
Elément de corrigé du sujet : quelle place pour l’histoire des «gens ordinaires » ?
«  Flambeau.  -Et nous, les  petits,  les  obscurs, les  sans-
grades                      
Nous  qui  marchions  fourbus,  blessés,  crottés,  malades
Sans espoir de duchés ni de dotation ;
Nous  qui  marchions  toujours  et  jamais  n'avancions ;
Trop simples et trop gueux pour que l'espoir nous berne
De  ce  fameux  bâton  qu'on  a  dans  sa  giberne...
Edmond Rostand, l’Aiglon 1900
I. Une sensibilité «romantique »  aux «oubliés »
€L’épuisement de la biographie des «grands hommes » 
Le  désenchantement  des  historiens  envers  les  grands  hommes  est  net :  les  historiens  biographes  ne  sont  plus  des 
admirateurs mais des démystificateurs (Charlemagne…) ; les grands hommes sont moins étudiés pour eux-mêmes que pour 
ce qu’ils représentent aux yeux de leurs contemporains et de leurs successeurs. La question de leur rôle dans l’histoire est 
renvoyée à des réponses de la complexité (l’Hitler de Kerschaw est tout à la fois produit de son temps et l’organisateur du 
nazisme). Confrontés à la masse des biographies des grands hommes (120 000 biographies d’Hitler ont été écrites avant 
celle de Kershaw), les biographes se sont tournés vers des personnages secondaires parfois pour échapper aux inévitables 
débats dans lesquels l’historiographie a enfermé certains «grands hommes » ainsi Robespierre et Danton. Pierre Serna leur 
préfère Antonnelle, un aristocrate révolutionnaire (qui n’a cependant rien de quelqu’un d’ordinaire…) qu’il présente comme 
davantage représentatif du personnel politique de la Révolution. De ces «second rôles » aux anonymes de l’arrière plan il 
n’y avait plus qu’un pas à franchir.
€qui fait l’histoire ?
Avec la Révolution française, le peuple entre dans l’histoire, il devient acteur : ainsi l’histoire contemporaine s’intéresse 
particulièrement au peuple : le peuple anonyme qui fait masse lors des soulèvements et auquel Michelet consacre des pages 
exaltées. La révolution industrielle et la première guerre mondiale contribuent à donner aux masses ce rôle d’acteur central 
que le marxisme théorise. Si le XX° siècle est l’ère des masses, c’est d’abord du point de vue des historiens : Marc Bloch en 
prit  conscience  dans  l’horreur des  tranchées.  Il  sembla  vite  aller  de  soi qu’étudier  l’époque  contemporaine  revenait  à 
s’intéresser  aux  acteurs  sociaux.  Les  sources  d’ailleurs  s’y  prêtaient  mieux  que  pour  les  autres  périodes.  Ainsi  purent 
s’épanouir une histoire des groupes sociaux (ouvriers,  bourgeois) relayée par  des histoires des femmes (Michelle Perrot 
passa d’une thèse sur le mouvement ouvrier à l’histoire sociale des femmes).   
Pour comprendre la Révolution il fallait aussi s’intéresser à l’émergence du peuple, du Tiers Etat de la Bourgeoisie dans la 
période pré-révolutionnaire… l’histoire des prix (Labrousse) y conduisit. Et l’histoire sérielle des années 60 au début des 
années 80 fut une histoire des anonymes : Pierre Goubert décrivait la France de Louis XIV en mettant l’accent sur les 20 
millions de Français, l’histoire des mentalités voulait aussi être une histoire des anonymes. De même tout le premier volume 
de l’œuvre de Braudel, Civilisation matérielle et capitalisme, est une tentative pour faire l’histoire de ceux qui n’en ont pas, 
de ceux pour qui le temps semble immobile et pour lesquels l’historien se fait anthropologue. L’exploration des sources 
sérielles  en  histoire  démographique  (Dupaquier)  fut  complétée  par  exemple  par  l’apport  des  inventaires  après  décès 
(François Lebrun pour l’Anjou du XVII° s) qui permettaient d’approcher la vie quotidienne
€La demande des professeurs
Privés de «grands hommes » à faire admirer, les professeurs d’histoire risquaient de présenter à leurs élèves une histoire 
désincarnée, sèche voire ennuyeuse. Les quasi-personnages que sont les groupes sociaux, les classes, les Nations peuvent 
apparaître comme dotés d’une intentionnalité qui enlève aux  individus toute action sur le présent. La littérature offrait 
parfois des ressources (Hugo) mais justement c’était de la littérature… Pire : les seuls individus qui demeurent visibles dans 
les programmes d’histoire seraient les «monstres » (Napoléon, Hitler, Staline…) ou les hommes providentiels (de Périclès à 
de Gaulle). La demande d’une histoire destinée à former des citoyens invite à montrer des hommes et des femmes auxquels
les élèves puissent s’identifier. La tendance scolaire à «partir de l’environnement de l’élève » invitait également à s’intéresser 
aux anonymes.
II. une évolution en profondeur de l’histoire sociale 
€L’épuisement d’une histoire sociale anonyme
Avec le déclin des grands modèles d’explication des sociétés (marxisme, structuralisme) l’histoire sociale s’est détournée  
dans les années 80 des «moyennes » (selon le modèle Durkheim-Labrousse) pour s’intéresser  d’une part aux exemples 
(mettre  de  la vie  dans  les séries chiffrées)  et  d’autre  part  aux  atypiques  (expliquer  les  «exceptions »  aux  «règles »  des 
déterminismes sociaux). L’histoire sociale s’est détournée, en partie, de la description des conditions d’existence matérielle 
des hommes en société, pour s’intéresser davantage aux «représentations » aux modes de pensée (cf Corbin). L’évolution 
des sociétés  occidentale  vers  toujours  plus d’individualisme enfin contribue  à  une dévalorisation  des collectifs  dont  les 
historiens ne sont pas exempts.
€le développement de l’histoire sociale vers les exclus, les marges 
Dans les années 70-80 les historiens se tournent vers les archives judiciaires (Arlette Farge) qui permettent d’explorer la 
société par ses déviances (marginaux, délinquants, exclus) dont Michel Foucault a affirmé qu’ils constituent de bons points 
d’observation des normes cachées (histoire de la folie à l’âge classique) et donc de la société toute entière. On le voit la 
mutation de cette histoire sociale est profonde : elle concerne les sources (les sources non  sérielles sont mobilisées) et les 
approches :  pour  l’histoire  sociale  sérielle,  l’étude  des  nombre  permettait  une  approche  directe,  descriptive :  le 
comportement  «ordinaire »était  approché  par la  moyenne  (ex : l’étude  des  comportements  religieux et  du  déclin  des 
pratiques à partir du décompte des ventes de cierges par  Michel Vovelle), la réalité d’une époque était approchée par l’étude