CAHIER DE L’ENVIRONNEMENT N° 385 Économie Dimensions économiques de la politique de l’environnement Office fédéral de l’environnement, des forêts et du paysage OFEFP CAHIER DE L’ENVIRONNEMENT N° 385 Économie Dimensions économiques de la politique de l’environnement Synthèse de projets de recherche sur les interactions entre l’économie et l’environnement Publié par l’Office fédéral de l’environnement, des forêts et du paysage OFEFP Berne, 2005 Éditeur Office fédéral de l’environnement, des forêts et du paysage (OFEFP) L’OFEFP est un office du Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication (DETEC) Citation OFEFP (Ed.) 2005 : Dimensions économiques de la politique de l’environnement. Synthèse de projets de recherche sur les interactions entre l’économie et l’environnement. Cahier de l’environnement n° 385. Office fédéral de l’environnement, des forêts et du paysage, Berne. 9 pages. Groupe d’accompagnement OFEFP : sous-directeur Bruno Oberle, sous-directeur Gérard Poffet, Hans-Peter Fahrni, Arthur Mohr, Franz-Sepp Stulz Externes : Prof. Beat Bürgenmeier (Université de Genève), George Ganz (DTAP), Urs Näf (economiesuisse), Marie-Thérèse Niggli (seco) Traductions Chantal Bonny, Herrliberg Graphisme, mise en page Ursula Nöthiger-Koch, 4813 Uerkheim Photo de couverture Emanuel Ammon/AURA Commande OFEFP Documentation CH-3003 Berne Fax +41 (0) 31 324 02 16 [email protected] www.buwalshop.ch Numéro de commande et prix : SRU-385-F / CHF 10.– (TVA comprise) Cette publication est également disponible en allemand (SRU-385-D). © OFEFP 2005 2 Dimensions économiques de la politique de l’environnement Table des matières 1 2 3 4 5 Abstracts 5 Avant-propos 7 Résumé 9 Nécessité de travaux de recherche sur l’environnement et l’économie Terrains conflictuels Délimitation thématique Coût et utilité de la protection de l’environne-ment pour l’économie nationale La protection de l’environnement corrige un dysfonctionnement du marché Le PIB, un agrégat incomplet La protection de l’environnement est un facteur économique Et si l’argent avait été dépensé autrement ? Et si rien n’avait été fait dans le passé pour protéger l’environnement ? Les mesures de protection de l’environnement encouragent l’innovation 6 11 13 13 7 14 14 14 15 16 8 16 17 … et pour les entreprises La plupart du temps, les règles de la protection de l’environnement ne sont pas le facteur décisif dans le choix du lieu d’implantation L’exemple de l’industrie chimique Secteurs avantagés Qualité de vie pour les collaborateurs qualifiés Intérêts des entreprises 18 18 18 19 19 19 Mondialisation et politique nationale de l’environnement 21 9 Découplage : la croissance économique résout-elle ou aggrave-t-elle les problèmes écologiques ? Croissance zéro ou la croissance comme solution ? Le découplage n’est que partiel et aucun renversement de tendance n’est en vue Le découplage n’est pas automatique Consommation : le rôle des préférences pour les produits écologiques Les marchés financiers peuvent-ils encourager la protection de l’environnement ? Peuvent par exemple agir Il existe certes des obstacles et des limites ... … mais les possibilités d’influence s’accroissent Éléments d’une politique de l’environnement efficace Respecter les principes fondamentaux Découpler la croissance économique et la pollution Panoplie d’instruments : développer les instruments d’économie de marché Appliquer le principe de causalité Politique technologique et de l’innovation Utiliser l’effet de levier des marchés financiers Examiner régulièrement les effets de manière à les amplifier 27 27 27 29 30 32 32 33 34 35 35 35 35 36 37 37 38 Perspectives : l’écologie et l’économie se conditionnent mutuellement 39 Bibliographie 41 Principe de causalité : des milliards de coûts non couverts 22 Application systématique du principe de causalité 25 Table des matières 3 Abstracts E Keywords: Costs, benefits, market economy, resources, environmental economics, polluter-pays principle D Stichwörter: Kosten, Nutzen, Marktwirtschaft, Ressourcen, Umweltökonomie, Verursacherprinzip F Mots-clés : Coûts, utilité, économie de marché, ressources, économie de l’environnement, principe de causalité I Parole chiave: costi, benefici, economia di mercato, risorse, economia ambientale, principio di causalità Abstracts The interdependencies between the environment and the economy were investigated in a research project comprising six different studies. The emphasis was placed on the overall economic context and long-term aspects. In the present report, the most important findings are summarized. The “Outlook” section considers how economic and environmental policy can be framed in a coordinated and mutually beneficial manner. Die Interdependenzen zwischen Umwelt und Wirtschaft wurden im Rahmen eines Forschungsprojekts mit sechs verschiedenen Teilstudien untersucht. Im Vordergrund standen die volkswirtschaftlichen Zusammenhänge und die langfristigen Aspekte. Der vorliegende Synthesebericht fasst die wichtigsten Ergebnisse zusammen. Im Ausblick wird dargelegt, wie Wirtschafts- und Umweltpolitik partnerschaftlich und für beide nutzbringend auszugestalten sind. Les interactions entre l’environnement et l’économie ont été examinées dans le cadre d’un projet de recherche subdivisé en six études thématiques. L’étude a porté en premier lieu sur les interactions économiques au niveau national et sur les perspectives à long terme. Le présent rapport de synthèse résume les résultats principaux. Le chapitre consacré aux perspectives indique comment la politique économique et la politique de l’environnement doivent être conçues dans un objectif de bénéfice réciproque. Nell’ambito di un progetto di ricerca suddiviso in sei studi parziali sono state esaminate le interazioni tra ambiente ed economia. L’analisi si è concentrata in primo luogo sui nessi economici e sugli aspetti a lungo termine. Il presente rapporto di sintesi riassume i risultati più importanti e, nel capitolo dedicato alle prospettive, illustra in che modo la politica economica e quella ambientale debbano essere il frutto di una collaborazione e condurre a benefici comuni. 5 Avant-propos L’environnement et l’économie sont indissociables. Sans un environnement intact, il n’y a pas de prospérité. Les ressources naturelles sont une base indispensable à l’économie. En contrepartie, une économie saine est la condition sine qua non de l’application effective des mesures de protection de l’environnement. Pourtant, les impératifs économiques et les impératifs écologiques ne sont pas toujours faciles à concilier. Des connaissances étendues sur leur mode d’interaction sont par conséquent indispensables. Depuis des années, l’Office fédéral de la protection de l’environnement, des forêts et du paysage (OFEFP) coopère avec l’économie dans la mise en œuvre de la politique de l’environnement et, dès qu’il le peut, applique les mécanismes de l’économie de marché, sachant que cette approche est la seule qui permette de protéger l’environnement efficacement et à un coût avantageux. Six études thématiques ont été menées par des instituts de recherche et des bureaux d’experts indépendants sur les interactions entre l’environnement et l’économie. Il convient à présent d’en exploiter les résultats pour développer une économie respectueuse de l’environnement et une politique de l’environnement efficace. Le présent rapport établit une synthèse des principales conclusions des experts du point de vue de l’OFEFP. Office fédéral de l’environnement, des forêts et du paysage Bruno Oberle Sous-directeur de l’OFEFP Avant-propos 7 Résumé La prospérité économique n’est possible à long terme que si elle est en accord avec l’environnement. En ménageant les ressources naturelles, la politique de l’environnement peut apporter une contribution importante au bien-être économique. Différentes études réalisées sur mandat de l’OFEFP mettent en lumière les interactions entre l’économie et l’environnement. La politique de l’environnement est importante économiquement La prospérité économique n’est possible à long terme que si elle est en accord avec l’environnement. En ménageant les ressources naturelles, la politique de l’environnement peut apporter une contribution importante au bien-être économique. Différentes études réalisées sur mandat de l’OFEFP mettent en lumière les interactions entre l’économie et l’environnement. L’utilité économique des mesures de protection de l’environnement s’exprime à travers une amélioration de la qualité de vie et une diminution des coûts. Un exemple : entre 1970 et 2002, la lutte contre la pollution de l’air a permis d’économiser environ 16 milliards de francs en frais de santé. Le principe de causalité et, partant, la vérité des coûts sont certes mieux appliqués que par le passé, mais ils ne le sont pas encore entièrement, tant s’en faut. Le défaut de couverture total atteint au moins 9,7 milliards de francs. À eux seuls, les coûts d’élimination et de prévention sont toujours financés pour moitié environ – à hauteur de plus de 2,2 milliards de francs – par les pouvoirs publics avec l’argent des contribuables, en non par les pollueurs eux-mêmes. Les atteintes à l’environnement continuent ainsi, de facto, à être subventionnées. Dans l’idéal, l’économie devrait croître sans que la pollution augmente en même temps. Si un tel découplage a été réalisé dans plusieurs secteurs de l’environnement, il tarde à se concrétiser dans d’autres, comme la consommation d’énergie ou la surface bâtie. La littérature spécialisée montre que ce découplage ne se produit pas par lui-même, mais qu’il est le fruit d’une politique de l’environnement active. L’effet de levier des marchés financiers au profit de l’environnement n’a pas encore été suffisamment exploité jusqu’à présent. Ainsi, la part des placements durables en Europe se situe toujours dans des pourcentages à un chiffre. Par leur politique de placement, les caisses de pensions, par exemple, peuvent contribuer à ce que les risques environnementaux et les avantages écologiques soient correctement reflétés dans les cours des actions. La protection de l’environnement est aussi un facteur économique qui crée des emplois. Elle contribue pour quelque 6,7 milliards de francs au PIB, ce qui correspond à environ 61’000 emplois à plein temps. Si l’argent, au lieu d’être consacré à la protection de l’environnement, était dépensé autrement, la création de valeur ne serait pas plus élevée. Par contre, il y aurait 13’000 emplois à plein temps en moins. Résumé 9 Asseoir la politique de l’environnement sur des principes économiques La politique de l’environnement peut apporter sa pierre au développement économique. Pour cela, elle doit • préserver les bases naturelles de la vie et ménager les ressources naturelles importantes ; • reposer sur des objectifs à long terme et des mesures prévisibles ; • renforcer les mesures d’économie de marché (c’est-à-dire lancer des signaux corrects concernant les prix et créer de bonnes incitations, mais laisser en même temps aux entreprises et aux consommateurs la liberté dans le choix des moyens) ; • encourager le développement et la diffusion de technologies environnementales innovantes et intégrer davantage les questions environnementales dans la politique technologique ; • mieux coordonner la mise en œuvre au niveau des cantons pour éviter les doublons et les distorsions de concurrence entre les cantons ; • soutenir les accords internationaux, en particulier quand les problèmes de pollution dépassent les frontières, et tenir compte des accords commerciaux multilatéraux dans la politique nationale de l’environnement ; • favoriser la prise en compte des questions écologiques sur les marchés financiers et, ainsi, instaurer une meilleure reconnaissance des risques, stimuler l’innovation et améliorer la réputation des marchés financiers ; • contrôler systématiquement l’efficacité des mesures de protection de l’environnement et optimiser celles-ci, d’un point de vue économique également. Le présent rapport de synthèse résume les principaux résultats et conclusions des six études thématiques, qui ont volontairement été réalisées dans une optique à long terme, en tenant compte de l’ensemble de l’économie. C’est pourquoi ces études ne traitent pas des sujets actuels très controversés du point de vue politique, comme le droit de recours des organisations, l’étude de l’impact sur l’environnement ou l’application du droit environnemental. 10 Dimensions économiques de la politique de l’environnement 1 Nécessité de travaux de recherche sur l’environnement et l’économie La politique de l’environnement se mesure de plus en plus à ses répercussions économiques Le développement économique et la protection de l’environnement sont-elles antinomiques, ou se conditionnent-elles l’une l’autre ? La question se retrouve toujours au centre des débats politiques et scientifiques. Différentes raisons ont incité l’OFEFP à lancer des travaux de recherche sur ce thème : • La prise de conscience toujours plus grande de l’importance de la croissance économique comme facteur de développement pour la Suisse.1 • La réalisation, récemment, de nombreux travaux de recherche sur les interactions entre l’économie et l’environnement : il manque encore pourtant un texte succinct rendant leurs résultats accessibles à un plus large public et capable de donner de nouvelles impulsions à la politique de l’environnement. • L’acceptation, en mars 1999, d’un postulat du conseiller aux États Renzo Respini (PDC) : le Conseil fédéral y est invité à « procéder à une analyse de l’efficacité économique des politiques en faveur de l’environnement pratiquées dans notre pays et d’en informer de façon adéquate le Parlement et l’opinion publique ». Environnement État / politique Économie Dépenses de consommation Pollution Revenus de capitaux, salaires, produits Utilisation de matières premières, sol, ressources environnementales Entreprises Rejet de substances nocives ou résiduelles (-> coûts externes) Ménages Figure 1 : Principales interactions Économie étrangère entre l’environnement et l’économie. 1 Voir p. ex. DEPARTEMENT FEDERAL DE L’ECONOMIE (2002). 1 Nécessité de travaux de recherche sur l’environnement et l’économie 11 Questions centrales des études thématiques Sur la base de ces considérations, l’OFEFP a lancé six travaux de recherche destinés à éclairer les interactions entre l’environnement et l’économie en répondant aux questions suivantes. 1. Quelle est l’influence de la politique de l’environnement sur la croissance économique et l’emploi ? 2. Quels sont les effets de la croissance économique sur l’environnement : sont-ils positifs, neutres, et donc révélateurs d’un découplage, ou au contraire la croissance aggrave-t-elle les pressions sur l’environnement ? 3. Qu’implique la mondialisation pour l’environnement et la politique de l’environnement ? Que peut faire la Suisse dans les forums internationaux (OMC p. ex.) et jusqu’à quel point peut-elle suivre une politique de l’environnement autonome ? 4. Quelle est l’importance du secteur financier (marchés des actions, caisses de pensions, fonds de placement, etc.) pour l’environnement ? Convient-il d’encourager les placements financiers durables ? 5. Dans quels secteurs le principe économique fondamental de causalité n’est-il pas respecté ? Quelles sont les conséquences, les mesures nécessaires et les répercussions de celles-ci ? 6. Est-il possible d’évaluer la politique de l’environnement menée jusqu’à présent, notamment le rapport coût-efficacité ? Chaque étude éclaire ainsi une partie des relations complexes qui unissent l’environnement et l’économie. Les études thématiques sont placées sous la responsabilité de leurs auteurs respectifs et ne reflètent pas nécessairement la position de l’OFEFP. Le présent rapport de synthèse résume les résultats principaux et les conclusions les plus importantes et met en lumière les relations et les renvois entre les études thématiques. Études thématiques (traduction, instituts de recherche/bureaux d’experts) 1. Auswirkungen des Umweltschutzes auf BIP, Beschäftigung und Unternehmen (Conséquences de la protection de l’environnement sur le PIB, l’emploi et les entreprises, Infras/Fraunhofer Institut für Systemtechnik und Innovationsforschung) 2. Wachstum und Umweltbelastung : Findet eine Entkopplung statt? (Croissance et pollution : le découplage est-il une réalité ? Fachhochschule Solothurn/Ernst Basler & Partner) 3. Wettbewerb und Umweltpolitik in einer globalisierten Wirtschaft (Compétitivité et politique de l’environnement dans une économie mondialisée, B,S,S) 4. Finanzmärkte und Umwelt (Marchés financiers et environnement, BHP Brugger & Partner/onValues) 5. Konsequente Umsetzung des Verursacherprinzips (Application systématique du principe de causalité, Econcept/Infras) 6. Machbarkeitsstudie «Evaluation der bisherigen Umweltpolitik» (Étude de faisabilité « Évaluation de la politique de l’environnement menée jusqu’à présent », Interface Politikstudien) 12 Dimensions économiques de la politique de l’environnement Terrains conflictuels Conflits d’intérêt La thématique environnement et économie soulève actuellement des conflits passionnés. Ici, les besoins des exploitants d’aéroports et donc des voyageurs s’opposent au besoin de quiétude des habitants. Là, des investisseurs qui projettent d’investir dans un centre commercial doivent faire face aux oppositions d’associations de protection de l’environnement qui demandent la prise de mesures relatives à la circulation. La pose d’antennes de téléphonie mobile ou l’introduction de filtres à particules donnent lieu à des débats tout aussi animés. L’objet du présent rapport de synthèse n’est pas de répondre aux questions concrètes que soulèvent ces conflits. D’autres travaux spécifiques de l’OFEFP s’en chargent. L’étude se propose plutôt de présenter différents mécanismes fondamentaux sous-jacents. Délimitation thématique Aucune prétention à l’exhaustivité Les études thématiques et, partant, le présent rapport de synthèse reposent volontairement sur une perspective macro-économique à long terme. Leur but est d’étudier les conséquences macro-économiques de la protection de l’environnement, et non pas des cas isolés, des effets à court terme ou des questions limitées à la gestion d’entreprise. Pour cette raison, les thèmes suivants, tout aussi importants, ont été écartés : • Les questions politiques actuelles sujettes à controverses, comme le droit de recours des associations, les études d’impact sur l’environnement ou l’application du droit de l’environnement, ont seulement été effleurées. Elles sont actuellement traitées au niveau fédéral et ne font pas l’objet du présent rapport. • La dimension sociale de la politique de l’environnement n’a pas été examinée. Pour analyser les effets redistributifs des mesures de protection de l’environnement, il faudrait examiner de quelle manière l’utilité d’un bien environnemental est répartie entre les habitants, quels sont les coûts des mesures de protection de l’environnement, qui les supporte et, dans le cas des instruments d’économie de marché, qui profite de la redistribution du produit des taxes ou de l’allocation initiale des certificats de droits d’émission. • La question de la simplification et de la coordination des mesures d’exécution n’a pas été analysée en détail. Elle fait actuellement l’objet de projets de recherche pour les secteurs du textile et de la construction. 1 Nécessité de travaux de recherche sur l’environnement et l’économie 13 2 Coût et utilité de la protection de l’environnement pour l’économie nationale La protection de l’environnement corrige un dysfonctionnement du marché Si la protection de l’environnement sert un objectif clairement défini dans la Constitution et dans la conscience collective, l’économie voit en elle, au prime abord, un facteur de coût. Les coûts externes entraînent un dysfonctionnement du marché L’économie de marché est un système économique qui possède certes de nombreux avantages. Mais elle souffre de défaillances dans les domaines où les droits de la propriété ne sont pas clairement attribués et où des coûts dits externes apparaissent. Un exemple : l’air respirable ne peut être ni acheté ni vendu, contrairement à une marchandise. Personne ne possède évidemment un droit d’usage exclusif sur l’air frais. Ainsi, celui qui projette de polluer l’air frais – le demandeur – n’a pas besoin de s’entendre sur le prix avec un offrant. Avec les conséquences suivantes : si l’environnement et les ressources naturelles ne se voient pas attribuer un juste prix, ils sont utilisés de manière immodérée. La protection de l’environnement est donc nécessaire pour corriger un dysfonctionnement du marché que personne ne conteste dans la doctrine économique traditionnelle.2 Le PIB, un agrégat incomplet Tant qu’ils seront gratuits, les biens environnementaux n’auront pas leur place dans les comptes nationaux La comptabilité nationale et, partant, le produit intérieur brut (PIB) sont incomplets. D’abord, parce qu’ils n’enregistrent pas la consommation de biens environnementaux. D’autre part, parce qu’ils enregistrent aussi les coûts des mesures prises pour diminuer la pollution comme une prestation macro-économique.3 Plus les atteintes à réparer sont nombreuses, plus le PIB d’une économie nationale paraît élevé. Depuis longtemps, des organisations internationales, comme l’ONU, la Banque mondiale et Eurostat, élaborent des modèles de « produit national écologique ». Jusqu’à présent, toutefois, il n’a pas été possible, ni n’aurait été très utile, de définir un seul agrégat. La tendance consiste plutôt à exprimer les interactions entre l’économie et l’environnement à l’aide de différentes informations complémentaires aux comptes nationaux (comptes satellites, indicateurs). Le projet UWEKO4 de l’Office fédéral de la statistique repose largement sur cette approche. 2 L’une des méthodes pour attribuer un prix à l’environnement consiste à prélever des taxes d’incitation. Ainsi, la taxe d’incitation sur les composés organiques volatils (COV) a pour effet de renchérir les substances qui participent à la formation d’ozone (« smog estival »). 14 3 Voir en détail section 2.3 dans: OTT W., BAUR M., ITEN R., VETTORI A. (2005). 4 http://www.statistik.admin.ch Dimensions économiques de la politique de l’environnement La valeur de la nature peut-elle être calculée ? Dans quelques domaines, les atteintes à l’environnement ont pu être exprimées en valeur monétaire (p. ex. problèmes de santé dus à la pollution de l’air), de manière certes très approximative. Mais il serait intéressant aussi de pouvoir chiffrer la valeur de la nature comme matière première et base de production, car cette valeur n’est actuellement pas indiquée dans les comptes nationaux. Jusqu’à présent, il a été possible de calculer cette valeur de manière très rudimentaire, comme dans les comptes nationaux de l’environnement (UGR) en Allemagne.5 Le patrimoine naturel et l’utilisation de la nature n’ont toutefois pas pu être quantifiés en valeur monétaire. La protection de l’environnement est un facteur économique Importance des mesures de protection de l’environnement pour l’économie Malgré les réserves de principe exprimées plus haut, une question demeure : comment la protection de l’environnement se répercute-t-elle sur les chiffres de la comptabilité nationale ? Dans une étude thématique6, un modèle input-output a calculé pour la Suisse les chiffres suivants : • La valeur économique7 des mesures de protection de l’environnement prises par les particuliers et les entreprises atteint environ 6,7 milliards de francs (env. 1,6% du PIB). Elle correspond à 61’000 emplois à plein temps (env. 1,9% de l’emploi total). • Si l’on additionne les effets économiques secondaires, soit l’utilisation des revenus du travail et du capital de l’écosecteur, l’importance économique de l’écosecteur atteint, selon les estimations, 17,1 milliards de francs (4% du PIB). • Enfin, la Suisse exporte des biens de protection de l’environnement pour une valeur de 1,4 milliard de francs par an environ, ce qui correspond à quelque 12’500 emplois à plein temps (sans les effets secondaires). Tableau 1 : Importance macro-économique des mesures de protection de l’environnement prises en Suisse Chiffres pour 2002, sans prise en compte des conséquences économiquement positives des mesures de protection de l’environnement (par ex. sur la santé, la qualité du site, 8 etc.) . Valeur ajoutée (PIB) Francs (en milliards) Mesures de protection de l’environnement en Suisse Mesures de protection de l’environnement et effets secondaires en Suisse Exportation de biens environnementaux (sans effets secondaires) % du PIB Emploi (plein temps) Nombre % de l’emploi total 6.7 1.6% 61’000 1.9% 17.1 4.0% 145’000 4.5% 1.4 0.3% 12’500 0.4% 5 STATISTISCHES BUNDESAMT (2003), Umweltnutzung und Wirtschaft, p. ex. p. 9 s. 6 Source de toutes les thèses présentées dans ce chapitre: ITEN R., PETER M., WALZ R., MENEGALE S., BLUM M. (2005). 7 Création de valeur en Suisse, y c. prestations préalables. 8 Source: ITEN R., PETER M., WALZ R., MENEGALE S., BLUM M. (2005). 2 Coût et utilité de la protection de l’environnement pour l’économie nationale 15 De nombreuses études étrangères obtiennent des résultats comparables avec d’autres pays, ce qui corrobore les modèles suisses. Et si l’argent avait été dépensé autrement ? Comparaison avec une situation sans mesures de protection de l’environnement Si aucune prescription de protection de l’environnement n’avait été édictée, une grande partie de l’argent aurait été dépensée autrement. Le PIB aurait-il été plus élevé dans ce cas ? Les modélisations mathématiques montrent que la création de valeur aurait été pratiquement identique, car des effets multiplicateurs semblables auraient été déclenchés. Par contre, l’emploi aurait été inférieur de 0,4% environ (13’000 emplois), car le secteur de la protection de l’environnement est à forte composante de main-d’œuvre.9 L’argent consacré aux mesures de protection de l’environnement crée ainsi, en termes nets, quelque 13’000 emplois à plein temps. D’où la conclusion suivante : les mesures de protection de l’environnement ne freinent pas la croissance, elles ont un effet neutre sur le PIB, augmentent légèrement l’emploi et améliorent, de manière certes minime, le solde de la balance commerciale. Et si rien n’avait été fait dans le passé pour protéger l’environnement ? Exemples de l’utilité économique de la protection de l’environnement 16 Les modèles mathématiques présentés plus haut ne reflètent, bien entendu, pas du tout l’objectif même de la politique de l’environnement, qui est de nous protéger contre les atteintes nuisibles ou incommodantes et de conserver les ressources naturelles.10 Cette protection a-t-elle une valeur sur le plan économique ? Plusieurs études confirment que les mesures de protection de l’environnement exercent des effets économiques positifs à long terme : • De grands progrès ont pu être accomplis dans la protection de l’air. Si la pollution de l’air était restée au niveau de 1970, les coûts de la santé auraient été environ un milliard de francs plus élevés en 2002 (0,2% du PIB), selon des estimations d’Infras/ISI (2005). Entre 1970 et 2002, environ 16 milliards de francs ont ainsi pu être économisés en frais de santé.11 • Les avantages économiques de la protection de l’environnement se manifestent particulièrement dans l’exemple des décharges contaminées. L’assainissement de quelque 4000 sites pollués coûtera près de cinq milliards de francs dans les vingt-cinq prochaines années.12 Après sept ans d’exploitation, la décharge de Kölliken a dû être refermée et, ultérieurement, assainie pour un coût de 100 millions de francs, auxquels s’ajouteront jusqu’en 2012 près de 450 millions de francs pour la remise en état. Ce qui porte le coût de l’assainissement à quelque 1100 francs par tonne, soit bien davantage que si les déchets avaient été traités correctement depuis le début. 9 Source: ITEN R., PETER M., WALZ R., MENEGALE S., BLUM M. (2005). 10 LPE, art. 1. 11 ITEN R., PETER M., WALZ R., MENEGALE S., BLUM M. (2005, section 7.3.2.). 12 OFEFP (2002). Dimensions économiques de la politique de l’environnement • Dans l’ensemble, il apparaît que la politique de l’environnement entraîne, dans un premier temps, une hausse des dépenses à la charge des ménages, des entreprises et des pouvoirs publics. Néanmoins, ces dépenses se révèlent le plus souvent payantes. Sans elles, les bases de la vie et les fondements économiques seraient largement détruits, ce qui renchérirait considérablement les mesures d’assainissement ultérieures. Les mesures de protection de l’environnement encouragent l’innovation Protection de l’environnement et innovation Même si les interactions entre les mesures de protection de l’environnement et les innovations sont particulièrement complexes et contestées, une chose au moins est certaine : les mesures de protection de l’environnement encouragent les innovations (nouvelles technologies, procédures et formes d’organisation). L’affirmation est vraie notamment pour les instruments d’économie de marché (p.ex. taxes d’incitation) qui n’imposent aucune technologie particulière, mais qui créent des incitations économiques propices à l’innovation. À l’inverse, les « mesures curatives » pures (mesures end-of-pipe, comme les stations d’épuration) sont généralement peu productives et peuvent empêcher des investissements plus innovants et plus productifs. Dans l’ensemble, les effets de l’innovation contribuent à la croissance économique. À ce sujet, il est intéressant de se demander à quelles conditions les entreprises d’un « pays progressiste » peuvent profiter d’un avantage technologique comparatif sur les firmes concurrentes de pays étrangers moins en avance. Cet avantage est appelé « first mover advantage » : quand un pays prend des mesures sévères de protection de l’environnement, il peut en résulter des désavantages concurrentiels pour ses entreprises. Si le pays progressiste est imité par d’autres, les entreprises du premier pays peuvent faire fructifier leur expérience et exporter leurs technologies environnementales. Pour cela, il est impératif que l’économie soit capable d’innover dans le secteur concerné et qu’elle puisse exporter ses biens ou ses services à des conditions compétitives. Différentes études parviennent à la conclusion que le cadre en Suisse est favorable. Il est toutefois difficile de savoir à l’avance si ces effets se produiront dans la réalité.13 13 Voir ITEN R., PETER M., WALZ R., MENEGALE S., BLUM M. (2005, section 4) ; KÄGI W., SIEGRIST S., SCHÄFLI M. (2005, section 3.2.2 s). Voir aussi JOCHIMSEN/KIRCHGÄSSNER (1995), et HÄBERLI R. et al. (2002 S. 183) ainsi que WEDER R. (1999). 2 Coût et utilité de la protection de l’environnement pour l’économie nationale 17 3 … et pour les entreprises Ce qui est bon pour l’économie nationale ne l’est pas nécessairement pour chaque secteur et chaque entreprise. Comment se présentent les coûts et les avantages de la protection de l’environnement pour les entreprises ? La plupart du temps, les règles de la protection de l’environnement ne sont pas le facteur décisif dans le choix du lieu d’implantation Coûts de l’environnement et choix du lieu d’implantation Les prescriptions et les taxes environnementales entraînent des coûts pour les entreprises. Ces coûts influent sur le choix du lieu d’implantation des entreprises étrangères et sur les prix à l’exportation des produits helvétiques. Dans quelle mesure les coûts de la protection de l’environnement entrent-ils en ligne de compte dans un contexte de concurrence internationale ? De nombreuses études ont révélé que les mesures de protection de l’environnement ne provoquent généralement qu’une très faible hausse des coûts de production en comparaison d’autres catégories de coûts. Une quelconque influence des prescriptions environnementales sur les flux commerciaux n’a jamais pu être démontrée jusqu’à présent.14 De même, une tendance à la délocalisation vers des pays où les règles de protection de l’environnement sont moins strictes n’a pas pu être constatée non plus. La raison tient au fait que la protection de l’environnement engendre des coûts, certes, mais apporte aussi des avantages (innovations, nouveaux débouchés et gain d’image comme l’ont prouvé les exemples de l’industrie alimentaire et de l’industrie du tabac aux Pays-Bas15). Les conséquences des prescriptions environnementales sur la compétitivité des entreprises suisses ne doivent cependant jamais être oubliées. L’exemple de l’industrie chimique Importance de la comparaison avec la concurrence directe 18 Le cas de l’industrie chimique a été examiné plus en détail, car elle est un exemple de secteur où les coûts de la protection de l’environnement sont particulièrement élevés (env. 2–3% des dépenses totales, voire env. 15% des investissements).16 Les coûts ne sont toutefois intéressants que s’ils sont mis en regard avec les coûts des entreprises concurrentes directes. En ce qui concerne la fabrication de produits pharmaceutiques et de produits phytosanitaires, la plupart des firmes concurrentes doivent respecter aujourd’hui des normes de protection de l’environnement similaires. La situation se présente différemment pour les fabricants de couleurs, où l’on trouve également des entreprises concurrentes dans les pays émergents. Il apparaît que les coûts salariaux et sociaux sont beaucoup plus importants que les coûts pour la protection de l’environnement. Lors de décisions stratégiques, et notamment lors du choix du lieu d’implantation, les coûts de l’environnement jouent tout au plus un rôle secondaire. Enfin, il ne faut pas oublier que la pression sur les entreprises n’émane pas seulement de l’État, mais aussi de groupes d’intérêt locaux (ou ayant des ramifications avec des groupes d’intérêt internationaux). En conséquence, il 14 voir KÄGI W., SIEGRIST S., SCHÄFLI M. (2005, section 4.3.3) et la bibliographie citée. 15 SANCHEZ T. (2000), cité dans KÄGI W., SIEGRIST S., SCHÄFLI M. (2005, section 3.3.3). 16 KÄGI W., SIEGRIST S., SCHÄFLI M. (2005, section 4.4.2). Dimensions économiques de la politique de l’environnement n’est pas rare que les multinationales adoptent des règles de protection de l’environnement plus sévères que les réglementations locales pour des questions d’image. Secteurs avantagés Le paysage, « matière première » du tourisme Potentiel d’économies dans les entreprises Le secteur de l’environnement au sens étroit (biens et services environnementaux, voir chapitre 3) n’est pas le seul à profiter de la protection de l’environnement. Le tourisme est un exemple de secteur où un environnement intact constitue la « matière première ». Dans l’ensemble, le tourisme profite indubitablement des mesures progressistes de protection de l’environnement, même si, dans des cas isolés, des restrictions locales à l’exploitation touristique nécessitent une pesée des intérêts. Le constat est toujours le même : une meilleure gestion de l’énergie et de l’environnement dans une entreprise se traduit par une amélioration de l’exploitation. En évitant de produire des déchets et de tourner à vide, les entreprises économisent des coûts. On a calculé que le coût de mise en place d’un système de management environnemental (ISO 14’000) est amorti après 2,2 ans en moyenne.17 Qualité de vie pour les collaborateurs qualifiés La qualité de l’environnement accroît l’attrait de la Suisse Pour de nombreuses entreprises, notamment pour les sociétés de services dont les activités sont à forte valeur ajoutée, la qualité de vie est un facteur important dans le choix du lieu d’implantation. En effet, une qualité de vie élevée permet de trouver plus facilement des collaborateurs qualifiés et motivés. La qualité de l’environnement en constitue un élément central, comme l’attestent plusieurs classements internationaux du niveau de vie.18 Intérêts des entreprises Marge de manœuvre et sécurité dans la planification des investissements 3 … et pour les entreprises Les mesures de protection de l’environnement ne sont pas toutes jugées de la même manière par les entreprises. Il est dans l’intérêt des entreprises que les mesures de protection de l’environnement remplissent les conditions suivantes19 : • Elles devraient laisser aux entreprises la liberté dans le choix des moyens : en conséquence, les instruments d’économie de marché, comme les taxes d’incitation ou les certificats négociables, sont généralement préférables aux prescriptions et aux interdictions. • Elles devraient être annoncées à l’avance et prévoir des périodes transitoires : il est important que la politique de l’environnement soit prévisible et qu’elle s’inscrive dans une perspective à long terme pour permettre aux entreprises d’opérer les bons investissements et d’amortir les investissements déjà opérés. • Elles devraient être élaborées en concertation avec les secteurs concernés : un climat constructif permet souvent de dégager des solutions avantageuses tant pour l’environnement que pour l’économie. 17 DYLLICK T., HAMSCHMIDT J.(2000, p. 79). 18 KÄGI W., SIEGRIST S., SCHÄFLI M. (2005, section 4.4.2.). 19 Voir ITEN R., PETER M., WALZ R., MENEGALE S., BLUM M. (2005, section 8.2). 19 • Le produit (p. ex. des taxes d’incitation) devrait être redistribué à l’économie (comme dans le cas de la taxe sur le CO2 ; la charge fiscale ne doit pas s’accroître dans l’ensemble). • Les mesures de protection de l’environnement ne devraient pas nuire à la compétitivité, ni créer des barrières commerciales. • Elles devraient être coordonnées et harmonisées au niveau international. • Les mesures d’exécution devraient être coordonnées pour éviter des distorsions de concurrence entre cantons. • La mise en œuvre devrait être organisée de manière efficace. 20 Dimensions économiques de la politique de l’environnement 4 Mondialisation et politique nationale de l’environnement Aucune discrimination commerciale sous prétexte de la protection de l’environnement La politique nationale de l’environnement doit respecter les accords internationaux auxquels la Suisse a adhéré. Entrent dans ce cadre en particulier les accords de protection de l’environnement de l’ONU. Les solutions supranationales sont préférables quand les problèmes de pollution dépassent les frontières. Elles sont également accueillies favorablement par l’économie, dans la mesure où elles permettent d’éviter des désavantages concurrentiels. Les solutions nationales sont possibles notamment pour résoudre des problèmes environnementaux à l’échelon national lorsqu’il n’en résulte aucun désavantage comparatif pour les producteurs nationaux, ni aucun obstacle au commerce pour les exportateurs.20 S’agissant du commerce extérieur, l’accord de l’OMC pose les limites suivantes : • Les mesures de protection de l’environnement doivent être nécessaires et appropriées pour atteindre des objectifs importants de protection de l’environnement. La mesure qui limite le moins les échanges doit être choisie. • Les mesures ne doivent pas avoir pour but ou pour effet de favoriser, voire de protéger les producteurs nationaux. Elles ne doivent pas non plus entraîner des discriminations entre différents pays exportateurs. • Les mesures qui servent à protéger l’environnement national et qui visent les caractéristiques nocives d’un produit sont moins problématiques que les mesures qui limitent les échanges indépendamment des propriétés du produit ou de son mode de production et dont la portée dépasse par conséquent les frontières nationales. • Le principe de la non-discrimination s’applique aussi aux subventions : les entreprises étrangères doivent avoir les mêmes chances de percevoir des subventions que les entreprises nationales. Il y a quelques années encore, la Suisse était considérée comme la championne européenne de la protection de l’environnement, car les mesures de la protection de l’environnement y étaient souvent prises plus tôt que dans les pays européens voisins (exemples : pot catalytique, lessives sans phosphates). Aujourd’hui, l’UE est réputée pour mener une politique de l’environnement progressiste. Il est de plus en plus fréquent que la Suisse reprenne les réglementations en vigueur dans l’UE, ce qui lui permet de profiter des premières expériences qui y ont été réalisées et de ne pas instaurer inutilement un cadre juridique différent (p. ex. règles sur les gaz d’échappement des automobiles). Vu la taille du marché intérieur de l’UE, l’économie suisse tire profit de cette démarche. 20 Voir loi fédérale sur les entraves techniques au commerce (LETC). 4 Mondialisation et politique nationale de l’environnement 21 5 Principe de causalité : des milliards de coûts non couverts Le principe de causalité est reconnu partout et il est inscrit dans la loi sur la protection de l’environnement.21 Dans une économie de marché, l’utilisation de l’environnement doit se voir attribuer un juste coût, car tout ce qui peut être obtenu à un prix inférieur est utilisé au-delà du nécessaire. Taxes Coûts Personnes concernées, impôts, générations futures Taxes Coûts externes Internalisation (taxes, certificats, etc.) Coûts de prévention/ d’assainissement Taxe de financement Impôts Frais administratifs Redevances ou taxe de financement Impôts Subventions Abolir, ou redevances, taxes Élimination (État) Redevances Impôts Taxes Figure 2 : Les trois niveaux du Taxes principe de causalité, ses composantes de coûts et Redevances leur financement (sous Impôts une forme schématique, Ménages, entreprises rapports de grandeur à des fins illustratives Financement selon principe de causalité Protection de l’environnement (particuliers) Ménages, entreprises principe de causalité au sens large Financement aujourd’hui au sens moyen du principe de causalité au sens étroit Les trois niveaux Le principe de causalité est défini en trois niveaux (voir aussi Figure 2) : • Au sens étroit, le principe de causalité signifie que les coûts des mesures de protection de l’environnement (p. ex. filtres, élimination des déchets) sont financés par les pollueurs et non par l’État et qu’ils ne bénéficient pas de subventions directes. • Dans un sens moyen, les coûts à la charge de l’État, en particulier les coûts destinés aux mesures de prévention, de contrôle, de réparation et d’assainissement ainsi que les frais administratifs, sont également financés par les utilisateurs. • Au sens large, le principe de causalité tient compte également des coûts indirects des dommages à l’environnement, ou coûts externes. seulement). Un défaut de couverture crée de fausses incitations 22 • Les coûts non couverts révèlent l’étendue des dysfonctionnements du marché. Ils se traduisent par des pertes de prospérité : tant que ces coûts ne sont pas financés par les utilisateurs, les incitations pour les éviter ne sont pas efficaces, car ces coûts sont pris en charge par les personnes touchées et la collectivité. • Dans l’une des études thématiques22, les auteurs ont tenté, pour la première fois, d’établir un bilan global pour la Suisse. Les bases de données disponibles étaient toutefois encore en partie incomplètes (voir Tableau 2). 21 LPE, art. 2. 22 Voir OTT W., BAUR M., ITEN R., VETTORI A. (2005). Dimensions économiques de la politique de l’environnement 23 Tableau 2 : Vue d’ensemble des études disponibles sur les coûts externes en Suisse . Domaines environnementaux/dommages Industrie, artisanat, services Infrastructures xx Embouteillages xx x Autres domaines Accidents majeurs Accidents x Bruit x Risques Déchets x xx Sol xx x x Énergie Climat Eau x Air Nature et paysage x Transports Émissions Eau Matières premières Activités Utilisateurs Consommation de ressources x xx xx x x Ménages Agriculture x x x xx : domaines bien couverts ; x : domaines couverts en partie ; champs tramés : lacunes dans la quantification des coûts externes ; champs vides : domaines déjà pris en compte ailleurs (p. ex. la pollution de l’air par les ménages est contenue dans les domaines énergie et transports). État des connaissances sur les coûts externes Il ressort de l’évaluation des études disponibles que les coûts externes sont relativement bien quantifiés dans les deux domaines des transports et de l’énergie. Dans le premier, les utilisateurs (transport de personnes/marchandises, route/rail) sont connus et les coûts peuvent donc être attribués. Il n’en va pas de même dans le second. Les données sont incomplètes dans les domaines des déchets, de la pollution des eaux et de la pollution du sol. Tableau 3 : Évaluation des coûts environnementaux et taux de couverture en millions de francs 24 Données pour 2001 . Dépenses Ent./mén./agr. (sans taxes) Dépenses Pouvoirs pub. Taxes Financés Par impôts A B C D=B–C Protection des eaux Coûts externes Min. E Internalis ation Max. F G Défauts de couverture Min. H=D+E–G Max. I=D+F–G 681 1’782 1’130 652 391 475 9 1’034 1’119 24 27 2 25 386 454 9 402 469 Déchets 530 1’500 1’081 418 0 0 0 418 418 Climat 460 117 9 107 2’495 6’769 413 2’189 6’463 1’361 117 14 103 3’260 7’230 519 2’844 6’814 41 536 23 512 998 1’568 138 1’372 1’942 335 443 128 315 1’323 3’526 221 1’417 3’620 0 63 11 52 0 0 0 52 52 3’432 4’583 2’400 2’184 8’853 20’022 1’308 9’729 20’898 Protection du sol Protection de l’air Protection contre le bruit Nature et paysages Recherche sur l’env. Total 23 Source: OTT W., BAUR M., ITEN R., VETTORI A. (2005, tableau 1). 24 Source: OTT W., BAUR M., ITEN R., VETTORI A. (2005, tableau 2). 5 Principe de causalité : des milliards de coûts non couverts 23 Défaut de couverture dans tous les secteurs de l’environnement 24 Ces résultats peuvent être résumés comme suit : • L’épuration des eaux et la gestion des déchets occasionnent les plus fortes dépenses à la charge des pouvoirs publics. Ces dépenses sont couvertes dans une large mesure, quoique encore imparfaitement, par des taxes. Si les coûts externes aujourd’hui connus (coûts indirects des atteintes à l’environnement) sont faibles, ils n’ont pas encore été du tout étudiés dans de nombreux domaines (p. ex. nappe phréatique). • Près de la moitié des dépenses totales des entreprises, des ménages et de l’agriculture (à l’exclusion des taxes) est consacrée à la protection de l’air. Environ 40% des dépenses sont destinées à l’épuration des eaux et à la gestion des déchets. • Dans les domaines du climat, de la protection de l’air, de la protection contre le bruit et de la protection de la nature, des coûts externes importants subsistent encore. Ils se présentent ainsi dans le détail : – Pour le climat, les coûts externes proviennent notamment de la consommation d’énergie. – Dans la protection de l’air, les coûts externes comprennent surtout les coûts de santé dus à la pollution de l’air occasionnée par le trafic et la consommation d’énergie. – Les coûts externes considérés dans la protection contre le bruit concernent uniquement le trafic. – Les coûts externes les plus importants dans la protection de la nature sont à mettre sur le compte du trafic (atteinte à la beauté des paysages et réduction des surfaces à disposition de la faune et de la flore) et de l’agriculture (destruction des ressources vitales : faune, flore, diversité des espèces). – Le problème de la consommation croissante des ressources, celle du sol en particulier, n’est examiné que ponctuellement dans les études sur les coûts externes. • Les résultats révèlent que des défauts de couverture subsistent dans pratiquement tous les domaines – Les pouvoirs publics dépensent environ 2,2 milliards de francs au titre de la protection de l’environnement, sans aucune contribution en retour des utilisateurs. – Selon les estimations actuelles, les coûts externes atteignent au moins 8,9 milliards de francs. De ce montant, seulement 1,3 milliard de francs sont internalisés, ce qui représente un défaut de couverture de 7,6 milliards de francs au moins. – Dans l’ensemble, les coûts environnementaux non couverts varient, selon les estimations actuelles, entre 9,7 et 20,9 milliards de francs. – Le principe de causalité n’est donc pas respecté. Les défauts de couverture les plus importants sont enregistrés dans les domaines du climat, de la protection de l’air et de la protection de la nature. Ce résultat s’explique par des coûts externes élevés dans ces domaines. Dimensions économiques de la politique de l’environnement • Les coûts externes des risques majeurs (p. ex. centrales nucléaires, accidents chimiques, biotechnologie) n’ont pas été pris en compte dans les estimations, car les données disponibles ne permettent pas de tirer des conclusions probantes. La monétarisation de ces risques pose également des problèmes méthodologiques encore non résolus. Application systématique du principe de causalité Progrès dans l’application du principe de causalité L’application systématique du principe de causalité pourrait passer par une attribution claire des droits de propriété ou par une nouvelle réglementation des régimes institutionnels de ressources naturelles (voir encadré). L’approche classique repose sur le prélèvement de taxes selon le principe de causalité. Il s’agit d’un domaine qui a beaucoup progressé durant ces dernières années. Citons par exemple :25 • La redevance poids lourds liée aux prestations, prélevée depuis début 2001. • La taxe d’incitation sur les COV (composés organiques volatils qui sont contenus p. ex. dans les couleurs et les vernis et qui participent au smog estival). • La forte diminution des ressources fiscales utilisées pour l’épuration des eaux (relèvement des taxes et application du principe de causalité ; plusieurs cantons ont introduit également une redevance sur les eaux usées). • La taxe poubelle. • Les taxes d’élimination anticipée sur les piles et le verre. Ces exemples nous enseignent deux choses. D’abord, que l’utilisation des instruments d’économie de marché a permis de résoudre des problèmes de financement. Ensuite, que ces instruments ont créé des effets incitatifs perceptibles (p. ex. utilisation accrue de camions plus propres, hausse du taux de recyclage depuis l’introduction de la taxe poubelle). 25 Voir également OFEFP (2002), MOHR A. (2004). 5 Principe de causalité : des milliards de coûts non couverts 25 Droits d’utilisation des ressources naturelles26 L’approche « attribution des droits d’utilisation » La protection de l’environnement ne se base pas que sur des taxes et des prescriptions. Les conditions-cadre, l’attribution des droits de propriété attachés aux ressources naturelles et les institutions elles-mêmes (par ex. système juridique, régime politique) comptent aussi. Ces réflexions ont donné naissance au concept des régimes institutionnels de ressources naturelles. Ce concept cherche, fondamentalement, à redéfinir les droits de propriété et d’utilisation attachés aux ressources naturelles et, par exemple, à fixer des contingents maximaux d’utilisation. L’élément central de cette politique de ressources naturelles repose ainsi sur des restrictions d’utilisation touchant les propriétaires dans le but d’inciter ceux-ci à ne pas surexploiter les ressources naturelles. Les possibilités de gestion écologique sur la base des régimes institutionnels de ressources naturelles ont encore été peu étudiées jusqu’à présent. Des possibilités d’application sont concevables dans les domaines suivants : Paysage : Introduction de titres de propriété expressément définis, mais actuellement inexistants, sur le paysage (par ex. droits d’accès plus ou moins étroits à des sites naturels pour les personnes en quête de détente, ne possédant aucun droit d’utilisation illimité sur les parcelles de terres correspondantes). Ces titres de propriété réglementeraient les droits et les devoirs découlant de l’utilisation et de la protection du paysage entre les différents groupes. Étant donné qu’il manque encore un système réglementaire proprement dit, les droits de disposition et d’utilisation conférés par la propriété tendent à l’emporter sur l’intérêt public de la protection et du développement à long terme d’éléments du paysage fractionnés entre plusieurs parcelles. La politique pourrait lancer un signal institutionnel en modifiant les droits actuels de propriété et d’utilisation de manière à protéger les intérêts de la collectivité. Des instruments d’aménagement du territoire, des règles de gestion et d’utilisation et des instruments d’économie de marché pourraient être mis en œuvre. Eau : Octroi de concessions pour l’utilisation de l’eau contre le paiement d’une redevance d’utilisation (taxe sur l’eau). Limitations de l’utilisation dans le sens d’un débit résiduel minimal dans la production énergétique. Ces instruments sont courants depuis longtemps et pourraient par conséquent éventuellement servir de modèles dans d’autres domaines. Forêt : L’utilisation de la forêt est régie par des règles de droit public ou des règles de droit privé. En Suisse, l’accès à la forêt est libre (open access). Par ailleurs, chacun a également le droit d’y cueillir des baies et des champignons. La chasse est soumise à une régale de l’État (propriété de l’État). L’utilisation du bois est directement liée à la propriété de la forêt et réservée au propriétaire. Les droits d’aliénation et de partage de la forêt suisse ont été limités par des politiques publiques dans le but de permettre une exploitation et un entretien économiques de la forêt dans l’intérêt public. Sol : Attribution claire de droits de la propriété, y compris limitations de l’utilisation du sol dans l’intérêt général à l’encontre du propriétaire. Il est concevable de combiner cette proposition avec une gestion des surfaces par le biais de certificats d’utilisation du sol. Climat : Les mécanismes de flexibilité du Protocole de Kyoto prévoient un système d’échange des droits d’émission. 26 26 Sources: Vue d’ensemble chez OTT W., BAUR M., ITEN R., VETTORI A. (2005, section 5.1.4) Fondements chez KNOEPFEL P., KISSLING-NÄF I., VARONE F. (2001) ainsi que chez KISSLING-NÄF I., VARONE F. (2000). Dimensions économiques de la politique de l’environnement 6 Découplage : la croissance économique résout-elle ou aggrave-t-elle les problèmes écologiques ? Croissance zéro ou la croissance comme solution ? Est-il possible de concilier croissance économique et diminution de la pollution ? • Pendant longtemps, on a cru que la croissance économique dégradait l’environnement, car à mesure que l’activité économique s’accélérait, les pressions sur l’environnement augmentaient. C’est sur la base de cette conception qu’émergea, dans les années septante, l’exigence d’une « croissance zéro ». Plus tard apparut la thèse du « découplage » entre la croissance économique et la pollution dans le but de parvenir à une croissance « qualitative » ou « durable ». • L’argumentation contraire, qui consiste à admettre l’existence d’un découplage automatique, suscite aussi de l’intérêt depuis les années nonante. Selon celle-ci, la croissance économique aggraverait certes la pollution dans un premier temps, mais à partir d’un certain seuil, l’accroissement de la prospérité permettrait de disposer de plus d’argent et de savoir-faire pour réduire les atteintes à l’environnement.27 Une étude thématique a analysé ce qu’il en est exactement pour la Suisse.28 Le découplage n’est que partiel – et aucun renversement de tendance n’est en vue Il ressort de la Tableau 4 que la pollution a effectivement diminué dans de nombreux domaines – diminution de polluants atmosphériques et amélioration de la qualité de nombreux cours d’eau – malgré une progression du PIB (découplage absolu). Dans d’autres, par contre, la pollution continue d’augmenter : à un rythme légèrement inférieur à celui du PIB dans le cas des émissions de CO2 (découplage relatif), à un rythme similaire pour la surface bâtie et même à un rythme supérieur en ce qui concerne la consommation d’énergie brute et de matières plastiques. Une analyse de la tendance dans l’étude thématique révèle que surtout dans les domaines du climat, de la diversité des espèces et de la consommation de matériaux, aucun découplage automatique ne peut être attendu à l’avenir, alors que dans d’autres (pollution de l’air), de nouveaux progrès sont en vue. 27 Cette hypothèse est également appelée « courbe environnementale de Kuznets », par analogie avec la « courbe de Kuznets » qui affirme que la croissance économique favorise une répartition des revenus d’abord inégale, puis de plus en plus équitable. 28 BINSWANGER M., BELTRANI G., JOCHEM A., SCHELSKE O. (2005). 6 Découplage : la croissance économique résout-elle ou aggrave-t-elle les problèmes écologiques ? 27 29 Tableau 4 : Le découplage en Suisse (depuis 1970) . Secteur de l’environnement ou indicateur Type* Découplage relatif (la pollution a moins augmenté que le PIB) Découplage absolu (la pollution a diminué depuis 1970) P P P Oui Oui Oui, sensiblement Non Non Oui P P P P S S S S Oui, sensiblement Oui, sensiblement Oui Oui, sensiblement Oui, sensiblement Oui, sensiblement Oui, mais les nuisances augmentent depuis 2001 Non Oui Oui Moins fort qu’avec d’autres substances Oui Oui, sensiblement Oui, sensiblement Oui, mais les nuisances augmentent depuis 2001 Non Consommation d’eau potable D Qualité de l’eau des lacs S Oui Oui, sensible pour la plupart des lacs, moins sensible pour d’autres (p. ex. lac de Sempach) Oui Oui, réductions mois fortes dans quelques lacs (p. ex. lac de Sempach) S Oui, surtout si le PIB augmente Faible S R Oui Oui Oui Oui Secteur de l’environnement : climat Émissions de CO2 Émissions de N2O Émissions de CH4 Secteur de l’environnement : air Émissions de CO Émissions de SO2 Émissions de NOx Émissions de COVNM Nuisances par SO2 Nuisances par NO2 Nuisances par PM10 Nuisances par l’ozone Secteur de l’environnement : eau Qualité de l’eau des rivières (exemplaire) Émissions de DOB Raccordement aux STEP Secteur de l’environnement : consommation de matières, substances, déchets Consommation de gravier Consommation de ciment Consommation de plastique Taux de recyclage D D D R Oui, pour cause de changement structurel Oui, pour cause de changement structurel Non Oui Réduction de consommation minime Oui Non Oui P P R Non Non Oui Non Non Oui S Sans intérêt Aucun progrès entre 1980 et 1985 D Non Non Secteur de l’environnement : énergie Consommation d’énergie brute Consommation d’énergie finale Énergies renouvelables Secteur de l’environnement : bruit Pollution sonore due au trafic routier Nombre mouvements aériens Secteur de l’environnement : sol, paysage, diversité biologique Consommation de produits phytosanitaires D Oui, mais l’efficacité des produits est plus forte et non prouvée Oui : phosphore et engrais potassiques Non : consommation d’azote minéral Oui, mais l’efficacité des produits est plus forte et non prouvée Oui : phosphore et engrais potassiques Non : consommation d’azote minéral Consommation d’engrais D Évolution de la surface bâtie Modification des listes rouges Surfaces protégées S Non Non I Non Non R (Oui), sans intérêt Oui * Type d’indicateur : Indicateur de poussée (D), de pression (P), d’état (S), d’impact (I) ou de réponse (R). Pour les indicateurs de réponse « découplage : oui » signifie que l’indicateur de réponse a augmenté davantage que le PIB. 29 Source: adapté de: BINSWANGER M., BELTRANI G., JOCHEM A., SCHELSKE O. (2005, résumé, tableau A). 28 Dimensions économiques de la politique de l’environnement Le découplage n’est pas automatique Jeu de facteurs d’influenc Une vaste étude de la littérature spécialisée30 montre clairement que le découplage n’est pas automatique si les revenus augmentent, mais qu’il dépend plutôt de nombreux facteurs. Jouent par exemple un rôle : • Le nombre d’habitants et l’évolution du mode de vie (demande de certains biens, demande d’une amélioration de la qualité de l’environnement) • L’existence de technologies et leur utilisation effective (progrès technique) • La consommation d’énergie et de matériaux d’un secteur • L’avènement d’une société de services (y compris le transfert de la production agricole et de la production industrielle à l’étranger) • L’évolution du niveau des prix (exemple : choc pétrolier) Il apparaît ainsi que tant l’offre (production) que la demande (consommation) d’une économie nationale sont importantes. Du côté de la production, la croissance n’entraîne pas nécessairement une utilisation plus intensive de l’environnement (c’est le cas par exemple si la croissance est due à une hausse qualitative et non quantitative des produits ou si la croissance concerne les services plutôt que les produits physiques). Du côté de la consommation, une augmentation des revenus tend à rendre les consommateurs plus attentifs aux questions environnementales (demande de biens environnementaux). Dans le même temps, pourtant, elle favorise aussi une consommation préjudiciable à l’environnement. La Figure 3 montre, dans l’exemple de l’énergie, un modèle simplifié de décomposition des facteurs d’influence de la pollution. Figure 3 : Rejets de polluants Facteurs d’influence de la pollution : exemple = Activités x Efficacité énergétique x Facteurs d’émission de l’énergie. L’augmentation des activités économiques, comme la construction, la production industrielle ou le trafic, se traduit par un accroissement des émissions. Cet effet peut être compensé, dans le meilleur des cas, par une amélioration de l’efficacité énergétique (p. ex. meilleure utilisation des capacités) et de l’efficacité technique. Dans de nombreux domaines, la croissance économique a fait progresser la consommation ou la production à un point tel que le progrès technique n’a pas suffi pour diminuer globalement la pollution (p. ex. émissions de CO2 du trafic individuel). En revanche, dans le domaine de la consommation d’énergie des ménages, par exemple, il a été possible de réduire les émissions de CO2 bien que la surface habitable ait augmenté. Dans certains secteurs, tant l’activité que les pressions spécifiques sur l’environnement (p. ex. utilisation du sol par personne) ont augmenté (voir Figure 4). 30 Voir analyse littérature dans l’étude thématique citée ainsi que dans LIEB C. (2002) et LIEB C. (2005). 6 Découplage : la croissance économique résout-elle ou aggrave-t-elle les problèmes écologiques ? 29 Ménages (1990-2000) Émissions -3% = de CO2 en baisse Hausse de la surface habix table +14% Meilleurs bâtiments x Amélioration technique/combustibles -4% Trafic individuel (1990-2000) Émission +8% = de CO2 en hausse Hausse du trafic x Route conx serve part de marché +0% Légère amélioration de la technique -4% Transport de marchandises (route) (1970-2000) Émissions +21% = de NOX en hausse Hausse du trafic x Route gagne part de marché x Sensible amélioration de la technique -73% Utilisation sol des ménages (1985-1997) Utilisa- +28% Hausse du nom= bre d’habitants tion du sol en hausse +9% x Moins de personnes par ménage +8% x Hausse de la surface par ménage +8% Consom- +21% mation de maté- = riaux en hausse x sité construction x matériaux con- Matériaux de construction (1985-2000) Figure 4 : Répartition des +12% +177% Croissance économique +70% -12% +63% Diminution inten- Hausse intensité économie -36% struction +12% Des points de pourcentage positifs signifient une aggravation de la pollution, ou une contribution du facteur considéré à l’aggravation de la pollution facteurs de pollution 31 (exemples) . Commentaire : Entre 1990 et 2000, les émissions de CO2 des ménages ont pu être abaissées de 3% (à 97%) par rapport à leur niveau de 1990, alors que la surface habitable a augmenté de 14% (à 114%) dans le même temps. L’effet de la croissance a pu être légèrement surcompensé grâce à une amélioration des bâtiments (réduction de la consommation d’énergie spécifique de 12%, à 88%) et de la 32 technique (réduction des émissions de polluants par unité énergétique de 4%, à 96%). L’équation mathématique correcte est la suivante : 97% = 114% x 88% x 96%. L’étude thématique parvient à la conclusion que seule une politique de l’environnement ciblée, aussi favorable que possible à l’innovation, permet de réaliser un découplage. Dans l’immense majorité des cas, le découplage ne se met ainsi pas en place de lui-même, c’est-à-dire sans mesures de protection de l’environnement. Consommation : le rôle des préférences pour les produits écologiques Sur de nombreux marchés, les produits écologiques se taillent un succès de plus en plus grand. La tendance est réjouissante par exemple sur le marché de l’électricité (courant vert) ou sur celui des denrées alimentaires. En 2002, le chiffre d’affaires des produits bio a dépassé la barre du milliard de francs, après une croissance de 13%.33 D’où la question suivante : la plus grande sensibilité des consommateurs aux problèmes écologiques peut-elle réaliser le découplage ? 31 Source: illustration propre ; exemples extraits de BINSWANGER M., BELTRANI G., JOCHEM A., SCHELSKE O. (2005, chapitre 3). 32 Les signes de multiplication dans la figure doivent être compris de manière non pas « mathématique », mais symbolique. 33 30 Source: (Bio Suisse 2003). Dimensions économiques de la politique de l’environnement Parts de marché limitées À en juger par les chiffres des ventes, le scepticisme est de mise. Après un démarrage spectaculaire, le courant vert ne représente que 4,6% de l’électricité consommée en Suisse34, tandis que la part de marché des produits bio atteint seulement 4%, même si certains supposent qu’il existe encore un fort potentiel de croissance35. Sur le marché automobile, la demande semble évoluer moins vers les économies de carburant et la protection de l’air que vers davantage de confort, de sécurité et de performance. Ainsi, depuis 1990, les véhicules automobiles pèsent toujours lourd et les moteurs sont toujours plus puissants36. Le bio ne profite pas Pour la plupart des marchés, il paraît irréaliste de croire que les produits les plus écologiques domineront un jour les marchés. Pourquoi ? Les consommateurs qui achètent « écolo » le font certes pour de bonnes raisons, p.ex. pour manger plus sainement, avoir meilleure conscience ou diminuer les coûts de carburant. Cependant les nombreux effets positifs d’une consommation écologiquement responsable bénéficient aussi aux autres consommateurs. L’amélioration de la qualité de l’environnement – par exemple la diversité du paysage, un air pur ou la protection du climat – profite aussi aux acheteurs de produits conventionnels. L’analyse coûtutilité à laquelle procèdent les consommateurs est par conséquent incomplète, car ils n’incluent pas les effets bénéfiques extérieurs dans leur décision d’achat. Il est par conséquent impératif d’internaliser les coûts externes de manière à ce qu’ils se reflètent dans le prix des produits (voir chapitre « principe de causalité »). S’il est important de sensibiliser les consommateurs, et les labels peuvent y apporter une contribution précieuse, rien ne remplacera l’internalisation des coûts. qu’aux consommateurs de produits bio 34 Source: AEE (2004, p. 4). 35 Source: RICHTER, T. (2004, p. 19). 36 Source: NZZ ONLINE (13.12.2004). 6 Découplage : la croissance économique résout-elle ou aggrave-t-elle les problèmes écologiques ? 31 7 Les marchés financiers peuvent-ils encourager la protection de l’environnement ? Une entreprise axe sa stratégie notamment sur les critères des marchés financiers et des investisseurs dans le but de se procurer des capitaux et d’augmenter sa valeur en Bourse. En étant actionnaires ou en intervenant sur les marchés financiers, les investisseurs institutionnels (caisses de pensions p. ex.), les fonds de placement et les conseillers en placement ont une influence sur les décisions des entreprises. La Figure 5 présente une vue d’ensemble des jeux d’influence sur les marchés des capitaux et des acteurs qui influent sur la politique des entreprises. Environnement Agences de notation Propriétaires / clients Fiduciaires/ prestataires de services Entreprises (emprunteurs de crédits/capitaux) Figure 5 : Acteurs et leur influence (=flèche) sur les marchés Consultants Gestionnaires de fortune Banques Caisses de pensions (institutions de prévoyance) (Ré)assurances Autorités de surveillance Médias Fondations et autres investisseurs institutionnels Investisseurs privés Politique Recherche Assurés Débat public Influence via placement de capitaux Influence directe sur l‘environnement Influence sur politique de l’entreprise Influence via informations (sens large) 37 financiers . Peuvent par exemple agir Possibilités d’action dans le secteur financier • les compagnies d’assurance, en intégrant les risques écologiques dans la fixation des primes des assurances choses et responsabilité civile ; • les banques, en tenant compte des risques écologiques et de la durabilité des projets et des entreprises auxquels elles octroient des crédits ; • les banques, les compagnies d’assurance et les caisses de pensions, en réalisant des placements écologiques et en exerçant leurs droits de vote aux assemblées générales selon une stratégie comprenant également une dimension environnementale ; 37 Adapté de: BRUGGER E. A., GEELHAAR M., JABERG M., KNOEPFEL I., FURRER B. (2005, Figure dans section 2.1.). 32 Dimensions économiques de la politique de l’environnement • les banques, en proposant activement des fonds de placement écologiquement responsables (et en améliorant les systèmes d’information et de notation) ; • les caisses de pensions et les fondations collectives, en proposant à leurs clients des solutions de placement et de prévoyance écologiquement responsables et en se profilant comme des partenaires soucieux de l’environnement. Placements durables et rendements compétitifs38 Les entreprises qui adoptent un comportement particulièrement responsable du point de vue écologique et social sont-elles récompensées à long terme ? Dans l’affirmative, leurs actions devraient augmenter en Bourse plus fortement que la moyenne à long terme. Ces réflexions ont donné naissance, durant ces dernières années, à de nombreux fonds de placement qui investissent selon les critères du développement durable. En d’autres termes, ils tiennent compte aussi des critères environnementaux et sociaux à côté des perspectives de rendement économique. Différentes études comparatives montrent que la performance enregistrée par ces fonds durables (« sustainability funds »), au cours des dernières années, n’a été ni significativement meilleure, ni significativement moins bonne que celle des fonds traditionnels ; les cours d’actions des entreprises soucieuses d’environnement tendent toutefois à moins fluctuer (risques), et les secteurs écologiquement plus propres tendent dans l’ensemble à être plus rentables que d’autres. La performance des fonds environnementaux s’explique peut-être par les coûts liés à la mise à disposition de davantage d’informations et par les possibilités de diversification restreintes. Si les dispositions environnementales et sociales devaient se durcir ou si la sensibilité écologique devait augmenter, les fonds environnementaux pourraient enregistrer de meilleures performances que les autres. Il existe certes des obstacles et des limites Les marchés financiers « pensent » à court terme. De bons résultats trimestriels valent souvent encore plus que les améliorations, le plus souvent à long terme, dans le domaine de l’environnement. Par ailleurs, il est très difficile d’évaluer l’engagement d’une entreprise en faveur de l’environnement, en particulier dans une perspective à long terme. 38 Source: BRUGGER E. A., GEELHAAR M., JABERG M., KNOEPFEL I., FURRER B. (2005, section 2.2) 7 Les marchés financiers peuvent-ils encourager la protection de l’environnement ? 33 Les prestataires de services financiers servent de trait d’union entre les investisseurs et les entreprises D’une manière générale, il ne faut attendre aucun miracle écologique des marchés financiers, car ils ne sont finalement que des courroies d’information entre les investisseurs et les entreprises. Ces intermédiaires sont tributaires des conditionscadre économiques (perspectives de rendement). Les marchés financiers ne pourront jamais soutenir une entreprise non rentable à long terme, aussi respectueuse soit-elle de l’environnement. Il appartient à la politique de l’environnement de déterminer le niveau requis de protection de l’environnement. Les marchés financiers peuvent veiller, dans un cadre étroit mais néanmoins significatif et à condition de disposer de bonnes informations, à ce que les avantages économiques à long terme d’une stratégie d’entreprise écologique se reflètent également dans les cours d’actions et dans les primes d’assurance. … mais les possibilités d’influence s’accroissent Plusieurs réalités, dont l’importance devrait aller croissant à l’avenir, jouent en faveur d’une meilleure prise en compte de l’environnement par les marchés financiers : Tendance à long terme vers des marchés financiers écologiquement responsables • Les entreprises sont obligées de mieux rendre compte de leurs activités. • Les entreprises qui mettent en danger l’environnement risquent leur réputation et, partant, leur valeur sur le marché. • Les entreprises sont de plus en plus nombreuses dans le monde à appliquer les principes de la gouvernance d’entreprise (corporate governance). Elles doivent, à ce titre, s’occuper sérieusement des risques environnementaux et de leurs atteintes à l’environnement. • Les entreprises sont obligées de se montrer innovantes sur des marchés concurrentiels. Dans de nombreux cas, les innovations contribuent aussi à améliorer la protection de l’environnement. • La société, mais aussi les compagnies d’assurance et les investisseurs institutionnels, prennent de plus en plus conscience des risques écologiques (climat, sites contaminés). Le fait que les banques, les compagnies d’assurance et les marchés boursiers s’intéressent aux risques écologiques n’est pas nouveau. L’influence que peuvent exercer les actionnaires à travers leur droit de vote ne s’est guère manifestée jusqu’à présent. Dans tous les domaines d’influence, il existe encore des possibilités d’influence inexploitées. 34 Dimensions économiques de la politique de l’environnement 8 Éléments d’une politique de l’environnement efficace Les différentes études thématiques présentent un certain nombre de pistes menant à une politique de l’environnement efficace. Respecter les principes fondamentaux Objectifs à long terme, mise en œuvre flexible La politique de l’environnement doit s’inscrire dans la durée et ne doit pas varier pour ne pas déstabiliser les entreprises. Elle devrait par conséquent reposer sur des objectifs à long terme. Les mesures de protection de l’environnement doivent être économiquement supportables. En d’autres termes, elles doivent accorder la plus grande marge de manœuvre possible aux entreprises dans le choix des moyens, être faciles à appliquer pour les entreprises et leur laisser assez de temps pour amortir les investissements déjà opérés ou planifier à temps les investissements nécessaires. Les mesures d’exécution doivent être organisées et coordonnées de manière à minimiser le plus possible les distorsions de concurrence entre les cantons. Enfin, les mesures de protection de l’environnement doivent être en harmonie avec les accords internationaux pour ne pas nuire aux entreprises exposées aux assauts de la concurrence. Découpler la croissance économique et la pollution Viser à la fois la croissance économique et la diminution de la pollution La pollution ne doit pas seulement augmenter à un rythme plus lent que celui de la croissance économique. Elle doit aussi reculer en chiffres absolus. Cet objectif de découplage suppose que les émissions et la « consommation » d’environnement diminuent durablement et que l’économie continue de croître sans être freinée. Dans les secteurs de l’environnement influencés par la croissance, comme le climat, la nature et le paysage et la consommation de matériaux, il faut adopter une politique de l’environnement efficace qui encourage le progrès technique et le changement structurel (y compris transfert modal dans les transports) de manière à surcompenser l’effet de la croissance. La consommation et la production ne doivent pas être freinées, mais plutôt canalisées dans une direction respectueuse de l’environnement. Les mesures décrites ci-après, comme les instruments d’économie de marché et l’encouragement de l’innovation, reposent entièrement sur ce principe. Panoplie d’instruments : développer les instruments d’économie de marché Rôle important des incitations financières En principe, la politique de l’environnement devrait accorder la plus grande marge de manœuvre possible à l’économie. D’où la nécessité de continuer à appliquer une panoplie d’instruments, dont les mesures d’économie de marché, qui devraient être développées, car elles créent des incitations conformes aux principes de l’économie de marché tout en protégeant efficacement l’environnement. Plusieurs exemples, comme la redevance poids lourds liée aux prestations, la taxe sur les COV ou diverses redevances cantonales sur les eaux usées, montrent que ces instruments s’avèrent efficaces en pratique. Dans de nombreux domaines (produits toxiques p. ex.), cependant, les prescriptions et les interdictions restent indispensables. 8 Éléments d’une politique de l’environnement efficace 35 Les mesures librement consenties, telles que les conventions sur les objectifs et les accords sectoriels, peuvent se révéler judicieuses et efficaces dans des domaines partiels à condition de prévoir aussi des sanctions. Elles nécessitent toutefois un travail important de préparation (négociations) et leurs résultats laissent en partie à désirer (exemple : abaissement de la consommation de carburant des voitures de tourisme). En particulier quand les problèmes de pollution dépassent les frontières, les accords internationaux constituent le plus souvent un bon moyen d’arriver à une solution. Ils empêchent de pénaliser économiquement des pays pionniers dans la protection de l’environnement et peuvent favoriser les innovations en envoyant des signaux clairs (exemple fameux : le Protocole de Montréal relatifs aux substances qui appauvrissent la couche d’ozone a permis d’interdire les CFC39). Tous les instruments doivent être conçus de la manière la plus simple et la plus transparente possible. Ce principe se trouve souvent en contradiction avec le besoin d’éviter des cas de rigueur au moyen de régimes d’exception et, ainsi, d’améliorer l’acceptation de ces instruments. Appliquer le principe de causalité Réduire le défaut de couverture 36 Le principe de causalité n’est pas encore respecté dans de nombreux domaines. L’étude thématique qui lui est consacrée40 propose par conséquent une série de mesures : • Dans les domaines de la protection des eaux, de la protection du sol, de la gestion des déchets, de la protection de l’air et de la protection contre le bruit, les mesures prises par l’État doivent être financées systématiquement selon le principe de causalité, par exemple par le prélèvement de taxes. • Le coût accru des tâches de gestion, d’exécution, de contrôle et d’assainissement pourrait également être financé par le prélèvement ou le relèvement de taxes (si les coûts peuvent être attribués aux responsables) ou par des taxes de financement. • Les coûts externes sont particulièrement élevés dans les domaines de la protection du climat, de la protection de l’air, de la protection contre le bruit et de la nature et du paysage. Pour les internaliser, l’étude thématique propose d’introduire les instruments suivants : – Taxe sur le CO2 ou taxe sur les agents énergétiques non renouvelables – Taxe sur le trafic individuel (péage routier) – Certificats d’utilisation du sol – S’il existe des projets concrets dans différents domaines (taxe sur le CO2), dans d’autres, il faut préalablement examiner comment les instruments d’économie de marché pourraient être appliqués effectivement. 39 KÄGI W., SIEGRIST S., SCHÄFLI M. (2005, section 4.2). 40 Voir OTT W., BAUR M., ITEN R., VETTORI A. (2005). Dimensions économiques de la politique de l’environnement Politique technologique et de l’innovation Instaurer un climat propice à l’innovation Le progrès technologique peut induire des améliorations aussi bien économiques qu’écologiques. La course à l’innovation est toutefois parsemée d’obstacles, comme la peur du risque ou le déficit d’information.41 L’État peut y remédier de plusieurs façons : • en encourageant les projets technologiques et les projets de recherche ; • en fixant clairement les priorités pour favoriser la demande d’innovations écologiques (par exemple en annonçant longtemps à l’avance des objectifs environnementaux plus sévères) ; • en encourageant le développement et la diffusion des innovations technologiques (transfert de technologies, réseaux d’innovation, regroupement des compétences) ; • en créant des marchés de pointe qui permettent de tester des produits innovants (p. ex. appareils ménagers énergétiquement efficaces). • La politique de l’innovation et la politique de l’environnement devraient par conséquent davantage être définies l’une par rapport à l’autre de manière à pouvoir fixer des champs d’action, ce qui favoriserait les innovations à la fois économiques et écologiques. Utiliser l’effet de levier des marchés financiers Politique de placement, transparence et conditions-cadre comme instruments Selon l’étude thématique42, la Confédération peut utiliser l’effet de levier des marchés financiers en faveur de l’environnement de plusieurs façons : • En tant qu’investisseur, elle peut s’engager pour une politique de placement respectueuse de l’environnement. • Elle peut également contribuer à améliorer la transparence des marchés financiers, par exemple en encourageant les entreprises à respecter des normes d’information écologique et de rating écologique, en incitant les assurances à instaurer des systèmes d’évaluation des risques ou en encourageant les caisses de pensions à mieux rendre compte de leur politique de placement et de leur politique de droit de vote. • En tant que législateur, elle peut enfin créer des incitations pour que le développement durable soit davantage pris en compte par les marchés financiers. L’instauration de conditions-cadre permettant l’échange de droits d’émission de CO2 fait également partie de cette politique. 41 Voir ITEN R., PETER M., WALZ R., MENEGALE S., BLUM M. (2005, section 8.2). 42 BRUGGER E. A., GEELHAAR M., JABERG M., KNOEPFEL I., FURRER B. (2005). 8 Éléments d’une politique de l’environnement efficace 37 Examiner régulièrement les effets de manière à les amplifier Examiner le rapport coût-efficacité Dans quelques secteurs environnementaux, les effets des mesures de protection de l’environnement sont bien documentés. D’autres secteurs (protection du paysage, bruit, protection de la nature, diversité biologique) n’ont encore donné lieu à aucune étude systématique d’efficacité. Il en va de même pour divers instruments (droit de la responsabilité civile, conventions). Les effets, potentiellement nuisibles à l’environnement, des nombreuses subventions ne sont pas analysés à fond. Les études sur l’efficacité (des coûts) des mesures de protection de l’environnement sont généralement inexistantes. Les auteurs de l’étude thématique43 proposent d’évaluer systématiquement les principales mesures de protection de l’environnement. De telles évaluations sont prévues dans la Constitution fédérale (art. 170). Elles ont fait leurs preuves pour accroître l’efficacité de la politique, par exemple dans le domaine de l’énergie. Elles peuvent aussi servir à étudier et à optimiser les conséquences économiques. 43 38 MAUCH C., BALTHASAR A. (2005). Dimensions économiques de la politique de l’environnement 9 Perspectives : l’écologie et l’économie se conditionnent mutuellement Préserver l’avantage de la place économique Suisse Contribution de la politique économique Contribution de la politique de l’environnement Toutes les études thématiques le montrent : l’environnement et l’économie sont indissociables. Sans un environnement intact, la prospérité elle-même est menacée. Dans une perspective à court terme, une pesée des intérêts intervient certes toujours, et même à long terme, il n’est pas facile de déterminer le niveau optimal de protection de l’environnement. Il n’est pas possible non plus d’empêcher des coûts d’adaptation dans certaines entreprises ou dans certains secteurs à la suite du changement structurel écologique. À long terme et dans une perspective macroéconomique, toutefois, personne ne conteste que l’avantage de la place économique doit être préservé à un coût aussi minime que possible. Dans le domaine de la protection de l’environnement, cela signifie qu’il faut prendre des mesures efficaces, de préférence préventives plutôt que curatives. Autrement dit • Une politique économique respectueuse de l’environnement implique – de tenir compte davantage de l’environnement dans la politique technologique, – de ne pas occulter les coûts environnementaux non couverts, mais de les imputer davantage à leurs responsables, ce qui diminue les coûts à la charge de la collectivité et met les accents aux bons endroits, – de créer, par la croissance économique, les moyens et les marges de manoeuvre nécessaires pour les ménages, les entreprises et les pouvoirs publiques pour investir dans la protection de l’environnement. • La politique de l’environnement peut contribuer à l’efficacité économique en – préservant les bases naturelles de la vie et les ressources naturelles importantes, – définissant des objectifs à long terme et des mesures prévisibles à l’avance, – en développant les mesures d’économie de marché, en créant les incitations nécessaires et en laissant aux consommateurs et aux entreprises la liberté des moyens à mettre en œuvre pour atteindre les objectifs, – en encourageant le développement et la diffusion des innovations de technologie environnementale, – en privilégiant la conclusion d’accords internationaux quand les problèmes écologiques dépassent les frontières et en tenant compte des accords commerciaux multilatéraux dans la politique nationale de l’environnement, – en favorisant la prise en considération de l’environnement sur les marchés financiers et en contribuant ainsi à encourager l’innovation, à améliorer la réputation des marchés financiers et à mieux reconnaître les risques, – en examinant systématiquement l’efficacité des mesures de protection de l’environnement et en optimisant les mesures, sous un angle économique également. 9 Perspectives : l’écologie et l’économie se conditionnent mutuellement 39 Bibliographie Études thématiques du projet « Environnement et économie » BINSWANGER M., BELTRANI G., JOCHEM A., SCHELSKE O. 2005 : Wachstum und Umweltbelastung: Findet eine Entkopplung statt? (Croissance et pollution: le découplage est-il une réalité?). En allemand avec résumé en français. Étude thématique 2 dans le cadre du projet « Environnement et économie » de l’OFEFP, Berne. BRUGGER E. A., GEELHAAR M., JABERG M., KNOEPFEL I., FURRER B. 2005 : Finanzmärkte und Umwelt (Marchés financiers et environnement). En allemand avec résumé en français. Étude thématique 4 dans le cadre du projet « Environnement et économie » de l’OFEFP, Berne. ITEN R., PETER M., WALZ R., MENEGALE S., BLUM M. 2005 : Auswirkungen des Umweltschutzes auf BIP, Beschäftigung und Unternehmen (Conséquences de la protection de l’environnement sur le PIB, l’emploi et les entreprises). En allemand avec résumé en français. Étude thématique 1 dans le cadre du projet « Environnement et économie » de l’OFEFP, Berne. KÄGI W., SIEGRIST S., SCHÄFLI M. 2005 : Wettbewerb und Umweltpolitik in einer globalisierten Wirtschaft (Compétitivité et politique de l’environnement dans une économie mondialisée). En allemand avec résumé en français. Étude thématique 3 dans le cadre du projet « Environnement et économie » de l’OFEFP, Berne. MAUCH C., BALTHASAR A. 2005 : Machbarkeitsstudie «Evaluation der bisherigen Umweltpolitik» (Étude de faisabilité « Évaluation de la politique de l’environnement menée jusqu’à présent »). En allemand avec résumé en français. Étude thématique 6 dans le cadre du projet « Environnement et économie » de l’OFEFP, Berne. OTT W., BAUR M., ITEN R., VETTORI A. 2005 : Konsequente Umsetzung des Verursacherprinzips (Application systématique du principe de causalité). En allemand avec résumé en français. Étude thématique 5 dans le cadre du projet « Environnement et économie » de l’OFEFP, Berne. Bibliographie 41 Autres AEE 2004 : Der Markt für Ökostrom und weitere Stromprodukte aus erneuerbaren Energien in der Schweiz im Jahre 2003, Zürich. BIO SUISSE 2003 : Les ventes bio en Suisse franchissent le seuil du milliard : résumé pour les médias, 25.3.2003, Frick. 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