L`ÉDUCATION THÉRAPEUTIQUE CHEZ LE SUJET ÂGÉ : UN DÉFI

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L’éducation thérapeutique
chez le sujet âgé : un défi à relever
Dominique Bonnet 1 - Sylvie Legrain 2
1
2
PHC - URC Groupe hospitalier Bichat - Claude Bernard - Paris PU-PH - Faculté Paris Diderot - Hôpital Bretonneau - Paris
A- Les sujets âgés : des besoins éducatifs accrus ...
mais des obstacles potentiels
L’éducation thérapeutique du patient est « un processus continu, dont le but est
d’aider les patients à acquérir ou maintenir les compétences dont ils ont besoin pour
gérer au mieux leur vie avec une maladie chronique »1. Les programmes en ETP,
qu’ils soient seuls 2,3,4 ou intégrés dans une intervention multifacette 5,6, ont démontré
leur efficacité clinique chez les personnes souffrant d’une maladie chronique.
Le vieillissement s’accompagne d’une prévalence plus élevée de maladies
chroniques et donc de polypathologie. En France, 93% des personnes de plus de
70 ans souffrent de polypathologie, la moitié de ces personnes déclarant au moins 6
maladies (3% ne déclarent aucune maladie, 4% n’en déclarent qu’une seule) 7. Cette
polypathologie est associée à une polymédication, à une moindre qualité de vie,
une moindre autonomie avec un risque accru d’accidents iatrogènes, de problèmes
d’observance, de recours aux soins et finalement de mortalité 8, 9,10.
L’évolution d’une maladie chronique, la survenue de complications liées à celle-ci
tout comme la survenue d’accidents iatrogènes ou de problèmes d’observance sont
en partie liées au degré d’implication du patient dans sa prise en charge. Le besoin
d’éducation thérapeutique est ainsi théoriquement très élevé chez les patients
polypathologiques et donc chez les sujets âgés.
Pourquoi alors parler de « défi » ?
Plusieurs questions se posent lorsqu’on évoque l’éducation thérapeutique du patient âgé.
1) Les patients âgés sont-ils demandeurs d’être partenaires actifs dans
leurs soins ?
Les études indiquent que, plus grand est l’accord concernant les problèmes de santé
et le traitement entre le médecin et son patient, plus hautes sont l’observance et la
satisfaction du patient. Qu’expriment les sujets âgés de leur état de santé et de leur
implication dans les soins ?
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1-1 Seuls les patients âgés eux-mêmes savent évaluer la « valeur »
de leur santé
Les patients, même très âgés, sont capables d’exprimer leur opinion sur la
valeur de leur santé. Une étude longitudinale prospective multicentrique auprès
de 414 patients octogénaires hospitalisés a montré qu’ils seraient peu enclins à
« échanger » une durée de vie importante dans leur état actuel de santé contre
une durée de vie plus courte en excellente santé ; cette position persistait et même
se majorait chez les survivants pouvant répondre à nouveau au questionnaire un
an plus tard 11. Le plus important, c’est qu’aucun élément n’était vraiment prédictif
de la réponse du patient et que notamment l’avis de sa personne de confiance
n’était que faiblement corrélé avec l’avis du patient. Cette étude montre que les
octogénaires ont bien une opinion sur leurs priorités en santé et que la manière la
plus fiable de les appréhender est un entretien avec le patient lui-même.
1-2 Il existe un désir fort chez les sujets âgés d’être impliqués dans les
décisions de soins
Une étude dans trois unités de gériatrie en France, a mis en évidence que les patients
âgés hospitalisés, en état stable de santé, étaient fréquemment demandeurs d’être
impliqués dans leurs soins 12. En effet, 46.7% des patients interrogés estimaient
que les médecins devaient les informer et recueillir leur consentement pour toute
procédure invasive ; 32.6% estimaient que cela devait être réalisé quelle que soit
la procédure diagnostique ou thérapeutique envisagée. Ainsi, même si un âge jeune est souvent prédictif d’une volonté plus grande
d’implication dans les soins 13, un âge plus élevé en revanche ne présage en rien
d’une volonté d’être passif. En effet, une étude chez des vétérans âgés atteints
d’insuffisance cardiaque suggère que c’est plutôt la perception du patient de son
implication dans les soins que l’âge lui-même qui est corrélé au souhait d’un
rôle plus passif dans les soins14. Enfin, la notion de « rôle actif » peut recouvrir
différents concepts : choisir, décider et/ou participer15 : le plus important pour un
patient n’est pas forcément tant de « faire les choix » que d’« avoir le choix »,
comme le souligne la définition de la participation du patient suivante : ‘... an
interaction, or series of interactions ... in which the patient is active in providing
information to aid diagnosis and problem-solving, sharing his/her preferences
and priorities for treatment or management, asking questions and/or contributing
to the identification of management approaches that best meet his/her needs,
preferences or priorities’ 16.
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2) Les patients âgés sont-ils capables d’être partenaires actifs dans leurs
soins ? Existe-t-il un ou (des) programme(s) éducatif(s) pertinent(s) et qui a
(ont) démontré leur efficacité chez les patients âgés ?
A l’origine, les programmes éducatifs développés spécifiquement en gériatrie se sont
adressés aux aidants des patients atteints de troubles cognitifs sans implication des
patients eux-mêmes. Les programmes éducatifs avec pour cible le patient lui-même
ont émergé après que l’on a pris conscience du désir des sujets âgés, d’une part que
l’on considère leurs priorités, d’autre part d’être actifs dans leurs soins.
Une revue récente a identifié trois essais d’intervention dont le but était d’augmenter
l’implication des sujets âgés en ville dans leurs soins. Ces trois études montrent que
l’implication des sujets âgés peut être majorée, mais malheureusement la qualité de
ces études n’est pas optimale : aucune n’a de suivi à long terme et surtout aucune
n’a cherché à en mesurer l’impact sur le statut de santé, le bien-être du patient ou la
morbi-mortalité 17. Certains programmes éducatifs promouvant le rôle actif du patient dans ses soins,
intégrés dans une intervention multi-facette et centrés sur une maladie, ont montré
leur efficacité en terme de morbidité chez des sujets âgés 5. Malheureusement,
ce type de programme « centré sur la maladie » n’est pas adapté pour un sujet
polypathologique. En effet, en cas de maladies chroniques multiples, l’intégration
de plusieurs programmes « centrés sur une maladie » amène à une accumulation
inappropriée de « guidelines » d’où dérivent des prescriptions inappropriées et même
dangereuses, des messages éducatifs contradictoires et finalement une mauvaise
qualité de soin 18,19
Des programmes éducatifs seuls, combinés avec un suivi ou encore combinés à une
révision des traitements, ont été mis en place pour tenter d’améliorer l’observance
des sujets âgés. Néanmoins, les revues de la littérature sur ces programmes mettent
en évidence que les résultats de ces études ne sont pas suffisamment robustes
(échantillons trop petits, manque de données sur l’efficacité de l’intervention
à distance de son arrêt, mise en place de programmes éloignés de la pratique
habituelle…) et surtout l’impact clinique d’une amélioration de l’observance n’est que
très rarement évalué 20,21.
Enfin, un petit nombre d’interventions « centrées sur le patient » ont intégré une
éducation dont l’objectif était de promouvoir le sujet âgé actif dans son suivi. Elles ont
démontré une efficacité en termes de morbidité « objective », en pratique en termes
de réhospitalisations 22,23,24. Néanmoins le caractère unicentrique de ces études
et le fait que les patients aient été très sélectionnés empêchent d’envisager une
reproductibilité de ces interventions à plus large échelle. De plus, les programmes
éducatifs proposés ne permettaient pas l’intégration des préférences ou des valeurs
du patient dans la conception du plan de soin.
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B- L’expérience de l’essai OMAGE : l’éducation Thérapeutique du
patient âgé polypathologique est possible et efficace et elle
doit être combinée avec une action sur la prescription
et la coordination
Contexte : en pratique clinique comme dans la littérature, une grande partie des
réhospitalisations des sujets âgés apparaissent évitables. Les principaux facteurs
modifiables de risque de réhospitalisation chez les sujets âgés sont : les problèmes liés aux
médicaments (iatrogénie, observance, « underuse » ou sous-prescription), la dépression
et la dénutrition. Dans ces trois domaines, l’ETP est un moyen d’optimisation.
L’idée : créer une intervention innovante centrée sur le patient et intégrant de l’ETP pour
diminuer les réhospitalisations indues en gériatrie Création du programme OMAGE : La finalité de ce programme éducatif était de répondre
aux besoins éducatifs spécifiques des sujets âgés polypathologiques. Il a été conçu
en collaboration avec le département d’éducation thérapeutique du patient de Genève
(A. Lasserre Moutet). Une analyse des besoins de ces patients a été effectuée à l’aide
d’interviews semi-structurées de patients âgés lucides hospitalisés en gériatrie aiguë. Ces
entretiens ont permis de mettre en évidence que :
•L’hospitalisation en urgence est une cassure, mais que la santé s’est souvent
dégradée avant et que cette dégradation a été sous-estimée par le patient ;
•Les sujets ne connaissent pas bien leurs maladies et leurs traitements, mais qu’ils
sont demandeurs d’en savoir plus ;
•Les sujets font confiance à leur médecin traitant, mais ne se sentent pas toujours
légitimes pour y faire appel ;
•Les sujets sont souvent dépressifs et ont un sentiment d’inutilité ;
•Les sujets réfléchissent à l’entrée en maison de retraite du fait d’un besoin de
socialisation et d’un besoin d’être secouru en cas de problème.
En résumé, les sujets âgés avaient le sentiment d’être souvent un objet de soins et
souhaitaient devenir plus actifs dans leurs soins.
Le programme éducatif OMAGE a été conçu avec plusieurs priorités : être centré sur le
patient ; être formalisé ; être porteur d’information ; être capable de mettre en mouvement
le patient (rôle motivationnel). Il comprenait 4 séquences formalisées et 1 séquence
facultative (cf tableau ci-après). Chaque séquence répondait à un objectif spécifique
pour le patient et pour l’éducateur. Un outil a été spécifiquement conçu pour chaque
séquence.
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L’essai OMAGE (Optimisation des Médicaments chez les sujets AGEs), financé par le
PHRC national, a été mené en Ile de France d’avril 2007 à mai 2009. Il avait pour objectif
de démontrer, chez des sujets âgés hospitalisés en unité gériatrique aiguë, l’efficacité sur
les réhospitalisations dans les 6 mois suivant la sortie d’une intervention multi-facette
centrée sur le patient. Cet essai d’intervention était pragmatique, randomisé, contrôlé
et a impliqué 6 UGA d’Ile de France et 4 gériatres interventionnels. L’intervention
était innovante car (1) elle ne se focalisait pas uniquement sur les problèmes liés aux
médicaments (iatrogénie, insuffisance de prescription et observance) mais aussi sur
la dépression et la dénutrition et (2) elle a utilisé un nouveau programme d’éducation
thérapeutique dédié pour la première fois aux sujets âgés polypathologiques. Le
patient et/ou son aidant (en cas d’incapacité du patient) participaient à ce programme.
Celui-ci était combiné à une optimisation de la prescription et à une coordination
précoce, renforcée et simplifiée avec les professionnels de ville. Ont été inclus dans
l’étude et suivis après leur sortie pendant 6 mois 665 patients consécutifs (348
dans le groupe soins usuels, 317 dans le groupe intervention). Ces patients avaient
un âge moyen de 86 ans et en moyenne 6.8 traitements chroniques prescrits. La
durée moyenne de l’intervention était de 3h30 par patient. L’intervention a permis
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une diminution relative de 28.9% du nombre de patients réadmis en urgence à 3 mois (p = 0.0134) et de 14.9% à 6 mois (p = 0.12), alors même que l’essai manque
de puissance (800 patients étaient théoriquement nécessaires pour démontrer un
effet) et que l’intervention n’avait lieu que pendant le séjour hospitalier. De plus,
l’intervention a permis d’économiser 519 euros par patient. Enfin, l’intervention a été
efficace quels que soient le lieu et le gériatre interventionnel, ce qui laisse présager
une bonne reproductibilité des résultats à plus grande échelle.
En conclusion :
- l’ETP est réalisable chez des sujets très âgés hospitalisés et peut dans la
majeure partie des cas s’adresser au patient (65% des programmes éducatifs
dans OMAGE avaient pour cible le patient)
- l’ETP permet de remettre le patient âgé au cœur du soin. Via le programme
OMAGE, les patients ont participé à l’élaboration de leurs plans de soin par la
mise en valeur de leurs priorités et ils ont été des acteurs actifs de leurs suivis.
- si on associe le programme ETP OMAGE à une action sur la prescription et la
coordination, l’ETP diminue les réhospitalisations de sujets très âgés fragiles.
Ce point est essentiel, car ce critère de jugement a une triple pertinence :
critère de qualité de vie pour le patient, critère de qualité des soins, mais aussi
critère économique, les réhospitalisations en urgence engendrant un surcoût
considérable, ce qui ne peut être négligé dans le contexte actuel de croissance
des dépenses de santé.
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