Véronique Billat
dirige le laboratoire
de biologie intégrative
des adaptations à
l’exercice, à l’université
d’Évry-Val-d’Essonne.
entretien avec
Véronique Billat
La Recherche
Quel est le paramètre qui, sur le
plan physiologique, détermine la performance
d’un athlète ?
Véronique Billat C’est clairement ce qu’on appelle
la consommation d’oxygène maximale. Au-delà
d’un certain seuil, le corps humain ne peut plus
consommer davantage d’oxygène pour oxyder les
carburants que sont les glucides, les lipides et les
protéines en ultime recours. Il atteint alors son débit
maximal de consommation d’oxygène (VO2max)
que l’on mesure en litre par minute. Cette valeur
dépend de deux facteurs : le débit cardiaque et l’ex-
traction d’oxygène dans les tissus, principalement
les muscles. La ventilation pulmonaire n’est pas un
facteur limitant, sauf en haute altitude ou en cas de
pathologie. Tout mon travail de chercheur et d’en-
traîneur est de réfléchir aux meilleurs moyens d’aug-
menter le VO2max d’un athlète. C’est le paramètre
clé de la performance. On sait que le VO2max
V
éronique Billat a un profil rare : elle est
à la fois athlète et chercheur, alliant
depuis trente ans pratique et théorie.
Ancienne sportive de haut niveau
(cross-country et ski de fond), elle a remporté en
1982 la prestigieuse course de trekking du Sierre-
Zinal, dans les Alpes suisses, et est toujours entr-
neuse brevetée de course de fond et de triathlon.
Elle dirige aussi le laboratoire de biologie des adap-
tations à l’exercice de l’université d’Évry-Val-
d’Essonne et du Genopole, qui a développé des
méthodes sophistiquées de suivi de la physiologie
du corps humain durant l’effort. En 2014, elle a
fondé la société BillaTraining, spécialisée dans le
conseil personnalisé, inspiré des dernières don-
nées scientifiques, en entraînement physique et
sportif. À l’occasion des jeux Olympiques de Rio,
elle livre sa vision de la physiologie de l’athlète,
mais aussi de l’entraînement du sportif amateur.
Le corps du sportif
fonctionne comme
une voiture hybride
Propos recueillis par Nicolas Chevassus-au-Louis
Pour Véronique Billat, physiologiste du sport et ancienne athlète, une des clés de
la performance sportive réside dans la variation de la vitesse. Une stratégie qui per-
met de régénérer efficacement ses réserves énergétiques. Et qui est valable aussi
bien chez le sportif professionnel que chez l’amateur.
4 La Recherche
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Juillet-Août 2016 N°513-514
Bruno Levy
Entretien avec Véronique Billat
Nous épuisons nos « batteries »
dans les phases d’accélération
forte et nous les rechargeons
dans les phases de décélération
paramètres clés de la performance, notés entre 0 et
4, en un diagramme. Le polygone à quatre côtés
obtenu définit la signature physiologique de l’ath-
lète. J’insiste sur l’importance de la perception. C’est
un point essentiel, un vrai pilote dans l’avion. La
capacité à doser sa vitesse par rapport à ses réponses
physiologiques réelles est fondamentale. Les sportifs
s’astreignent trop souvent à tenir un temps de pas-
sage, au lieu d’écouter leur corps.
Suiviez-vous ces recommandations lorsque
vous étiez athlète de haut niveau ?
Oui. En fait, j’ai entamé des études de physiologie
pour trouver des réponses à des questions que je me
posais en tant qu’athlète. J’avais l’intuition de l’im-
portance de la vitesse variable. Quand je faisais du
3 000 mètres, je planifiais ma stratégie d’effort et de
souffrance sur sept tours et demi. Et j’ai voulu me
donner les moyens intellectuels de comprendre ce
dont j’avais l’intuition.
Les athlètes parlent souvent de l’importance
du mental, mais c’est un terme que vous
n’utilisez pas. Pourquoi ?
Le mental, cela ne veut rien dire. Je préfère parler de
perception, de cognition. Dans le cerveau, au niveau
de l’hypothalamus, le corps dispose d’un intégrateur
de douleur, quand on arrive au paroxysme de l’ef-
fort. D’où l’importance d’écouter son corps plutôt
que de vouloir à tout prix le forcer à la performance.
Quand je fais des tests où je demande aux athlètes
d’adopter une vitesse constante perçue comme
facile, moyenne ou difficile à tenir, je constate qu’ils
font spontanément des variations de vitesse
(1)
. Il en
va de même pour les enfants. C’est bien la preuve
que le corps sait, de lui-même, adopter la stratégie
physiologiquement optimale.
L’idée de varier la vitesse semble, à vous
entendre, à la fois intuitive pour le corps
humain et peu pratiquée par les entraîneurs…
Par les entraîneurs européens. Les Kényans, par
exemple, la pratiquent. J’ai entraîné Isabella Ochichi,
vice-championne olympique kenyane du
5 000 mètres, et j’ai eu l’occasion de voir que son
mode d’entraînement alternait marche rapide et
sprints. Sa vitesse, mesurée par ses temps de pas-
sage, variait de 18 à 28 km/h. C’est vrai également en
marathon : la vitesse moyenne n’a guère de sens
étant donné les alternances de rythmes très rapides
et de rythmes plus calmes. Ce qui fait la différence
entre un marathonien de niveau olympique (2 h 06)
et de niveau international (2 h 12), c’est la vitesse de
pointe sur un 500 mètres ou un 1 000 mètres. Les
meilleurs ont un écart-type plus important de
vitesse, ce qui leur permet d’aller très vite, puis de
récupérer.
Quel doit être l’entraînement pour un sport à
effort long et continu ?
Je pense qu’il n’existe aucun sport dans lequel l’effort
soit réellement continu. Il y a toujours des périodes
de repos. Même le cyclisme : si l’on suit avec des
capteurs de puissance l’effort déployé sur les
pédales, on voit qu’il varie de 0 à 700 watts
(2)
. Le
cycliste sait utiliser l’énergie cinétique et potentielle,
pour conserver sa quantité de mouvement. Même
dans le saut à la perche, la prise d’élan n’est pas
continue. Les muscles ne cessent de se contracter et
de se relâcher. Le principe que je propose, visant à
augmenter la consommation d’oxygène, s’applique
à tout type de sport. L’énergie humaine, durable,
renouvelable et augmentable, est la seule énergie
qui se dissipe si l’on ne s’en sert pas. L’important,
encore une fois, c’est la consommation maximale
d’oxygène du corps. Par rapport à un niveau de base
de 1, le corps allongé au repos, passer l’aspirateur
représente un niveau 3
(3)
. Et monter à Montmartre
en Vélib’ (qui pèse 24 kg) un niveau 8, comme je l’ai
montré sur mes étudiants, qui sont pourtant de
jeunes sportifs entraînés.
Quel est le rôle de la nutrition dans la
préparation du sportif ?
Pour moi, c’est un rôle secondaire. Le corps a des
besoins qu’il exprime. Un athlète bien entraîné sait
ce qu’il a envie de manger. La nutrition est très com-
mentée dans le milieu sportif, mais pour des raisons
commerciales : cela permet de vendre des complé-
ments alimentaires. La nutrition est secondaire der-
rière les fondamentaux de l’entraînement.
Qu’est-ce qui vous manque, sur le plan
technique, pour suivre la physiologie du corps
dans l’effort ?
J’aimerais que l’on puisse faire de l’imagerie céré-
brale pour voir les zones actives. Cela permettrait de
trouver des signatures neuronales de l’effort et de la
souffrance. Si j’avais besoin d’un outil supplémen-
taire, ce serait de pouvoir objectiver la douleur.
diminue, inexorablement, à partir de 30 ans,
mais dès que l’on reprend l’entraînement, il pro-
gresse à nouveau. Je l’ai constaté en entraînant le
cycliste Robert Marchand, qui entre l’âge de 99 ans
et l’âge de 103 ans a atteint une valeur de VO2max
supérieure à celle qu’il avait à 80 ans.
Qu’en est-il des sports qui nécessitent une
activité musculaire très brève et très intense,
comme le lancer du javelot ou du poids ?
Dans le cas d’exercices extrêmement brefs, le VO2max
ne joue aucun rôle dans le geste lui-même, mais il va
conditionner la récupération après l’effort. Lors d’un
geste explosif de ce type, la contraction musculaire
est possible grâce à la disponibilité musculaire
immédiate du substrat énergétique du muscle,
les molécules d’adénosine triphosphate (ATP).
Et pour des efforts plus longs ?
Dans le cas d’efforts supérieurs à deux secondes,
l’ATP doit être renouvelée pour permettre la pour-
suite de l’effort. Pour ce faire, trois voies métabo-
liques entrent en action de façon synchrone dans le
muscle. La première est l’oxydation des sucres. La
deuxième est la fermentation des sucres – elle pro-
duit de l’acide lactique, dont l’accumulation est pré-
judiciable. La troisième est la dégradation des phos-
phocréatines. Ce composé phosphoré du muscle,
très énergétique, est utilisé en cas d’effort soudain et
intense. Une des découvertes importantes des der-
nières années est que la synthèse des phosphocréa-
tines nécessite de l’oxygène. On peut ainsi comparer
notre corps à un moteur hybride. Les phosphocréa-
tines sont nos « batteries électriques » : nous les
épuisons dans les phases d’accélération forte
(au-delà de 0,05m/s2) pour la moyenne des
humains) et nous les rechargeons dans les phases de
décélération, durant lesquelles l’ATP est fournie par
l’oxydation des glucides.
Comment le corps humain gère-t-il l’équilibre
entre durée et intensité de l’effort ?
C’est une question qu’avait déjà abordée le Britan-
nique Archibald Vivian Hill, Prix Nobel de physiolo-
gie et de médecine en 1922, un mathématicien de
formation ayant fait une thèse de biologie. Il avait
montré que, pour tout athlète, la courbe vitesse
moyenne/durée de la course a la forme d’une hyper-
bole. On court très vite, mais pas longtemps, ou alors
moins vite et plus longtemps. Ce qui change d’une
personne à l’autre, c’est la position de cette hyper-
bole : plus on est entraîné, plus la courbe est décalée
vers le haut. Chaque athlète a sa propre courbe
vitesse/durée, qui constitue sa signature, sa carte
d’identité.
Quelle conclusion ces connaissances
en biochimie et physiologie permettent-elles
de tirer en termes d’entraînement ?
Que la meilleure façon d’atteindre notre perfor-
mance maximale est de faire varier notre vitesse. La
course à vitesse constante, que continuent à recom-
mander beaucoup d’entraîneurs, est une aberration
physiologique. Le but de l’entraînement, et c’est un
point commun à toutes les disciplines sportives, est
d’utiliser le plus possible l’oxygène pour pouvoir
reconstituer les réserves de phosphocréatine qui
permettent de nouvelles accélérations. Pour filer la
métaphore de la voiture hybride, une course bien
menée alterne les deux moteurs, le moteur élec-
trique (les phosphocréatines) étant plus puissant
que le thermique (l’oxydation des sucres). L’entraî-
nement doit permettre d’améliorer le VO2max pour
le pousser à la valeur la plus élevée possible, de
manière à resynthétiser des phosphocréatines, à évi-
ter de faire appel à la fermentation des glucides et à
éliminer l’acide lactique accumulé.
Est-ce qu’il y a des idées générales en
physiologie du sport ? On a l’impression qu’il y
a autant de cas particuliers que d’athlètes…
C’est là qu’il faut être scientifique et mettre en œuvre
une méthodologie tenant compte de cette variabi-
lité. Quand on fait un audit énergétique d’un athlète,
on le caractérise par quatre dimensions : la force ;
l’efficacité cardiaque ; la capacité de la masse mus-
culaire à travailler avec un peu moins d’oxygène que
nécessaire, ce qu’on nomme la tolérance à l’acidose ;
et la perception. On peut représenter ces quatre
1988 Doctorat à l’université de
Grenoble, consacré à l’équilibre
entre la production et
l’élimination du lactate durant
l’effort.
1989-1998 Maître de
conférences à l’université
de Grenoble, puis Paris-XII et
Paris-V. Développe des
recherches sur l’entraînement
personnalisé fondé sur des
indicateurs physiologiques.
1998 Professeur à l’université
Lille-II. Travaille sur les limites
physiologiques de l’effort.
2002 Fonde un laboratoire
à l’université d’Évry-Val-
d’Essonne, qui devient unité
Inserm en 2007.
2016 Lance son prototype
de montre intelligente EMC2
(expertise de ma course
connectée), qui permet au
sportif de recevoir en temps
réel des conseils sur le déroulé
de sa course.
BIO
N°513-514 Juillet-Août 2016
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Juillet-Août 2016 N°513-514
Entretien avec Véronique Billat
Pourquoi l’athlète ne peut-il pas déclarer
lui-même son niveau de douleur ?
Parce qu’il est incapable de l’objectiver. Il dépend
trop de paramètres sociaux. Une femme cadre supé-
rieure, par exemple, aura tendance à minimiser ses
déclarations : elle dira qu’elle est à la moitié de sa
capacité à supporter la douleur alors qu’elle est au
quasi maximum, parce qu’elle vit une sorte d’inter-
diction sociale de dire qu’elle a mal. Cela peut deve-
nir très dangereux. On l’a vu avec le cycliste Tom
Simpson, mort dans l’ascension du mont Ventoux
lors du Tour de France 1967, parce que le dopage lui
avait fait perdre tous ses capteurs de douleur. Plus
généralement, je ne pense pas que la souffrance soit
inhérente à la performance sportive. C’est une idée
très judéo-chrétienne, mais qui n’a rien d’évidente.
Pourquoi faudrait-il souffrir pour réaliser une
performance ?
Que sait-on de la génétique de la performance
sportive ?
La génétique ne joue qu’un rôle accessoire. Les
Américains ont dépensé des fortunes pour trouver
vainement le ou les « gènes de la performance »
alors que l’on sait à présent que la performance est
à 90 % le fruit de l’acquis. J’ai pu travailler avec deux
cousins germains kényans, tous deux athlètes pro-
fessionnels. C’est clairement le type d’entraîne-
ment suivi qui expliquait la différence entre leurs
performances
(4)
. En effet, si les Kényans sont très
bons à la course, c’est parce que l’éducation est
organisée autour du sport, en particulier du cross,
et parce qu’un véritable business s’est développé
au Kenya autour de ce sport. Mais il fut un temps
où c’étaient les Finlandais, ou les Russes, ou les
Américains, qui dominaient la course de fond. Je
pense que le principal déterminant de la perfor-
mance est économico-social.
Les principes d’entraînement d’un sportif du
dimanche sont-ils les mêmes que ceux d’un
athlète professionnel ?
Oui. Et je dirais même que l’entraînement amateur
doit être encore plus rigoureux dans sa conception,
car l’amateur a moins de temps à y consacrer que le
professionnel. C’est une idée que je développe en
proposant une application pour téléphone mobile
qui permettra à un sportif amateur d’optimiser son
entraînement en profitant des déplacements du
quotidien, par exemple en choisissant la trottinette
plutôt que la marche pour un trajet donné.
Que peut apporter la recherche sur l’animal à
la compréhension de la physiologie du sportif ?
La physiologie comparée, qui aborde l’animal dans
son véritable environnement, est primordiale, car
source d’inspiration pour la compréhension des
possibilités de l’homme. En revanche, l’étude des
modèles animaux en laboratoire, comme des souris
courant sur des tapis roulants, a des limites car il y a
peu de choses comparables entre la physiologie des
mammifères de laboratoire et celle de l’homme. La
souris a un métabolisme fondé sur les phosphocréa
-
tines, le chien sur les lipides. Je prends l’exemple de
la souris : lorsqu’elle atteint sa consommation maxi-
male d’oxygène, elle continue à augmenter sa
vitesse, soit tout le contraire de l’homme
(5)
. Les
seuls animaux ayant des métabolismes compa-
rables à celui de l’homme sont le cheval de course et
le lévrier, mais on ne mène aucune recherche sur ces
animaux. Une chose intéressante à noter est qu’un
animal, quand il vit dans la nature, court à vitesse
variable. C’est pourquoi les expériences de physio-
logie de laboratoire avec des souris courant sur un
tapis roulant à vitesse constante ne me semblent pas
très pertinentes, et que leurs résultats ne sont pas
transposables à l’homme. Le seul aspect utile, à mon
sens, des recherches sur l’animal est la possibilité de
travailler sur les effets du vieillissement. Une souris
de 18 mois, c’est un humain de 90 ans. Travailler sur
la souris permet de tester des hypothèses intéres-
santes sur les conséquences du vieillissement sur la
physiologie de l’effort.
Comment améliorer encore les performances
sportives ?
Cela passe, et c’est en train de se produire, par un élar-
gissement du bassin de recrutement. Huit millions de
Français courent. C’est un chiffre sans précédent. Sur
la quantité peut surgir un athlète exceptionnel. Je
pense qu’il n’y a aucun plafond aux performances
sportives. On a beaucoup progressé dans l’équipe-
ment personnalisé, par exemple des chaussures
adaptées aux appuis propres à chaque athlète, mais
aussi dans l’entraînement personnalisé. Avant Usain
Bolt, personne ne pensait qu’il était possible de des-
cendre sous 9,5 secondes au 100 mètres. Cela devient
envisageable [le record actuel, détenu par Usain Bolt,
est de 9,58 secondes, NDLR]. Étant donné l’évolution
des connaissances scientifiques sur la physiologie du
sport, les performances ne peuvent que progresser.
n
(1) V. Billat et al., J. Physiol. Sci., 56, 103, 2006.
(2) Frédéric Grappe, Puissance et Performance en cyclisme,
De Boeck, 2012.
(3) B.E. Ainsworth et al., Med. Sci. Sports. Exerc., 43, 1578, 2011.
(4) V. Billat et al., Med. Sci. Sports Exerc., 35, 277, 2003.
(5) L. Mille-Hamard et al., Mol. Cell. Biochem.,
doi: 10.1007/s11010-015-2413-3, 2015.
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Juillet-Août 2016 N°513-514
Pour en savoir plus
n Véronique Billat,
VO2max à l’épreuve du temps,
DeBoeck, 2013.
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