Vivre en Guyane Rénover Par Anne Bellanova Entre la reconstruction des bungalows, l'installation d'une usine de dessalement de l'eau de mer et le remplacement des groupes électrogènes assurant la fourniture en énergie de l'île, les chantiers se multiplient sur l'île Royale qui va ainsi bénéficier d'un petit coup de neuf. Bientôt, nous pourrons siroter un verre d'eau pure et potable directement issue de la baie des cocotiers sur le balcon d'un bungalow parfaitement éclairé et ventilé avant d'aller nous balader dans les jardins en terrasse réhabilités… 34 / LATITUDE 5 / N°89 / JUILLET 2010 Ce bâtiment à proximité du débarcadère abritera l'usine de dessalement. Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. C'est sans doute en partant de ce postulat plein de sagesse que le CNES a décidé d'utiliser l'eau de la mer pour résoudre le problème d'eau potable sur l'île Royale. Le projet consiste en effet à installer une usine de dessalement de l'eau de mer dans un ancien bâtiment du bagne situé en face du débarcadère. “ Il s'agit en fait d'un osmoseur ” précise Pascale Morel-Tinco, architecte au service Gestion du Patrimoine du CNES. “ C'est une station de traitement de l'eau de mer pour désalinisation et potabilisation avec une technique de filtrations multiples jusqu'à l'obtention d'une eau parfaitement pure, déminéralisée. Ce procédé est dit d'osmose inverse.” Après avoir pompé l'eau de mer dans la baie des cocotiers, celle-ci fait l'objet d'une première filtration avec du sable pour enlever les plus grosses impuretés (vase, algues…). Ensuite, elle subit une série de filtrations en passant par des membranes avec des pores de plus en plus petits (inférieurs au nanomètre pour la dernière membrane d'osmose inverse) jusqu'à filtrer même les sels minéraux et ne laisser passer que les molécules d'eau. “ On obtient alors deux flux ” explique Julien Villard, ingénieur au service Gestion du Patrimoine : “ le « concentrat », chargé de tous les sels minéraux et le « perméat », une eau pure qui sera légèrement re-minéralisée pour devenir potable. En amont et en aval du système, nous avons deux cuves, l'une pour l'eau brute, l'autre pour l'eau propre. La dernière cuve de stockage du système sera une ancienne cuve du bagne réhabilitée, appelée la cuve Seznec, et qui permettra un stock tampon d'eau potable à proximité de l'auberge pour assurer ensuite la distribution dans le réseau.” “ Jusqu'à présent la distribution d'eau sur l'île était assurée par un système de collecte et de traitement des eaux pluviales, système hérité de l'époque du bagne, mais dont les capacités de stockage étaient arrivées à saturation ” raconte Pascale Morel-Tinco. “ Il a donc fallu faire un choix entre rénover l'existant, remettre aux normes les cuves Ile Royale : la mer à boire ? Ces 2 «cuves» sont les filtres à sable qui sont actuellement utilisés pour filtrer l’eau avant le réseau de distribution de l’Ile. La motopompe de la BSPP a permis de pomper l’eau de la fosse Seznec pour remplir la bâche souple de 300 m3, afin de fournir un stockage supplémentaire en eau pour la saison sèche. et augmenter leur capacité ou changer “ Pour pomper l'eau, nous avons installé radicalement de système.” L'avantage un petit ponton flottant équipé d'une jupe de cette usine de dessalement, qui empêchera l'eau de la zone outre le fait qu'elle va permettre De l'eau potable de pompage d'être polluée de résoudre le problème de la par d'éventuelles fuites à la demande, disponibilité d'eau potable sur d'hydrocarbures ” explique y compris en l'île, y compris en saison sèche, Pascale Morel-Tinco. est qu'elle offre la possibilité “ Avec ce seul point d'entrée saison sèche d'une production “ à la demande ” de l'eau, dans la baie des ce qui évite un stockage important. cocotiers, nous pourrons avoir un contrôle La production sera optimisée par rapport complet sur la filière de traitement, depuis au nombre de personnes présentes sur l'île. la collecte jusqu'à la distribution.” Un ponton flottant a été installé dans la baie des cocotiers pour le pompage de l'eau de mer. LATITUDE 5 / N°89 / JUILLET 2010 / 35 La mise en route de cette usine est prévue pour la fin de l'année et il s'agira là du premier osmoseur installé en Guyane. En parallèle à ces travaux effectués sur le réseau d'eau, la reconstruction des anciens bungalows de bois situés en contrebas de l'auberge, représente également un important chantier qui doit voir son terme au cours de l'été. “ Nous avons reconstruit les 20 chambres « en dur », avec une exposition leur permettant d'être bien ventilées, et nous les avons équipées de chauffeeau solaires ” précise Pascale Morel-Tinco. Avec leur petit balcon avec vue sur la mer, ces nouvelles chambres seront entièrement équipées de meubles en bois de Guyane. Pour minimiser l'impact visuel, ces constructions ont été conçues de manière à «coller » à la pente du terrain. “ Aujourd'hui nous sommes sur le point d'effectuer la réception finale de ces chambres ” annonce Pascale. “ Le chantier a démarré mi-2009 mais lors de la fermeture du pont du Larivot, la barge ayant été réquisitionnée, nous avons dû faire face à des soucis d'approvisionnement en matériaux ce qui a notablement ralenti les travaux.” Les anciens bungalows de bois ont été entièrement reconstruits pour augmenter la capacité d'hébergement de l'auberge. Autre chantier, et non des moindres, celui de la centrale de production d'énergie, gérée par le service Infrastructure (SDO/IN) du CNES/CSG. “ Il faut savoir que l'île Royale est alimentée par des groupes électrogènes car il n'y a pas de câble d'alimentation la reliant au continent, ce serait beaucoup trop onéreux. Il n'y a pas non plus d'unité de production d'énergie solaire ou éolienne sur place pour des raisons de topographie du site ” explique en préambule Moïse Romero, spécialiste en énergie au service Infrastructure. “ Jusqu'à présent, l'île était donc alimentée par deux groupes de 130 KVA (kilo voltampère).” Les besoins en électricité ne cessant d'augmenter, sans oublier les futurs besoins de l'usine de dessalement et des nouvelles chambres, il a fallu envisager, dès 2006, d'augmenter la capacité de production de cette centrale énergétique par anticipation. “ Nous avons donc décidé de remplacer les deux groupes existants par 3 nouveaux groupes de 250 KVA chacun qui permettront d'alimenter l'ensemble des systèmes présents sur l'île (Auberge, bâtiments divers, cinéthéodolite, systèmes de sécurité phare et balises, usine de dessalement…) ” poursuit Moïse. “ Et, autre nouveauté, nous avons choisi d'installer des groupes «sheltérisés», c'est à dire protégés par des containers respectant les normes réglementaires. Cela offre évidemment un plus grand confort au niveau des nuisances sonores de ce type d'installation, même si cela engendre quelques contraintes en terme d'interventions dans le cadre de grosses maintenances.” Mécénat Mi-juin, l’association Agamis (Association pour la gestion, l'aménagement et la mise en valeur des îles du Salut) a lancé, par le biais de la fondation du Patrimoine, une souscription pour la restauration des décors et mobiliers de la chapelle de l’Ile Royale. Partenaires, particuliers, entreprises et autres institutions ont été invités à apporter leurs dons visant à valoriser ce patrimoine artistique et historique régional. Ces dons étant déductibles d’impôt à hauteur de 66% pour les particuliers et 60% pour les entreprises, l’association Agamis espère mobiliser le plus grand nombre. A ce jour, la chapelle a déjà bénéficié d’une première tranche de travaux de restauration et de protection. Celle-ci a notamment concerné les décors peints sur bois et a permis de consolider et assainir ce qui subsistait de la couche picturale de la chapelle. Le coût de cette première tranche s’était élevé à 120 000 euros. La seconde tranche aujourd’hui proposée concerne la restauration de la couche précédemment stabilisée et le comblement des parties manquantes. Le montant de ces travaux est estimé à 112 144 euros. 36 / LATITUDE 5 / N°89 / JUILLET 2010 Première tranche de la rénovation des tableaux de Francis Lagrange, début 2007. Ces groupes étant alimentés par du gasoil qui est transporté par barge sur l'île et stocké dans des cuves, une plate-forme pour le dépotage de carburant est également en cours de réalisation au niveau du débarcadère, dans un souci de protection de l'environnement. Dans un même temps, la distribution de l'énergie à partir de la centrale de production fait aussi l'objet d'une rénovation. “ Nous allons installer un nouveau câble entre la centrale de production et le plateau de l'auberge pour renforcer l'alimentation électrique existante ” précise Moïse Romero. “ C'est un énorme câble de 400 m de long pour 4 tonnes, ce qui représente d'importants travaux pour le déploiement et l'enfouissement de ce nouvel équipement. A noter que ces travaux n’auront pas d’impact sur l’environnement.” Concernant les énergies renouvelables, Moïse Romero se montre plus dubitatif : “ En fait, par rapport à la topographie du site et aux besoins en énergie, le photovoltaïque n'est pas une solution envisageable dans l'état actuel de développement de cette technologie. En effet, cette dernière est une énergie propre mais non permanente, ce qui nécessitera la mise en place de moyens de stockage tampon (batteries) ou d’autres sources pour continuer la production d’énergie lorsque le soleil n’est plus présent. Aujourd’hui, la performance des batteries est très limitée (autonomie, durée de vie) et le coût de ces dernières est élevé. Par ailleurs, l’installation de panneaux solaires photovoltaïques nécessite de la surface disponible au sol ou en toiture en fonction de la puissance installée. La surface disponible en toiture des bâtiments concernés n'est pas suffisante, ces panneaux solaires devraient être installés au sol, ce qui dénaturerait l’aspect naturel du site car il faudrait abattre des arbres.” Autres travaux achevés ou en cours sur l'île Royale pour cet été : les façades de l'auberge ont été ravalées tandis que les jardins de l'ancienne maison du directeur, aujourd'hui Musée du bagne, ont bénéficié d'un nettoyage permettant de mettre à jours les murs de soutènement et autres constructions datant de l'époque du bagne. Ces travaux de nettoyage ont été menés avec l'association CHAM qui s'occupe de réinsertion de jeunes en difficulté. Par la suite, les jardins seront progressivement et durablement replantés. Côté projets à plus long terme, notons que l'accès à la «piscine des bagnards» – rare point de baignade de l'île – devrait être aménagé, avec des escaliers, pour sécuriser ce lieu très prisé des baigneurs. Enfin, le CNES a également décidé de se doter d'un moyen nautique conséquent pour pouvoir apporter, de façon autonome, marchandises et matériaux divers sur l'île. 4 Propriété du CNES depuis 1971, les Iles du Salut font régulièrement l'objet de travaux d'aménagement et de valorisation. LATITUDE 5 / N°89 / JUILLET 2010 / 37