comportement de l’agent est unique, dans l’espace et dans le temps. Le problème,
comme Kirman l’a montré, est que rien ne prouve que l’agent représentatif de
l’agrégation d’agents individuels maximisateurs soit lui aussi un maximisateur9. Il
y a là un défaut d’origine dans le raisonnement de l’économie standard qui
provient de ce que l’on appelle le « problème de l’agrégation ». Or, en supposant
des espaces locaux créant des contextes particuliers, la Science Régional permet de
sortir de ce problème.
- Enfin, d’un point de vue pratique, pendant longtemps les économistes n’ont
travaillé que sur des données agrégées. Le manque de données spécifiques aux
régions limitait le possible investissement intellectuel sur ce terrain. Le niveau de
la région, qui fait partie d’une « meso-économie » disparaissait alors pris en
tenaille entre la macro et la micro-économie.
Ce sont donc essentiellement des économistes se situant soit à la périphérie du
paradigme orthodoxe, soit en rupture ouverte avec ce dernier, qui ont pu penser la dialectique
de la construction sociale de l’espace. En effet, pour penser cette dialectique, il est essentiel
de pouvoir penser la possibilité des «!échecs de marché!» (market failures), et de penser de
tels échecs non comme la conséquences d’institutions «!anti-marché!» mais comme le résultat
d’une incomplétude radicale du principe de la concurrence. Dans toute analyse économique
réaliste de la spatialisation des activités, il y a une remise en cause du principe de la «!main
invisible!» d’Adam Smith. Ceci n’est donc pas naturel dans la communauté scientifique des
économistes car cette dernière reste largement fidèle à l’héritage intellectuel de Smith.
Pourtant, l’historien Jean-Claude Perrot a montré que les propositions de Smith sur
l’universalité des intérêts privés et leur harmonie naturelle sont initialement des axiomes et
non le produit de démonstrations. Smith, par la suite, transforme ses axiomes en simples
postulats dont la fragilité même de la construction montre que l'on pourrait les récuser pour
construire une autre économie10. Perrot montre que l’axiomatique de Smith n’est que le
retournement d’un point de vue religieux. En fait, Smith reprend personnellement, avec une
torsion du sens, les thèses du jansénisme français. C’est d’elles qu’il tire, par un long
cheminement des sources que Jean-Claude Perrot, encore une fois, décrypte admirablement,
la primauté de l’intérêt individuel. Cette dernière devient alors le véritable Dieu caché de la
théorie économique11. Le paradigme de la concurrence relève, en réalité, de la théologie plus
que de l’économie12.
Au XIXè siècle trois noms émergent, F. List avec la notion de « système économique
national », A. Marshall avec celle du « District Industriel »13, enfin K. Marx avec la
problématique « Centre-Périphérie » qui, à peine esquissée dans Le Capital, sera développée
au début du XXè siècle par Lénine et Rosa Luxemburg. Cependant, dans la tradition marxiste,
comme dans l’héritage de List, ce sont les nations qui constituent les « régions » d’une
monopolistic competition and the factor-proportions theory in international trade », in Review of
Economics and Statistics, vol. 71, 1989, n°1. Une bonne critique de cette interprétation est fourniue
par P. AydalotDynamique spatiale et développement inégal, Economica, Paris, 1976.
9 A.P. Kirman, « Who or What Does the Reprtesentative Individual Representent » in Journal of
Economic Perspectives, vol. 6, n°2/1992.
10. J.-C. Perrot, « La Main invisible et le Dieu caché », in J.-C. Galley (éd.), Différences, valeurs,
hiérarchie. Textes offerts à Louis Dumont, Éd. de l’École des hautes études en sciences sociales, Paris,
1984, p. 151-181, ici p. 154.
11. Ibid., p. 181.
12 Voir J. Sapir, La fin de l’Euro-libéralisme, Seuil, Paris, 2006 (en particulier chap. 1).
13 A. Marshall, Elements of Economics of Industry, macmillan, Londres, 1900.