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Introduction
epuisunequinzained'années,desfirmesagricolestransnationaless'implantentsur
de vastes territoires, notamment dans les pays en voie de développement.
Positionnées sur les marchés internationaux des matières premières, ces grandes
unités de production sont les témoins du développement contemporain du capitalisme
agraireetlesmarqueursdel'empreintedelamondialisationdanslesecteurprimaire.Les
pays dits « émergents » deviennent la cible privilégiée d'investisseurs privés et de fonds
souverains étatiques. Soucieux de peser sur les marchés internationaux des matières
premières ou de sécuriser leurs approvisionnements, ils installent ou consolident de très
grandesexploitations,orientéesversl'exportation.
Depuis les travaux d'Henri Mendras (1984 [1967]), la figure du paysan, puis celle de
l'agriculteur ont dominé la sociologie rurale française. Mais depuis quelques années, les
«agriculturesdefirme»(HervieuetPurseigle,2009)s'imposentcommeobjetderecherche
fondamental pour appréhender les évolutions des productions agricoles et le
développement d'un capitalisme agraire mondialisé. Sur la base des cas indonésiens et
malaisiens1,approchésparl'analysedesgrandesplantationsprivéesdepalmieràhuile,cet
ouvrage s'en empare à son tour. Pour saisir les enjeux contemporains de l'agriculture
capitaliste, il analyse la grande plantation, héritage de la période coloniale et modèle de
productionquiconnaîtuneexpansioncontemporainemassive.
C'estenAsieduSud-Est,notammentenIndonésieetenMalaisie,quel'engouementpour
cette production agricole de grande échelle s'impose : depuis les années 1970, les
gouvernements de ces deux pays mènent des politiques musclées de développement des
culturesd'export,notammentdecaoutchoucetd'huiledepalme,dontlaproductiondevient
lelieudegrandesplantationsagro-industriellesprivées.Concernantlepalmieràhuile,les
deuxpaysontréussiàconstruireenquaranteansunsecteuréconomiqueconcentrant80%
delaproductionmondiale.Lesplantationscouvrentdesterritoireséquivalantàlamoitiéde
lasurfaceagricoleutilefrançaise,etemploientrégulièrementplusd'unmilliond'ouvriers.
Cette situation d'hégémonie économique soulève la question des ressorts politiques et
sociauxquilasous-tendent.Surcettebaseanalytique,cetouvrageproposeunesociologie
ducapitalismeagraire.Ilmetenévidencelesinvariantsdumodèledelagrandeplantationet
lesspécificitésnationalesdanslesquellesilss'expriment.
L'historicitédelagrandeplantationestpropiceàl'étudedelaconstructiondecesecteur
économiquepuissant.Ellepermetdepenserlestransformationsconnues,enlienavecles
changements politiques qui ont encadré son évolution. Ce livre retrace l'histoire des
plantationsàpartirdel'introductiondumodèledelagrandeplantationenAfriqueetenAsie
du Sud-Est au XIX e siècle (Gibbon et al., 2014) jusqu'à la période contemporaine, en
s'attachantàcomprendrelerôledel'Étatdanslastructurationdecesecteuragro-industriel.
Cela permet de replacer l'évolution des firmes dans le contexte d'un environnement
institutionnel lui-même en construction, et d'interroger les conditions d'émergence et de
stabilisationdelaproductionagricolecapitaliste.C'estdoncl'analysedesliensentreÉtatset
organisationscapitalistesquiconstituelefildirecteurdecetouvrage.Souscetaspect,l'État
estcomprisdansunedoubleacception:celled'uneinstitutionlégislatriceetrégulatricequi