2002/1 Bulletin des assureurs Vie destiné aux médecins suisses Expertises médicales dans les cas juridiques Supplément du Bulletin des médecins suisses No 27 / 3 juillet 2002 Schweizerischer Versicherungsverband Association Suisse d’Assurances Associazione Svizzera d’Assicurazioni 2 Sommaire Editeur ASA Association Suisse d’Assurances 1941 – 1998 édité par les assureurs Vie Expertises médicales dans le cas juridiques 4 Pourquoi faut-il toujours davantage d’expertises? 14 L’expert médicale en qualité de juge 20 La réadaptation avant la rente 26 Le cas pratique 38 La commission responsable de la parution du «Bulletin» se compose comme suit: • Josef Kreienbühl, PAX, président • Karl Ehrenbaum, Zurich • Dr méd. Thomas Mall, Bâloise • Dr méd. Jan von Overbeck, Swiss Re • Dr méd. Walter Sollberger, Bernoise • Peter Suter, Winterthur • Dr méd. André Weissen, PAX Rédaction Dr Jörg Kistler C.-F.-Meyer-Strasse 14 8022 Zurich, Téléphone 01-208 28 28 E-mail [email protected] Imprimerie Dürrenmatt Druck AG 3074 Muri-Berne Tirage 5500 exemplaires 3 Editorial Chères lectrices, chers lecteurs Toute expertise médicale joue de par nature un rôle déterminant dans l’appréciation de l’incapacité de gain. Pas étonnant dès lors que ce genre d’expertise ne cesse de susciter des controverses. Mais quoi qu’il en soit, pour remplir son office, une expertise ne saurait concéder ni erreur, ni contradiction. Dans le présent numéro, Christine Grünig, juriste auprès du Tribunal des assurances sociales du canton de Zurich, expose la fonction de l’expertise médicale dans une procédure administrative ou devant les tribunaux administratifs; elle décrit les exigences posées aux spécialistes mandatés à cet effet et nous indique où résident les problèmes. Quant au professeur Victor Meyer, il nous dresse un tableau des expériences récoltées par le Bureau d’expertises extrajudiciaires de la FMH, qui fournit des expertises neutres pour des patients persuadés avoir été victimes d’une erreur médicale. Le Dr Atilay Ileri se met dans la peau de l’avocat d’un patient et considère la position de l’expert médical comme celle d’un juge. A l’appui de cas concrets, il nous explique comment comprendre cette assertion. De son côté, Regina Wide, collaboratrice auprès de la Swiss Re, nous montre quelles chances possède une personne frappée d’une incapacité de gain d’opérer une réinsertion professionnelle. Elle relève l’importance de faire glisser son angle de vision, du point où une personne incapable de travailler examine ce qu’elle ne peut plus faire à celui où elle envisage ce qu’elle peut encore réaliser. Plus tôt se fera le contact avec l’assuré, plus grandes seront ses chances de réintégrer le processus du travail. Au bénéfice de tous. Les prestations servies au titre de l’incapacité de gain grèvent toujours plus les assurances étatiques et sociales. Les expertises médicales jouent un rôle essentiel dans l’appréciation des chances de réinsertion. Chères lectrices, chers lecteurs, j’espère que ce numéro éveillera votre intérêt et vous montrera plus concrètement ce qu’implique une expertise médicale. Dr. Jörg Kistler 4 Expertises médicales dans les cas juridiques Christine Grünig, juriste auprès du Tribunal des assurances sociales du canton de Zurich Limites de l’appréciation juridique d’expertises médicales dans le domaine du droit des assurances sociales 1. L’expertise médicale dans la procédure administrative comme devant les tribunaux administratifs Dans la procédure administrative et devant les tribunaux administratifs portant sur les assurances sociales s’applique notamment le principe de l’instruction, selon lequel l’administration et le tribunal doivent veiller de leur propre chef à l’établissement correct et complet des faits. Ils dépendent à cet effet de documents d’experts médicaux – et, le cas échéant, d’autres experts. Les rapports médicaux constituent donc, avec les autres pièces, la base de la décision qui dira si une personne a droit, et si oui dans quelle mesure, à des prestations en vertu du droit des assurances sociales. A l’échelon de l’administration, la quête de renseignements médicaux a le plus souvent lieu par voie de formulaires contenant des questions standard, et sont interrogés les médecins traitants ainsi que d’autres médecins. Ce n’est que lorsque les rapports sont insuffisants, contradic- toires ou quand l’autorité administrative considère nécessaire une expertise pluridisciplinaire ou établie par un médecin-spécialiste qu’elle mandate l’établissement d’un tel rapport d’expertise. La procédure judiciaire du droit des assurances sociales est généralement exclusivement écrite. Les rapports et expertises médicaux requis dans la procédure administrative revêtent par conséquent une grande importance aussi dans la procédure judiciaire, puisque le tribunal doit apprécier et vérifier objectivement si ces pièces autorisent une appréciation fiable de la prétention litigieuse. Le tribunal dépend donc, pour l’exécution de la procédure, d’un établissement soigneux de la situation sur le plan médical par l’administration d’abord, et de données médicales explicites et compréhensibles. Si les pièces médicales acquises par l’administration ne permettent pas une appréciation concluante du rapport juridique litigieux, le tribunal a la possibilité de renvoyer la cause à l’administration pour élucidation plus complète, de poser des questions aux experts médicaux déjà interrogés par l’administration ou 5 d’exiger de leur part un rapport complémentaire, d’ordonner lui-même une expertise ou de requérir éventuellement une seconde expertise. Le renvoi de l’affaire à l’administration intervient avant tout lorsque le tribunal considère que l’état des faits n’est pas suffisamment établi. Des questions complémentaires à des experts médicaux déjà impliqués dans la procédure administrative ou la requête d’un rapport supplémentaire auprès de telles personnes sont indiquées quand de plus amples éclaircissements ne sont nécessaires que sur certains points particuliers ou lorsque certaines questions n’ont pas reçu de réponses complètes ou suffisamment claires. Mais l’ordonnance visant l’établissement d’une expertise judiciaire sera généralement prise lorsque le tribunal estime que seule un tel rapport est apte à établir les faits. L’expertise ordonnée par le tribunal se distingue essentiellement des rapports et expertises demandés dans la procédure administrative par le fait que le tribunal ne s’écarte pas sans motifs impérieux de l’appréciation de l’expert médical, dont la tâche est précisément de mettre à disposition de la juridiction ses connaissan- ces techniques1, alors que l’expertise requise dans la procédure administrative n’a pas, comparée aux autres pièces médicales, de valeur probatoire accrue. Il reste enfin la possibilité d’exiger une expertise à un autre spécialiste quand l’expertise existante ne permet pas d’appréciation concluante de la prétention litigieuse. 2. Exigences posées en matière d’expertise médicale a) Généralités Selon la jurisprudence, il est déterminant sous l’angle de la valeur probatoire d’une expertise médicale que celle-ci traite entièrement les points litigieux, qu’elle se fonde sur des examens entrepris de toutes parts, qu’elle tienne compte des plaintes émises par le patient et qu’elle s’exprime sur celles-ci comme au sujet du comportement de la personne examinée, qu’elle ait été remise en connaissance des pièces antérieures versées au dossier et, le cas échéant, moyennant analyse desdites pièces, qu’elle soit convaincante dans la présentation des interrelations médicales et dans l’appréciation de la situation médicale, que les conclusions soient fondées d’une manière compréhensible et, si besoin est, qu’elle relève clairement les points 1 ATF 125 V 352 cons. 3b/aa avec renvois 6 d’incertitude et de confusion qu’il n’est pas possible d’évacuer et qui rendent plus difficile ou impossible la réponse aux questions posées2. b) Particularités Lors de l’ordonnance d’une expertise médicale, est importante avant tout, hormis le choix minutieux de l’expert et la prise en compte des droits de participation de l’assuré, la formulation claire des questions. Des questions précises sont tout aussi importantes que des réponses précises. De plus, tant le mandat que l’expertise elle-même sont à rédiger dans une langue compréhensible pour les deux parties – le mandant qui est de formation juridique, et le médecin expert. Dans la procédure liée au droit des assurances sociales, les questions qui intéressent le mandant portent le plus souvent sur le point de savoir de quelle atteinte à la santé souffre l’assuré, depuis quand et dans quelle mesure une telle atteinte a des effets sur sa capacité de travail dans sa profession usuelle et quelles autres activités sont éventuellement possibles et supportables en dépit de l’atteinte à la santé, depuis quand et dans quelle mesure. Ce sont donc généralement ces questions qui sont soumises à l’expert médical. aa) Atteintes à la santé En cas de constatation d’une atteinte à la santé dans l’esprit de la pose d’un diagnostic, il est d’une importance décisive pour le tribunal qu’il puisse s’en faire une idée sans connaissances médicales, à l’aide de la littérature médicale à sa disposition et que le diagnostic qui lui est établi ainsi que la limitation de la capacité de travail qui en est déduite par l’expert le renseignent de manière compréhensible. Un diagnostic qui ne consiste qu’en un terme générique, comme une «réaction dépressive» ou un «syndrome lumbo-vertébral» ne sera pas d’une grande aide. Un diagnostic compréhensible contient donc un diagnostic différentié, une description des symptômes ainsi qu’une brève présentation du déroulement de la maladie, une distinction claire entre ce que ressent subjectivement l’assuré et ce que constate objectivement l’expert étant par ailleurs essentielle. Par conséquent, il est également capital de savoir sur la base de quels examens le diagnostic a été posé. 7 bb) Incapacité de travail dans l’activité professionnelle traditionnelle Le Tribunal fédéral des assurances décrit la notion de l’incapacité de travail dans la profession traditionnelle de la manière suivante: est réputée incapable de travailler une personne qui par suite d’une atteinte à la santé ne peut plus exercer son activité actuelle ou ne peut plus l’exercer que de manière restreinte ou seulement au risque d’aggraver son état de santé3. Le taux de l’incapacité de travail sera déterminé selon le degré où la personne assurée, pour des raisons de santé, ne peut plus exercer utilement et de manière supportable une activité à son poste de travail habituel. Par contre, l’évaluation médico-théorique de l’incapacité de travail telle que le médecin la fixe dans des cas comparables sur la base de valeurs empiriques n’est pas déterminante. N’est pas décisif non plus le point de savoir si la personne assurée utilise effectivement cette capacité de travail ou si, comme cela peut également se produire, elle exerce son activité usuelle au-delà de la mesure qui lui serait tolérable du point de vue médical. cc) Capacité de travail résiduelle exploitable sur le marché général du travail Mis à part la limitation subie dans la profession actuelle, il est une autre question qui retient l’intérêt: est-ce que l’assuré peut, en dépit de sa santé affectée, exercer une autre activité et si oui, dans quelle mesure ou sous quelles limitations? Le spécialiste médical qui procède à l’expertise doit donc également exposer si et dans quelle mesure la personne assurée est limitée dans une autre activité – qui est envisageable au vu de ses conditions personnelles – par son atteinte physique ou intellectuelle. Ces questions se posent de la même façon en présence d’atteintes physiques, lorsqu’il faut par exemple constater si l’assuré porte des objets lourds, exécute des travaux au-dessus de sa tête ou ne peut travailler qu’en alternant la position debout ou assise, ou encore face à des troubles psychiques. Ici aussi, il est décisif pour le droit à la prestation de déterminer comment l’atteinte psychique se répercute sur l’exercice de l’activité professionnelle envisageable pour l’assuré. Est-il encore en mesure, par exemple, de travailler pendant une demi-journée, mais ceci à plein régime, ou au contraire lui est-il possible 2 cf. ATF 122 V 160, cons. 1c ainsi que les renvois cités à la jurisprudence et à la doctrine. Au demeurant, cette jurisprudence ne vaut pas que pour des expertises médicales, mais également pour tout autre rapport ou expertise médicaux demandés dans une procédure administrative 3 ATF 114 V 283 cons. 1c avec renvois 8 d’assurer une présence toute la journée, mais avec une prestation réduite de moitié? L’atteinte a-t-elle des effets sur la capacité de concentration, sur l’aptitude à faire face à la charge de travail et sur le rythme de travail? S’il y a aussi bien atteinte physique que psychique, il y a lieu d’établir clairement dans une expertise psychiatrique si, pourquoi et dans quelle mesure l’atteinte psychique limite encore davantage la performance de l’assuré, en sus de l’incapacité de travail due à l’empêchement physique. L’expert médical n’a cependant pas à exercer la fonction de conseiller professionnel. Il doit uniquement préciser à quel degré l’assuré est limité dans ses fonctions physiques ou intellectuelles. La question de savoir dans quelle mesure il peut utiliser économiquement la capacité de travail résiduelle est l’affaire de l’administration ou du tribunal. 3. Quant les expertises médicales créent-elles problème du point de vue juridique? a) En général On peut dire en résumé que des problèmes apparaissent toujours lorsqu’une expertise médicale ne satisfait pas aux conditions exposées sous chiffre 2. a), quand l’expert ne répond pas complètement ni clairement aux questions posées et lorsque l’expertise n’est pas rédigée dans une langue également compréhensible aux profanes en matière médicale. De même, des problèmes peuvent surgir si l’expert s’exprime sur des circonstances qui sont sans pertinence pour le droit à la prestation en question, ou lorsque son rapport contient une appréciation ou conclusion qui sort de son champ d’activité. S’agissant d’un diagnostic posé, le tribunal est en tout cas lié par l’expertise. Il n’a ni les connaissances techniques, ni la compétence de s’écarter sur ce point d’une expertise médicale. Si un doute naît pour une raison ou une autre à propos du diagnostic établi, le tribunal n’a pas d’autre solution que de faire éventuellement confirmer ou éliminer ce doute par une autre expertise. 9 Même en ce qui concerne l’incapacité de travail attestée médicalement, le tribunal se fonde en général sur les déclarations de l’expert, car il n’a pas la possibilité de faire sa propre évaluation à ce sujet. Pour le tribunal, il est par conséquent décisif que l’expert, en estimant la capacité de travail, dise avec clarté sur quoi elle porte: sur la profession exercée jusqu’alors, sur une activité de remplacement considérée comme supportable ou en général, sur des activités encore supportables. Comme dans la majorité des cas, la capacité de travail sur le marché général du travail, donc la capacité de travail dans diverses professions envisageables pour l’assuré, est déterminante pour le droit aux prestations, l’expert doit porter une attention particulière à cette question dans son rapport. Des déclarations confuses ou contradictoires sur la capacité de travail peuvent – dans le pire des cas – conduire à un jugement incorrect sur le droit aux prestations, mais le plus souvent, la conséquence en est que le tribunal ne peut pas s’en écarter et qu’il faut poser des questions supplémentaires à l’expert. b) Caractère complet de l’expertise L’expertise médicale doit être complète et il s’agit pour son auteur de répondre exhaustivement aux questions posées. A cet effet, il est nécessaire que l’expertise ne porte pas uniquement sur l’examen poussé de l’assuré, mais qu’elle se fasse en connaissance des pièces mises à disposition de l’expert et que celuici, si besoin est, les analyse. La pleine connaissance des pièces au dossier est spécialement cruciale lorsque l’expert doit se prononcer sur la question de la limitation – suite à une maladie – dans une période antérieure remontant parfois à des années auparavant. La connaissance du dossier est également essentielle pour l’appréciation de suites éventuelles d’un accident. La description d’un accident par la personne prétendant aux prestations est souvent teintée de subjectivité. En effet, la perception personnelle de son déroulement et les plaintes qui en résultent font apparaître l’événement autrement qu’il ne s’est réellement passé. Ainsi une expertise sera sans valeur si pour l’appréciation des suites de l’accident, seule sa présentation par l’assuré sert de base, alors que le dossier contient un rapport de police d’où il ressort que l’événement acci- 10 dentel était tout différent et surtout beaucoup moins dramatique que la mémoire de l’assuré ne le présente. En pareil cas, il n’y a pas d’autre solution pour le tribunal que d’ordonner une nouvelle expertise. c) Absence de contradictions L’expertise doit être homogène et exempte de contradictions. Cette exigence en soi convaincante n’est pas toujours aisée à respecter dans les affaires quotidiennes traitées au tribunal. Des problèmes existent avant tout dans le domaine de la capacité de travail de l’assuré examiné par l’expert médical. Ainsi n’est-il pas rare de constater que l’assuré, du point de vue médical, se voit attester une capacité résiduelle de travail considérable pour des activités physiques légères, mais que l’expert mentionne ensuite sans motivation que l’assuré en question n’est pratiquement plus employable sur le marché du travail. Pour le tribunal se pose alors la question suivante: pourquoi, selon l’expert, l’assuré n’est-il plus utilisable sur le marché? Parce que sa seule capacité résiduelle ne consiste plus qu’à exercer des activités simples au point que, toujours du point de vue de l’expert, le marché du travail en général n’en fournit (presque) plus? Il s’agit là d’une appréciation personnelle de l’expert, dont le tribunal ne peut pas tenir compte. Ou n’est-il plus possible de placer utilement l’assuré en raison de ses douleurs? Si tel est le cas, la capacité de travail attestée ne peut pas être correcte. Ou bien, y a-til une autre atteinte à la santé qui exerce des effets supplémentaires sur la capacité de travail? Le cas échéant, il y a lieu de douter du diagnostic. A défaut d’autres documents médicaux à disposition pour aider à répondre à ces questions, le tribunal n’a pas d’autre choix que de recourir à un autre expert. d) Facteurs indépendants de l’atteinte à la santé Il est fréquent que naissent des problèmes lorsque dans l’expertise médicale, on parvient à la conclusion d’une aggravation, voire d’une simulation. Il est alors difficile de savoir si la capacité de travail certifiée se fonde sur des constats établis objectivement sur le plan médical ou sur les données subjectives du patient. S’il s’agit de la deuxième hypothèse, l’expertise doit établir pourquoi l’assuré n’est pas capable d’exploiter la capacité de travail constatée médicalement ou pourquoi celle-ci ne lui est 11 pas supportable. Inversement, dans la première hypothèse, l’expertise doit clairement montrer qu’il est possible ou supportable pour l’assuré, en dépit des plaintes subjectives, d’exercer une activité lucrative dans la mesure attestée. D’autre part, des motifs étrangers à l’invalidité tels que l’âge, la modeste formation scolaire ou le manque de connaissances en langue allemande n’ont rien à voir avec l’appréciation de la capacité de travail. Car de tels motifs, bien qu’ils exercent certainement des effets sur les possibilités de travail et de gain de la personne assurée, n’ont aucun rapport avec l’atteinte à la santé et ne parviennent pas à influencer le droit aux prestations de l’assurance sociale résultant de l’invalidité. Le Tribunal fédéral des assurances a également posé dans un récent arrêt que des situations psychosociales et socioculturelles lourdes à supporter ne pouvaient pas, sous l’angle du droit des assurances sociales, avoir l’effet d’une limitation déterminante de la capacité de travail et que le constat établi par le médecin, «qui trouve une explication suffisante dans le contexte psychosocial et socioculturel et qui, pour ainsi dire, se fond dans ce contexte», ne représente pas une atteinte invalidante à la santé psychique4. e) Objectivité L’expert médical chargé de l’établissement d’une expertise n’est ni l’avocat, ni l’adversaire de l’assuré, et il n’assume pas non plus le rôle d’un détective privé. Des phrases telles que «une demirente revient certainement à ce patient désireux de travailler» n’ont donc pas, en principe, leur place dans une expertise médicale. Car en premier lieu, l’expert s’écarte de son champ de compétence puisque s’exprimer sur le droit à la prestation ne fait pas partie de ses tâches et, d’autre part, l’objectivité de l’expert en ressort – peut-être à tort – égratignée, ce qui diminue sensiblement la valeur probatoire de son rapport. A cela s’ajoute qu’il n’est guère ou pas du tout compréhensible pour l’assuré que, d’un point de vue médical, on affirme qu’un droit à une prestation déterminée est donné alors que, de son côté, le tribunal refuse totalement ou partiellement un tel droit. Mais en matière de déclarations négatives aussi, qui peuvent figurer dans la description de l’apparence extérieure de l’assuré, la prudence est de mise. Ainsi, le Tribunal fédéral 4 ATF 127 V 299 cons. 5a avec renvois 12 des assurances a eu l’occasion de juger d’un cas où le recourant considérait que la description «de type négroïde» dans l’expertise était une appréciation négative et concluait à la partialité de l’expert, ce que le Tribunal fédéral a cependant rejeté5. Par contre, le tribunal des assurances sociales du canton de Zurich a confirmé la partialité de l’expert en se fondant sur les déclarations de celui-ci, qui étaient le résultat d’une demande de renseignements complémentaires effectuée par l’expert lui-même dans le voisinage de l’assuré et selon lesquels le recourant laissait paraître au grand jour, malgré 26 années de séjour en Suisse, un comportement misogyne; toujours aux yeux de l’expert se posait la question de savoir si un tel comportement de base sur les plans socioculturel, politique et religieux avait sa place en Suisse6. Dans un autre cas, l’expert avait fait sans préavis une visite au domicile de l’assuré et contrôlé si celui-ci prenait correctement les médicaments prescrits par le médecin; il était parvenu à la conclusion que l’assuré ne se conformait pas suffisamment aux prescriptions médicales, ce qui voulait dire selon lui que l’assuré entendait tirer profit de ses souffrances; le tribunal a conclu que l’expert était partial et qu’une nouvelle expertise devait être ordonnée7. 4. Conséquences d’une expertise médicale non explicite Il a déjà été mentionné que le tribunal dispose de divers moyens, lorsque les documents médicaux disponibles pour l’appréciation du droit aux prestations litigieuses ne suffisent pas: renvoi pour complément d’élucidation des faits à l’administration, demandes de renseignements à titre de complément ou de précision aux experts qui ont établi un rapport ou une expertise, ou ordonnance d’une nouvelle expertise. En tout état de cause, le tribunal ne peut régler le cas si les pièces médicales et autres ne permettent pas une appréciation fiable du droit aux prestations. Chacune des possibilités mentionnées entraîne une prolongation de la procédure, qui suivant les circonstances dure déjà depuis plusieurs années, une charge psychique et sociale qui s’y ajoute pour l’assuré, et surtout des frais supplémentaires considérables. C’est pourquoi, pour conclure, nous citerons la déclaration d’un médecin: «Autrefois, j’avais coutume de penser qu’un bon méde- 13 cin se soucie de son patient et non pas de questions juridiques et économiques; ces aspects ne sont bons que pour les bureaucrates et les médecins qui ont échoué. Mais avec le temps, j’ai découvert l’importance et la valeur de l’angle juridico-économique d’une atteinte à la santé pour les patients, notamment pour ceux dont le problème réside moins dans la santé que dans l’aspect économique des choses, et avant tout pour ceux qui sont écartés du monde du travail et pour qui, en conséquence, seules les suites économiques de leur état de santé comptent.» 5 ATF 120 V 357 6 Arrêt du 15 février 2001, AI.2000.00068 7 Arrêt du 28 mars 2002, AI.2000.00603 14 Pourquoi faut-il toujours davantage d’expertises? Prof. Dr Viktor E. Meyer Cause de l’évolution du point de vue médical Point de la situation En 1982, la Fédération des médecins suisses FMH a mis sur pied un Bureau d’expertises extrajudiciaires. Le but en est de faciliter l’accès à une expertise médicale neutre aux patients qui pensent avoir été les victimes d’une erreur médicale ou d’une violation de l’obligation de diligence sur le plan médical. Jusqu’à fin 1996, cette prestation de service était gratuite. Au début 1997, un nouveau règlement est entré en vigueur, qui prévoit que chaque requérant doit verser un montant de CHF 500.– (il est possible de renoncer à ce montant lorsque la personne en question a des difficultés financières). Comme le Bureau d’expertises de la FMH a enregistré ses données de manière exemplaire et aisément accessible depuis le départ, je m’appuie essentiellement sur ce matériel chiffré (bibl.) pour mes développements. Un premier survol des données 1982 – 2000 permet d’établir le tableau suivant: de 1982 à 2000, 2442 expertises ont été réalisées en tout, dont 29% ont reçu une réponse affirmative. Si l’on divise ces cas étalés sur 19 ans (1982 – 2000) en deux périodes de 10 et 9 ans, il apparaît que durant les dix premières années (1982 – 1991), 905 expertises ont été effectuées. Et dans 23% de ces cas, une faute a été clairement confirmée. Dans les 9 années suivantes 1992 – 2000, le nombre des expertises établies a passé à 1537 et la faute a été reconnue dans 30% des dossiers (voir tableau 1). Le tableau 2 donne une vue d’ensemble sur les rapports d’expertises fournis en l’an 2000; ils sont répartis entre les spécialités de la chirurgie et la médecine générale, y compris la médecine interne. Ces deux périodes prouvent d’abord la hausse vertigineuse du nombre des expertises et, d’autre part, l’augmentation des affaires où une faute a été nettement confirmée. Si l’on tient compte d’une «période de lancement» de 4 ans (durée choisie arbitrairement) pour le Bureau d’expertises de la FMH, et si l’on suit l’évolution dès 1986 en tranches bisannuelles, on obtient le tableau 3. Il se trouve qu’en 1998, le nombre des expertises a fortement baissé par rapport à 1996. On ne peut pas en tirer une tendance générale, car il s’agit là de la conséquence d’un changement de pratique interne du Bureau d’expertises. 15 Tableau 1 Survol des chiffres globaux des périodes bisannuelles 1982 – 1991 et 1992 – 2000 ainsi que la période entière 1982 – 2000 Période Expertises réalisées Fautes confirmées 1982 – 1991 1992 – 2000 1982 – 2000 1905 1537 2442 23% 30% 29% Nombre d’expertises Fautes confirmées Branches chirurgicales toutes ensemble 95 (78%) 47 (49%) Médecine générale et médecine interne 27 (22%) 11 (41%) Année Expertises établies Fautes confirmées 1986 1988 1990 1992 1994 1996 1998* 2000 050 057 126 150 229 232 140 122 24% 23% 17% 35% 28% 31% 39% 43% Tableau 2 Expertises 2000 Discipline médicale Tableau 3 Comme il en a déjà été fait mention plus haut, un nouveau règlement est entré en force au début 1997, selon lequel tout expertisé devait payer un montant de CHF 500.– pour l’expertise alors que jusqu’en 1996, ce ser- vice était gratuit. C’est un motif essentiel de la chute du nombre des expertises entre 1996 et 1998. Une autre raison réside cependant dans l’intensification de la préconsultation neutre et compétente effectuée par * un nouveau règlement entre * en vigueur (voir texte) 16 le Bureau d’expertises de la FMH lors de l’octroi du mandat. Cette préconsultation a permis de retirer d’un commun accord le mandat dans des affaires qui sont claires dès le départ. Causes principales de l’augmentation du nombre des expertises En général, on doit constater que dans les pays très avancés, la disposition des gens à considérer des atteintes, surtout sur leur propre corps, comme des coups du sort a fortement diminué. Toujours plus souvent, les intéressés tentent de trouver un coupable, de l’amener à rendre compte, à le déclarer responsable par tous les moyens de droit à leur disposition, et faire triompher en conséquence leur prétentions en dommages et intérêts. Il est fort bien connu que cette évolution – spécialement aux USA qui ont un système juridique et une jurisprudence particuliers – a conduit de plus en plus fréquemment à des condamnations assorties d’indemnités tout à fait grotesques, et cela non seulement dans le domaine médical mais aussi dans d’autres branches telles que, par exemple, la responsabilité du fait des produits. Aux États-Unis, on a commencé à parler voici quelques années déjà de ladite «liability crisis», qui a contraint des secteurs entiers de production à mettre la clé sous le paillasson, comme l’avionneur Cessna, il y a de cela quelques années. Dans le secteur de la médecine, cette évolution a entraîné au début des années 70 une hausse vertigineuse des primes de responsabilité civile, en particulier pour les spécialités de la chirurgie américaine. La prime responsabilité civile de mon professeur – je travaillais à l’époque à New York – a subi d’un seul coup, en 1973, une hausse équivalant à 5 fois le montant de la prime, et les chirurgiens de la Harvard Medical School ont examiné sur le plan interne la possibilité de créer leur propre assurance responsabilité civile. Le phénomène a tendance à gagner l’Europe aussi, et il ne reste plus qu’à espérer que les systèmes juridiques européens seront toujours en mesure d’empêcher les excès constatés aux USA. Mais l’Europe semble devenir un marché attrayant pour les avocats américains également, (les États-Unis ont le plus grand nombre d’avocats par tête d’habitant). Il est connu que des études d’avocats spécialisées dans les cas de responsa- 17 bilité civile médicale ont ouvert des filiales en Europe. On parle volontiers à l’heure actuelle de «patients adultes»: on veut dire par là que le patient doit être éclairé le plus largement possible sur la nature et l’efficacité, mais aussi sur les risques potentiels d’un traitement, et éventuellement sur l’existence de traitements alternatifs possibles, afin qu’il puisse assumer un rôle essentiel au cours du processus de décision, pour ou contre une proposition de traitement. L’explication fournie doit être consignée dans la carte du patient; l’idéal serait que ce dernier y appose alors sa signature aussi. En principe, il n’y a rien à objecter à cela. Mais trop souvent malheureusement, les médecins ne prennent pas encore suffisamment au sérieux cette démarche. En effet, dans le domaine de l’information et de la documentation, l’obligation de diligence du médecin est bien trop fréquemment violée, ce qui peut provoquer ensuite des expertises. Durant les 25 dernières années, de nombreux secteurs de la médecine ont connu des développements en partie révolutionnaires, avec l’introduction de nouveaux moyens de traitement souvent franchement specta- culaires, et ce processus se poursuit sans jamais ralentir. Il est évident que la population est informée du phénomène. De nombreuses découvertes positives de la médecine sont une conséquence directe de l’«explosion technologique» du siècle dernier et du siècle actuel. Ceci se vérifie également dans le développement des médias, notamment dans le domaine de l’image. C’est quelque chose de formidable en soi que de voir comment aujourd’hui des procédés médicaux complexes – non seulement des opérations – peuvent être présentés au large public via la télévision. Malheureusement, en dépit de rapports équilibrés et critiques, la multiplication des émissions de ce genre fait que, spécialement lorsque le traitement en question obtient des succès spectaculaires, un sentiment d’attente irréaliste naît dans le public, qu’il est souvent très difficile de corriger après coup. L’étonnement du patient sera tout aussi grand si le traitement n’apporte pas les résultats espérés ou lorsque de surcroît, un dommage survient par la réalisation d’un risque en soi normal, même si ce risque a fait l’objet d’un entretien en bonne et due forme avant le traitement. 18 Les nombreux développements de la médecine ont conduit logiquement – nul médecin ou chirurgien ne peut en effet tout maîtriser – à une fragmentation toujours plus poussée de larges disciplines techniques en un grand nombre de spécialités. Ce n’est que par ce processus de fragmentation que lesdites prestations de la médecine de pointe ont été possibles. La spécialisation n’est cependant justifiée que si les patients peuvent en tirer bénéfice. Mais ceci a pour corollaire que des exigences spécialement élevées sont posées aux spécialistes. Ils doivent être en mesure d’exécuter des traitements souvent complexes pour leur domaine, avec la plus grande compétence, sécurité et le plus haut degré de qualité. En conséquence, cette évolution a également des effets sur la jurisprudence. Ainsi, de nombreux actes qui, il y a 25 ans, tenaient tout simplement du risque opératoire normal, sont considérés aujourd’hui – à juste titre – comme des erreurs médicales. Avec l’apparition d’un dommage se pose toujours plus souvent, sur cette toile de fond, la question d’une faute engageant la responsabilité civile pour le traitement. Afin de tirer au clair une telle présomption, le patient concerné a besoin d’un conseil objectif qui lui permette de confirmer ou d’écarter ses soupçons. Il peut s’adresser à cet effet à diverses personnes ou institutions, comme le médecin traitant (ce qui devrait toujours constituer la première mesure), la direction de l’hôpital (50% des affaires concernent des traitements hospitaliers), au Bureau d’expertises de la FMH, à l’Organisation suisse des patients (OSP), à son assurance de protection juridique (au cas où le patient dispose d’une telle couverture) ou à un avocat. Mais c’est surtout par le contact avec son médecin traitant ou avec les institutions citées en premier lieu que serait possible, le cas échéant, un règlement à l’amiable de dossiers limpides dès le départ, même sans expertise. Selon le service d’expertise de la FMH, les assureurs responsabilité civile ont cependant une nette tendance à ne pratiquement jamais reconnaître une responsabilité quelconque sans se fonder à cet effet sur une expertise. On attribue au premier chef cette évolution aux conséquences d’une vive concurrence entre les assureurs responsabilité civile, qui est ellemême entretenue par la politique des économies menée par la Confédération et les cantons en matière 19 de financement hospitalier. Le Bureau d’expertises de la FMH est arrivé à la conclusion que le problème aigu de la concurrence des primes exerce finalement des effets négatifs sur les patients touchés et en appelle, à titre d’avertissement, aux instances politiques responsables des tarifs hospitaliers (communes, cantons, Confédération), mais aussi aux directeurs des hôpitaux et médecins en chef, pour qu’ils se défendent d’opter en faveur des offres d’assurance les moins chères, sans réfléchir aux conséquences que cette décision peut entraîner (bibl.). Conclusions En résumé, il est possible de distinguer les facteurs suivants, qui ont suscité une augmentation du nombre des expertises médicales: 1. Exigences accrues de notre société en ce qui concerne la sécurité et le succès des traitements médicaux, avec des attentes fréquemment irréalistes. 2. Plus grande complexité du traitement médical avec, en partie, des risques plus élevés. 3. Du coté des médecins, exécution encore insuffisante de l’obligation d’informer et de documenter le patient. 4. Incidences de la politique rigoureuse suivie par les acteurs du système de la santé en matière d’économies à réaliser grâce à la concurrence que se livrent les assureurs responsabilité civile dans le domaine des primes. A presser le citron jusqu’à la dernière goutte, aucun système ne peut fonctionner de manière optimale à long terme. La discussion publique, «Quelle valeur représente le système de la santé pour notre société» aurait dû s’engager depuis longtemps déjà et devient urgente. Dans ce contexte, un modèle d’assurance responsabilité civile permettant de régler à l’amiable toujours davantage de dossiers plus ou moins limpides, et ce même sans expertise médicale, est une partie essentielle d’un système de santé de haute qualité. Pour les experts médicaux, l’établissement d’une expertise dans une affaire claire est démotivant; il occasionne par ailleurs des frais inutiles pour toutes les parties. S’agissant des patients touchés, la perte de temps qui y est liée est une exigence excessive. Bibliographie: Kuhn H. P., Bureau d’expertises extrajudiciaires de la FMH – Période sous rapport: 2000, Fédération des médecins suisses 2001; 82:29/30, 1585 – 1591 Remerciements: Madame S. Friedli, Directrice du Bureau d’expertises extrajudiciaires de la FMH à Berne; je remercie cordialement cette personne pour la mise à disposition des rapports 1982 – 2000 ainsi que pour les informations qu’elle m’a fournies verbalement. 20 L’expert médical en qualité de juge Dr Atiby Ileri Un titre provocateur, à n’en pas douter! Mais cela n’empêche qu’il comporte une grande part de vérité. Certes, cette expression mérite justification, de telle sorte que le médecin comprenne le juriste, alors que l’inverse ne se rencontre guère. De tous les problèmes et conflits opposant toujours davantage les gens entre eux, il en est bien peu que le juge n’est pas appelé à connaître, et la situation n’a pas tendance à s’améliorer. Le juge est donc fréquemment submergé. Le législateur n’est pas sans le savoir non plus, lui qui accorde au juge, ainsi qu’aux parties intéressées au procès, le droit de pallier à la carence de connaissances techniques personnelles en recourant à des spécialistes. Par exemple, l’art. 171 du code de procédure zurichois stipule: «Si l’administration des preuves nécessite des connaissances spéciales que ni le tribunal ni ses membres distincts ne possèdent, il est fait appel aux services d’un expert.» Le médecin est l’expert qui hante le plus souvent les murs des tribunaux, surtout à l’occasion d’actions ouvertes contre les assureurs vie, responsabilité civile, accidents et les assureurs sociaux. On parle alors de dommages de personnes. Très souvent, le demandeur prétend que l’événe- ment en question (accident/erreur médicale) lui a fait subir des dommages physiques et perdre par conséquent, temporairement ou de façon permanente, sa capacité d’exploiter tout ou partie de sa valeur économique. Il est alors question d’argent et la fourchette peut se situer entre quelques milliers et, dans les cas extrêmes, des millions de francs (avec un chiffre à deux positions devant le mot millions). Il est compréhensible que les assureurs entendent se défendre contre ce phénomène. Pour le patient lésé qui réclame, il s’agit de sauver ses moyens d’existence. Dans un tel procès, l’expert médical devient de facto un juge. Le juge doit d’abord demander à l’expert médical si l’événement en question a causé des atteintes (supplémentaires?) à la santé du demandeur. Aussi simple que puisse paraître l’énoncé de cette question, la pratique montre qu’il n’est pas toujours – voire presque jamais – si aisé d’y répondre. Prenons par exemple une position «inadéquate» du corps alléguée par un demandeur à propos d’une opération exécutée sur la colonne vertébrale. Si cette mauvaise position a aggravé l’hémorragie après la blessure d’une veine au 21 point qu’on en soit arrivé lors de son arrêt/coagulation à des dommages portés aux nerfs ainsi qu’à un «syndrome cauda equina», il ne s’agit pas (encore), dans la réponse à cette question, de violation du devoir de diligence du chirurgien, mais de l’appréciation de l’interaction des maillons d’une longue chaîne de causalités: Est-ce que l’intensité de l’hémorragie due à l’absence de valvules dans le système veineux de la colonne vertébrale (par la répercussion de l’augmentation de la pression dans la région abdominale jusque dans les veines du canal spinal) a été augmentée par la position du corps? Ou est-ce que les dommages subis par les vaisseaux sanguins lors de l’opération sont si graves que le positionnement est exclu en tant que cause? Ou bien, cette position est-elle une cause concomitante de la gravité de l’hémorragie? S’il est clair que le positionnement a largement contribué à l’aggravation de l’hémorragie, tout au moins dans l’esprit d’une cause concomitante, l’expert doit prolonger la chaîne des causalités et répondre aux questions suivantes: Est-ce que l’aggravation de l’hémorragie causée par le positionnement a rendu plus délicat l’arrêt sans risque de la source de l’hémorragie et a augmenté la probabilité de causer une atteinte aux nerfs au point que l’on doive répondre par l’affirmative à l’existence d’une part largement causale de la quantité de sang dans la création du dommage porté aux nerfs. Et finalement, il faut mettre un terme à la chaîne de causalités avec le dernier maillon et répondre aux deux questions suivantes: savoir si cette atteinte subie par les nerfs est corresponsable des fortes douleurs dorsales ressenties par le patient ainsi que du «syndrome cauda equina» qui est apparu. Le juge ne formulera certainement pas les questions de manière aussi détaillée, car il lui manque les connaissances médicales nécessaires à cet effet. Souvent, les questions posées par les avocats des patients ne relèvent pas non plus d’une compétence en la matière mais, dans une certaine mesure, des intérêts du patient; et le juge les refuse, car il 22 n’est pas en mesure d’en vérifier objectivement la correction et la pertinence à défaut de posséder luimême des connaissances médicales. La question du magistrat devrait, le cas échéant, avoir la teneur suivante: est-ce que la position du patient pendant l’opération a causé la prétendue paralysie («syndrome cauda equina») et les douleurs dorsales du patient? Si l’expert médical prend la question de façon trop sémantique, il répond nécessairement «non». Pour justifier sa réponse, il expliquera très probablement que le positionnement peut certes causer certains dommages, mais quant à porter une atteinte directe aux fibres nerveuses de la moelle épinière, c’est très invraisemblable. Affirmant cela, l’expert médical se fait juge ou, tout au moins, ce rôle lui est attribué par le tribunal luimême. Les objections et les questions complémentaires du demandeur ne seront pratiquement pas admises par le juge qui, par ailleurs, refusera catégoriquement le principe d’une autre expertise. Le demandeur abandonne la cause, résigné, ou au contraire continue à lutter, porte l’affaire devant l’instance supérieure, même jusqu’au Tribunal fédéral, en présentant des expertises médicales supplémentaires et en se référant à de la doctrine; il cherche en fait à convaincre les tribunaux que la réponse de l’expert médical était fausse. On aurait pu s’épargner toutes ces irritations, ces années de procédure, les coûts et l’épuisement nerveux pour les deux parties. Lorsque l’expert médical remarque (et ceci fait aussi partie de sa tâche), que la question ne vise pas une causalité directe entre la position du corps pendant l’opération et les douleurs du patient et qu’un exposé objectif de la chaîne de causalités précitée, sans mots redoutables en langue étrangère, peut grandement contribuer à la compréhension du déroulement de l’opération, il expliquera toute la chaîne de causalités, comme un instituteur. Il fera remarque alors que la question a été formulée incorrectement ou de manière peu claire; on ne peut y répondre ni par oui, ni par non. Un expert prudent donnera l’une des réponses suivantes: La position du corps pendant l’intervention n’est pas la cause immédiate de la paralysie survenue, mais: 1. Elle est une cause concomitante 2. Elle est probablement une cause concomitante 3. Il est tout à fait possible qu’elle soit une cause concomitante 23 4. Elle peut être une cause concomitante 5. Elle pourrait être une cause concomitante 6. Elle est probablement une cause concomitante ou 7. Elle n’est pas une cause concomitante de l’ensemble des causes des plaintes du patient. Les réponses 2 – 6, bien que correctes sur le plan médico-scientifique, provoqueront des demandes de précisions supplémentaires. Le juge va (devoir) poser des questions complémentaires, car il applique une pensée normative (blanc-noir), ou raisonner ainsi: Est-ce que le positionnement est selon toute vraisemblance possiblement une cause concomitante des plaintes du patient? L’expert doit alors décider laquelle de ces deux options emporte sa conviction. Il n’exerce pas toujours un pouvoir de conception ou de modification. La première option (selon toute vraisemblance) donne raison au demandeur qui gagne dès lors le procès. La deuxième variante conduit à la perte de la cause, ou au rejet de la demande. Mais: il n’y a pas de principe sans exception. C’est pourquoi il convient de préciser un peu ici la notion de «selon toute vraisemblance». «Selon toute vraisemblance» ne suppose pas l’indication en pour cent du degré de probabilité, qui se fonderait de toutes façons sur des statistiques douteuses, mais exige de l’expert médical qu’il pèse le pour et le contre des diverses causes et dise ce qu’il tient pour le plus vraisemblable. Dans le cas présent, l’ensemble de la question serait à formuler en ces termes: Hypothèse 1: le positionnement est une cause concomitante Hypothèse 2: le positionnement n’est pas une cause concomitante. Question: Laquelle de ces deux hypothèses est la plus probable? Il s’en suit trois possibilités de réponse: L’hypothèse 1 est plus probable, l’hypothèse 2 est moins probable L’hypothèse 2 est plus probable, l’hypothèse 1 est moins probable Les deux hypothèses présentent le même degré de probabilité – une réponse scientifiquement claire, défendable avec conviction, n’est pas possible. 24 L’expert doit à ce stade, compte tenu de ces réflexions sur la probabilité, répondre aux questions complémentaires du juge (est-ce le plus vraisemblable ou non). S’il est convaincu que les deux hypothèses présentent le même degré de probabilité, il doit le communiquer au juge et faire sauter l’étroit corset des questions préformulées. Comment le juge apprécie-t-il maintenant ces réponses? Si c’est l’option «selon toute vraisemblance», le demandeur gagne le procès et, inversement, il le perd. Si la troisième réponse aboutit, survient ladite «absence de preuve», qui veut que la partie qui a le fardeau de la preuve perd la cause; dans notre cas, il s’agira très probablement du patient demandeur, car il appartient à celui-ci de prouver que le positionnement est en principe, selon toute vraisemblance (il y a là aussi des exceptions), une cause concomitante du dernier maillon de la chaîne des causalités. Le jeu des questions – réponses devient encore plus complexe lorsque de surcroît, le juge demande à l’expert si ce positionnement (moyennant réponse affirmative à la question de la causalité concomitante) représente une violation du devoir de diligence. Une telle violation suppo- serait qu’il y ait une règle médicalement reconnue concernant la position du corps lors d’une intervention chirurgicale sur la colonne vertébrale. La formulation de règles médicalement reconnues en la matière pose problème, car on ne peut les énoncer avec la précision souhaitée par les juristes, comme pour une norme légale. En l’espèce, l’expert médical assume la tâche du législateur et fixe des normes sans être conscient d’exercer cette activité législative. Ce faisant, l’expert médical n’a pas encore joué son rôle jusqu’au bout. Il doit en effet décider si la règle qu’il a définie a été violée dans le cas concret. Ce processus de réflexion est une activité de juge qui, en langage juridique, est désignée par le terme «qualification». Le juriste qualifie un cas concret à l’aune d’une norme légale et en tire les conséquences prévues par la loi. Cette activité légale et juridique de l’expert médical se joue dans un domaine scientifique dont les portes sont fermées au juge lui-même et pour lequel il se voit donc livré aux mains des experts. C’est alors la tâche de l’avocat du patient plaignant d’offrir au juge l’accès à ce domaine scientifique étranger, au moyen de questions formulées intelligemment, qui suggèrent à 25 l’expert qu’il doit, dans ses réponses fondées sur l’appréciation, veiller à rester dans le cadre de ce qui est scientifiquement défendable et ne pas abuser du pouvoir – qui lui est conféré en qualité de législateur et de juge – selon sa sympathie envers les parties impliquées dans la procédure. Dans ce bref article, il n’est pas possible de présenter entièrement le rôle joué par les experts dans un procès. Les commentaires figurant ciaprès ont pour seule prétention d’indiquer que la quête de justice, dans ces procès où les experts médicaux apportent leur concours, est un sentier encombré de pierres de formats divers, dont il faut faire une voie praticable pour tous. La discussion sur les questions à poser à l’expert ne peut pas se limiter exclusivement au cercle des juristes, les médecins doivent être invités à y participer aussi. Une première tentative de discussion multidisciplinaire sur la formulation des questions à l’attention des experts a été faite lors de la journée du 26 mars 1999. Les participants étaient des juges fédéraux, de notables médecins, avocats et experts en assurances1. Il y aurait lieu de conseiller aux experts médicaux de s’en tenir à la liste de contrôle suivante: 1. Qu’est-ce que les juristes veulent savoir de moi? 2. Les questions sont-elles correctement formulées? 3. Les juristes ont-il compris sur le fond les questions essentielles de la situation médicale? Si des doutes existent, éventuellement à propos de questions confuses: 4. Demander tout de suite ce que les questions veulent vraiment dire. 5. Exposer tout le processus médical (la chaîne de causalités) dans un langage compréhensible et exiger du juge qu’il reformule les questions. Suivant les circonstances, il faut offrir au juge et aux parties intéressées au conflit la possibilité de discuter toute l’affaire avec la participation de tous. Dans les dossiers judiciaires, on peut demander au juge si une audition des experts, avec questions complémentaires des parties, est nécessaire et possible du point du vue procédural. La formulation écrite des questions est souvent incomplète, se fonde sur de fausses hypothèses, est en partie insoutenable sur le plan médical, de sorte que pour toutes ces raisons, il est recommandé d’évoquer oralement tout l’aspect médical. 1 La bande enregistrée de la journée peut être obtenue auprès de: FRAGILE Zürich, Verein für Hirnverletzte Menschen Region Zürich Kreuzstrasse 55 8008 Zürich (tél. 01 262 61 13) 26 La réadaptation avant la rente Regina Wilde, Swiss Re Life & Health Zurich Gestion active des sinistres dans l’assurance-invalidité ou l’assurance incapacité de gain – une nouvelle distribution des rôles Introduction La gestion active des sinistres a atteint un immense degré de notoriété à l’échelle mondiale avec les nouvelles professions du casemanager (gestionnaire de cas) et du rehamanager (gestionnaire de la réadaptation). Dans tous les pays où sont distribués des produits d’assurance servant des prestations en fonction d’une réduction des performances due à des atteintes à la santé, les charges de sinistres ont massivement augmenté au cours des dernières années. C’est pourquoi les collaborateurs des assurances privées et étatiques réfléchissent sur la manière d’optimiser les résultats par un soutien approprié des assurés. Ainsi, il s’agit d’obtenir deux objectifs dans chaque cas. D’abord, le degré de satisfaction de l’assuré doit croître grâce au fait que celui-ci obtient une réadaptation globale rapide, bien huilée et faisant l’objet d’un bon suivi (sur le plan médical, social et professionnel). Sous l’angle des résultats, une telle réadaptation est supérieure aux mesures traditionnelles. En deuxième lieu, l’industrie de l’assu- rance doit en profiter, puisqu’elle retrouve plusieurs fois, au bout du compte, les moyens financiers accrus engagés à court terme. La Suisse dispose depuis des années d’un exemple très évocateur avec le (new) casemanagement de la SUVA. Nous enregistrons aussi les efforts tout récents de nombreux assureursmaladie et responsabilité civile véhicules automobiles, qui ont développé des concepts adaptés à certains types de maladie, durées d’incapacité de travail, ou séquelles d’accident. Qu’est-ce qui empêche encore la majorité des assureurs vie de s’engager dans cette voie en Suisse? Les arguments sont toujours les mêmes (et étaient parfaitement connus sur les autres marchés d’assurance avant l’introduction d’une gestion active des sinistres). Nous manquons de collaborateurs dotés d’une qualification adéquate. Les collaborateurs n’ont pas suffisamment de temps pour effectuer une gestion active des sinistres. La qualité des «offreurs» de prestations n’est pas évaluable en ce domaine. Il n’y a pas encore de matériel statistique efficace en Suisse pour prouver que la charge y relative permettra à long terme des économies ou, tout simplement, qu’elle se justifie véritablement. En 27 outre, les assurés pensent alors que les sociétés d’assurance cherchent de nouveaux moyens de ne pas payer les prestations qui leur sont dues. Il est aisé de réfuter cette argumentation au vu des expériences réalisées sur d’autres marchés. En fait, parmi tous les autres assureurs vie en Suisse, on ne rencontre pas seulement des sociétés intéressées par ce projet, mais certaines sont même prêtes à s’engager sur cette voie. Le véritable obstacle se trouve dans les détails: où faut-il commencer et quelles étapes seront exécutées par qui? Une nouvelle répartition des fonctions exige de nouvelles qualifications, comme on l’expliquera ci-dessous. Acquisition des informations nécessaires Fort souvent, ni l’assuré ni le médecin ne savent clairement à quelles fins quelles informations sont nécessaires en cas de sinistre. De plus, l’assuré se retrouve dans une nouvelle situation de vie; il lui faut d’abord se resituer, lorsqu’il réalise qu’il doit désormais prendre en compte des atteintes permanentes à son état de santé dans chaque compartiment de sa vie. Après un accident, il est généralement possible de bien suivre un blessé, de façon globale. Mais pour que tel soit peut- être le cas après une maladie que réserve le sort, il faut pouvoir compter sur une clinique mettant à disposition de l’assuré un programme spécialement adapté à sa maladie. Ou cela pourra aussi se réaliser si le patient est par hasard affilié à une assurancemaladie qui lui garantit la gestion de son cas en fonction de sa situation concrète. Un cas standard à titre d’exemple Un assuré de 37 ans travaille en qualité de garagiste indépendant; il est assisté dans sa tâche par deux collaborateurs, dont un est titulaire d’un diplôme de mécanicien sur auto alors que l’autre a été formé à titre d’auxiliaire. La femme de l’assuré assume les tâches administratives et s’occupe des enfants. Depuis quatre ans environ, ce patron souffre, peut-être deux fois par an, de douleurs dorsales très intenses. Le plus souvent, il va d’abord trouver son médecin lorsque, souffrant trop, il ne peut plus faire face. Le médecin lui administre alors une injection et le fournit en tablettes analgésiques. En juillet 2001 et pour la première fois, les douleurs ne disparaissent plus totalement après ce traitement. L’assuré se soumet à un examen et le diagnostic posé consiste en une hernie discale dans le bas du dos. Le 28 médecin traitant atteste d’une incapacité de travail dans la profession du moment. Il recommande à l’assuré de s’adresser à son assurance pour lui réclamer des indemnités de perte de gain. Sous le régime d’une gestion active des sinistres, il est en pareil cas idéal de visiter l’assuré à la maison. Comme celui-ci est indépendant, il s’agit de procéder à une analyse de la profession exercée concrètement en dernier lieu, moyennant inspection du poste de travail, afin de pouvoir comparer les exigences de la fonction en question avec la capacité de travail rési- duelle. Le médecin traitant (ou un autre expert idoine) sera prié de déterminer les effets médicaux de la maladie et ses conséquences sur la profession exercée concrètement jusqu’alors par le patient (ou d’autres professions adéquates). En l’occurrence, il y a également lieu d’intégrer le champ d’activité et les capacités des autres collaborateurs dans l’appréciation de la situation, dans l’hypothèse d’une réorganisation admissible de l’entreprise. S’agissant de la décision relative à la performance, il faut alors d’établir du point de vue du droit des assurances Comparaison entre les exigences de la profession et la performance de l’assuré1 Travail au-dessus de la tête Travail le buste penché en avant Travail exposé aux courants d’air Travail des deux mains Travail alternativement en position debout, assise et en marche Travail essentiellement debout Exigences de la profession Performance de l’assuré 29 dans quelle mesure la réduction de la performance engendre une perte de revenu. Le rôle primordial des médecins A défaut de la participation du médecin dans un cas de prestation au titre de l’invalidité ou de l’incapacité de gain, il n’est pas possible de vérifier si et dans quelle mesure la prétention est justifiée. Les conditions d’assurance exigent déjà de leur côté des certificats médicaux. Le rôle des médecins consiste d’abord à analyser l’état médical de leur patient, puis à fournir aux sociétés d’assurances concernées les informations nécessaires. Ce faisant, ils devraient demeurer neutres dans leurs assertions sous l’angle du droit des assurances, autrement dit ils ne devraient donner aucune indication à leur patient concernant le degré d’invalidité ou le processus de décision. Mais revenons au cas de notre garagiste: le médecin a judicieusement fait remarquer à son client qu’à ses yeux, il serait raisonnable de discuter avec les sociétés d’assurances pour demander des prestations de perte de gain. L’assuré doit savoir auprès de quelle société il est couvert et quelle prétention faire valoir à quel moment. A la rigueur, il peut s’adresser à son agent d’assurances ou directement aux com- pagnies concernées. Son médecin traitant est prêt à remplir quelques formulaires à des fins de contrôle de la prétention2. Un spécialiste ou un médecin de clinique pourraient même, le cas échéant, établir une expertise3. Est essentielle dans ce contexte la possibilité, sans restriction pour le médecin, d’insérer dans ses rapports ou expertises des remarques au sujet de mesures nécessaires ou de moyens auxiliaires. Même la description d’impressions peut s’avérer très utile pour les compagnies d’assurances lorsque, s’agissant de mesures nécessaires, la prise en charge des coûts ne se fait pas ou pas en temps voulu, ou si quelque chose fait obstacle au succès des mesures en question, et que la pratique médicale ne peut exercer aucune influence à ce sujet. Dans notre exemple décrit, il est indiqué d’interroger le garagiste à l’occasion d’une visite effectuée dans le cadre d’une gestion active du sinistre pour savoir où il est traité, quelles sont les mesures déjà prévues, et comment il juge les possibilités de réinsertion professionnelle dans son entreprise. En outre, il convient de lui demander son accord pour un entretien avec le médecin traitant, pour le cas où il serait judicieux de discuter avec celuici de la suite de la réadaptation. 1 Cf. Versicherungsmedizin: 1998, Heft 1; «Berufskunde» und Versicherungsmedizin; 1998; Heft 3; «Positives und negatives Leistungsbild» 2 Communications des assureurs vie à la Fédérations des médecins suisses; Le certificat médical; Association Suisse d’Assurances 2001/1, juillet 2001; p. 13 – 15 3 Communications des assureurs vie à la Fédérations des médecins suisses; Le certificat médical; Association Suisse d’Assurances 2001/1, juillet 2001; p. 16 – 20 30 Il ressort fréquemment d’entretiens avec l’assuré et/ou avec son médecin traitant que de leur côté, ils ont l’impression que toutes les informations leur seraient demandées à plus d’une reprise, par plusieurs services, voire par le même service. Le meilleur argument pour une gestion active du sinistre est que grâce à une bonne communication, de telles situations pourront être nettement mieux coordonnées, les questions seront guidées de façon centralisée auprès des médecins et l’on évitera ainsi les doubles emplois. Communication et coordination L’une des conditions essentielles de la gestion active des sinistres est que face à l’assuré, il ne doit y avoir qu’un seul interlocuteur méritant sa confiance et lui garantissant la transparence dans toutes les procédures. La personne assurée est jusqu’à présent la seule constante (parfois l’une de deux constantes, lorsque le médecin traitant est impliqué dans tous les processus) dès l’apparition de la maladie jusqu’à la réinsertion dans la vie professionnelle. Il est typique de constater que presque tous les traitements et consultations sont actuellement effectués par des prestataires différents et que les interlocuteurs de l’assuré changent selon le centre des préoccupations. Dans l’exemple du garagiste, il se trouve que l’assureur indemnité journalière maladie était déjà en possession de certains renseignements médicaux qui n’ont pas été remis au département chargé des prestations de soins de l’assurance-maladie. C’est ainsi qu’une réadaptation en milieu ambulatoire a pris du retard. Dans l’intervalle, le collaborateur qualifié de l’assuré, dont on a parlé plus haut, a déjà reporté une fois ses vacances de sorte que l’assuré est mis sous pression pour respecter les délais prévus pour ses mesures ambulatoires. Mentalement, il est constamment dans son entreprise; il n’a pas de temps pour des mesures spéciales indiquées. Il doit assumer la surveillance de son entreprise en sus de sa réadaptation pour éviter la fermeture de son commerce. Par conséquent, il reçoit sous un stress permanent une version minimale de la mesure ambulatoire prévue. Admettons maintenant que l’assuré ait eu suffisamment tôt, à ses côtés, un gestionnaire de cas ou de réadaptation en qualité d’interlocuteur. Le gestionnaire se serait occupé, d’entente avec le médecin traitant et le «répondant des coûts», des mesures à 31 prendre pour que la réadaptation ambulatoire de l’assuré commence au bon moment, autrement dit le plus tôt possible. En outre, il aurait expliqué à l’assuré que des mesures de cette nature ne peuvent pas s’exécuter «comme ça, en passant». Les conditions requises pour le succès d’une mesure de réadaptation sont la motivation de l’intéressé ainsi que sa pleine volonté à s’engager pour l’objectif visé et son attention sans compromission. L’implication de la personne concernée dans l’exploitation commerciale pendant la phase de réadaptation a lieu, précisément pour des indépendants, après avoir pesé le pour et le contre à long terme, sur le plan de la santé et de la situation économique, sans surmenage. Elle serait donc planifiée soigneusement et ferait l’objet d’un réexamen constant, de concert avec le médecin. L’assuré lui-même doit être d’accord avec toutes les étapes prévues si l’on veut que sa motivation demeure intacte. De temps à autre, le médecin traitant se trouve dans une situation délicate: il propose des mesures dont le patient ne veut pas pour des raisons personnelles. Le médecin traitant aurait peut-être avantage de proposer alors à la société d’assurances que, s’agissant de mesures supplémentaires, une expertise neutre soit mandatée. Le médecin traitant ne perd pas ainsi la confiance de son patient et l’expert est en mesure de proposer à sa place les mesures nécessaires au répondant des coûts, pour la suite du traitement. Tâches au sein du service des prestations Jusqu’à maintenant, l’attention du service des prestations au titre de l’invalidité ou de l’incapacité de gain se focalisait sur l’appréciation de ce que l’assuré pouvait toujours faire ou ne plus faire. Là-dessus, une décision intervenait à propos de ce qu’il était incapable de faire, et sous quel angle. La perte de revenu était le plus souvent prise en charge en fonction des calculs de l’AI. A l’avenir, le garagiste de 37 ans aura peut-être de la peine à exécuter des réparations à l’aide de ses deux mains, le buste penché en avant sur le moteur d’un véhicule, sans pause durant toute la journée (alors que, quand il était encore en bonne santé et que le carnet de commandes était bien rempli, cela pouvait aisément aller jusqu’à 12 heures), et ce pendant cinq à six jours par semaines. Dans le cadre d’une gestion active des sinistres, on recherchera de surcroît, en concours avec l’assuré et d’autres 32 personnes participant au processus, de saisir exactement le potentiel existant. Puis les capacités résiduelles seront exploitées, pour développer avec l’intéressé des plans pour sa réinsertion – la meilleure possible – dans la vie active. Pour ce faire, les décideurs exploiteront également tous les moyens auxiliaires à disposition. En ce qui concerne les indépendants occupant des employés, il faut examiner d’autre part de nouvelles répartitions de tâches, envisageables et pertinentes, dans l’optique d’une réorganisation. Par conséquent, il est nécessaire d’obtenir du médecin traitant ou de l’expert des informations sur les aspects essentiels de l’évolution de la maladie et de la performance de l’assuré: 1. Traitement effectué jusqu’alors, avec résultat 2. Possibilités et limites d’une amélioration de l’état de santé actuel 3. Potentialités de réadaptation 4. Tableau positif et négatif de la performance du patient 5. Pronostic, y compris le maximum atteignable Le formulaire jaune de certificat médical utilisé jusqu’à maintenant ne demandait pas des indications aussi concrètes. C’est pourquoi les assureurs vie se sont retrouvés l’an passé dans un groupe de travail ad hoc, pour revoir le formulaire. Le projet portant sur un certificat initial et subséquent soigneusement mis au point et répondant aux nouvelles exigences est maintenant déposé auprès de la commission pour les relations avec la Fédération des médecins suisses, à des fins de discussion. Le service des prestations d’une compagnie d’assurances doit être lui aussi, cela va de soi, en mesure d’évaluer et d’utiliser les données demandées. Il importe donc de former les collaborateurs en conséquence, jusqu’à ce qu’ils soient au moins en mesure de reconnaître des sinistres potentiellement de nature à nécessiter une gestion active du cas, et de les transmettre à des partenaires du réseau désignés au préalable. Implication de partenaires du réseau des assurances vie Pour pouvoir rencontrer le succès dans la gestion active des sinistres, tout assureur vie doit étudier précisément quelles sont les tâches que ses collaborateurs peuvent et veulent exécuter eux-mêmes, et quelles sont celles que ces collaborateurs doivent 33 transmettre auxdits partenaires du réseau. Il est extrêmement important de choisir à cet égard l’interlocuteur qualifié pour les exigences respectives. Tout aussi vital s’avère le fait de ne pas tester simultanément et sans discernement toutes les prestations de service imaginables, mais de toujours prendre en considération leur nécessité et leur efficacité. Les collaborateurs du service des prestations doivent soit coordonner soigneusement eux-mêmes le processus et savoir qui, à chaque phase, est le partenaire qualifié du réseau, soit il s’agit pour eux de recourir aux services de gestionnaires externes du cas ou de la réadaptation. Faire appel à des prestataires de service externes ne dispense pas les collaborateurs de l’obligation de reconnaître, sélectionner et transmettre les cas adéquats. Pour faciliter les choses, l’assuré devrait être informé à temps et par écrit de ce à quoi il doit s’attendre du fait de la cession de la gestion du dossier à des prestataires externes. Ceuxci devraient être munis de toutes les informations à disposition au sujet du sinistre ainsi que de pouvoirs adéquats. Quant à notre garagiste, il est informé qu’il recevra chez lui la visite d’un gestionnaire de la réadaptation, qui est délégué par le réassureur de la compagnie d’assurances vie pour un conseil sans engagement, dans l’esprit d’un service à domicile. A ce stade, sa réadaptation en milieu ambulatoire est achevée depuis quelques mois. Le résultat consiste en fait en une situation inchangée par rapport à la période précédant la réadaptation. D’autres exercices de rééducation à faire à la maison sont montrés et recommandés au patient. Il n’y a pas d’indication d’opération. L’incapacité de travail de 70% dure à ce moment-là depuis sept mois déjà. L’assureur LPP a accordé une libération du service des primes après 3 mois. L’assureur vie (invalidité individuelle) doit fournir une rente après un délai d’attente de six mois, si les conditions y afférentes du contrat sont remplies. Un rendez-vous est fixé par téléphone avec l’assuré pour la semaine suivante. A cette occasion, il est conseillé globalement sur sa situation du point de vue du droit des assurances. Il a donné son accord de principe pour un entretien avec le médecin. Il aimerait bien continuer à gérer son affaire, mais ne sait pas comment il peut y parvenir étant donné son état de santé. Le gestionnaire de la réhabilitation obtient l’accord écrit de l’assuré pour la demande de tous les renseignements 34 nécessaires auprès des médecins, centres de réadaptation et sociétés d’assurances. A cette fin, l’assuré délie expressément ces organes du secret de fonction. Le gestionnaire de la réadaptation a déjà pu se procurer au cours de l’entretien avec le garagiste la liste de tous les services intéressés, ainsi que leur adresse et numéro de téléphone, avec le nom des interlocuteurs respectifs. Toutes ces personnes sont d’abord contactées par téléphone depuis le bureau et savent dès lors ce qui va se passer. Après avoir déterminé quelles sont les informations utiles, des demandes y relatives sont faites par écrit, sous adjonction de la déclaration d’accord et de levée du secret de fonction signée par l’assuré ainsi que de sa procuration. Après réception de tous les documents requis et discussion avec le médecin-conseil du réassureur, les propositions élaborées sont présentées à l’assuré au cours d’un deuxième entretien. Selon dites propositions, l’assuré doit d’abord se faire examiner par un expert, dont le mandat est de juger plus précisément de sa capacité fonctionnelle. Le gestionnaire de la réadaptation avait fait réserver par précaution une date pour la semaine suivante. De plus, l’expert prend position dans son rapport sur les aspects positifs et négatifs de la situation, et soumet des propositions pour la suite de la réadaptation sur le plan médical. L’assuré aimerait bien discuter de ces propositions avec son médecin traitant. Il décline l’offre du gestionnaire qui lui proposait de l’accompagner. Le médecin traitant de l’assuré est d’accord avec le processus proposé par l’expert. En ce qui concerne la capacité fonctionnelle du patient, un médecin du travail est désigné après le dépôt de l’expertise afin d’examiner en présence du gestionnaire et de l’assuré le poste de travail de ce dernier. C’est également l’occasion de mettre en parallèle la performance résiduelle de l’assuré et les exigences du poste. Avec le concours de l’assuré et du gestionnaire de la réadaptation, des suggestions sont faites pour un engagement pertinent de l’assuré pendant la période de réadaptation. Un plan de réinsertion progressive, avec désignation concrète des objectifs partiels, est établi avec l’assuré. Le médecin traitant de l’assureur reçoit copie de ce plan. La prise en charge des coûts de la réadaptation ambulatoire renouvelée et de l’admission de l’assuré dans un centre de réadaptation adéquat a été réglée par 35 le gestionnaire. Le médecin traitant accepte par téléphone d’informer immédiatement le gestionnaire lorsqu’un des objectifs du plan de réinsertion ne peut être atteint, ou que l’état de santé de l’assuré se péjore. Mais tel ne sera pas le cas. Après neuf mois au total, l’assuré peut à nouveau exercer son activité professionnelle à concurrence de 50% de sa performance antérieure, après dix mois à 60% et, dès le 1er mai 2002, à 70%. Tant l’assuré que le médecin traitant sont persuadés que sans le travail de coordination du gestionnaire, le premier nommé serait toujours en incapacité de travail à raison de 70%, comme en janvier 2002. Par conséquent, l’installation d’un état chronique en serait déjà à un stade fort avancé en mai et il est douteux que l’assuré aurait pu maintenir la rentabilité de son entreprise, à moyen comme à long terme, avec un engagement si minime de sa part. L’avantage supplémentaire d’une intervention précoce Avoir connaissance très tôt d’un sinistre permet d’influencer à temps l’évolution du cas, avant d’en arriver à des expériences peu réjouissantes qui ne manquent pas de tempérer la motivation de l’assuré. Voilà qui ne revient pas encore à prétendre que dans chaque cas, une «correction» de la procédure soit nécessaire. Mais il est bien plus aisé de soutenir les assurés déjà fort tôt dans les dossiers qui s’y prêtent. Tous les assurés trouvent leur bénéfice lorsque l’assureur vie prend connaissance à temps de tous les sinistres. C’est une tâche de l’assureur vie que de découvrir parmi les processus en cours ceux qui méritent l’investissement de moyens accrus pour atteindre les objectifs mentionnés au début. En Allemagne, deux grands assureurs vie ont établi un projet à long terme en ce sens. Le souci numéro un consistait à définir qui était le premier à apprendre l’existence des cas de sinistre. Dans le projet, la réponse s’est révélée très simple: le département des ventes a des relations si étroites avec les clients que l’associer au processus constitue la voie la plus judicieuse. Dans le cadre d’activités de formation étalées sur deux ans, le service a été sensibilisé à cet aspect des choses. Il en est résulté dans le cadre du projet une large coopération, y compris des annonces de sinistres très précoces émises par la vente, en accord avec l’assuré. L’évaluation des résultats qui a suivi la mise en œuvre du projet en disait long après une année déjà. La 36 satisfaction des assurés avait fortement augmenté, sans compter les économies réalisées sur le plan financier par les assureurs vie. Dans l’exemple du garagiste, le médecin traitant de l’assuré aurait pu se demander, déjà au cours de la période de quatre ans qui a précédé l’incapacité de travail assez longue, pourquoi un jeune homme bien entraîné avait besoin deux fois par an d’un traitement par injections et analgésiques pour soulager des douleurs dorsales intenses. Une solution créative aurait pu consister, dès la deuxième année, en des mesures ciblées pour renforcer la musculature du dos ou suggérer une école du dos pour une charge correcte – du point de vue de la colonne vertébrale – de l’appareil de soutien et de locomotion. D’après les expériences actuelles faites avec cet assuré, il n’aurait pas nécessairement fallu en arriver à une incapacité de travail permanente si la musculature du dos avait été renforcée et si le poste de travail avait été conçu de telle sorte que les mouvements appropriés pour la colonne, effectués en levant ou en portant des objets et en se penchant, soient moins éprouvants. Il est probable que dans de telles conditions, l’assuré serait encore capable de s’engager à 100% dans son travail, à l’heure actuelle. Mais comment peuton institutionnaliser une telle procédure? Dans le domaine des assureurs indemnité journalière maladie et LPP, des informations très précoces ainsi qu’une volonté de collaborer en cas de sinistre peuvent être encouragées par un système de récompenses conçu sous forme de réduction des primes4. Sont envisageables une gestion ciblée des absences chez un employeur ou des concepts pertinents pour la promotion de la santé tels qu’ils sont actuellement développés en un projet dans le domaine des PME, avec le concours de l’EPF Zurich. Moyennant prise en compte de la situation tendue en matière de personnel auprès des organes des assurances sociales (en particulier à l’AI), les assureurs vie pourraient promouvoir sur le marché, à titre de service extraordinaire, l’engagement du gestionnaire de cas ou de réadaptation pour soutenir l’assuré dans sa situation de vie nouvelle et difficile. Les assurés devraient être informés de cette option dans le cadre d’une lettretype. Le service pourrait débuter en fonction du moment de l’annonce et, par exemple, se focaliser d’abord sur certaines maladies. C’est ici l’occasion de préciser à titre de mise en garde 37 sommaire qu’il faut bien sûr qu’un tel service soit ensuite garanti, ce qui implique qu’une structure d’appui soit d’abord développée avec les experts respectifs, avant que le service ne soit offert sur l’ensemble du territoire national. Conclusion Avec une gestion active des sinistres, il est effectivement possible d’obtenir beaucoup de choses. Les études portant sur le caractère économique d’une telle mesure ont montré partout que les moyens engagés par les assureurs vie ont permis d’épargner un multiple du montant en question (le plus souvent avec le facteur 9). L’utilité de médecins qualifiés pour le conseil des collaborateurs du service des prestations a vraiment fait ses preuves. Une collaboration étroite et bien coordonnée, empreinte d’un haut degré de volonté de coopération et de communication avec les médecins appelés à traiter ou à expertiser, est absolument nécessaire si l’on veut que le succès soit au rendez-vous. La même exigence s’applique à la coordination entre toutes les personnes impliquées dans le processus. L’assuré doit être informé précisément, à chaque phase, sur ce qui est prévu et sur l’avantage qu’il en tirera. Sans l’accord et la motivation de l’assuré, les meilleurs plans sont vains. Tout assureur vie devrait s’engager sur cette voie mais surtout, il devrait faire une célèbre petite étape – qui est en fait l’étape suivante, à déterminer individuellement pour chaque assureur. 4 Cf. Albrecht, Martin; Versicherungsökonomische Besonderheiten des Invaliditätsrisikos; Editions P.C.O. Bayreuth; 2001, p. 203 – 206 38 Le cas pratique Andreas Schneider, Horgen Limites de l’interprétation juridique d’expertises médicales dans l’assurance-accidents – un cas tiré de la pratique Le cas F., né en 1960, est victime en janvier 1990 d’un accident de luge dont le déroulement exact n’est pas clair. Le médecin de famille de F. diagnostique alors, entre autres, une distorsion de la colonne cervicale. D’autres examens médicaux sont entrepris par un neurologue et un orthopédiste. Sur ce, l’assurance-accidents de F. octroie par voie de décision une indemnité pour atteinte à l’intégrité de 15%, décision contre laquelle F. fait opposition. L’assureur-accidents demande ensuite au Centre médical à X une expertise multidisciplinaire de l’assuré. Ce centre pose notamment le diagnostic d’un blocage résiduel de la colonne cervicale à la hauteur de la nuque de F. et confirme l’évaluation de l’assureur en ce qui concerne le degré d’invalidité médico-théorique de l’assuré. L’assureur-accidents rejette alors l’opposition de F. qui, de son côté, dépose recours contre cette décision auprès du tribunal des assurances du canton Y. Pour motiver son recours, F. produit une expertise qu’il a mandatée unila- téralement (expertise de partie), dans laquelle son auteur se fonde sur une instabilité dans la région de la colonne cervicale, à la hauteur de la nuque de F., ainsi que sur une invalidité médicothéorique de 25%. Comme des divergences importantes existent entre les deux expertises, le tribunal ordonne une nouvelle expertise auprès du professeur Z, qui suit pour l’essentiel le point de vue de l’expertise produite par F. Le tribunal fixe donc à 25% l’invalidité médico-théorique de l’assuré ainsi que l’indemnité pour atteinte à l’intégrité qui s’en suit. La motivation de l’arrêt du tribunal Le tribunal pose dans les motifs de son jugement que le juge des assurances sociales doit, en libre appréciation des moyens de preuve et indépendamment de l’origine de ceux-ci, examiner objectivement tous ces moyens et décider s’ils permettent une appréciation fiable de la cause litigieuse. Le fait qu’une expertise demandée par l’une des parties soit produite dans la procédure ne justifie à lui seul aucun doute à propos de sa valeur probatoire. S’agissant de la valeur probatoire d’un rapport médical ou d’une expertise, il est déterminant, toujours selon le tribunal, de savoir si ce document 39 couvre toute la question qui fait l’objet de l’action, si elle se fonde sur des examens entrepris sous tous les angles, si elle prend en considération toutes les plaintes exprimées par le patient, si elle éclaire la situation médicale dans son exposé et si les conclusions finales de l’expert sont motivées de telle façon que la cour ou le juge appelé à statuer peut les comprendre. Bien que des certificats et expertises médicaux étrangers – l’expertise privée avait été requise dans le cas présent à l’étranger – soient reçues avec certaines réserves dans la pratique, leur valeur probatoire doit être appréciée, elle aussi, à l’appui des critères précités. En particulier, le juge des assurances sociales ne doit pas, en présence de rapports médicaux contradictoires, régler la procédure sans apprécier l’ensemble des moyens de preuve ni donner les motifs pour lesquels il se fonde sur l’un d’entre eux et non pas sur l’autre. En cas de doute à propos d’opinions médicales divergentes qui ne peuvent être évacués dans le cadre de l’appréciation juridique faite par le juge, une expertise supplémentaire doit être exigée à titre d’éclaircissement, qui est confiée à un expert n’ayant jamais eu à se pencher jusqu’alors sur l’affaire en question. Ce n’est que si le nouvel expert mandaté ne peut pas établir non plus la situation médicale que s’applique la règle générale du fardeau de la preuve, selon laquelle il y a lieu de trancher au détriment de la partie qui déduit des droits de l’allégation non prouvée. L’assuré supporte donc le risque de la preuve pour les faits qui motivent sa prétention, ainsi pour l’existence d’une invalidité médicothéorique, alors que le défaut de preuve de faits excluant la prétention (état antérieur, etc.) aurait des incidences en défaveur de l’assureur. Cette répartition du fardeau de la preuve ne trouve cependant pas sa place dans le cas d’espèce, car il a été possible d’établir, sur la base de la nouvelle expertise rendue par le prof. Z., la cause de l’atteinte à la santé avec le degré probatoire usuel de la vraisemblance prépondérante qui s’applique dans le droit des assurances sociales. Le commentaire Le présent cas montre fort bien les limites de l’interprétation juridique d’expertises médicales. Dans le dossier médical, il y avait de trop grandes divergences entre les divers avis médicaux concernant les suites somatiques de l’événement accidentel 40 assuré pour pouvoir les éliminer par la voie de l’appréciation des preuves, tâche qui revient au juge. Mais il faut préciser que le tribunal, dans le cadre du principe de l’instruction qu’il doit respecter en droit des assurances sociales, était tenu de faire procéder à ces éclaircissements supplémentaires sur le plan médical. Le même problème ne se pose pas seulement lorsque, comme c’est le cas en l’occurrence, deux avis médicaux sont contradictoires, mais aussi quand il n’y a qu’une seule expertise qui s’avère contradictoire, confuse ou incomplète. Afin d’éviter cette situation, désagréable avant tout pour l’assuré – dans le cas présent, il a fallu quelques années avant que son droit ait force de chose jugée – l’assureur-accidents et l’avocat du lésé devraient s’efforcer d’éliminer suffisamment tôt d’éventuelles divergences dans le dossier médical, avec le concours de médecins. En ce domaine, les médecins sont en mesure de fournir une contribution essentielle avec des réponses liant le plus possible les parties, réponses à des questions claires (!). A cet égard, il est important que les éclaircissements ne soient pas multidisciplinaires mais interdisciplinaires. Les médecins devraient enfin s’exprimer dans un langage qui permette aux personnes ou organes appliquant le droit (tels que le juriste de l’assurance, l’avocat et le juge) de comprendre en leur qualité de non-médecin, leurs positions sur le plan médical. L’idéal serait que l’avis donné par l’expert médical parle de lui-même et ne nécessite aucune interprétation de la part des juristes. C’est l’assuré qui profite au premier chef d’une telle situation, puisqu’il s’évite ainsi des mesures médicales non coordonnées et d’interminables discussions juridiques. De plus, ce mode de procéder facilite très notablement le travail du juge, pour autant que l’on en arrive jusqu’au procès. En effet, il n’a d’abord pas besoin, lui qui n’est pas médecin, de faire face à cette situation désagréable consistant à motiver dans son jugement pourquoi il suit une thèse plutôt qu’une autre en cas d’avis médicaux divergents. D’autre part, si le procès ne permet pas de prouver avec une vraisemblance prépondérante qu’une variante des faits se vérifie, il ne lui reste pas d’autre solution que de rejeter catégoriquement, longtemps après l’accident, les conclusions de l’une ou l’autre partie, du fait de l’absence de preuve. Schweizerischer Versicherungsverband Association Suisse d’Assurances Associazione Svizzera d’Assicurazioni