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Le bon fonctionnement de l'économie de marché n'est pas le laissez-faire, selon la formule attribuée
à Gournay et qui résume la philosophie du libéralisme, illustrée par l'anecdote de Quesnay
précédemment citée. Ce n'est pas la loi de la jungle. Ce n'est pas un système maffieux où règne la loi
du plus fort. La concurrence suppose une organisation institutionnelle - notamment un cadre juridique
et judiciaire, un système monétaire. Mais en règle générale, les institutions doivent avoir pour but de
faciliter, et non d'entraver les échanges. La question institutionnelle se pose aussi, bien entendu, sur
le plan des échanges internationaux.
Il n'est pas exagéré de dire que l'activité principale de la théorie économique depuis un peu plus de
deux siècles a consisté à approfondir l'intuition d'Adam Smith et à comprendre les « défaillances » du
marché. On analyse de mieux en mieux le fonctionnement des marchés en concurrence imparfaite,
les particularités liées aux économies d'échelle et aux rendements croissants, les questions relatives
aux biens dits collectifs ou publics ou encore aux « effets externes », ainsi que les problèmes liés au
temps, à l'incertitude, aux imperfections de l'information et à l'existence de « coûts de transactions »,
dans lesquels le prix Nobel Ronald Coase voit la raison fondamentale de l'existence même des
organisations hiérarchisées - elles-mêmes, contraires à l'idée de marché - que sont les entreprises. Il
n'en reste pas moins que la théorie du marché, élaborée par une lignée d'économistes parmi lesquels
il faut encore citer les noms d'Alfred Marshall (1842-1924), Léon Walras (1834-1910), Vilfredo Pareto
(1848-1923), Paul Samuelson (né en 1915), Maurice Allais (né en 1911), Kenneth Arrow (né en 1921)
et Gérard Debreu (né en 1921), demeure encore de nos jours la référence inévitable, aussi sûrement
qu'il est impensable en physique de parler des gaz réels sans penser au cas limite des gaz parfaits.
Du point de vue du fondement des sociétés réelles, l'expérience depuis la première révolution
industrielle montre que les pays dont l'organisation économique s'apparente au paradigme du marché
réussissent mieux que les autres. Jusqu'à ce jour, on ne peut citer un seul exemple de succès - en
particulier sur le plan de la justice sociale - d'une économie organisée sur la base d'un rejet de
l'économie de marché. Les tentatives de l'Union soviétique et de ses satellites, celles des pays dits en
voie de développement qui ont voulu mettre en œuvre une planification bureaucratique et centralisée,
se sont soldées par des échecs catastrophiques. A l'inverse, les expériences les plus concluantes de
sortie du sous-développement ont été menées en référence à l'économie de marché. Pour la plupart
des analystes, les difficultés que rencontrent actuellement certains pays de l'Asie de l'Est ne mettent
pas en échec cette stratégie, et s'expliquent au contraire par le maintien de privilèges, de rentes de
situation, de circuits occultes ou de réglementations désuètes.
La question du travail
De tous les biens économiques, le plus singulier est le travail. Comme l'écrit Jacques Lesourne dans
un livre remarquable publié en 1995, le travail a deux faces : « Côté pile, il est un service rendu par un
homme ou une femme à une organisation. Côté face, il est, pour la plupart des individus, leur source
principale de revenu. Ce double caractère le distingue nettement des biens (la lessive, l'électricité) ou