Rapport de Mikhaïl Gorbatchev au 28e congrès du Parti communiste

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Rapport de Mikhaïl Gorbatchev au 28e congrès du Parti communiste de
l'Union soviétique (Moscou, 2 juillet 1990)
Légende: Dans un rapport présenté le 2 juillet 1990 au 28ème congrès du Parti communiste de l'Union
soviétique, Mikhaïl Gorbatchev, Premier secrétaire du Parti communiste soviétique, expose les difficultés
engendrées par la pérestroïka et les changements auxquels la société devra faire face.
Source: GORBATCHEV, Mikhaïl. Avant-Mémoires. Paris: Odile Jacob, 1993. 430 p. ISBN 2-7381-0173-9. p.
297-303.
Copyright: (c) Odile Jacob
URL:
http://www.cvce.eu/obj/rapport_de_mikhail_gorbatchev_au_28e_congres_du_parti
_communiste_de_l_union_sovietique_moscou_2_juillet_1990-fr-dbb78b9d-9d3a4a14-a2a1-5300ea7bcebb.html
Date de dernière mise à jour: 08/11/2016
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Accélérer la perestroïka
La logique même de la perestroïka, les difficultés dans le domaine économique et social nous poussent à
changer fondamentalement notre système économique. Il s'agit d'élaborer un nouveau modèle économique,
diversifié, avec différentes formes de gestion et de propriété, doté d'une infrastructure moderne. On donnera
ainsi libre cours à l'esprit d'entreprise et d'initiative des gens, on créera ainsi de puissantes motivations qui
engendreront fécondité et efficacité du travail.
Cette tâche, nous nous l'étions assignée dès le début de la perestroïka. Mais ce n'est que maintenant, alors
que nous avons acquis une certaine expérience des nouvelles structures économiques, bien avancé sur la
voie de la réforme politique, adopté une série de lois importantes, à commencer par celles qui concernent la
propriété, l'affermage, la terre, etc., que nous pouvons nous attaquer au passage à l'économie de marché.
Mais ce qui inquiète les gens, quand ils en discutent, c'est de savoir si cela ne fera pas baisser leur niveau de
vie, n'entraînera pas l'inégalité, si la justice et la protection sociale seront toujours assurées. Ces questions,
les membres du Parti les posent et elles préoccupent tout le monde, ceux qui travaillent et ceux qui sont à la
retraite, les hommes et les femmes, les anciens combattants et les jeunes gens. C'est parce qu'elles n'ont pas
été abordées comme il l'aurait fallu pendant la préparation du programme du gouvernement, qu'elles
provoquent autant de critiques. Il faut, en ce domaine, être parfaitement clair.
Tout d'abord, à propos du marché en lui-même. Il a subi une évolution millénaire, de l'échange spontané des
denrées à une hyper-organisation. Nous devons renoncer au volontarisme, nous devons apprendre à réguler
les processus économiques en nous fondant sur la loi de la valeur d'échange, pour créer, par là même, les
conditions nécessaires aux activités économiques.
Le marché donne la possibilité de savoir quels sont vraiment les besoins, d'y répondre efficacement,
d'équilibrer l'offre et la demande, de créer un milieu de développement normal, naturel pour la production.
En général, nous ne faisons pas du marché un but en soi, nous y voyons le moyen de rendre notre système
économique plus efficace, d'améliorer le niveau de vie des gens. Il doit permettre d'infléchir notre économie
dans une direction sociale plus marquée, de la tourner vers les besoins de l'homme.
Le marché, tel qu'on le conçoit aujourd'hui, refuse le monopole d'un seul type de propriété, il en exige
plusieurs, auxquels soient assurés les mêmes droits politiques et économiques. Les entreprises d'Etat, tout
comme la propriété collective des coopératives ou des sociétés par actions, et la propriété des fruits de son
travail du fermier, de l'artisan ou de la famille, tout cela renforce les bases de la démocratie, dans la mesure
où les travailleurs deviennent les vrais propriétaires des moyens de production et des résultats de leur travail,
dans la mesure où ils ont personnellement intérêt à ce que celui-ci soit efficace et à ce que son produit soit
de bonne qualité.
Il ne faut évidemment pas confier au marché la réalisation des grands programmes de recherches
scientifiques et techniques, qui s'étalent sur plusieurs années, ni le développement des sciences
fondamentales, ni la culture, ni les programmes sociaux et écologiques à l'échelle de l'Union. Mais cela ne
doit pas être non plus le résultat de grossières pressions administratives, cela doit être financé par l'impôt,
par des taxes progressives, par des encouragements et des sanctions, par des tarifs douaniers. Pour que la
politique économique de l'Etat soit efficace, elle doit maîtriser l'ensemble des instruments nécessaires à la
gestion de l'économie.
Les problèmes liés à l'introduction du marché doivent être abordés avec une extrême pondération. Il nous
faut des actes juridiques qui défendent le droit des gens au travail, qui garantissent une vraie liberté de choix
dans ce domaine. L'Etat doit aider ceux qui veulent travailler mais sont momentanément sans emploi. Il y a
une autre question importante. C'est celle de la différence de fortune. Les principes du socialisme laissent
place aux différences en ce domaine, si elles résultent du talent, de l'initiative, de la créativité de l'individu.
Mais nous sommes tout à fait opposés à une différenciation sociale qui reposerait sur des revenus autres que
ceux du travail, ou sur des privilèges illégaux.
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Nous devons faire tout notre possible pour que les gens soient convaincus que, pendant cette difficile
période de mise en place des nouvelles structures économiques, de passage à une vie économique nouvelle,
ils seront protégés sur le plan social, que leurs intérêts seront garantis.
Pour passer à une économie de marché, il faut définir les mesures les plus urgentes. Rien, dès aujourd'hui,
n'empêche de transformer une entreprise d'Etat en société par actions, de créer les conditions nécessaires à
l'apparition d'entreprises réellement libres, de donner à bail les petites entreprises, les magasins, de faire
entrer dans le domaine de ce qui est vendable et achetable le logement, les actions et autres valeurs, une
partie des moyens de production.
Il faut accélérer la formation de bourses financières et de matières premières, réformer le système bancaire,
appliquer une politique de taux d'intérêt, créer les conditions nécessaires à la concurrence entre les grandes
unités de production, entre les petites et moyennes entreprises, plus spécialement dans le secteur des biens
de consommation.
En ce qui concerne les organes dirigeants, il faut voir en fonction des nécessités de l'économie de marché.
Nous devons nous diriger vers la fin des ministères sectoriels et commencer par en réduire rapidement le
nombre. Il faut séparer au maximum l'activité économique des entreprises de leur gestion administrative, les
soustraire aux diktats des administrations.
Il est particulièrement important, si nous voulons implanter un modèle économique nouveau, qu'à la
souveraineté des républiques et à l'autogestion locale s'ajoute un pouvoir économique réel. On a vu se
développer ces derniers temps, sur fond de multiplication des crises, une tendance à l'isolationnisme
économique. Les anciens liens économiques inter-régionaux disparaissent. Ce sont des phénomènes négatifs
qui trouvent leur origine dans les tendances séparatistes dont jouent les cercles nationalistes.
L'assainissement de l'économie soviétique dépend en grande partie de la façon dont elle s'intégrera dans la
division internationale du travail. Il faut dire que l'activité est intense, et plus on donne de liberté aux
entreprises, aux régions, aux républiques - et c'est cette voie qui est, pour nous, la bonne - plus l'activité
s'intensifie, plus il y a d'hommes nouveaux. Mais soyons attentifs, car le problème n'est pas simple. Les
improvisations nous ont déjà coûté très cher. Il y aura beaucoup à faire pour moderniser notre économie,
pour assimiler les technologies nouvelles, augmenter la productivité, être sûrs que nos produits sont
concurrentiels. Mais ce qu'il y a de plus important, c'est sans doute la convertibilité du rouble. Jusqu'à
présent on en parlait comme d'un lointain futur. Et pourtant on ne peut pas la remettre à plus tard. Nous
avons besoin de stimulants à l'exportation, de limites aux importations inutiles, à l'augmentation de notre
dette extérieure. Il faut créer des conditions réciproquement favorables pour attirer les capitaux étrangers.
Dans le rapport au XXVIIe congrès et au plenum du Comité central de mars, le problème agraire a été posé
dans des termes plus graves que jamais. Il a été abordé dans le contexte du sort de la campagne en général,
du sort des paysans. C'est là que se trouve aussi la clé du problème alimentaire.
Aucune mesure d'ordre technique ou technologique ne nous a permis en elle-même de le résoudre. C'est
maintenant une évidence. La position entièrement nouvelle que nous avons adoptée est le résultat d'une
analyse sans compromis de l'histoire du problème paysan et des relations à la campagne, de la
collectivisation à nos jours. Cette analyse nous a menés à la conclusion que des changements sont
nécessaires non seulement dans le domaine de l'agriculture, mais aussi par rapport aux paysans, à la
campagne dans son ensemble.
Il faut continuer à le répéter : si les relations économiques ne changent pas, si la situation du paysan ne
change pas, s'il ne devient pas le vrai maître de ses terres, alors aucun investissement ne servira. Nous
devons affirmer à ce congrès notre fidélité à la ligne politique choisie en mars.
Quelques mots à ce propos sur une question autour de laquelle vont bon train non seulement les discussions,
mais aussi, me semble-t-il, les spéculations. C'est le problème des sovkhozes et des kolkhozes. On en arrive
à affirmer que la nouvelle politique agraire met leur existence même en doute. Alors que le but de cette
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politique est de donner les mêmes possibilités aux diverses formes de travail de la terre. Que chacune d'entre
elles démontre sa vitalité et son efficacité, voilà notre position de départ. Mais nous rejetons, bien sûr, les
appels à une « décollectivisation totale ».
Dans la période que couvre notre rapport, et principalement dans sa dernière partie, les relations
interethniques se sont tendues. Sur fond de crise ethnique, des heurts sanglants ont fait de nombreuses
victimes. Il y a des réfugiés, des milliers de personnes ont dû quitter leur foyer, elles errent, elles souffrent
de graves privations. Tout cela est intolérable et suscite une grande inquiétude dans le pays.
Tout ce que nous avons vécu et compris ces derniers temps nous a menés à la conclusion que la
transformation de l'Union ne peut pas se limiter à un élargissement, même significatif, des droits des
républiques et des territoires autonomes. Il nous faut une véritable Union d'Etats souverains. Il s'agit, au
fond, de créer une structure nationale et étatique de ce type dans notre pays. Cela dit, les droits de l'homme
gardent la priorité sur n'importe lequel des intérêts de souveraineté nationale. Ils doivent être garantis par la
constitution de l'Union et de chacune des républiques. Il ne faut pas s'éloigner d'un iota de ce principe, qui
guide également notre politique extérieure.
Beaucoup a été fait - et cela a été un travail très important - pour la réforme politique. Nous avons
maintenant de nouvelles institutions, du bas jusqu'au sommet de la pyramide du pouvoir, qui sont le résultat
d'élections démocratiques. On peut constater que c'est l'un des résultats principaux de la perestroïka, un pas
essentiel sur la voie du renouvellement de la société, sans lequel nous n'aurions vraisemblablement pas pu
lancer de nouvelles réformes.
Tout cela se fait, disons-le sans détours, dans la douleur, dans la mesure où cela touche aux intérêts des
catégories et des groupes sociaux les plus différents, à tout le système de gestion du pays, aux millions de
personnes qui s'en occupent.
Pendant que nous élaborions le programme de la perestroïka, nous comprenions qu'elle ne pourrait se faire si
les relations extérieures du pays ne changeaient pas radicalement. Mais il fallait pour cela changer d'attitude
et proposer au monde une nouvelle politique internationale.
Notre analyse de la situation internationale actuelle, le choix que nous avons fait en faveur du désarmement
et l'expérience qui est maintenant la nôtre dans l'application de cette nouvelle politique étrangère ont
renforcé notre conviction qu'il y a trois postulats fondamentaux à l'activité internationale.
Premièrement, on ne peut pas garantir sa propre sécurité au détriment de celle des autres, défendre ses
propres intérêts au détriment de ceux des autres, prétendre que l'on sait mieux que les autres peuples et que
les autres Etats comment ils doivent gérer leurs affaires. Reconnaître que chaque peuple a le droit au libre
choix est l'un des fondements sur lequel s'édifiera le nouvel ordre mondial. Deuxièmement, on ne peut pas
arriver seul à créer une société florissante, libre et démocratique, en opposant sa propre voie de
développement à celle des autres. Le codéveloppement, la cocréation, la collaboration sont les impératifs de
notre époque. Et, troisièmement, il est nécessaire d'intégrer notre économie à l'économie mondiale non
seulement pour moderniser la nôtre, mais aussi pour construire avec les autres peuples le fondement matériel
indispensable à une période de paix irréversible, pour résoudre les problèmes globaux de l'humanité.
La politique, ce qui se construit grâce à de nouvelles attitudes, les initiatives lancées dans le cadre de la
nouvelle pensée ont déjà profondément assaini la situation internationale, repoussé la menace de guerre
mondiale. La possibilité s'ouvre à nous de réduire nos dépenses militaires et, comme je l'ai déjà dit, d'utiliser
les moyens ainsi dégagés à des fins pacifiques.
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