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1er Dia
Monsieur le Recteur,
Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,
En vos titres et qualités,
Chers Collègues,
Chers Etudiants,
Bienvenue à cette leçon inaugurale.
Avant tout, je voudrais remercier Monsieur le Recteur de me donner l'occasion de
parler de la recherche aussi bien fondamentale qu’appliquée dans un domaine des
sciences – la microbiologie - qui recèle des trésors inestimables pour la
compréhension de la vie mais également pour le bien-être et la sauvegarde de
l’espèce Homo sapiens c.à.d. l’homme.
La microbiologie est une sous-discipline de la biologie consacrée à l'étude des
organismes
microscopiques. Notre perception des micro-organismes et en
particulier des bactéries qui vont nous intéresser en particulier aujourd’hui, a
profondément changé durant cette dernière décennie et a ouvert de nouveaux
champs d’études et de perspectives que je souhaiterais partager avec vous durant
cette leçon.
J’ai choisi de prendre comme fil conducteur de cet exposé un caractère remarquable
des bactéries qu’est leur incroyable pouvoir d’évolution et d’adaptation. D’où le titre
de cette leçon « les bactéries ou l’art de s’adapter ».
Avant toute autre considération, je crois qu’il est temps de vous présenter les
principaux acteurs de cet exposé – les bactéries.
2ème Dia
Les bactéries ont été découvertes en 1676 par un drapier hollandais, Antonie
Van Leeuwenhoek qui a pu les observer pour la première fois à l’aide de son
rudimentaire mais ingénieux microscope que vous pouvez apercevoir sur cette
diapositive.
3ème Dia
Ce sont, en effet, des organismes facilement observables en microscopie comme le
montre ces clichés de microscopie électronique sur lesquels nous pouvons
apercevoir un certain nombre de bactéries sur l’extrémité d’une pointe d’un crayon.
Une bactérie est un organisme minuscule formé d’une seule cellule 10000 fois plus
petite en volume que les cellules animales.
Dès que l’on a pu les détecter par microscopie et les cultiver en laboratoire, les
bactéries ont été examinées sur toutes les coutures…ce qu’il faut savoir c’est que
cultiver les bactéries a été fondamental pour mieux les comprendre !
4ème Dia
Cela nous le devons à deux grands personnages que sont Robert Koch et Louis
Pasteur qui, au milieu du 19 siècle, ont mis les techniques de culture au point et ont
créé ainsi les fondements de la microbiologie.
5ème Dia
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Ce qui attire tous de suite l’attention chez les bactéries c’est leur simplicité
structurale. La cellule bactérienne est entourée d’une membrane et d’une paroi, plus
ou moins complexe, qui lui confère une certaine rigidité. Ce sont des organismes
structuralement simples. Contrairement aux cellules des organismes pluricellulaires
tels que les animaux, la cellule bactérienne ne contient pas de noyau. Le matériel
génétique c.à.d. l’ADN, coloré en bleu sur cette diapositive, n’est pas séparé du
reste du cytoplasme. Ce sont des procaryotes à l’opposé des eucaryotes comme nos
cellules humaines. Cette simplicité structurale s’inscrit également dans le fait que la
cellule bactérienne ne contient pas ou peu de structures internes spécialisées – les
organites- comme les mitochondries que vous pouvez apercevoir chez les
eucaryotes.
6ème Dia
Malgré cette simplicité, ce qu’il y a d’extraordinaire chez ces micro-organismes c’est
qu’on les retrouve partout ! Les bactéries sont capables de vivre dans tous les
milieux de notre planète, sur et sous la terre, en surface ou au fond des océans,
dans les déserts et sur les glaces, en parasites ou en commensales de tous les
autres êtres vivants au point que, sans elles, la plupart des organismes dits
supérieurs, y compris l’Homme, ne pourraient pas vivre.
Pour vous donner une idée de la biomasse que représentent les bactéries, quelques
chiffres valent mieux qu’un long discours !
7ème Dia
Comme le montre ces diagrammes, il y a environ 40 millions de cellules
bactériennes dans un gramme de sol pour 1 million de cellules dans un millilitre
d’eau douce. Chez l'humain, il a été calculé que mille milliards (1012 ) de bactéries
colonisent notre peau et que cent mille milliards (1014 ) de bactéries habitent notre
intestin, ce qui fait que 9 cellules sur 10 d’un corps humain sont des bactéries….
voilà une autre perception de ce que l’on est ! Ce que je peux vous affirmer
aujourd’hui c’est que nous ne sommes pas seuls dans cet amphithéâtre. Malgré
votre présence en nombre pour cette nouvelle rentrée académique, nous sommes
pourtant bel et bien en minorité. Mais n’ayez pas peur, si il existe des bactéries
pathogènes responsables de certaines maladies mortelles telles que le choléra, la
tuberculose qui tue encore aujourd’hui plus de 2 millions de personnes dans le
monde, celles-ci ne représentent que quelques pourcents de l’ensemble des
bactéries. Toutes les autres nous sont bénéfiques et même vitales !
Pensez à votre digestion après un bon repas qui ne peut s’effectuer sans les
bactéries présentes dans vos intestins.
8ème Dia
Plus sérieusement, il existe, par exemple, quelques bactéries qui sont les seuls
organismes capables de fixer et transformer l’azote atmosphérique N2 en azote
assimilable (ion ammonium) qui est nécessaire pour tous les autres organismes.
9ème Dia
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A ce stade de cette leçon, nous pouvons nous poser la question « comment se fait-il
que des organismes aussi simples soient capables de vivre dans des conditions
aussi variées qu’extrêmes ? Mais quelles sont les propriétés particulières qui
permettent à ces micro-organismes aussi simples de pouvoir s’adapter à des
environnements aussi diversifiés ? »
Dans ce contexte, les microbiologistes se sont vite aperçus que les bactéries ont un très grand
pouvoir d’évolution. C’est entre autre ce pouvoir qui leur donne une telle faculté
d’adaptation à différents environnements. Pour bien comprendre ce pouvoir
d’évolution des cellules bactériennes, nous avons besoin de revoir ensemble
quelques notions fondamentales.
10ème Dia
Je vous rappelle que le matériel génétique constitué d’ADN comporte toute
l’information nécessaire à l’autonomie et donc à la reproduction d’une cellule. Cette
information génétique pour une bactérie comme la célèbre bactérie Escherichia coli,
hôte habituel de nos intestins, est contenue dans une molécule circulaire d'ADN
double-brin qui constitue son unique chromosome. Celui-ci est bien moins complexe
et plus petit que ceux des eucaryotes. Par comparaison, nos cellules humaines
comportent 46 chromosomes.
11ème Dia
Pour rappel, la molécule d’ADN est un long polymère comportant une série de
régions que l’on appelle gènes. Ces gènes portent l’information pour les protéines
qui sont les acteurs de la cellule. Ces protéines sont les briques et les petites mains
de la cellule. Mais je ne vous en dit pas plus… un peu de suspense - nous y
reviendrons plus tard au cours de cette leçon. A ce stade, ce qui est important de
comprendre c’est que le génome d’une bactérie ne comporte qu’une information
limitée, un nombre limité de gènes pour un nombre de protéines limité entre 40006000 protéines différentes selon l’espèce bactérienne considérée. Pour vous donner
une idée, les cellules humaines comportent de l’ordre de 25000 à 30000 gènes.
12ème Dia
Cette simplicité s’inscrit également dans la reproduction des bactéries. En effet, une
bactérie est une cellule qui se divise simplement par fission, une cellule mère
donnant naissance à 2 cellules filles. Lorsqu'une bactérie se divise, il faut que son
chromosome ait préalablement été dupliqué et que les deux copies aient été
physiquement séparées dans la cellule de telle sorte que chacune des deux cellules
filles issues de la division contienne un exemplaire de ce chromosome… et tout cela
se fait de manière asexuée.
13ème Dia
Le temps que met une bactérie mère pour se dédoubler en deux bactéries est appelé
le temps de génération. Contrairement aux organismes pluricellulaires dont le temps de
génération est très élevé (20 à 30 ans chez l’homme), pour les bactéries, le temps de
génération est de l’ordre de 20 à 30 minutes. Comme le montre ce graphique, toutes
les 20 minutes le nombre de bactéries double pour être en moins de 7h en présence
de plus de 2 millions de micro-organismes !
Ce temps très court e s t u n e d e s c l é s d u p o u v o i r d’adaptation des bactéries.
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14ème Dia
En effet, comme tous les êtres vivants, les bactéries évoluent en modifiant leur
patrimoine génétique. Il y a deux manières importantes pour une bactérie de faire
évoluer son patrimoine génétique : soit par mutation soit par échange d’ADN.
15ème Dia
Les mutations sont des modifications chimiques généralement aléatoires d’un ou
plusieurs des constituants de l’ADN. Ces mutations peuvent dans certains cas
conférer des propriétés nouvelles à la cellule, qui peuvent lui être favorables. En
effet, des mutations de l’ADN peuvent entrainer des modifications au niveau des
protéines, rappelez-vous les petites mains fonctionnelles de la cellule. Si les
mutations sont des phénomènes relativement rares et lents, le fait que les bactéries
soient si nombreuses et qu’elles soient capables de se multiplier si rapidement font
qu’elles évoluent très rapidement.
16ème Dia
Mais il n’y a pas que les mutations qui permettent d’acquérir de nouvelles capacités.
Les bactéries sont capables d’acquérir du nouveau matériel génétique et donc de
nouvelles propriétés par simple transfert d’ADN. On parlera de transfert horizontal
d’une information génétique entre bactéries. Il existe plusieurs mécanismes de
transfert. Sachez simplement qu’une bactérie est capable entre autre de capter
directement et d’incorporer dans son matériel génétique des petits bouts d’ADN qui
se trouvent dans son environnement. D’autre part, des bactéries peuvent s’échanger
du matériel génétique par contact direct. Ce matériel échangé consiste en un
fragment d’ADN circulaire que l’on appelle plasmide. Un plasmide est capable de
s’auto répliquer et est non essentielle à la vie de la cellule. Les gènes portés par les
plasmides sont non-nécessaires mais avantageux pour la bactérie. Ils peuvent lui
apporter des nouvelles propriétés !
17ème Dia
D’autres propriétés remarquables jouent également en faveur d’une adaptation.
J’épinglerai une caractéristique majeure qui est en faveur de ce pouvoir d’adaptation
: c’est la plasticité métabolique.
Pour bien appréhender cette plasticité nous devons dans un premier temps définir
ensemble ce qu’est le métabolisme d’une cellule.
Pour croitre et se diviser, toutes les cellules doivent se fournir en énergie et en
carbone qui est l’atome de base de tout organisme….elles doivent en quelque sorte
se nourrir ! Pour cela, une cellule va puiser des molécules riches en carbone dans
son environnement puis les transformer et les briser. L’ensemble de ces activités
est appelé métabolisme.
18ème Dia
Le métabolisme d’une cellule fait appel à des milliers de réactions chimiques comme
représenté schématiquement sur cette dia. Toutes ces réactions de transformation
des molécules sont l’œuvre des petites mains de la cellule que sont les protéines,
des protéines un peu particulières que l’on appelle enzyme. A chaque réaction de
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transformation est associée une enzyme qui est responsable de la transformation. Et
tout est orchestré pour que cela soit le plus efficace possible.
19ème Dia
Au contraire des cellules eucaryotes, ce qui est formidable chez les bactéries, c’est
qu’elles sont capables d'utiliser comme source d'énergie presque tout ce qui possède
des liaisons chimiques riches en énergie et comme source de carbone presque tout
ce qui contient des atomes de carbone. De plus, une même bactérie peut utiliser des
molécules différentes selon son environnement. Par exemple, la bactérie Escherichia
coli – bactérie qui se retrouve dans nos intestins et que vous pouvez voir en train de
se diviser sur cette diapositive utilisera un sucre, le glucose, en aérobie c.à.d. en
présence d’oxygène. Alors qu’en absence d’oxygène, en condition anaérobique elle
utilisera un acide faible tel que le fumarate. Il existe donc bien chez les bactéries une
plasticité métabolique.
20ème Dia
Tous ces métabolismes différents nécessitent des enzymes différents, même si le
cœur central du métabolisme fait appel aux mêmes enzymes. Comment une si petite
cellule peut-elle fabriquer tant d'enzymes différents, et dont la plupart ne lui servent à
rien dans chacun des milieux qu'elle est susceptible de coloniser ? Bien sûr,
l'évolution a trouvé la solution. Chaque type de milieu « induit » la synthèse des
protéines/enzymes qui lui sont nécessaires, et « réprime » la synthèse de celles qui
ne lui servent plus. Tout ceci se fait par des mécanismes de régulation actuellement
bien connus des chercheurs.
21ème Dia
Fort de ces connaissances, comme vous aujourd’hui au stade de cette leçon, dans
les années 80-90, on croyait presque tout savoir sur les bactéries! On s’est alors
penché sur la manière dont ces bactéries vivent dans la nature. Et là on est allé de
surprise en surprise.
22ème Dia
Première surprise
Au jour d’aujourd’hui et ce malgré de nombreux progrès technologiques, un grand
nombre de ces bactéries nous sont inconnues. On peut les voir au microscope et
étudier leur ADN, mais nous n’arrivons pas à les cultiver. Pour vous donner une
idée, il existe environ 10 000 espèces cultivables à ce jour pour un nombre
d’espèces qui oscillerait entre 5 et 10 millions, ce qui laisse encore pas mal de
découvertes possibles pour les futurs chercheurs dans le domaine !!! Mais pourquoi
n’arrive-t-on pas à cultiver toutes ces bactéries ?
Seconde surprise
Dans la nature, les bactéries sont assez rarement libres dans un milieu liquide
(excepté au milieu des océans). Très souvent elles sont fixées à tout ce qui peut
servir de support, sous forme de biofilms. Qu'est-ce qu'un biofilm ? C'est un
ensemble de bactéries, pas forcément de la même espèce, englué dans une matrice
extracellulaire - une sorte de gel - fabriqué par les bactéries elles-mêmes. Ce qui a
beaucoup surpris les chercheurs c’est qu’à l'intérieur de ces biofilms, les bactéries
peuvent être très différentes de ce qu'elles sont quand on les cultive en laboratoire !
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23ème Dia
Troisième surprise
De nombreuses études démontrent que les bactéries interagissent en permanence
avec leur milieu mais également entre elles. Par exemple, elles synthétisent des
petites molécules qu’elles sécrètent dans le milieu pour sentir leur nombre, leur
densité. C’est ce que l’on appelle le « quorum sensing ». Ces petites molécules sont
importantes pour la formation des biofilms.
24ème Dia
Forts de ces constats, depuis une dizaine d’années les microbiologistes ont été
poussés à revoir leur perception des bactéries… S'étant jusque-là principalement
attachés à étudier les cellules pour elles-mêmes et indépendamment de leur milieu,
ils ont dû redéfinir les bactéries par rapport à leurs interactions. Les bactéries doivent
se concevoir, non pas isolément, mais à travers des interactions réciproques avec
leurs environnements.
Je voudrais maintenant vous illustrer ces changements de perception en vous
racontant l’incroyable histoire d’une molécule, le linuron et son interaction avec les
bactéries.
25ème Dia
Le linuron est un herbicide largement utilisé en agriculture.
26ème Dia
C’est une molécule synthétique, peu dégradable qui a donc tendance à s’accumuler
dans les sols, ce qui pose des problèmes, car comme la majorité des herbicides, le
linuron présente une certaine toxicité pour l’ensemble des organismes. D’un point de
vue microbien, les bactéries du sol ont donc évolué en présence de cette nouvelle
molécule produite par l’homme, elles se sont adaptées à un tel point que certaines
ont acquis
27ème Dia
La capacité de la dégrader et même de l’utiliser comme source de carbone. Cette
biodégradation par des bactéries n’a été observée que très ponctuellement dans le
monde, dans certaines fermes qui utilisent abondamment cet herbicide !
Pour mieux comprendre cette biodégradation, les microbiologistes ont tenté d’isoler,
sans succès, la bactérie capable de dégrader le linuron. Après des années de
recherches, ils se sont en fait aperçus que dans la plupart des cas ce n’est pas une
bactérie qui est responsable de cette biodégradation mais bien un consortium de 3
bactéries travaillant en synergie. Ces trois bactéries ont pu être isolées et par
chance elles sont cultivables en laboratoire et ce même sous la forme de biofilm.
28ème Dia
Ces bactéries sont les souches Variovorax sp WDL1, Comamonas testosteroni
WDL7 et finalement Hyphomicrobium sulfonivorans WDL6.
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L’étude de ces bactéries en culture liquide a permis de déchiffrer le mécanisme
moléculaire de dégradation du linuron.
29ème Dia
Comme le montre la diapositive suivante, la souche Variovorax sp WDL1 est
responsable de la scission du linuron en deux unités distinctes : le 3, 4 dichloro
aniline et l’acide N-méthyl, N-métoxy carmabique qui seront à leur tour dégradées
par les deux autres bactéries du consortium pour aboutir à du CO2 et des ions
ammonium. Des chercheurs de mon équipe ont été impliqués dans le décryptage de
cette voie de biodégradation en identifiant l’enzyme impliquée dans la scission du
linuron.
30ème Dia
La biodégradation du linuron par un consortium bactérien est un bel exemple d’une
coévolution adaptative de 3 bactéries caractérisées par une synergie métabolique.
En effet, les produits issus de la dégradation initiée par la 1ère bactérie servent de
nourriture c.à.d. de source d’énergie et de carbone pour elle-même et les deux
autres bactéries du consortium.
Nous avons donc bien affaire à une synergie
métabolique.
31ème Dia
Pour mieux comprendre cette synergie métabolique et les interactions entre ces 3
bactéries du consortium, des chercheurs belges ont eu la géniale idée de marquer
différentiellement les bactéries, en quelque sorte de les peindre différemment. Pour
ce faire, le matériel génétique de chacune de ces trois bactéries a été modifié en y
introduisant un nouveau gène qui produira donc une nouvelle protéine. La
particularité de ces protéines c’est qu’elles émettent de la lumière. Elles sont
fluorescentes ce qui permet de distinguer nos trois bactéries : l’une est bleue, la
seconde rouge et la troisième émet une lumière verte.
32ème Dia
Lorsque l’on incube les trois bactéries en présence de linuron sur une surface, on
observe au début (au temps T0) quelques cellules rouges, bleues et vertes qui
adhèrent à la surface. Au cours du temps celles-ci se reproduisent et forment un
biofilm. Ce biofilm possède une certaine architecture. La composition de ce biofilm
ainsi que sa structure sont dynamiques. Ceux-ci ne sont pas similaires après 13 et
31 jours de culture. Après 13 jours de culture ce sont les bactéries rouges et bleues
qui prennent le dessus, alors qu’à 31 jours de culture nous voyons que la bactérie
jaune s’intercale entre les bactéries rouges. Ce qu’il faut bien comprendre c’est que
ces modifications sont induites par les activités métaboliques de chacune des
bactéries et de leur interaction avec les sources potentielles de nourriture.
33ème Dia
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Cette observation peut facilement être confirmée en modifiant la source de carbone.
Si au lieu d’utiliser du linuron comme seule source de carbone, vous mettez du
citrate, vous observez que c’est la bactérie verte qui prend très rapidement le
dessus sur les deux autres. Tout simplement par ce qu’elle est la seule bactérie
capable d’utiliser directement et aisément le citrate comme source d’énergie et de
carbone.
34ème Dia
La conclusion que nous pouvons tirer de cet exemple du linuron et de ce consortium
de 3 bactéries est qu’une bactérie n’est pas un organisme isolé, elle est en
interaction avec d’autres espèces bactériennes formant ainsi une communauté
bactérienne pouvant atteindre plus de 200 espèces différentes. Cette communauté
n’est pas figée, elle est dynamique dans son architecture, dans sa composition,
dans son mode de fonctionnement et en perpétuelle interaction avec son
environnement.
35ème Dia
Les communautés bactériennes se retrouvent partout … là où il y a des bactéries, y
compris chez l’homme. Il suffit de penser à votre flore intestinale qui est composée
de plus de 400 bactéries différentes et qui forment une véritable communauté
bactérienne complexe. Ce qui est intéressant de vous mentionner c’est que très
récemment des travaux publiés dans des revues prestigieuses comme Nature et
Science montrent un lien direct entre la structure de ce consortium et l’émergence de
certaines maladies métaboliques telle que l’obésité.
Voilà une autre raison qui nous pousse à mieux comprendre ces systèmes
complexes que sont les communautés bactériennes.
36ème Dia
En conclusion, ce que j’ai essayé de vous faire percevoir durant cette leçon, c’est
qu’une bactérie n'est ni un organisme unicellulaire isolé, ni une cellule participant à
un organisme pluricellulaire - bien que certains microbiologistes veulent franchir ce
pas - mais il existe différents niveaux d'organisation selon l'unité de fonctionnement
que l'on considère.
Malgré les nombreux progrès effectués au cours de ces 10 dernières années,
comprendre et redéfinir les bactéries par rapport à leurs interactions restent encore à
ce jour un challenge ! Nous ne sommes d’ailleurs qu’à l’aube de la compréhension
des consortiums bactériens. Il reste pas mal d’obstacles à franchir pour y parvenir.
Un premier obstacle vient de ce que les interactions sont dynamiques et non
linéaires ce qui nécessite des modèles mathématiques et des simulations
informatiques. Il faut donc que s'instaurent des interactions nouvelles entre les
biologistes, les mathématiciens et les informaticiens mais également concernant les
biofilms, avec les chimistes et les physiciens.
Il faut aussi que l'enseignement de la microbiologie (en fait de toute la biologie) en
tienne compte.
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Dans ce contexte, je voudrais mentionner la création il y a 1 an à l’UMONS des
instituts de recherche qui, en regroupant des chercheurs venant de domaines
différents, peuvent être un des moteurs pour cette coopération tant nécessaire si l’on
veut progresser actuellement dans la connaissance.
D’autres obstacles existent et je citerai dans ce contexte,
une éminente
microbiologiste, le Professeur Guespin-Michel, qui écrivait il y a quelques mois à ce
propos, je cite :
« Un des obstacles consiste dans le fractionnement de la microbiologie elle-même en
sous-disciplines héritées de l'histoire, et de la démarche réductionniste qui a prévalu
jusqu'ici. Jusqu'à maintenant en effet, les sciences se sont développées en se
spécialisant. L'accumulation de connaissances, la sophistication des méthodes et
des techniques, ont contribué à morceler les disciplines en sous-disciplines de plus
en plus spécialisées : microbiologie fondamentale, écologie microbienne,
microbiologie environnementale, du sol, industrielle, agroalimentaire, médicale... cela
a fini par transformer les scientifiques en spécialistes pointus, myopes pour tout ce
qui entoure leur sous-discipline. Les exigences actuelles concernant les taux de
publication contribuent à accroître encore cette myopie. Redonner son unité à la
microbiologie, incorporer la modélisation des dynamiques, permettrait la naissance
d'une microbiologie intégrative et dynamique. »
Fin de citation.
Monsieur le Recteur, Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, Chers Collègues,
Chers Etudiants,
Tout au long de cet exposé je vous ai parlé d’interactions à différents niveaux :
interaction entre bactéries et leur environnement, interaction entre macromolécules
et finalement interaction entre différent domaines scientifiques. Je ne peux terminer
cette leçon en évoquant un type d’interaction qui me semble vital pour la recherche,
les interactions humaines.
37ème Dia
Je profite donc de l’occasion pour remercier les différents membres de mon groupe
de recherche,
trop nombreux pour que je puisse
vous les présenter
individuellement, pourtant ils en valent la peine ! Je remercie également nos
nombreux collaborateurs avec qui nous formons un véritable réseau d’interaction
dynamique.
Merci de votre attention.
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