les oreilles du loup…
Il est des textes qui s'imposent. "Les oreilles du loup" d'Antonio Ungar fait partie de
ceux-là. C'est un étrange chant d'amour à la vie, à l'enfance dans ce qu'elle a de plus
irréductible et de plus sauvage.
Entre "jours sombres" et "jours clairs" qui scindent l'œuvre en deux parties,
apparaissent et disparaissent, par flashs successifs, les impressions et réactions d'un
petit garçon qui observe sans concession le monde des adultes. Il y a ceux qui rient
pour de faux, ceux qui posent des questions idiotes, et puis il y a ses parents.
Comme dans le roman, nous avons travaillé sur l'entrelacement d'images, de sons, de
présences changeantes et fantomatiques pour porter la narration à la première
personne des bribes de vie de cet enfant roux qui préfère être un tigre. Deux
comédiens se partagent le plateau : ils sont deux émanations de l'enfant et prennent
en charge ses surréalités corporelles.
L'espace est blanc, c'est une page blanche inclinée. À la fois plateau et écran
permettant d'aspirer les comédiens dans l'image projetée. Les images sont abstraites
ou symboliques. Manipulées et filmées en direct par les deux comédiens comme s’ils
matérialisaient et modelaient les pensées et les ressentis de l’enfant.
" J’observe la scène comme si je n’y étais plus. (…) Je regarde la scène comme si je
pouvais sortir de moi-même. "
Les univers sonores, en alternances ou en superpositions, sont autant d’ambiances, de
réalités, de replis, qui se confrontent et se mêlent : formes et musicalités du monde
extérieur, rythme animal et ritournelle d’intériorité…
Tout doit concourir à créer une sorte de "songe" dans un espace/temps instable. Un
songe pour laisser pressentir que "la vie, toute la vie, peut être cet enchevêtrement
d'éclats de rire, d'herbe et de boue."
Éric Sanjou