observables, pourvu que l'on compte suffisamment longtemps : au début, les
"impacts" de photon se répartissent de façon aléatoire (en contradiction avec une interprétation purement ondulatoire où
l'intensité doit varier de façon continue), puis la répartition des impacts prend peu à peu un aspect continu exhibant la
présence de franges d'interférences (en contradiction avec une interprétation corpusculaire dans laquelle les photons
passant un par un au travers du dispositif ne peuvent pas interagir les uns avec les autres).
Ceci conduit à admettre que :
- dans tous les cas, la propagation (évolution temporelle) d'un photon reste décrite par une onde
classique,
- l'intensité observée en un point, proportionnelle au carré de l'amplitude du champ, correspond
également à la probabilité de présence d'un photon en ce point.
Examinons maintenant les lois physiques régissant la propagation de la lumière, en raisonnant sur un cas simple
à une dimension. Les solutions élémentaires de l'équation d'onde la plus simple :
0
tv
1
x2
2
22
2=
ψ
ψ
sont des ondes progressives sinusoïdales (ondes planes de l'espace à trois dimensions) :
)tkx(i
eA)t,x( ω
=ψ
Dans le cas d'un milieu dit non dispersif (ex. : ondes E.M. dans le vide), on a la relation :
λ
π
=
ω
=2
v
k
Dans le cas général, l'équation d'onde peut prendre des formes plus compliquées. On peut cependant toujours
chercher des solutions sous la forme d'ondes progressives, mais on obtient alors en général une relation plus
compliquée entre ω et k. On donne le nom de relation de dispersion à la loi qui lie ω à k :
ω = ω(k)
On appelle alors vitesse de phase vϕ la vitesse de propagation d'un point de phase constante :
ϕ = kx - ωt = cste )v(
k
d
t
dx
v=
ω
==
ϕ
k
v
ω
=
ϕ
Dans le cas de la lumière, on obtient n
c
v=
ϕ, et en général vϕ c.
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Cette vitesse de phase, cependant, ne peut pas être assimilée à la vitesse de propagation des photons.
Remarquons tout d'abord qu'une onde plane monochromatique correspond à un cas limite idéal qui ne
correspond jamais à la réalité. Tous les signaux réels ont une durée finie (et donc une extension finie dans l'espace), si
bien qu'ils correspondent en réalité à une superposition d'ondes planes de différentes pulsations ω (principe de
décomposition spectrale).
On appelle paquet d'ondes une telle superposition qui peut s'écrire en général :
ω
π
=ψ kde)k(g
)2(
1
)t,r( 3)tr.k(i
2/3
r
r
r
r
Dans le cas à une dimension, on a :
+∞
ω
π
=ψ dke)k(g
2
1
)t,x( )tkx(i
En remarquant que
π
=ψ dke)k(g
2
1
)0,x( ikx
on voit que g(k) est simplement la transformée de Fourier de ψ(x,0) :
ψ
π
=dxe)0,x(
2
1
)k(g ikx
Pour discuter les propriétés des paquets d'onde, nous raisonnerons sur le cas très simple où le signal est formé
par la superposition de deux composantes de même amplitude et de pulsations voisines ω et ω', soit
[
]
)t'x'k(i)tkx(i eeA)t,x( ωω+=ψ
Un calcul simple donne alors :
)t
2'
x
2'kk
(i
et
2'
x
2'kk
cosA2)t,x(
ω+ω
+
ωω
=ψ
Cette expression représente une vibration de pulsation 2'
ω
+
ω
et de longueur d'onde '
k
k
4
+
π
=λ , dont
l'amplitude varie lentement (battements). La phase se propage à la vitesse :
'
k
k
'
v+
ω+ω
=
ϕ et pour ω ω' (k k'),
k
vω
ϕ
Cependant, le point d'amplitude maximale se déplace à une vitesse différente, que l'on appelle vitesse de groupe :
k
'
k
k
'
vg
Δ
ωΔ
=
ωω
=
Ce calcul peut se généraliser au cas d'une superposition continue quelconque. On a alors Δω 0, et la vitesse
de groupe est définie par :
dk
d
vgω
=
Dans le cas des ondes E.M., cette vitesse correspond en général à la vitesse de propagation de l'énergie, que
l'on peut assimiler à celle des photons. Dans le cas d'un milieu non dispersif, ω dépend linéairement de k et vg = vϕ .
Dans tous les autres cas, on aura vg vϕ .
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b) Corpuscules et ondes de matière (1923)
Louis de Broglie a remarqué que dans le cadre de la relativité, photons et particules jouent un rôle similaire : en
particulier, les photons, comme les particules, ont une énergie totale et une quantité de mouvement. Si donc il n'y a pas
de différence radicale de nature entre les particules matérielles et le photon, la dualité onde-corpuscule établie dans le
cas des photons devrait se retrouver dans le cas des autres corpuscules : la dualité onde-corpuscule devrait être un
phénomène universel, et pas simplement une propriété exclusive du photon. Il est par ailleurs tentant de faire un
parallèle entre les conditions de quantification de l'ancienne théorie des quanta et les conditions d'onde stationnaire de
certains phénomènes vibratoires.
Dans le cas des photons, on avait :
=
λ
=
ν
=
ω=ν=
k
h
c
h
p
hE
h
h
De Broglie propose alors (1923) de généraliser ces relations au cas de n'importe quel corpuscule. On associera à
un corpuscule matériel d'énergie totale E et d'impulsion p
r
une onde de pulsation ω = 2πν et de vecteur d'onde
k
r
donnés par les mêmes relations que pour les photons : ce sont les relations de Louis de Broglie :
λ
==
=
ω
=
h
kp
hE
h
h
Dans le cas de particules relativistes, on a :
E2 = p2c2 + m2c4
h2ω2 = h2k2c2 + m2c4
ωdω = c2kdk =β==
ω
=
ωvc
W
pc
c
k
c
dk
d2
v
dk
d
vg=
ω
=
la vitesse de groupe définie au a) s'identifie bien à la vitesse de la particule.
Par contre :
c
v
cc
pc
W
c
p
W
k
v2=
β
===
ω
=
ϕ
Le fait que la vitesse de phase de l'onde soit supérieure à c montre qu'aucune signification physique ne doit être
attachée à cette vitesse de phase. D'ailleurs, De Broglie parlait d'une "onde fictive associée au mouvement du mobile" :
contrairement au cas des ondes électromagnétiques, aucune quantité physique n'est associée à l'onde, et seule la
vitesse de groupe a un sens.
Remarquons d'autre part que si nous nous intéressons au cas de particules lentes, on peut utiliser les formules de
mécanique classique :
hω = E = T = 2
1mv2 p = mv = hk
vmdv/)mvdv(
dk
d
vg==
ω
= (on retrouve bien vg = v)
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