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1. INTRODUCTION
Un philosophe français
a écrit dans un de ses ouvrages que ”le conflit entre la philosophie analytique et
la philosophie continentale (…) est volontiers réduit à un conflit entre philosophie pro-science, l’analytique, et
philosophie anti-science », dépeinte par ses détracteurs comme presque nihiliste et obscurantiste. L’affaire Sokal
et Brickmont, il y a quelques années, en rejaillissant sur les courants issus de cette dernière, a contribué à lui
faire une mauvaise presse
. Or l’œuvre de Bachelard rappelle qu’il est trop facile de voir le constructivisme
comme une critique de la science, et que celui-ci, loin d’en nier les succès, est parfaitement compatible avec la
reconnaissance du caractère objectif de la science. Physicien et philosophe, Bachelard est bien placé pour faire
de la philosophie des sciences. Il semble cependant légitime de se poser la question de la possibilité d’être
constructiviste sans tomber dans le relativisme.
En effet, l’objectivité de la science n’implique-t-elle pas que celle-ci soit totalement indépendante du
savant et ne porte pas sa marque? Au contraire, le fait que la science est une construction implique-t-il
nécessairement une remise en question de sa validité ou de son objectivité? De manière quelque peu polémique,
Bachelard déclare exactement le contraire : que la « tâche de la philosophie scientifique » est de « tourner l’esprit
du réel vers l’artificiel, du naturel vers l’humain, de la représentation vers l’abstraction »
. Il joue ainsi sur les
contradictions apparentes, puisque la science est habituellement vue comme tournée vers la nature, vers l’objet,
vers la modélisation de la réalité.
Or pour Bachelard, l’objectivité est liée aux conditions d’objectivation, considérée comme un problème
psychologique : le sujet doit dépasser sa subjectivité, et donc les pièges tendus à la pensée. Pour comprendre et
remédier à ces blocages structurels de notre esprit, Bachelard va utiliser une analyse historique de la science, en
se penchant sur ses ratés. L’esprit scientifique est donc bien le fruit d’une évolution, d’une « formation », ce qui
fait du problème de la pédagogie le lieu d’articulation entre les aspects psychologiques et l’objectivité nous
permettant de voir comment, en débutant par une erreur et un rapport au monde empreint d’une sensibilité toute
subjective, le cheminement scientifique peut avoir pour résultat une science objective. Cette analyse
psychologique rend nécessaire le fait de comprendre le type d’intentionnalité mis à l’œuvre dans l’activité
scientifique. Bachelard évite de tomber dans le psychologisme en faisant de la science une aventure intellectuelle
qui donnera non seulement un moyen de mieux connaître la nature, mais aussi de développer une conscience
réflexive sur la manière d’accéder à la connaissance. L’enjeu est donc double : il est à la fois tourné vers soi et
vers le monde.
Salanksis, 2002, p447
En 1996, deux physiciens américains ont publié, dans une revue de sciences sociales, un texte bourré de non-sens en parodiant un
certain type de discours, afin de décrédibiliser certains courants des sciences sociales en montrant que même le non-sens pouvait être
publié dans ce type de revues.
Cependant, il est à noter que même dans le domaine des sciences exactes, il a été possible pour des scientifiques de publier des données
fausses sans que la communauté scientifique ne s’en aperçoive. Ceci n’est donc pas le seul fait des sciences sociales, comme le bêtisier
historique des sciences mis à jour par Bachelard le montre, comme nous le verrons par la suite.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Affaire_Sokal.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Jan_Hendrik_Sch%C3%B6n
Bachelard, 2004, p13