BIOMÉTRIE LE CORPS IDENTITÉ L’HISTOIRE La dactyloscopie La prise d'empreinte digitale est la plus ancienne des techniques biométriques. Dès la préhistoire, l'homme en connaît l'existence et l'utilise comme signature. Pourtant, ce n'est qu'au XVIIe siècle qu'elle est étudiée d'un point de vue scientifique. Elle finira par s'imposer au XIXe siècle pour l'identification des individus, notamment des criminels. Aujourd'hui, c'est la technique biométrique la plus répandue, aussi bien dans le domaine de la sécurité publique (contrôle, enquête...) que privée (accès à un bâtiment, protection de biens...). Signature A la préhistoire, les Anciens avaient conscience des formes particulières de l'empreinte digitale, comme le montrent ces traces palmaires relevées près des lacs de Kejimkujik, en Nouvelle Ecosse (Canada). Ils les utilisaient comme signature, sans en connaître leurs caractéristiques. En Chine, deux siècles avant JC, l'Empereur Ts-In-She authentifiait certains scellés avec une trace digitale. Cette technique a été appliquée jusqu'au XIXe siècle par les Chinois mais aussi par les Japonais, notamment lors de la signature des contrats commerciaux. Objet de science En 1684, l'Anglais Nehemiah Grew est le premier scientifique à écrire un traité détaillé sur les empreintes digitales et leurs fameuses "innombrables petites rides". Deux ans plus tard, l'anatomiste italien Marcello Malpighi est le premier à étudier les empreintes digitales sous un microscope : il en déduit que "les rides des doigts permettent la saisie et celles des pieds, la traction". C'est en 1823 que le physiologiste tchèque, Johannes Purkinje, propose de classer les empreintes digitales en neuf catégories de motifs. Puis, en 1860, l'administrateur britannique aux Indes, William James Herschel, note que "les empreintes digitales sont formées avant la naissance et restent inchangées tout au long de la vie sauf en cas de blessures profondes". Il imagine alors de les utiliser pour signer des chèques. Le docteur écossais, Henry Faulds, travaille dans un hôpital japonais et observe www.cite-sciences.fr © Cité des sciences et de l’industrie 2005 1 BIOMÉTRIE L’HISTOIRE LE CORPS IDENTITÉ que les Japonais et les Chinois authentifient couramment certains documents à l'aide de leur empreinte. Fort de cette observation, il affirme dans une publication de 1880 que les empreintes sont uniques pour chaque individu. En 1892, l'anthropologue anglais, Francis Galton, s'appuie sur toutes ces découvertes pour décréter que les empreintes permettent l'identification d'un individu. Identification criminelle A la suite des travaux de Galton, le policier et statisticien argentin, Juan Vucetich, décide d'ajouter les empreintes digitales aux mesures anthropométriques de tout malfaiteur. En 1892, il est le premier à identifier une criminelle par ses empreintes digitales : la veuve Rojas qui a tué ses deux enfants. L'Argentine est le premier pays à abandonner l'anthropométrie mise au point par Bertillon au profit des seules empreintes digitales. En France, vers 1880, Alphonse Bertillon invente la police scientifique en mettant au point des fiches anthropométriques pour chaque personne arrêtée. Cette méthode lui apporte un succès mondial mais l'aveugle sur le progrès de la dactyloscopie dans le monde. Il finit toutefois par accepter d'ajouter les empreintes digitales sur ses fiches. Et, en 1902, il identifie l'auteur d'un crime grâce à ses empreintes digitales (affaire Scheffer) après avoir échoué avec l'anthropométrie. www.cite-sciences.fr © Cité des sciences et de l’industrie 2005 2 BIOMÉTRIE L’HISTOIRE LE CORPS IDENTITÉ L'anthropométrie L'anthropométrie, c'est la biométrie d'hier. Différents courants de pensée qui tentaient de valider scientifiquement la vieille croyance selon laquelle "le visage est le miroir de l'âme" se fondaient sur l'anthropométrie pour juger les hommes selon leur morphologie. En revanche, la police scientifique inventée vers 1880 par Alphonse Bertillon - responsable de l'identité judiciaire en France - s'appuyait sur une anthropométrie strictement quantitative : elle servait à répertorier des suspects interpellés à l'aide du relevé métrique de leurs caractères anatomiques, non à les juger selon leur physique. Mesurer pour juger En 1775, le pasteur suisse, Jean-Gaspard Lavater, rédige un essai sur la physiognomonie. Il propose d'identifier le caractère d'un individu à partir de l'observation de la mobilité de son visage. Quelques années plus tard, le médecin allemand, François-Joseph Gall, s'oppose à Lavater. Ce n'est plus le visage qu'il faut observer mais le crâne qu'il faut tâter pour déterminer la personnalité d'un individu. En effet, ce crâne serait, selon lui, modelé par la forme du cerveau en fonction de la personnalité. La fameuse “bosse des maths” est née. C'est la phrénologie. Dans la même lignée, le médecin italien, Cesare Lombroso, propose en 1885 sa théorie du criminel-né. Selon lui, le crime est le fait d'individus constitutionnellement voués à cela, que l'on peut repérer par des stigmates physiques ou morphologiques dont il suffit d'établir l'inventaire. Dès lors, des millions d'observations chiffrées seront recueillies sur les criminels dans toute l'Europe. Par exemple, le poids du cerveau des honnêtes gens oscillerait de 1475 à 1550g, alors que chez les criminels, il serait de 1455g. Contre exemple consternant pour les scientifiques : le cerveau de Léon Gambetta ne pèse que 1160g. De telles théories ne sont pas si loin de nous. Elles ont conduit à des dérives racistes comme le nazisme. Plus récemment, en 1965, la généticienne écossaise Patricia Jacobs annonçait la découverte d'un "chromosome surnuméraire Y" plus présent chez les criminels et les déficients mentaux. Cette théorie non fondée scientifiquement a été abandonnée en 1975. www.cite-sciences.fr © Cité des sciences et de l’industrie 2005 3 BIOMÉTRIE L’HISTOIRE LE CORPS IDENTITÉ Le bertillonnage Alphonse Bertillon est un cancre à l'école, mais un scientifique dans l'âme. Un ami de son père, féru de phrénologie, dit de lui après avoir tâté son crâne : "outre la bosse du classement, Alphonse possède le sens de la série, ce sera un garçon ordonné et méticuleux"... Bertillon entre à la préfecture de Police de Paris comme simple employé en 1879. Il recopie sur des fiches le signalement des détenus arrêtés dans la journée. Mais, selon lui, ce travail ne servira jamais à retrouver les récidivistes, tant les informations relevées sont médiocres et la photo mal prise. Bertillon met donc au point un système de classement efficace et une prise de mensuration précise des délinquants. Cette nouvelle méthode d'identification des récidivistes fait de lui l'inventeur de la police scientifique. Une fiche anthropométrique est constituée pour chaque personne arrêtée. Dès 1883, Bertillon utilise des outils anthropométriques pour effectuer 11 mesures anatomiques par délinquant. Succès immédiat : 49 récidivistes sont retrouvés et 241 le seront un an plus tard. Dès lors, l'anthropométrie judiciaire devient le bertillonnage. Bertillon peaufine sa méthode, centralise les données de la France entière et forme les policiers. À l'issue d'une formation sur la prise de mesures, un brevet est délivré. Les polices du monde entier s'intéressent à cette méthode, Bertillon devient aussi célèbre que Pasteur. Le portrait parlé est la description parfaite de chaque caractère qui individualise le visage : le front, le nez, l'oreille droite, la couleur des cheveux et celle de l'iris. Il tient en une dizaine de mots soigneusement appropriés pour permettre de "reconnaître" instantanément un individu au milieu d'une foule. Extrait de portrait parlé : "taille 1,80 m, cheveux blond clair, nez busqué, base abaissée, oreille triangulaire, oeil assez clair". www.cite-sciences.fr © Cité des sciences et de l’industrie 2005 4 BIOMÉTRIE L’HISTOIRE LE CORPS IDENTITÉ Les documents d'identité Le moyen d'identification le plus courant reste la carte d'identité telle qu'on la connaît aujourd'hui : état civil, photo, signature et parfois signalement physique. Les premiers documents d'identité sont apparus à la Révolution Française. Ils témoignent des préoccupations de chaque période historique, tantôt outil de discrimination ou de contrôle, tantôt signe d'appartenance ou d'égalité. Mais qu'en est-il en Europe aujourd'hui ? Et demain, la biométrie sera-t-elle intégrée dans ces documents officiels ? Hier Au cours de l'histoire, l'évolution de nos documents d'identité témoigne des intentions politiques des gouvernements au pouvoir et de la place donnée aux citoyens dans l'espace public. REVOLUTION Pendant la Révolution Française, les citoyens doivent présenter aux autorités de police un document appelé "carte de sûreté" / cette carte confirme que son titulaire n'est pas royaliste. Pour se déplacer hors du département, il faut être en possession d'un passe-port intérieur. En ces temps troublés, il s'agit de surveiller tout individu jugé dangereux pour le nouvel ordre révolutionnaire. 1852-1870 Sous le Second Empire, l'industrialisation de la France s'accélère,... les ouvriers, sont de plus en plus nombreux, le pouvoir s'en inquiète ! ... d'autant que les idées socialistes commencent à se répandre. Napoléon III décrète que désormais, les ouvriers devront se déplacer munis de leur livret... Sans leur livret, ils sont considérés comme vagabond ! et parfois même emprisonnés ! Ce document va faciliter la surveillance de cette classe ouvrière encore peu organisée. 1870 -1940 Sous la III° République, une nouvelle préoccupation voit le jour : comment définir l'appartenance nationale et distinguer les français des étrangers ? En réponse, la loi de 1889 énonce et précise les critères d'acquisition de la nationalité française. Quant aux étrangers et aux populations ambulantes, on leur impose le port obligatoire d'un carnet anthropométrique... sur lequel figurent deux photos et les empreintes digitales des 2 mains. Ce carnet ne sera supprimé qu'en 1969. www.cite-sciences.fr © Cité des sciences et de l’industrie 2005 5 BIOMÉTRIE L’HISTOIRE LE CORPS IDENTITÉ 1940- 1944 Sous l'Occupation, la loi oblige tout Français de plus de 16 ans à posséder une carte d'identité avec photo normalisée et empreinte digitale. A partir de 1942, la mention "Juif" est apposée sur la carte d'identité des juifs français, Cette pratique, va faciliter les grandes vagues d'arrestations effectuées avec l'aide de la police française. APRES GUERRE Après guerre, le gouvernement prend l'exact contre-pied du régime de Vichy. En 1955, la carte nationale d'identité n'est plus obligatoire : facultative, elle devient symbole d'égalité et d'intégration . Dans les années 80, le projet d'informatiser la carte d'identité provoque de vives polémiques. Elle sera toutefois, délivrée à partir de 1990 et deviendra gratuite en 1998. Aujourd'hui, avec le projet INES de carte biométrique, obligatoire et payante s'ouvre un nouveau débat : quels sont les risques que représente la centralisation par l'Etat de données personnelles. Aujourd'hui et demain En 1995, le ministre de l'Intérieur, Charles Pasqua, introduit la carte sécurisée et informatisée, dans le cadre de la lutte contre l'immigration clandestine et la délinquance. Sûre et moderne, elle permet de réduire la fraude et rend les contrôles plus fiables et plus rapides, notamment grâce à la lecture optique de certaines mentions. Sa possession n'est pas obligatoire. Vers 2007, une nouvelle carte d'identité devrait voir le jour en France : la carte INES (Identité nationale électronique sécurisée). De la taille d'une carte bancaire, elle renfermerait dans une puce deux données biométriques, le visage et l'empreinte. L'objectif est multiple : - simplifier et sécuriser les procédures de délivrance des papiers d'identité, - répondre aux exigences internationales en matière de lutte contre le terrorisme, - permettre de garantir son identité sur Internet, - signer électroniquement. Cette carte sera payante et obligatoire. Elle fait l'objet de nombreuses critiques de la part d'organismes indépendants, tels que la Cnil, ou d'associations qui considèrent que le recours à la biométrie induit plus de risque pour les libertés individuelles que de garanties pour la sécurité des citoyens (cf. "Les risques de la biométrie" du thème Ethique et loi). www.cite-sciences.fr © Cité des sciences et de l’industrie 2005 6 BIOMÉTRIE L’HISTOIRE LE CORPS IDENTITÉ En Europe Aujourd'hui, la carte nationale d'identité est obligatoire dans presque tous les pays de l'Union Européenne, sauf en France et en Italie. Le Royaume-Uni n'en a pas du tout, mais un projet de loi prévoit d'instaurer d'ici 2010 une "National ID Card", carte à puce contenant des données biométriques (empreinte digitale, visage et/ou iris). Ce projet inquiète également les associations de défense des libertés civiles britanniques qui craignent notamment que les informations génétiques soient un jour intégrées à cette carte d'identité. www.cite-sciences.fr © Cité des sciences et de l’industrie 2005 7 BIOMÉTRIE L’HISTOIRE LE CORPS IDENTITÉ Liens La lutte contre la délinquance et le crime : permanence des traditions et conquêtes de la modernité http://www.prefecture-policeparis.interieur.gouv.fr/documentation/bicentenaire/theme_expo1.htm#th1 Partez à la découverte de la police scientifique et technique avec notamment l'anthropométrie, l'un des fondements des techniques biométriques actuelles. Tout public. En français Le langage des crânes. Une histoire de la phrénologie http://m.renneville.free.fr/langinfo.htm Grâce à l’historien Marc Renneville partez à la découverte de la phrénologie, cette science des bosses à l'étrange et passionnant parcours. Tout public. En français Biométrie, identification, authentification, sécurité, contrôle http://biometrie.online.fr Portail qui rend compte de tous les aspects de la biométrie, de l'histoire à la législation en passant par les dernières technologies ou le marché économique. Tout public. En français European Biometrics Portal http://www.europeanbiometrics.info/index.php Portail de réflexion sur la biométrie ouvert par la Commission européenne. Tout public. En anglais www.cite-sciences.fr © Cité des sciences et de l’industrie 2005 8