BULLETIN DE PHARMACIE
LES RINCE-BOUCHE ANALGÉSIQUES
La soulagement de la douleur buccale induite
par des stomatites ou des mucosites constitue
un défi en soins palliatifs. Ce problème n’est pas
rare puisque nous rencontrons souvent des
patients ayant subi une combinaison de
chimiothérapie et de radiothérapie. L’approche
générale actuellement recommandée repose sur
une hygiène dentaire adéquate, des
modifications de l’alimentation, l’usage de
protecteurs de muqueuse. L’usage
d’anesthésiques topiques et d’analgésiques
systémiques constitue la pierre angulaire du
traitement. Les douleurs sévères qui entravent
l’alimentation nécessitent parfois l’usage
d’opioïdes par voie orale ou parentérale. Il
devient alors nécessaire de composer avec les
effets indésirables des opioïdes, lesquels
peuvent parfois empêcher un titrage adéquat de
la dose en fonction des douleurs. La nature
localisée des lésions et la facilité d’accès à la
muqueuse buccale ont poussé plusieurs
cliniciens à tenter l’usage d’analgésiques sous
forme de rince-bouche dans de telles douleurs.
1. Rince-bouche de morphine
Deux études ont rapporté l’utilité de la morphine
en rince-bouche.
La première étude, publiée en 2002, portait sur
l’usage de la morphine topique lors de douleur
associée aux mucosites induites par une
combinaison de radiothérapie et de
chimiothérapie dans le traitement des
carcinomes de la tête et du cou[1]. Vingt-six
patients souffrant de mucosites sévères (grade
OMS 2) ont été randomisés soit à l’usage de
rince-bouche de morphine ou à l’usage de rince-
bouche magique (1/3 lidocaïne, 1/3 Benadrylmd
et 1/3 Maaloxmd). Les patients utilisaient 15 ml
d’une solution de morphine 2 mg/ml ou 15ml de
rince-bouche magique six fois par jour aux 3
heures. La sévérité de la douleur était évaluée à
tous les jours à l’aide du Numerical Rating Scale
(NRS) (0-10) et du Visual Scale (VS) (aucune,
légère, modérée, sévère, inimaginable). La
sévérité de la dysphagie a également été
évaluée. En plus du rince-bouche, les patients
pouvaient prendre un analgésique prescrit selon
l’échelle de la douleur proposée par
l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS).
La durée pendant laquelle la douleur était
sévère (NRS 5 ou VS sévère, inimaginable)
était plus courte de 3,5 jours dans le groupe
morphine comparativement au groupe rince-
bouche magique (p = 0,032). L’intensité de la
douleur (NRS) était aussi plus faible dans le
groupe morphine (6 vs 7,5 p=0,038). Vingt-et-un
pourcent des patients sous rince-bouche de
morphine ont nécessité une prescription
d’analgésiques supplémentaire contre 67% des
patients recevant le rince-bouche magique
(p=0,019). De plus, moins de patients ont
présenté d’effets indésirables locaux avec la
morphine qu’avec le rince-bouche magique (7%
vs 41,6% p=0,007). Un seul patient a rapporté
des effets indésirables avec le rince-bouche de
morphine, soit la sensation de brûlure et la
bouche sèche. Aucun effet systémique n’a été
noté dans les deux groupes.
La deuxième est une étude pilote visant à
évaluer l’utilité potentielle du rince-bouche de
morphine pour la douleur associée aux
stomatites[2]. L’étude était construite en 2 blocs.
Les patients sélectionnés étaient traités par
chimiothérapie et radiothérapie pour un
carcinome squameux de la tête et du cou et
présentaient des mucosites de grade 2 ou plus
selon l’échelle de l’OMS.
Le premier bloc servait à déterminer la dose
optimale de morphine. Dix patients ont été
randomisés à la prise de 15ml de rince-bouche
de morphine concentré à 1mg/ml ou à 2mg/ml et
devaient indiquer en pourcentage le
soulagement obtenu. L’évaluation du
pourcentage de soulagement à été faite 60
minutes après l’administration du rince-bouche.
Le groupe de morphine 2mg/ml a été mieux
soulagé que le groupe 1mg/ml (80% vs 60%,
p=0,0238) et c’est donc la concentration à
2mg/ml qui fut utilisée pour le 2e bloc.
Vingt-deux patients ont fait partie du 2e bloc de
l’étude qui visait à déterminer l’efficacité et
l’innocuité du rince-bouche de morphine. Le
temps nécessaire à l’atteinte d’un bon
soulagement ( 50%) ou d’un soulagement
complet (100%) était de 28 minutes après la
première dose et la durée de l’effet était de 216
minutes. Seulement 6 patients (soit 27%) ont
nécessité la prise supplémentaire d’analgés-
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Maison Michel-Sarrazin
LES RINCE-BOUCHE ANALGÉSIQUES
iques oraux ou parentéraux, et aucun n’a
nécessité d’opioïdes systémiques du troisième
pallier de l’échelle de l’analgésie (OMS). Cinq
patients ont rapporté des effets indésirables
potentiellement ou assurément causés par le
rince-bouche de morphine. Les deux effets
indésirables rapportés sont une sensation de
brûlure/démangeaison, probablement due à la
libération d’histamine, et la bouche sèche.
L’intensité de ces effets indésirables était très
légère ou légère et un traitement avec un rince-
bouche de diphenhydramine pendant environ
une journée était efficace pour traiter ces effets
indésirables. Une analyse pharmacocinétique a
été effectuée chez 5 patients du 2e bloc. Le
niveau sérique de morphine était indécelable
chez tous les sujets sauf un qui avait avalé le
rince-bouche par mégarde. Malgré tout, ce
patient présentait une concentration sérique en
dessous du seuil d’analgésie systémique qui est
de 10 ng/mL.
L’action de la morphine topique serait liée à
l’apparition de récepteurs opioïdergiques dans
les tissus lors d’inflammation, lesquels ne sont
normalement pas présents dans les tissus sains.
De plus, les opioïdes topiques ont un accès
facilité aux récepteurs opioïdergiques neuronaux
car l’inflammation perturbe l’épinèvre et
augmente le nombre de récepteurs terminaux
sensoriels périphériques. L’efficacité des
opioïdes topiques est directement
proportionnelle à la durée de l’inflammation.
Parce que la morphine est peu lipophile et se
présente sous sa forme ionisée à un faible pH,
son taux d’absorption transmuqueuse est donc
très faible. Ces caractéristiques en font un bon
choix pour administration sous forme de rince-
bouche car peu de morphine risque de se
retrouver dans la circulation systémique.
Cependant, le rince-bouche de morphine serait
moins efficace dans les cas de douleur
neuropathique comme par exemple dans les cas
d’infection à virus de l’herpes ou de surinfection
à Candida. Malgré tout, l’application topique de
morphine combine plusieurs avantages de
l’administration systémique tout en éliminant
plusieurs de ses désavantages.
Recette de rince-
bouche de morphine
1,2
2000 mg de chlorhydrate de morphine dilués dans 1000ml d’eau
(concentration 2mg/mL)
Posologie 15ml en gargarisme x 2minutes q2-3h (selon durée de l’effet de la
première dose); recracher
2. Rince-bouche de kétamine
La kétamine a été approuvée comme agent
anesthésique il y a plus de 30 ans. Ce n’est que
récemment que son efficacité dans les douleurs,
à doses subanesthésiques, a été démontrée.
L’action analgésique de la kétamine transige par
son action antagoniste sur le récepteur NMDA,
impliqué dans la douleur chronique et
l’hyperalgésie. Comme l’hyperalgésie est une
caractéristique de base des mucosites, il semble
logique de penser au potentiel thérapeutique de
la kétamine topique.
Un rapport de cas fait état de l’utilité potentielle
de la kétamine topique pour le soulagement des
douleurs associées aux mucosites[3]. Il relate le
cas d’une patiente de 32 ans, atteinte d’un
cancer métastatique de la langue, traitée
initialement par chimiothétapie puis ayant subi
une hémiglossectomie et une dissection des
ganglions du cou. Par la suite, un traitement de
radiothérapie fut entrepris, traitement à l’origine
d’une mucosite. La patiente comparait la
douleur qu’elle ressentait à l’idée d’avoir la
bouche remplie de verre brisé. Au repos, elle
cotait sa douleur à 9-10/10. L’utilisation de
timbres de fentanyl 50ug/h, de comprimés
d’oxycodone 5mg et acétaminophène 325mg
jusqu’à 8 fois par jour et d’amitryptiline jusqu’à
50 mg au coucher ne la soulageait pas. On
institua un traitement de fluconazole 200
mg/jour, une suspension orale de morphine et
un rince-bouche Radiomix (Mylantamd,
lidocaïne et Benadrylmd). Un mois plus tard, la
patiente présentait une mucosite de grade 3
sans évidence d’infection fongique. Comme la
suspension de morphine avait augmenté la
douleur buccale par une sensation de brûlure,
elle ne fut pas tentée sous forme de rince-
bouche topique. Le rince-bouche Radiomix
offrait quand à lui un soulagement durant
seulement 10 minutes. On ajouta alors
hydromorphone 4-8 mg aux 3h et sucralfate
au besoin à sa médication régulière du moment:
timbre de fentanyl 50ug/h, clonazepam 0,5 mg
PRN et mirtazapine 15 mg HS.
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LES RINCE-BOUCHE ANALGÉSIQUES
Un mois plus tard, l’examen révéla une mucosite
maintenant de grade 2. La douleur était cotée à
7/10 le matin avec augmentation progressive de
la douleur au cours de la journée, et ce, malgré
l’utilisation d’environ 3 doses par jour
d’hydromorphone. La patiente ne voulait pas
augmenter la fréquence ou la dose
d’hydromorphone car le médicament la rendait
confuse. On tenta donc 5 ml d’un rince-bouche
de kétamine concentré à 20 mg/5 ml à
gargariser pendant 1 minute, aux 3 heures au
besoin. Dès la première dose, la patiente nota
une diminution de la douleur de 7/10 à 4/10
après quelques minutes. Une semaine plus tard,
la patiente rapporta avoir un soulagement
important grâce à la kétamine. Son niveau de
douleur était passé de 9/10 à 3/10 avec son
usage et l’effet durait 3 heures.
Après un autre mois, la mucosite était de stade
1. La douleur au repos était cotée à 4/10, mais
pouvait augmenter à 7/10 lors de l’alimentation.
La kétamine était utilisée 2 ou 3 fois par jour et
diminuait la cote de douleur à 2/10. Un mois
après, la mucosite s’était résorbée. La douleur
au repos était de 3/10 mais pouvait augmenter à
6-7/10 lors d’ingestion d’aliments épicés ou à la
texture rugueuse. La patiente continua d’utiliser
la kétamine à ces moments, ce qui diminuait la
douleur à 2/10.
La dose de kétamine de 20mg était arbitraire et
n’amena pas d’effets indésirables. Il semblerait
que l’effet soit bien topique puisqu’il se
manifestait très rapidement. De plus, la patiente
a accidentellement avalé la kétamine à une
occasion. Cet incident a provoqué des effets
sédatifs et psychomimétiques importants qui ne
se sont pas reproduits subséquemment, ce qui
indique que le rince-bouche utilisé correctement
ne devait pas amener des concentrations
systémiques significatives. La kétamine agirait
par antagonisme au récepteur NMDA au niveau
de la muqueuse buccale. Bien que la kétamine
en rince-bouche soit utile pour les douleurs
buccales associées aux mucosites, son
utilisation dans les cas où le pharynx et
l’oesophage sont impliqués risque d’être limitée
par la difficulté à ne pas avaler le rince-bouche
et, conséquemment, par les effets indésirables
systémiques.
Recette de rince-
bouche de
kétamine 3
0,2 ml de kétamine 100 mg/ml mélangé à 5 ml de salive artificielle, soit une
solution de 20 mg/5 ml
Posologie 5ml en gargarisme x 1minute q3h PRN; recracher
3. Rince-bouche de méthadone
Il existe un rapport de cas décrivant l’utilité d’un
rince-bouche de méthadone dans la gestion de
la douleur associée aux ulcères buccaux[4]. On
y décrit le cas d’un homme de 75 ans ayant
développé spontanément des ulcères buccaux
diffus couvrant la langue, la muqueuse buccale
et le pharynx. Le patient ne présentait aucun
autre symptôme ni infection. Le patient fut bien
soulagé par des doses élevées de
corticostéroïdes intraveineux, mais quand on
passa à la prednisone orale à raison de 75 mg
par jour, la douleur revint et persista malgré
l’essai de sulfasalazine, d’azathioprine,
d’acyclovir, de fluconazole et de colchicine.
La douleur était intense et décrite ici aussi
comme l’impression d’avoir la bouche pleine de
verre brisé. Le médecin de famille débuta de
l’oxycodone longue action 40 mg BID avec des
entredoses de 10 mg. Le patient prenait en tout
120 mg par jour, soit le maximum qu’il pouvait
tolérer sans être somnolent ou confus. Une
préparation topique de benzdyamine 0,15% le
soulageait partiellement pendant 20 minutes.
Bien que l’oxycodone ait amélioré en partie la
douleur buccale, celle-ci demeurait sévère. Le
patient ne pouvait manger que des purées et du
liquide, avait de la difficulté à parler et devait
dormir en position assise car la position couchée
amenait l’appui de la langue sur ses dents, ce
qui le faisait souffrir énormément. Il ne dormait
jamais plus de 2 ou 3 heures par nuit. Un rince-
bouche de méthadone 1mg/ml fut préparé à
partir de poudre de méthadone et de rince-
bouche magique (diphenhydramine, nystatine,
tétracycline et dexaméthasone). On indiqua au
patient de se gargariser avec 5 ml (soit 5 mg de
méthadone) pendant 1 minute avant de
recracher.
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Maison Michel-Sarrazin
LES RINCE-BOUCHE ANALGÉSIQUES
Le patient rapporta un soulagement de 75% de
la douleur suite à l’utilisation du rince-bouche, ce
qui lui permit de dormir 4 heures d’affilée, de
parler au téléphone pendant 1h, de mâcher sa
nourriture, et éventuellement de recommencer à
manger des aliments solides. Son appétit, son
énergie et sa qualité de vie ont tous grandement
été améliorés. On testa subséquemment le
rince-bouche sans la méthadone et le
soulagement ressenti chuta à 40%. La
concentration sérique de méthadone fut
mesurée. Le patient prenait 5 ml (5 mg) 10 à 14
fois par jour avant les repas, les longues
conversations, le coucher et durant la nuit. La
concentration sérique était de 2240 nmol/l ce qui
correspond à une absorption de 17%. Bien que
les auteurs n’émettent aucune hypothèse quant
au mode d’action de la méthadone topique, nous
pensons que l’action serait à la fois agoniste sur
les récepteurs opioïdergiques topiques et
antagoniste au niveau des récepteurs NMDA
périphériques.
Recette de rince-
bouche de
méthadone 4
120 ml de diphenhydramine liquide (2,5 mg / ml)
30 ml d’une suspension orale de nystatine (100 000 unités / ml)
3 capsules de tétracycline 250 mg
1 capsule de dexaméthasone 4 mg
Volume du rince-bouche magique complété à 200 ml avec de l’eau distillée
200 mg de poudre de méthadone (Concentration 1 mg/ml)
Posologie 5ml en gargarisme x 1 minute PRN; recracher
Conclusion:
Parmi les opioïdes pouvant constituer un choix
intéressant sous forme de rince-bouche, la
morphine s’impose comme premier choix. En
effet, la morphine est l’opioïde possédant le plus
faible taux d’absorption transmuqueuse[1]. Le
rince-bouche de morphine devrait être tenté
avant celui de kétamine ou de méthadone car
son efficacité et son innocuité ont été validées
de manière un peu plus rigoureuse [1, 2]. Le
rince-bouche de morphine devrait être utilisé
dans les cas où l’usage d’un rince-bouche
commun (ex : magique) est inefficace et que les
opioïdes systémiques sont inefficaces ou mal
tolérés. Dans le cas où celui-ci causerait une
sensation de brûlure ou d’inconfort buccal, ou
encore si la douleur semble d’allure
neuropathique, le rince-bouche de kétamine
pourrait être tenté. Étant donné la complexité de
la recette et le manque de rigueur du rapport de
cas du rince-bouche de méthadone, son usage
n’est pas recommandé pour le moment. En
résumé, l’usage de rince-bouche analgésiques
peut constituer une option intéressante pour les
douleurs buccales liées aux mucosites et aux
stomatites. Leur utilisation est simple,
économique et dépourvue d’effets indésirables
systémiques dans la mesure où l’on enseigne
correctement au patient à recracher le rince-
bouche. Bien que ces nouveaux rince-bouche
viennent élargir l’arsenal thérapeutique, d’autres
études sont requises avant d’en généraliser
l’usage.
Texte rédigé par Julie Ouellet, B. Pharm., résidente en pharmacie d’hôpital, septembre 2007
Révision : Michèle Plante, B. Pharm., M. Sc., Maison Michel-Sarrazin.
Références :
1. Cerchietti, L.C., et al., Effect of topical morphine for mucositis-associated pain following concomitant
chemoradiotherapy for head and neck carcinoma. Cancer 2002; 95: 2230-6.
2. Cerchietti L.C., et al., Potential utility of the peripheral analgesic properties of morphine in stomatitis-related
pain: a pilot study. Pain 2003; 105: 265-73.
3. Slatkin, N.E. and M. Rhiner. Topical ketamine in the treatment of mucositis pain. Pain Med 2003; 4: 298-303.
4. Gallagher R. Methadone mouthwash for the management of oral ulcer pain. J Pain Symptom Manage 2004;
27: 390-1.
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