J. Giudicelli Données immunologiques du diabète de type 1. Jean Giudicelli*, Nancy Cattan** * Laboratoire de Biochimie, Hôpital Saint Roch - CHU - Nice. ** Unité INSERM 145, Faculté de Médecine - Nice. Résumé Le diabète de type I est d’installation lente et progressive. Il fait suite, dans la phase prédiabétique, à une infiltration initialement non destructrice des cellules β des ilôts de Langerhans pancréatiques par les lymphocytes T. Ensuite, sous l’effet de multiples facteurs, interviennent des effecteurs de la destruction des cellules β , tels que les auto-anticorps dirigés contre le pancréas ainsi qu’un certains nombre d’autres anticorps non spécifiques des cellules β . Des cytokines sont étroitement impliqués dans le developpement du diabète de type I. Les méthodes de détection associant la recherche de plusieurs auto-anticorps laissent entrevoir un dépistage précoce des individus à risque diabétique et une possible thérapeutique dès la phase prédiabétique. Diabète de type I / Auto-anticorps / Cellules β pancréatiques / Ilôts de Langerhans / Cytokines INTRODUCTION ðLe diabète de type 1 est la conséquence finale d’un processus lent et progressif de destruction des cellules β des îlots de Langerhans du pancréas endocrine conduisant, en l’ab- sence de traitement, à l’acidocétose. Le diabète est une maladie d’origine multifactorielle liée à l’effet de plusieurs gènes et de facteurs environnementaux [1]. Cette destruction des cellules β responsable de la production d’insuline, est initiée par activation d’une réaction auto-immune. Après plusieurs années d’évolution, lorsque la masse des cellules β devient insuffisante pour assurer la normoglycémie, les signes cliniques de la maladie apparaissent [2]. Les mécanismes moléculaires initiaux qui conduisent à la réaction autoimmune ne sont toujours pas entièrement identifiés. Les connaissances actuelles permettent toutefois de proposer le schéma sui- Correspondance : Docteur Jean Giudicelli - Laboratoire de Biochimie - Unité INSERM 145 - Faculté de Médecine Avenue de Valombrose - 06107 NICE Cedex 2, France. Tél : 04 93 37 77 33 - Fax : 04 93 81 54 32 - e-mail : [email protected] Médecine Nucléaire - Imagerie fonctionnelle et métabolique - 2001 - vol.25 - n°2 85 Données immunologiques du diabète de type 1 vant : lors d’une première étape, le développement de la réaction autoimmune, caractérisée par l’infiltration progressive des îlots de Langerhans par des lymphocytes T, s’effectuerait sans destruction des cellules β ; par la suite, lors d’une deuxième étape, vraisemblablement sous l’effet d’un facteur déclenchant environnemental, interviendraient les effecteurs responsables de la destruction de ces cellules β. Au cours d’une période plus ou moins longue, définie comme un stade pré-diabétique, certains signes révélateurs de la lésion des cellules β peuvent déjà être mis en évidence, en particulier des autoanticorps anti-pancréas. Cependant, si le rôle de ces auto-anticorps comme effecteurs de la destruction des cellules β n’a toujours pas été formellement démontré chez l’homme, des études ont révélé que ces anticorps anti-pancréas pouvaient présenter d’autres spécificités liées au stade d’évolution de la maladie. Ainsi, on peut distinguer les anticorps qui précèdent la maladie de ceux qui accompagnent le développement clinique du diabète [3]. Ces dernières années plusieurs travaux ont démontré l’implication de cytokines dans le développement du diabète de type 1. Ces études ont essentiellement portées sur des analyses de corrélation entre l’expression des cytokines dans les îlots en relation avec le développement de la maladie, sur l’expression transgénique de cytokines par les cellules β et des expérimentations de suppression de cytokines. RÔLE DE LA BALANCE DES CELLULES Th1/Th2 DANS LA DÉRÉGULATION IMMUNITAIRE ðEn1986, Mosmann et Coll. proposaient une répartition, chez la souris, des cellules T helper (Th) en deux populations Th1 et Th2, caractérisées chacune par une régulation croisée et par le type de cytokines qu’elles sécrètent [4, 5]. Par la suite, cette répartition a été proposée pour les cellules T humaines [6]. Les cellules Th1 produisent de l’interleukine 2 (IL-2), 86 de l’interféron γ (IFNγ) et le tumour necrosis factor β (TNFβ). Les cellules Th2 produisent les IL-4, IL-5, IL-6, IL-9, IL-10 et IL-13. Plusieurs autres protéines, telles que IL-3 et TNFα, sont secrétées par les deux populations cellulaires [7]. Les fonctions des cellules Th1 et Th2 sont associées à la nature des cytokines qu’elles sécrètent. Ainsi, les cellules Th1 activent l’immunité cellulaire (réponses cytotoxique et inflammatoire médiées par les cellules T, les cellules natural killer (NK) et les macrophages). Les cellules Th2 activent l’immunité humorale (production d’anticorps par les lymphocytes B). Les cytokines produites par chacune des populations Th1 et Th2 exercent une action inhibitrice sur les fonctions de différenciation et de synthèse de l’autre population cellulaire. Ainsi, IFNγ inhibe sélectivement la prolifération des cellules Th2 [8] alors que IL-10 inhibe la synthèse des cytokines produites par les cellules Th1 [9]. Le terme "insulites bénin" est utilisé pour décrire l’accumulation de macrophages, monocytes et lymphocytes T dans les îlots du pancréas sans destruction significative de ces cellules [10]. Différentes cytokines ont été décrites comme étant exprimées au niveau des insulites présents chez des animaux présentant un diabète autoimmun tels que les souris nonobèses et diabétiques (NOD). Certaines de ces cytokines sont impliquées dans la réaction autoimmune et la destruction des cellules β des îlots, alors que d’autres participent à la régulation négative de la réponse inflammatoire et à la protection contre la destruction des cellules β. Le développement du diabète de type 1 chez la souris NOD pourrait être essentiellement la conséquence d’un déséquilibre entre les activités effectrices des cellules Th1 et les activités régulatrices des cellules Th2. Ainsi, la destruction spécifique de ces cellules pancréatiques n’est observée que lorsque les lymphocytes infiltrant ces îlots produisent des cytokines de type Th1 (IFNγ, IL-2,TNFβ).A l’inverse l’insulite est bénin quand les lymphocytes infiltrant produisent des cyto- kines de type Th2 (IL-4, IL-10) qui vont inhiber la production de cytokines de type Th1 [11-13]. Des études ultérieures, réalisées chez la souris NOD diabétique ou à partir de greffon d’îlots syngéniques réalisés chez la souris NOD diabétique confirment le rôle d’inducteur de la destruction des cellules β des îlots de Langerhans par les cytokines de type Th1 [14, 15]. De plus, il a été démontré que les cytokines produites par les macrophages et les cellules Th1 (IL-1, TNFα, TNFβ et IFNγ) sont cytotoxiques pour les cellules β des îlots du pancréas et bloquent la synthèse et la sécrétion d’insuline [16] ; ces altérations peuvent être réversées par élimination de ces cytokines. De plus, les résultats expérimentaux obtenus avec IFNγ semblent démontrer que cette cytokine provoquerait indirectement la destruction des cellules probablement en activant les macrophages ou les cellules T cytotoxiques [17, 18]. Enfin, l’activation de macrophages résidant dans les îlots β du pancréas de rat et d’homme par du TNFα et de l’IFNγ induit l’inhibition de la sécrétion d’insuline [19, 20]. Cependant, bien que ces cytokines soient produites au niveau des insulites par les cellules infiltrantes, il n’existe aucune preuve in vivo de leur rôle cytotoxique. L’association des récepteurs Fas présents sur la membrane plasmique des cellules β par Fas-ligand (Fas-L), présent sur les cellules de T CD4+ et/ou CD8+, a été proposée comme pouvant être un mécanisme d’induction de la mort cellulaire par apoptose dans le diabète de type autoimmun. Ainsi certaines cytokines, par induction du recepteur Fas à la surface des cellules β pourraient rendre ces cellules sensibles à la mort cellulaire. Il a été démontré in-vitro qu’IL-1 peut induire l’expression des récepteurs Fas à la surface des cellules β de souris [21] et humaines [22]. De plus, sur coupes de pancréas de deux enfants présentant un diabète de type 1 récent, le récepteur Fas a été détecté uniquement au niveau des cellules β. Ce récepteur Fas n’a jamais put être mis en évidence sur les cellules β de pancréas humain normaux. Enfin, il a Médecine Nucléaire - Imagerie fonctionnelle et métabolique - 2001 - vol.25 - n°2 J. Giudicelli été démontré que Fas et FasL sont exprimés sur les cellules β d’îlots provenant de greffes syngéniques en cours de destruction autoimmune ; cette expression de Fas étant corrélée à l’expression de IL-1, TNFα et IFNγ [23]. EXPRESSION DES ANTICORPS AU COURS DU DIABÈTE DE TYPE 1 ðDès la phase de pré-diabète, divers auto-anticorps dirigés contre les cellules des îlots de Langerhans et contre des produits de sécrétion de ces cellules peuvent être détectés dans le sérum. L’utilisation de techniques modernes telles que immunoprécipitation, immmuno-empreinte et, plus récemment, criblage de banques d’expression d’ADNc a permis d’identifier plusieurs antigènes potentiels dans le pancréas. Seul, un nombre restreint de ces antigènes, comme l’insuline, est spécifique du tissu pancréatique. Pour la majorité des antigènes identifiés, il s’agit généralement de constituants structuraux ou fonctionnels présents soit dans les membranes vésiculaires de sécrétion de l’insuline, soit présents dans des micro-vésicules synaptiques des cellules β et du système nerveux central. Un certain nombre de ces auto-anticorps ne sont pas spécifiques de la cellule β et reconnaissent également des antigènes provenant de diverses cellules pancréatiques. Anticorps anti-pancréas ðLes anticorps anti-pancréas sont détectés par immunofluorescence sur des coupes congelées de pancréas humain de groupe sanguin O. Cette technique semi-quantitative, difficile d’application, présente une sensibilité variable et une standardisation difficile. Cependant, l’étalonnage de chaque pancréas avec un sérum standard a permis une quantification reproductible des taux d’anticorps antiîlots de Langerhans en unité JDF (Juvenil Diabetes Foundation). Ces auto-anticorps sont retrouvés chez 60 à 80 % des diabétiques de type 1 au moment du diagnostic [24] pour disparaître dans les 18 à 24 mois qui suivent le début du diabète. Chez les apparentés de premier degré ces autoanticorps peuvent être détectés jusqu’à 5 ans avant l’apparition clinique de la maladie et leur fréquence, au moment du diagnostic, varie avec l’âge [25]. Ainsi, des auto-anticorps anti-pancréas ont été détectés dans le sérum d’au moins 80 % des enfants au moment du diagnostic. Enfin, il a été démontré que plus le titre de ces auto-anticorps est élevé à la première détection, plus le risque de développer un diabète de type 1 est grand [26]. Ainsi, un patient présentera un risque accru de développer la maladie si la valeur observée à la première détection est égale ou supérieure à 20 unités JDF. Anticorps anti-insuline ðCes anticorps, observés pour la première fois par Palmer en 1983 [27], sont présents dans le sérum de patients au moment du diagnostic et avant toute insulinothérapie. Ce sont en fait les seuls auto-anticorps spécifiques de la cellule β. La technique de dosage généralement proposée utilise l’immunoprécipitation de l’insuline marquée à l’iode 125 par le sérum du patient. Cette technique qui permet de détecter les auto-anticorps de haute affinité [28], présente l’inconvénient majeur de nécessiter un volume de sérum important (600 µL). Cet inconvénient est maintenant supprimé par le développement d’une microtechnique [29]. La prévalence des auto-anticorps antiinsuline est comprise entre 30 et 50% chez les diabétiques de type 1 au moment du diagnostic. Elle est inversement corrélée à l’âge, ainsi, la fréquence est significativement augmentée chez les jeunes enfants de zéro à 4 ans [30]. Enfin il a été observé que cette fréquence était augmentée chez Médecine Nucléaire - Imagerie fonctionnelle et métabolique - 2001 - vol.25 - n°2 les personnes qui présentaient un titre d’auto-anticorps anti-pancréas important associé à un titre d’auto-anticorps anti-insuline supérieur à 150 nU/mL [31]. Anticorps anti-GAD ðL’antigène, cible de la production des auto-anticorps anti-GAD, est une protéine identifiée par Baekkeskov [32] comme étant la glutamate-décarboxylase, enzyme qui catalyse la formation de l’acide gamma-aminobutyrique (GABA) à partir du glutamate. Cette enzyme est présente à concentration élevée dans le cerveau et les îlots de Langerhans. La glutamate-décarboxylase existe sous deux isoformes de poids moléculaire de 65 et 67 kDa. Dans les îlots de Langerhans humains, c’est l’isoforme 65 kDa qui prédomine. L’apparition des auto-anticorps n’est pas spécifique du diabète, ils peuvent être retrouvés chez des patients présentant d’autres endocrinopathies auto-immunes [33]. Les auto-anticorps qui apparaissent lors du diabète de type 1 réagissent essentiellement avec des épitopes conformationnels localisés au niveau du domaine central et C-terminal de l’isoforme 65 kDa. Cependant ces auto-anticorps présentent une réactivité commune avec les deux isoformes. Actuellement, les trousses proposées pour le dosage des anti-GAD sont essentiellement basées sur l’immunoprécipitation de GAD recombinante marquée à l’iode 125 et la séparation de l’immunocomplexe par la protéine A. Les anticorps anti-GAD présentent une prévalence comprise entre 70 et 80 % chez les diabétiques de type 1 au moment du diagnostic. La prévalence est de 5 à 13 % chez les apparentés de premier degré et de moins de 3 % au sein de la population générale [13]. Ces anticorps sont plus fréquents après l’âge de 20 ans [34]. Anticorps anti-IA2 ðLe criblage de banques d’expres- 87 Données immunologiques du diabète de type 1 sion d’ADNc, a permis d’identifier une protéine de la famille des tyrosine-phosphatases, l’antigène IA2 pour islet antigen 2 [35]. Cette protéine de 980 acides aminés est localisée dans la membrane des granules de sécrétion des cellules des îlots et des tissus d’origine neuroendocrinien [36]. Les 200 acides aminés de l’extrémité C-terminale de la protéine, qui constituent le domaine intracellulaire, représentent la cible majeure pour les anticorps [37]. Différents fragments de la protéine ont été isolés. Les autoanticorps dirigés contre un de ces fragments, dénommé ICA 512 (IA-2A) et précurseur de l’antigène de 40 kDa, sont présents chez plus de 50 % des diabétiques de type 1 au moment du diagnostic et ce quel que soit l’âge. La prévalence des auto-anticorps dirigés contre ce peptide de 40 kDa est de 2.5% chez les apparentés du 1er degré [33]. Le risque global de développer un diabète de type 1 est de 81% chez les personnes présentant un taux élevé de ces auto-anticorps lors de la première détection. La détection conjointe des auto-anticorps anti-40 kDa et des auto-anticorps anti-pancréas confère une valeur prédictive positive comprise entre 75 et 100% [38]. Enfin la détection de ces autoanticorps semble être plus spécifique que celle des auto-anticorps anti-GAD. Une autre protéine de la famille des tyrosine-phosphatases, d’un poids moléculaire de 37 kDa nommée phlogrine (ou antigène IA2b) a été récemment identifiée [39]. L’expression des auto-anticorps dirigés contre cette protéine semble être associée à une évolution rapide (environ 18 mois) du pré-diabète vers la phase clinique de la maladie. CONCLUSION ðLa recherche d’un seul des auto-anticorps dirigés contre l’un des quatre principaux antigènes ne présente pas une spécificité et une sensibilité suffisantes pour identifier les individus à risque. Pour cette raison, il est actuellement proposé des méthodes de détection combinées qui présentent à la fois une plus grande sensibilité et une plus grande spécificité dia- gnostique, faisant que si le dépistage de masse parait encore prématuré, une première étape, qui consisterait à cibler parmi les apparentés les individus à risque, est dès à présent possible. La possibilité d'une thérapeutique dès la phase de pré-diabète implique la mise en place de tests de dépistage de plus en plus précoces et spécifiques. Ces nouveaux tests pourraient être basés sur la recherche de cytokines impliquées dans le déclenchement du processus de dégradation des cellules β, stade de la maladie où l’infiltration lympho-cytaire a eu lieu mais où les anticorps ne sont pas encore détectables. De telles approches, comme la scintigraphie du pancréas par utilisation de 99mTclabbeled IL-2 ont déjà été proposées [40]. Ces nouveaux marqueurs pourraient, dans le futur, ne plus être seulement associés à l’analyse de l’évolution du prédiabète vers le diabète de type 1 mais aussi associés à l’analyse de l’efficacité des nouveaux traitement tels que l’immunothérapie ou la greffe d’îlots. Summary Type 1 diabetes is a slow and progressive disease. It follows, in the prediabetic phase, the initial non destructive infiltration of beta cells from pancreatic Langerhans islets by T lymphocytes. Then takes place the destruction of the beta cells under multiple factors such as auto antibodies against pancreas as well as other non specific antibodies. Cytokins are also involved in this process. Detection methods associating the search of several antibodies allow to expect an early detection of a risk patients and of a possible treatment as soon as the prediabetic phase. Type 1 diabetes / Auto antibodies / Beta pancreatic cells / Langerhans islets / Cytokins 88 Médecine Nucléaire - Imagerie fonctionnelle et métabolique - 2001 - vol.25 - n°2 J. Giudicelli RÉFÉRENCES 1. Tisch R. and McDevitt H. Insulindependent diabetes mellitus. Cell 1996 ; 85 (3) : 291-297. different functional properties. Annu Rev Immunol 1989 ; 7 : 145173. 2. Carel J.C. and Boitard C. Pathogénie du diabète de type 1. 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