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Stabilité et changement du retard mental chez le jeune autiste
par René PRY, Jacques JUHEL, Joffrey BODET et Amaria BAGHDADLI
| Presses Universitaires de France | Enfance
2005/3 - Volume 57
ISSN 0013-7345 | ISBN 2130552765 | pages 270 à 277
Pour citer cet article :
— Pry R., Juhel J., Bodet J. et Baghdadli A.Stabilité et changement du retard mental chez le jeune autiste, Enfance
2005/3, Volume 57, p. 270-277.
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Stabilité et changement
du retard mental
chez le jeune autiste
STABILITÉ ET CHANGEMENT DU RETARD MENTAL
RENÉ PRY ET AL.
René Pry1, Jacques Juhel2,
Joffrey Bodet3et Amaria Baghdadli4
RÉSUMÉ
Le retard mental est aujourd’hui défini sur une base comportementale référant à
une infériorité intellectuelle associée à une inadaptation sociale. Dans le cadre des
classifications actuelles (DSM IV-TR, 2003), il est référencié sur l’axe II, celui qui
concerne les « troubles de la personnalité » pour lesquels on envisage une certaine
permanence. Le syndrome autistique, quant à lui, est repéré sur l’axe I, celui des
troubles mentaux survenant dans l’enfance. À ce titre, c’est un syndrome déve-
loppemental dont les formulations peuvent considérablement changer au cours de
l’ontogenèse. La question de leur association au cours du développement mérite donc
d’être posée. Une évaluation du fonctionnement cognitif et adaptatif a été réalisée
chez 210 enfants présentant un syndrome autistique, dans un premier temps à
l’âge de 5 ans (âge médian) puis dans un deuxième temps à l’âge de 8 ans (âge
médian). Une analyse en classes latentes montre que ces enfants peuvent se répartir
en quatre groupes, ces quatre groupes ayant des évolutions psychologiques, entre ces
deux âges, tout à fait différentes. L’association retard mental / autisme dans ces
quatre groupes est également soumise à de profonds changements, le retard mental
ayant été repéré en termes d’intensité. Ces résultats sont commentés dans une
perspective de psychopathologie développementale et posent la question d’un « retard
mental transitoire ».
Mots clés : Retard mental, Autisme, Stabilité, Changement.
ENFANCE, no3/2005, p. 270 à 277
1. Université Paul-Valéry - Montpellier III, route de Mende, BP 5043, Montpellier
Cedex 1. E-mail : [email protected].
2. Université de Rennes 2, Campus Villejean, place du Recteur Henri-Le-Moal, CS
24307, 35043 Rennes Cedex.
3. CHU Montpellier, SMPEA-CRA, 291, avenue du Doyen Gaston-Giraud, 34295 Montpel-
lier Cedex 5.
4. Ibid.
SUMMARY
Stability and change of mental retardation by young children with autistic disorders
Mental retardation is defined now by attitudes based on a mental deficiency asso-
ciated with a social unskill. In the current classification (DSM IV-TR, 2003) it is loca-
ted in Axis II, the axis dealing with permanent ‘personality disorders’. The autistic syn-
drome is located in Axis I, the axis that tackles mental disorders occurring at
childhood. It is therefore a developmental syndrome whose symptoms may undergo a
considerable change during the ontogenesis. The association of the mental retardation
with the autistic syndrome is worth studying. The cognitive and adaptive system of
210 children with autism was assessed. The assessment first focused on children at 5
(median age) then on children at 8 (median age). The cluster analysis show that the
children may be divided into four groups – between these two periods the psychological
evolutions of the four groups are completely different. The association of mental retar-
dation with autism changes a lot in the four groups (the mental retardation was defined
in terms of intensity). The results are commented on from the viewpoint of developmen-
tal psychology and they raise the issue of « a transitional mental retardation ».
Key-words : Mental retardation, Autism, Change, Stability.
INTRODUCTION
Si les définitions les plus récentes de la « déficience intellectuelle »
mettent l’accent sur la notion de soutien à la personne et invitent à
penser le phénomène en termes d’incapacité relatif à un contexte, il n’en
reste pas moins qu’elles restent en général référenciées sur une dimension
qui n’est pas celle des troubles mentaux et pour laquelle la notion de
« permanence » est associée implicitement, tout au moins à l’âge adulte
(DSM IV-TD, 2003).
Si on peut observer dans ces définitions, qu’elles soient nord-améri-
caines ou européennes, un certain consensus quant à l’association de trois
caractéristiques : des limitations du fonctionnement intellectuel, des déficits
sur le plan des habiletés adaptatives et l’apparition des difficultés avant
l’âge de la majorité (Luckasson et al., 2003), la façon de décrire ces trois
critères pose encore aujourd’hui des problèmes. En effet, les définitions
psychométriques, en annulant les effets de l’âge chronologique et de
l’expérience de vie, masquent les aspects développementaux du phénomène
et invitent à le concevoir aux extrémités d’un continuum dont le trait
latent serait l’ « intelligence », cette dernière relevant d’une note composite
qui en traduit mal les aspects hétérochroniques. Par ailleurs, d’autres défi-
nitions, en mettant l’accent sur la notion d’ « état », ou d’ « arrêt du déve-
loppement », sont en contradiction avec les premières citées. Enfin, son
association avec l’autisme infantile et plus généralement avec les troubles
du spectre autistique est aujourd’hui discutée. Cette association est généra-
lement présentée en termes de taux prévalence ou de comorbidité, ou bien
STABILITÉ ET CHANGEMENT DU RETARD MENTAL 271
en termes de diagnostic différentiel. C’est ainsi que, classiquement, on
donne le chiffre de 80 % de retard mental lié à l’autisme (Fombonne,
1999). Cependant, les résultats d’études récentes, qui ont étendu cette
association à l’ensemble du spectre, proposent un taux d’association beau-
coup moins important. De manière générale, la prévalence estimée du
retard mental dans l’autisme se situe dans une fourchette située entre 40 et
70 % (Honda, 1996 ; Chakrabarti & Fombonne, 2001). Des résultats extrê-
mes situent même la proportion de sujets présentant un trouble envahis-
sant du développement sans déficience intellectuelle (TEDSDI)à67%
(Baird et al., 2000). On trouve d’ailleurs des pourcentages comparables
dans les travaux de Mottron (Mottron, 2004). Cependant, comme le fait
remarquer Chakrabarti, il est probable que ces données contradictoires
soient liées au fait que les dernières populations étudiées sont essentielle-
ment constituées par des autismes atypiques (CIM 10, 1996) ou des trou-
bles envahissant du développement non spécifiés (DSM IV-TR, 2003).
Cette association fait peu de place aux éventuelles transformations
qu’elle pourrait subir avec le développement. On sait qu’elle est maximale
au moment du diagnostic, c’est-à-dire entre les âges de3à5ans, mais on
sait également que les scenarii évolutifs à partir de cet âge sont multiples et
que certains enfants se présenteront à l’âge de 8 ans sans déficience intellec-
tuelle associée. Cette comorbidité maximale à l’âge où les autres enfants
sont à l’école maternelle correspond aussi à un profond remaniement socio-
cognitif chez les enfants au développement typique qui est celui de la mobi-
lisation de la fonction sémiotique, et cela dans des domaines qui nécessite-
ront de plus en plus la maîtrise du langage.
Chez l’enfant autiste, cette difficulté d’accès à une véritable pensée
représentative se traduit souvent par la rémanence d’un fonctionnement
sensori-moteur dans lequel l’exploration du monde environnant mobilise
essentiellement les systèmes sensoriels et leur association avec des réponses
motrices. C’est lorsque ce fonctionnement « tourne à vide » et ne peut accé-
der à la phase suivante que la symptomatologie autistique peut être le plus
aisément repérée sur le plan comportemental dans le domaine des cogni-
tions sociales, dans celui d’une utilisation singulière des outils communica-
tifs et d’une extraction stéréotypée des caractéristiques de l’objet. Cette
extraction ne leur permet alors qu’un juste repérage de fonctionnalité des
objets et vient limiter l’activité du jeu de fiction.
L’examen de cette période méritait donc d’être effectué et la description
des trajectoires développementales à partir d’une position ou d’un moment
« retard » d’être posée.
MÉTHODE
210 enfants présentant un trouble envahissant du développement
(CIM 10, catégorie F84 : 185 autisme infantile, 25 autisme atypique) ont été
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examinés sur le plan de leurs performances sociocognitives, et cela à deux
moments (Aussilloux et al., 2001) : un premier temps (T0 : âge médian
5 ans) et trois ans plus tard (T1 : âge médian 8 ans). Aux deux temps de la
recherche, tous ces enfants ont été évalués dans cinq domaines fonction-
nels : cognitions par rapport aux objets, cognitions par rapport aux person-
nes, maîtrise des outils sociaux de communication, autonomie dans la vie
quotidienne et niveau de socialisation. Les cognitions et savoirs par rapport
aux objets sont évalués à partir des notes d’échelles obtenues à des épreuves
psychométriques classiques : coordinations oculo-manuelles (Brunet-Lézine)
(Josse, 1997), organisation perceptive (WISC-III) (Wechsler, 1991), processus
simultanés (K-ABC) (Kaufman, 1983), échelle non verbale du PEP-R(Scho-
pler, 1994). Les cognitions et savoirs par rapport aux personnes sont éva-
lués à partir d’items issus de l’échelle de Seibert et Hogan (Guidetti et Tou-
rette, 1993). Il s’agit de comportements qui commencent avec les premiers
ajustements au partenaire social, qui mobilisent les ressources émotionnelles
puis des capacités représentatives et métareprésentatives. Ces capacités se
construisent durant les premières années : l’attention conjointe et le jeu
symbolique en seraient les précurseurs. Chacune de ces deux évaluations est
exprimée en mois de développement. Elles pourront donc être traduites en
une note QI au sens de Stern : Âge mental / Âge chronologique * 100.
Les comportements adaptatifs sont estimés à partir des résultats de
l’échelle de Vineland (Sparrow et al., 1984). L’évaluation de chacun des
trois domaines : communication, autonomie dans la vie quotidienne et
socialisation, permet également de recueillir des scores en mois de dévelop-
pement. Comme précédemment, et avec la même technique, un QI compo-
site peut être calculé sur ces trois scores.
Dans un premier temps, une analyse en classe latente (McCutcheon,
1987 ; Hagenaars & McCutcheon, 2002) a été effectuée sur l’ensemble des
données intéressant les cinq domaines fonctionnels (tableau 210 * 5). La
solution en 4 classes s’est avérée la solution optimale (Lo-Mendell-Rubin
adjusted LRT Test, Clogg, 1995).
Dans un second temps, pour chaque enfant, et à partir de ces cinq
notes, ont donc été calculées deux notes QI : une première appréciée à par-
tir des scores aux échelles « cognitions objet et cognitions personnes » et
une seconde issue des trois scores de l’échelle de Vineland (Schalock,
1999), et cela aux deux temps de l’évaluation. La présence d’un retard
mental a été définie comme étant liée à des limitations conjointes du
fonctionnement intellectuel et des comportements adaptatifs (Jacobson
& Mulick, 1996).
RÉSULTATS
Les résultats sont présentés dans le tableau 1. Seul le premier QI compo-
site (cognitions objets et cognitions personnes) est noté.
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