16 N° 1237 - Mai-juin 2002
fit des grands propriétaires. Les premières compagnies sucrières
nord-américaines investirent en masse, à Cuba et Porto Rico, puis en
République dominicaine, mécanisant partiellement le traitement
des cannes à sucre. La main-d’œuvre n’étant plus occupée que pen-
dant les cinq à six mois de coupe intensive, cela eut pour effet de
développer les premiers flux migratoires à caractère saisonnier et
alternant, la majorité des travailleurs retournant dans leur île d’ori-
gine une fois la récolte achevée. Selon Eric Williams(3), 217 000 Haï-
tiens, Jamaïcains et Portoricains allèrent ainsi travailler à Cuba
entre 1913 et 1924, tandis que se développaient parallèlement des
flux de travailleurs migrants internes aux Petites Antilles. Une partie
de cette main-d’œuvre fit progressivement souche, et on estime que
80 000 Haïtiens environ s’installèrent de manière permanente à Cuba
dès 1930.
Par ailleurs, des milliers de travailleurs caribéens émigrèrent à la
fin du XIXesiècle pour le chantier du canal de Panama, dont une bonne
proportion de migrations alternantes : Roberts(4) estime ainsi qu’il y a
eu 24 300 immigrants pendant le mouvement saisonnier de 1883-1884,
dont 11 600 retours. À compter de 1904, le percement du canal draina
les travailleurs caribéens en grand nombre : il y eut environ 20 000 Bar-
badiens, 5 500 Martiniquais, et 5 000 autres ouvriers en provenance de
toutes les petites Antilles, tandis qu’on estime que plus de 20 000 ori-
ginaires des Antilles britanniques moururent dans cette entreprise.
Parmi les autres déplacements de main-d’œuvre, on peut évoquer : les
travailleurs des îles au-Vent partis exploiter les mines d’or des Guyanes
vénézuélienne et française à la fin du XIXesiècle ; un flux d’immigra-
tion aux Bermudes en provenance principalement de Saint-Kitts et
Nevis pour la construction et l’utilisation de bassin de cale sèche pour
les navires ; l’exploitation du pétrole au Venezuela pendant les pre-
mières décennies du XXesiècle qui amena environ 10 000 ouvriers
entre 1916 à 1930, provenant essentiellement de la Barbade, Trinidad
et Curaçao ; la mise en place de raffineries dans les îles néerlandaises
qui attira des ouvriers en provenance de Saint-Martin et Saint-Barthe-
lemy d’abord, puis de la majorité des Petites Antilles britanniques ;
enfin, dans les deux premières décennies du siècle, environ 10 000
bahaméens sont allés travailler dans les chantiers de construction du
bâtiment, secteur en pleine croissance à Miami. Tous ces flux concer-
naient surtout de jeunes adultes masculins, et se traduisirent par des
rapports de masculinité très déséquilibrés : en 1921, on trouvait ainsi
881 hommes pour 1 000 femmes à la Jamaïque, 679 à la Barbade, et
589 à Grenade ; tandis que les pays récepteurs enregistraient des
rapports inverses, à l’instar de Cuba par exemple, qui atteignait 1 131
hommes pour 1 000 femmes.
Par la suite, les mouvements de population dans la région se trou-
vèrent fortement ralentis par la fin des travaux du canal de Panama,
3)- Eric Williams, L’histoire
des Caraïbes, de Christophe
Colomb à Fidel Castro,
éditions Présence Africaine,
1975 (1998), 604 p.
4)- G. Roberts,
“The Caribbean Islands”,
The Annals of the American
Academy of Political
and Social Science, vol. 316,
Philadelphie, 1958.