Chapitre 1 - Réseau Action Climat

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I. La construction sociale du problème
Le changement climatique est un problème socialement construit, et ceci à plus d'un titre.
C'est l'activité humaine qui est la cause de ce risque, tout d'abord – ou, plus exactement, ce sont différentes
sociétés qui en sont la cause, et ceci à des titres différents. Ce sont les sociétés qui l'observent, ensuite, et qui
observent aussi qui est responsable de telle ou telle quantité d'émissions. Ce sont les sociétés qui vont y faire
face et qui auront à le résoudre, enfin, et là aussi toutes ne sont pas également armées. Et le changement
climatique n'est que l'un des aspects de la crise environnementale dans laquelle sont entrées nos sociétés.
Tous ces aspects ont des liens multiples avec la question de la justice : quelle est la légitimité de telle ou telle
activité humaine au regard de ses résultats sur le milieu naturel ou sur d'autres êtres humains ? Telle ou telle
activité contribue-t-elle à produire plutôt des biens ou des maux ? Qui en décide ? Qui en bénéficie et qui les
subit ? Comment disposer d'une représentation adéquate du comportement des entités en jeu et de leurs
interactions pour pouvoir anticiper les conséquences de l'action ? Qu'est-ce que la nature, quel rôle a-t-elle ? Qui
sont ces Etats qui négocient pour réduire leurs émissions ? Comment s'accorder sur la qualification des entités et
des critères d'équité pertinents et déterminer ce que pourrait être une répartition juste des biens et des maux ?
La question de la justice dans la crise environnementale, et dans le cas du changement climatique en
particulier, ne s'inscrit pas dans un espace social vierge de tout présupposé. Il est impossible de comprendre ce
qui se joue actuellement sans faire un effort pour retracer les filiations, tant pour ce qui est des pratiques qu'en
ce qui concerne les concepts par lesquels nous pensons notre société et notre action dans leur monde.
L'environnement ne se dégrade pas tout seul : ce sont bien des êtres humains qui le dégradent, et certains y
contribuent davantage que d'autres. Les êtres humains agissant ainsi sont animés de motivations qu'il convient
d'élucider.
On peut aussi être surpris en constatant que l'idée de l'éventualité d'une modification anthropique du climat
est vieille de quasiment deux siècles, précédant de beaucoup la construction internationale du problème du
changement climatique. La capacité de comprendre ne suffit donc pas : il faut aussi que s'y ajoute l'intérêt, et
ici, il sera dicté par le risque, qui suscite une in-quiétude. Pourquoi nul ne s’est-il réellement intéressé à la
question jusqu’ici, alors qu'il existait dès le XIXe siècle des présomptions suffisantes pour justifier des
investigations plus poussées1 ? Interrogeons-nous également sur l'identité du sujet qui porte ces raisons : s'agit-il
d'un citoyen, d'une autorité, d'une nation, d'un Etat ? Et de quel citoyen, quelle nation, quel Etat ? Quelle est cette
chose désignée par le concept d'environnement ? Est-elle naturelle, artificielle ?
On ne peut utiliser de concept de manière innocente. Tout ce que l'on peut faire, c'est tenter d'expliciter le
sens qu'on y voit et y trouve. Nous allons donc nous efforcer ici de retrouver quelques repères dans les
méandres des filiations, et de proposer une lecture de la construction sociale de la crise environnementale, en
suivant plus particulièrement le cas du changement climatique. Nous cherchons ainsi à aboutir à un état des lieux
beaucoup plus complet que celui établi en première partie de ce chapitre, fournissant les éclairages nécessaires
à la compréhension du contexte dans lequel se pose la question de la justice.
Nous allons plus particulièrement retracer l'évolution et la construction des trois thèmes centraux pour notre
analyse :
1
S. Arrhénius, On influence of carbonic acid in the air upon the temperature of the ground, in Philos.
Mag. S., 1896, Vol 41, no. 251, pp. 237-276.
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- le thème de la justice, bien sûr, qui reste toujours lié aux aspects évoqués en introduction : définition des
biens et maux à répartir, définition des acteurs et des critères d'équité pertinents, des institutions capables de les
répartir etc.
- le thème de la nature , qui joue un rôle fondamental dans la crise environnementale,
- le thème des relations internationales, qu'il serait plus adéquat de considérer comme des relations intersociétales se présentant aujourd'hui essentiellement comme des relations commerciales et des relations interétatiques.
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1. Le changement climatique : état des lieux
Nous allons commencer par dresser un état des lieux.
Qu'est-ce que le changement climatique ? A quoi est-il du ? Qu'est-ce qu'un gaz à effet de serre ? Ceci a-t-il
quelque chose à voir avec la couche d'ozone ? Peut-on prévoir le climat futur ? Toutes ces questions, et bien
d'autres, sont au cœur du problème. L'objet de ce chapitre est de faire un état de la question du changement
climatique tel qu'il se présente actuellement dans le consensus des experts. C'est l'état des lieux d'un problème
social, d'un problème rencontré par les sociétés humaines dans leur activité et tel qu'il apparaît dans le débat qui
a lieu entre les parties prenantes. Il y a un changement climatique qui est posé comme un problème, et il y a un
accord minimal autour d'un certain nombre de repères balisant le débat.
Ce chapitre présente l'ensemble de ces repères qui sont considérés comme des faits par les experts. Ensuite,
tout n'est que problèmes. Ce chapitre est donc notre point de départ. Tout l'enjeu ensuite sera de dérouler et
d'expliquer l'arrière-plan conceptuel sur le fond duquel s'expose cet état des lieux, pour aboutir à quelque chose
de plus satisfaisant. Nous serons donc amenés dans les chapitres suivants à analyser et problématiser bon
nombre de concepts et objets qui sont ici simplement présentés comme des faits.
1. Le forçage anthropique de l'effet de serre
Il faut tout d'abord distinguer la notion de « climat » de celle du « temps qu'il fait ». Le temps qu'il fait se
réfère à l'état climatique perçu d'une manière localisée, anthropocentrée, en un lieu donné : le « beau » ou le
« mauvais » temps. Le climat par contre désigne l'ensemble des phénomènes météorologiques qui caractérisent
l'état moyen de l'atmosphère. Le climat est donc envisagé non pas pour l'Homme, mais pour lui-même, de
manière objective. Le temps qu'il fait est la perception subjective et passagère d'un état du climat en un lieu
donné. Il peut donc donner des indications sur l'histoire du climat, mais avec un degré de fiabilité assez faible et
très variable. E. Le Roy Ladurie s'est par exemple appuyé sur les dates des vendanges au Moyen-Age, comme
indice pour reconstituer le climat autour de l'an mil2. Le climat, lui, met en oeuvre des facteurs physiques,
chimiques et biologiques qui ne dépendent pas de la subjectivité de l'observateur.
Il y a ensuite deux utilisations différentes du concept de changement climatique. Pour les climatologues, le
concept de changement climatique se réfère à toute évolution du climat, qu'elle soit ou non due à l'activité
humaine. Par contre, dans le cadre des négociations internationales ce concept désigne exclusivement la partie
de l'évolution climatique dont l'activité humaine porte la responsabilité. Nous utiliserons le concept uniquement
dans ce second sens, suivant en cela l'usage le plus commun.
i - Qu'est-ce que l'effet de serre ?
La Terre est une planète qui a la particularité d'être pourvue d’une atmosphère.
Cette atmosphère a une composition homogène, précise et stable dans le temps : 78% d'azote et 21%
d’oxygène environ, à quoi s'ajoutent des gaz présents en faible proportion dits gaz traces. Parmi ces gaz traces,
on trouve des gaz dont l’une des propriétés est de piéger l'énergie solaire. Agissant comme une sorte de
couverture globale, ces gaz induisent un effet de serre naturel par lequel la température terrestre est accrue de
33°, permettant d'arriver à une température moyenne terrestre de +15°C, au lieu de –18°C. Cet effet de serre
naturel est l’une des conditions de possibilité de la vie, puisqu'il n'y a pas de vie si l'eau reste gelée, au moins
pour ce qui est des formes de vie connues. Les gaz à effet de serre sont en proportion suffisante pour que la
2
E. Le Roy Ladurie, Histoire du climat depuis l'an mil, Paris : Flammarion, Champs, 1983. 2 volumes.
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température terrestre moyenne reste comprise dans les limites connues de tolérance de la vie. Sur Vénus, par
exemple, un taux plus important de gaz à effet de serre contribue à maintenir une température moyenne de
250°C, rendant toute forme de vie connue impossible.
Figure 1 : L'effet de serre (Source : UNEP/ La voie verte 20003).
La planète Terre reçoit du soleil une énergie moyenne de 342 watts par mètre carré. Un tiers de cette
énergie est ré émis directement dans l'espace, et les deux tiers restants sont absorbés par différents éléments
terrestres (eau, sols, nuages, atmosphère) avant d'être ré-émis plus tard dans l'espace sous forme de
rayonnement infrarouge. Le décalage temporel entre l'énergie reçue et l'énergie ré-émise correspond à la
circulation terrestre de l'énergie solaire, le soleil étant le moteur principal des mouvements de matière et
d'énergie dans la biosphère, et donc le moteur principal des écosystèmes. La biosphère est la région de la
planète qui renferme l'ensemble des êtres vivants et dans laquelle la vie est possible en permanence4.
Certains auteurs donnent une définition plus étendue, incluant les zones dans lesquelles la vie n'est pas possible
mais dans lesquelles transitent des éléments nécessaires à la vie. Ces éléments sont qualifiés de biogènes ou de
biotiques. C'est par exemple le cas d'une partie de l'atmosphère. Les gaz qui absorbent les rayonnements
infrarouges et provoquent l'effet de serre sont dits gaz à effets de serre.
Les principaux gaz à effet de serre (GES) sont : le dioxyde de carbone CO2, la vapeur d'eau (H2O), le
méthane (CH4), le protoxyde d'azote (NO2) et les gaz artificiels de la famille des composés chlorés (CFC,
HCFC, etc.), qui sont par ailleurs des gaz destructeurs de la couche d'ozone. Ces GES ne contribuent pas tous
de la même façon à l'effet de serre. Leur contribution relative peut être indiquée par un indicateur appelé
« pouvoir de réchauffement global » (PRG), qui est calculé en fonction des deux paramètres principaux qui
entrent en ligne de compte : la quantité d'énergie qu'une molécule d'un gaz déterminé peut intercepter, et la
durée de résidence de cette molécule dans l'atmosphère. Le tableau ci-dessous se lit de la manière suivante : 1
kg méthane a un pouvoir de réchauffement de l'atmosphère équivalent à 21 kg de CO2. La durée de résidence
est donnée à titre indicatif.
3
4
Consulté le 25/10/2000. Adresse internet : URL : http://www.ec.gc.ca/climate/primer
Cité in F. Ramade, Eléments d'écologie, Paris : Ediscience International, 1994.
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Gaz
Durée de résidence (années)
PRG
Dioxyde de carbone (CO2)
Méthane (CH4)
Protoxyde d'azote (NO2)
HCFC-22
CF4
SF 6
CFC-12
100 à 200
15
120
12
50 000
3 200
102
1
21
310
1,300
6500
23,900
6500
Tableau 1 : Le pouvoir de réchauffement global de différents gaz à effet de serre (Source : GIEC 1995).
L'indice PRG, établi sur la durée de résidence et la puissance d'absorption des différents gaz, est un peu
arbitraire : les deux grandeurs physiques ne sont pas comparables. De plus, il néglige certains aspects tels que
les effets chimiques secondaires, et qu'il repose sur des données incertaines. Cet indicateur approximatif et
simplifié n'est sans doute pas très rigoureux au point de vue scientifique, mais il a l'immense avantage de
permettre de comparer directement la culpabilité relative de chaque gaz5. Les décideurs disposent ainsi d'un outil
pour établir des priorités sans avoir à se convertir en climatologues.
ii - Qu'est-ce que le système climatique ?
Le climat est l'ensemble des phénomènes météorologiques qui ont lieu dans l'atmosphère, mais les
déterminants du climat ne se réduisent pas aux éléments présents dans l'atmosphère. Le soleil, les océans, la
biosphère etc. jouent eux aussi un rôle.
Ni l'atmosphère ni la biosphère ne sont des systèmes inertes et stables. Ces éléments sont au contraire
composés de régulations cycliques et évolutives. Le système climatique peut être décrit en première
approximation comme un système thermodynamique non-linéaire. La non-linéarité signifie qu'à l'évolution
progressive d'un facteur le système ne réagit pas forcément par une évolution linéaire. Prenons l'exemple de
l'eau s'écoulant par l'orifice d'un robinet. Lorsque le robinet est peu ouvert, le fluide s'écoule d'une manière
régulière : c'est le régime laminaire. Quand on ouvre le robinet en grand, alors l'eau s'écoule d'une manière
désordonnée : c'est le régime turbulent. Aussi lentement que l'on ferme le robinet, le passage de l'un à l'autre
régime est toujours brutal. Le système est dit non-linéaire parce que quelle que soit la vitesse d'évolution de la
commande (le robinet), la réponse est toujours brutale : le changement de régime n'est pas ralenti parce que la
commande est ralentie. Ce qui importe alors est le seuil au-delà duquel il y a basculement dans un régime ou un
autre, chaque état étant stable à sa manière.
De la même façon, l'atmosphère et les courants océaniques sont maintenus en mouvement par des
déséquilibres successifs. Ainsi, la rencontre entre un front d'air chaud et un front d'air froid provoque une brutale
condensation de la vapeur d'eau, qui est ainsi précipitée au sol sous forme de pluie. De même, le fameux
anticyclone 6 des Açores n'est pas un anticyclone, mais un flux d'anticyclones en provenance du pôle Nord7, tous
les 3 ou 4 jours.
5
P. Roqueplo, Climats sous surveillance, Paris : Economica, 1993, pp. 196-229.
Un anticyclone est une zone de hautes pressions d'air froid.
7
Y. Lenoir, Effet de serre, changements climatiques, Intervention au Collège des Hautes Etudes de
l'Environnement – Jeudi 11 Janvier 2001.
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6
Figure 2 : La circulation océanique globale (Source : UNEP/GRID, 2000).
La plupart des déterminants du système climatique sont régis par des processus dont la loi n'est pas linéaire.
La vie par exemple est un facteur essentiel au maintien de la composition chimique de l'atmosphère, et donc au
maintien de ses propriétés. Ce sont les cycles biogéochimiques8 qui maintiennent l'équilibre de la composition de
l'atmosphère terrestre en pompant les éléments d'un compartiment de la biosphère à l'autre. La vie participe
donc à la transformation de l'environnement, et ce à des échelles colossales, très supérieures à celles auxquelles
le pouvoir humain a actuellement accès. J. Lovelock9 montre par exemple que la couche d'ozone
stratosphérique 10, qui forme une pellicule empêchant le rayonnement solaire ultraviolet nocif pour la vie
d'atteindre le sol, a été créée par l'activité continue des bactéries océaniques lors du premier milliard d'années
d'existence de la vie. L'eau les protégeait du rayonnement, et les organismes n'ont pu coloniser les terres
émergées que lorsque ces terres ont été protégées par la couche d'ozone. L'oxygène dégagé par les bactéries,
et qui continue d'être dégagé par la vie en général, maintient la composition de l'atmosphère à 21% d'oxygène et
78% d'azote, à quoi s'ajoutent les gaz traces tels que les gaz à effet de serre.
Les échanges physico-chimiques entre les différents compartiments de la biosphère sont continus et massifs.
Tout en étant sans cesse en mouvement, les gaz à effet de serre peuvent être considérés comme répartis de
manière régulière dans l'atmosphère tout autour de la planète. Si hétérogénéité il y a, elle est soit très temporaire
(éruption volcanique par exemple), soit radiale (selon l'altitude). Les processus naturels impliquent que le lieu de
production des GES importe peu en termes de conséquences sur le climat. Ceci a une conséquence politique
importante, car seule la quantité globale (agrégée) d'émissions importe pour prévenir le risque de changement
climatique. Il existe donc une interdépendance écologique entre les Etats : ce que l'un fait sur son territoire ne
8
Concept inventé par Lamarck et développé par Vernadsky. cf. J. Grinevald, L’effet de serre de la
biosphère - De la révolution thermo-industrielle à l'écologie globale, in SEBES,1990.
9
J. Lovelock, Les âges de Gaïa, Paris : Odile Jacob, 1997, Ed. orig. 1988.
10
La stratosphère est la partie de l'atmosphère comprise entre 12 et 40 km du sol.
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reste pas sans conséquences sur ce qui se produit sur le territoire d'un autre. La question de la responsabilité
dans la production des émissions sera donc au cœur des négociations sur le changement climatique.
Figure 3 : Le cycle de l'eau (Source : UNEP/ La voie verte 200011).
La biosphère est traversée et animée de cycles interdépendants. En regard du climat, trois cycles importent
tout particulièrement12 :
- le cycle du carbone (Figure 4),
- le cycle de l'eau (Figure 3) : évaporation, vapeur d'eau sous forme de nuages, pluie et ruissellement sur les
surfaces émergées pour retourner dans la mer. Le cycle peut durer quelques jours comme quelques millénaires,
dans le cas d'un stockage de l'eau dans les neiges dites éternelles ou des glaciers par exemple.
- le cycle de l'azote : l'azote atmosphérique est fixé par les plantes, éventuellement mangées par les animaux,
puis il retourne dans le sol via les excréments ou la décomposition, où des bactéries le libèrent et il retourne dans
l'atmosphère.
Il existe un grand nombre d'autres cycles moins importants en regard de leur rôle direct sur le climat : cycles
de l'oxygène, du phosphore, du soufre et du potassium. Tous les milieux et tous les vivants sont en permanence
traversés par ces cycles : le corps humain a besoin d'oxygène (respiration), de carbone (molécules de
construction), de phosphore (élément indispensable à la réplication de l'ADN) et bien sûr d'eau. Lorsque nous
buvons et nous mangeons, nous maintenons un cycle qui nous permet de rester en vie et en bonne santé. La
variabilité culturelle des modes d'alimentation cache donc une certaine régularité dans les processus naturels, de
manière à ce que la vie perdure.
Le carbone suit principalement trois types de chemins dans la biosphère13, avec des échelles de temps très
différentes :
11
12
Consulté le 25/10/2000. Adresse internet : URL : http://www.ec.gc.ca/climate/primer/
Voir Ramade, Eléments d'écologie, Paris : Ediscience International, 1994, pp338-359. Voir aussi R. Socolow
et al., Industrial Ecology and Global Change, Cambridge : Cambridge University Press, 1994, pp.
121-157.
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- le cycle court, qui consiste en la fixation du carbone atmosphérique par les plantes (photosynthèse) puis
son relâchement dans l'atmosphère à la mort des plantes, lors de la décomposition. Ce cycle est de l'ordre du
siècle.
- le cycle moyen, par lequel le carbone des plantes est transformé en matières fossiles telles que le charbon
et le pétrole. Ce cycle durait depuis plusieurs dizaines de millions d'années avant d'être modifié par l'être
humain.
- le cycle long, qui concerne davantage les océans : le phytoplancton et le plancton, ainsi que différentes
plantes et animaux marins, absorbent et fixent le carbone. A leur mort, ils tombent au fond de l'océan et
accumulent ainsi une couche carbonée qui peut remonter dans l'atmosphère via les éruptions volcaniques. Ce
cycle est plutôt de l'ordre de la centaine de millions d'années, voire du milliard d'années.
On estime que la biosphère peut recycler 3 GtC14 par an15, essentiellement grâce à l'activité de pompage de
la biosphère terrestre et de la vie océanique (phytoplancton). Le CO2 n'est donc pas un gaz à éliminer. Il ne
devient un problème que lorsque les activités humaines en injectent plus que ce que la biosphère ne peut
recycler, et que l'excédent commence à s'accumuler dans l'atmosphère. On voit donc apparaître un autre
aspect du problème qui sera très important dans les négociations : diminuer ou augmenter cette capacité de
recyclage. Par exemple, diminuer ou augmenter la couverture végétale terrestre (déforestation ou plantations)
est un moyen d'agir sur le cycle du carbone pour accroître ou réduire le pompage du carbone dans l'atmosphère.
Le climat et son évolution mettent donc en jeu des échelles de temps et d'espace très différentes. La NASA
par exemple distingue 5 échelles de temps 16 : le milliard d'années (tectonique des plaques, variation du champ
magnétique terrestre etc.), la centaine de millier d'années (âges glaciaires, évolution des espèces etc.), le siècle
(cycles biogéochimiques, courants marins, etc.), l'année (saisons, vents etc.) et le jour (alternance jour/nuit). Du
côté des échelles d'espace, on peut distinguer 3 échelles : l'échelle globale (circulation océanique, circulation
atmosphérique, tectonique des plaques etc.), l'échelle régionale (types de climat tels que climat continental,
types de vents tels le sirocco ou l'harmattan, quantité de végétation, latitude et longitude etc.), et l'échelle locale
(où l'on prend en compte l'influence des petits éléments tels que les lacs, les vallées, le type de végétation ou les
collines). On pourrait aussi ajouter ce qu'on appelle les microclimats, qui sont des conditions climatiques
particulières sur des zones de l'ordre de quelques décamètres carrés.
13
GIEC, Introduction aux Modèles Climatiques Simples - Document Technique, 1997.
Tous les calculs sont donnés dans l'unité "tonne-équivalent-carbone" (tC). 109 tC = 1GtC. On obtient la masse
de CO2 en multipliant le nombre de GtC par 3,67.
15
GIEC, Changement de climat 1995 – Résumé à l'intention des décideurs, 1995.
16
Cité in Académie Nationale des Sciences, Une planète, un avenir, Paris : Sang de la Terre, 1992, p. 17.
8 / 520
14
Figure 4 : Le cycle du carbone (Source : UNEP/ La voie verte 200017,18).
iii - La corrélation température-CO2 conduit-elle à une relation de causalité ?
Le rôle des gaz à effet de serre est assez bien identifié. Mais ils ne sont pas le s seuls responsables de la
température moyenne terrestre. L'activité solaire et bon nombre d'autres facteurs entrent eux aussi dans la
détermination du climat. Alors comment arrive-t-on à faire des gaz à effet de serre les principaux responsables
d'un risque global ?
D'une part, on a pu montrer que le taux de CO2 dans l’atmosphère a augmenté continûment depuis 1958 : la
courbe de Mauna Loa, du nom de l’observatoire hawaïen à partir duquel ont eu lieu les mesures (cf. Fig. 5), en
témoigne. D'autre part, on a pu montrer que la température terrestre avait elle -même augmenté de quelques
dixièmes de degrés au cours du siècle, et que cette augmentation est particulièrement rapide (Figure 6). Enfin,
des carottages effectués dans les calottes polaires ont montré une corrélation entre les courbes des
températures moyennes terrestres et celle des taux de CO2 (Figure 7). Ces courbes montrent que le taux de
CO2 est resté compris entre 180 et 280 ppmv19 au cours des 160 000 dernières années, et n'a jamais dépassé
280 ppmv depuis 400 000 ans. En outre, le taux est stable depuis environ 10 000 ans 20. Or, comme l'a montré la
figure plus haut, nous sommes aujourd'hui à plus de 360 ppmv, soit une brutale augmentation de 30% en un peu
plus d'un siècle. Or, au cours de ce siècle, la seule chose qui ait réellement changé au point de vue climatique, en
l'état des connaissances actuelles, est le dégagement massif de gaz à effet de serre par l'activité humaine. Le
CO2 n'est pas le seul gaz à effet de serre à avoir vu sa concentration augmenter au cours de ces 100 ou 200
dernières années : c'est aussi le cas pour le méthane (+145%), le protoxyde d'azote (+12%), comme on peut le
constater sur la figure 8, et diverses variétés de gaz chlorés, fluorés et soufrés (CFC, HCFC, SF6, CF4 etc.) qui
n'existent pas à l'état naturel. Certains modèles prennent en compte plus de 30 gaz à effet de serre artificiels.
17
Consulté le 25/10/2000. Adresse internet : URL : http://www.ec.gc.ca/climate/primer/ffig11.htm
Sur ce schéma il manque le cycle "long".
19
ppmv : parties par million en volume.
20
UNEP, Climate Change Information Kit, 1999.
18
9 / 520
Figure 5 : La courbe de Mauna Loa (Source : UNEP/GRID, 2000).
Le rapport du GIEC21 affirme la chose suivante : « Cette évolution n'est vraisemblablement pas d'origine
strictement naturelle. Les faits observés - les variations de la température moyenne mondiale de l'air à la
surface et du profil spatial, saisonnier et vertical des températures de l'atmosphère en particulier concordent pour indiquer une influence perceptible de l'homme sur le climat. »22. Et il dit ailleurs : « un
faisceau d'éléments suggère qu'il y a une influence perceptible de l'Homme sur le climat global »23. Le
CO2 étant massivement injecté dans l'atmosphère par les activités humaines, c'est ainsi qu'a commencé le
changement climatique, induit par le forçage anthropique de l'effet de serre. Le GIEC estime aujourd'hui ce
forçage radiatif à environ +3 W.m-2, soit environ 1% du flux solaire reçu par la planète.
Le GIEC prend donc clairement position, mais le débat existe encore dans la communauté scientifique.
L'origine humaine de l'augmentation du taux de GES et l'accroissement de la température moyenne sont bien
considérés comme des faits, mais les conséquences de l'un à l'autre sont encore débattues. Il n'y a pas de
preuve définitive : il s'agit de présomptions de causalité. Les modèles climatiques et les divers indices rendent
vraisemblable le risque d'une déstabilisation climatique consécutive à un forçage anthropique de l'effet de serre,
mais il y a encore de grandes incertitudes sur ce que sera la réponse du climat aux émissions humaines de GES.
21
Le GIEC est le Groupe Intergouvernemental d'Experts sur l'évolution du Climat - L'acronyme anglais est
IPCC, Intergovernmental Panel on Climate Change. C'est l'organisme mondial officiel d'expertise sur
le climat.
22
GIEC, Changement de climat 1995 – Résumé à l'intention des décideurs, 1995, p. 3.
23
GIEC, Résumé à l'intention des décideurs - Aspects scientifiques de l'évolution du climat, 1995, p. 2.
10 / 520
Figure 6 : Moyenne des températures globales observées (Source : The U.K. Meteorological Office, 1997).
Figure 7 : variation de la température et de la concentration en CO2 au cours des 400 000 dernières années
(Source : UNEP/GRID, 2000)
11 / 520
Figure 8 : Variation des taux de CO2 et de CH4 dans l'atmosphère depuis l'ère préindustrielle (Source : Hadley
Center for Climate Prediction and Research)
Il reste que d'un point de vue social, en l'état actuel de la science, la seule preuve indubitable sera le
changement climatique lui-même. Il est raisonnable de penser que la modélisation du climat ne sera jamais
qu'une approximation imparfaite des phénomènes réellement à l'œuvre, pour des raisons que nous détaillerons
plus loin. On ne pourra donc jamais tester les différentes hypothèses en laboratoire pour avoir la preuve de la
causalité avant que le phénomène ne se produise dans le monde. La preuve est ici indissociable d’un dommage
irréversible : une fois l'expérience tentée, on ne pourra ni récupérer les GES ni re-stabiliser le climat. Donc
même s'il reste des incertitudes et des débats dans la communauté scientifique, les sociétés humaines sont été
amenées à reconnaître que les émissions de GES induisent un risque de changement climatique, et que ce
risque est grave et irréversible.
2. Le changement climatique : un défi majeur pour toutes les sociétés
i - Quelles sont les causes des émissions anthropiques de gaz à effet de serre ?
Les trois causes principales sont les suivantes24 : l'emploi des combustibles fossiles, la modification de
l'occupation des sols (déforestation etc.) et l'agriculture.
Concernant l'utilisation des combustibles fossiles par exemple, le GIEC estime que la demande mondiale en
énergie s'est accrue de 2% par an depuis presque deux siècles. En 1990, elle s'élevait à 385 EJ25 d'énergie
primaire consommée, entraînant le dégagement de 6 GtC sous forme de CO2, avec la répartition suivante :
24
J. Darmstater, The Energy-CO2 Connection : A Review of Trends and Challenges, May 2000, Resources
For the Future, Background Paper.
25
EJ : hexajoules, soit 1016 joules.
12 / 520
Activité
Emissions (GtC)
%
Consommation finale de l'énergie
3,7
62
Conversion et distribution de l'énergie
2,3
38
Tableau 2 : Répartition des émissions de CO2 dans le monde (Source : GIEC 1995)
Secteur
Emissions (GtC) %
Industrie
2,7
45
Habitation ou locaux commerciaux
1,7
29
Transports
1,3
21
Tableau 3 : Répartition des émissions de CO2 dans le monde (Source : GIEC 1995)
Figure 9: Répartition des émissions de CO2 dus aux processus industriels dans le monde (Source : UNEP /
GRID, 2000)
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Figure 9 bis : Répartition des émissions de CO2 dus à la déforestation dans le monde (Source : UNEP / GRID,
2000)
Il subsiste de grandes incertitudes sur l'impact de la déforestation, de l'ordre d'un facteur 3, même si on
considère que c'est la deuxième source de GES en quantité.
Gaz
Principales sources
Méthane
culture du riz, fermentation entérique des herbivores, déchets organiques.
Protoxyde d'azote engrais, déchets.
CFC
climatisations, réfrigérateurs.
Tableau 4 : principales sources anthropiques de gaz à effet de serre (Source : GIEC 1995)
On remarque que la contribution humaine est proportionnellement très faible dans le cycle du carbone : les
échanges naturels entre les compartiments terrestres, océaniques et atmosphériques sont de l'ordre de 100 fois
plus importants que les quantités émises par les activités humaines.
Par ailleurs, si le lieu d’émission importe peu au point de vue climatique, on l'a vu, il importe beaucoup au
point de vue de la responsabilité. L'espace géopolitique terrestre, les territoires humains, ne sont pas ordonnés de
la même manière que l'espace biophysique. Les émissions humaines sont très inégalement réparties dans le
monde.
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Figure 10 : Le cycle du carbone actuel (Source : UNEP / GRID, 2000)
Les émissions sont aujourd'hui approximativement de 1,1 GtC en moyenne par an et par habitant terrestre,
avec de fortes disparités. Ajoutons qu'en termes de responsabilité, ceci ne rend pas compte de l'ensemble des
facteurs puisqu'il faudrait aussi examiner l'histoire du problème, le changement climatique étant causé par une
accumulation de gaz à effet de serre et non par les seules émissions actuelles. Une partie du CO2 présent
dans l'atmosphère a été émis au début de la révolution industrielle en Europe... et a des conséquences sur
l'ensemble de la planète.
Or si le problème est global, du fait de la migration naturelle des flux de gaz à effet de serre, l'espace
politique de sa solution ne l'est pas : l'espace humain global, c'est habituellement l'espace interétatique, et non
une démocratie globale permettant la redistribution ou la péréquation des émissions régionales. Nous verrons que
la chose est plus complexe que cela, puisque certaines entités échappent à l'autorité des Etats. C'est tout l'enjeu
de notre travail est d'expliquer ce que ceci signifie. Nous nous contentons pour le moment d'évoquer le
problème.
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Figure 11 : Les émissions par tête selon les Etats – monde (Source : GRID/UNEP, 2000).
ii - Quelles sont les tendances lourdes ?
Bien entendu, connaître les chiffres et les faits en instantané ne permet pas pour autant de savoir ce qu'il est
possible de faire. On ne saurait en déduire les marges de manœuvre26. Il faut encore connaître les déterminants
naturels et sociaux, ainsi que leur inertie.
Pour évaluer les marges de manœuvre, le GIEC a procédé à une revue de quelques centaines de scénarios
qui tentent de donner une image de l'avenir. Rappelons que ces scénarios ne sont pas des prévisions. Ce sont
des scénarios dits contre-factuels, qui permet de hiérarchiser les priorités en évaluant le poids relatif des
tendances et des décisions nécessaires pour atteindre tel ou tel but. Il montrent ce qui va se passer si on
continue à agir de telle ou telle manière, ou si on change dans tel ou tel secteur.
Le GIEC a abouti à 6 scénarios assez contrastés. Ces 6 scénarios constituent la référence en matière de
politiques de lutte contre l'effet de serre. Ces 6 scénarios ont été réactualisés en 40 scénarios classés en 4
familles27. On arrive ainsi à certaines données clé, que l'on retrouve sur la Figure 12. Les principales données
sont listées dans le tableau Figure 13.
Le premier type de scénario est la famille de scénarios business-as-usual, qu'on traduit usuellement par
scénarios de référence. On devrait plutôt les traduire par scénarios tout-comme-d'habitude. Il s'agit
simplement d'extrapolations à partir des tendances constatées au cours des décennies précédentes, en supposant
qu'il n'y a pas de problème d'effet de serre, ni aucun autre problème d'environnement, et que les buts
actuellement poursuivis par les sociétés humaines restent inchangés. Les scénarios de référence sont multiples
parce qu'ils prennent en compte différentes combinaisons de valeur pour l'évolution des variables principales, à
savoir la croissance économique, la population, et la composition de l'approvisionnement énergétique (solaire,
combustibles fossiles, biomasse, etc.), elle -même basée sur des hypothèses sur l'évolution technique.
26
27
B. Dessus, Effet de serre : les marges de manœuvre, in La Jaune et la Rouge, mai 2000.
GIEC, Rapport spécial du GIEC - Scénarios d'émissions - Résumé à l'intention des décideurs, 2000.
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Figure 12 : Les scénarios du GIEC (Source : GIEC 2000)
Figure 13 : Les scénarios du GIEC – détail des paramètres (Source : GIEC 2000)
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Nous constatons tout d'abord qu'ils conduisent tous vers un accroissement des émissions de gaz à effet de
serre. Pour éviter le risque de changement climatique, il faut donc modifier les buts de l'activité humaine. Les
différents scénarios permettent alors d'évaluer l'importance de l'effort de correction nécessaire pour atteindre un
objectif environnemental donné. Les scénarios sont donc plus ou moins ambitieux par rapport au scénario de
référence. Savoir quel effort sera fourni est un problème politique.
Ce qui ressort ensuite de l'ensemble des scénarios est l'importance des inerties. On ne peut pas réorienter
rapidement tout un système énergétique basé sur une énergie peu chère et dégageant d'importantes quantités de
gaz à effet de serre. La durée de vie d'une infrastructure énergétique est de l'ordre de 50 ans, et il n'arrive
jamais que l'on construise une infrastructure en une seule fois, parce qu'elle est coextensive d'une organisation
sociale. La logique de l'infrastructure perdure donc au-delà de sa matérialité. De la même manière, on ne peut
pas aisément freiner les tendances démographiques, ni la croissance économique.
Avec le scénario le plus ambitieux, on arrivera à des émissions de gaz à effet de serre en 2100 de 3 GtC
(avec une pointe à 18 GtC en 2050, puis décroissance), et dans le moins ambitieux, les émissions seront encore
en forte croissance à plus de 35 GtC, toujours en 2100 - soit 6 fois de taux d'émission actuel. On résume
habituellement les déterminants sous la forme d'une équation, dite équation de Kaya 28 (ou identité de Kaya) :
Impact environnemental = (Impact / Activité) x (Activité / PNB) x (PNB / Habitant) x Population.
Unités : CO2 = (CO2 / unité énergétique consommée) x (unité énergétique consommée / $) x ($ / habitants) x
population.
Nous verrons que ces scénarios présentent de nombreuses faiblesses.
iii - Quelles sont les conséquences sur la biosphère ?
Comme nous l'avons déjà souligné, les conséquences dépendent de la sensibilité du climat à l'élévation
rapide du taux de CO2. En supposant qu'il y ait une causalité du CO2 à la température moyenne globale, les
modèles climatiques donnent, pour l'hypothèse d'un doublement du taux de CO2 en 2100, une fourchette de +1°C
à +4,5°C29 voire +6°C30, « dans tous les cas de figure, le réchauffement se produirait à un taux moyen
probablement plus élevé que ce qu'on a connu depuis 10 000 ans »31.
Au vu de ce que nous avons dit du système climatique, la conséquence la moins probable, pour ne pas dire
impossible par principe, est que le réchauffement soit distribué de manière homogène à la surface de la planète.
La température moyenne est un artefact de calcul que l'on n'observe jamais en réalité. Tous les modèles
affirment que le risque est celui d'une déstabilisation du climat, dont les conséquences peuvent être qualifiées
de graves : montée du niveau des océans (de 15 à 95 cm), changement du régime des précipitations (plus ou
moins de pluies au même endroit, donc subjectivement sécheresse ou inondation), intensification du cycle
hydrologique (cycle évaporation-précipitation en moyenne plus rapide), réchauffement plus prononcé la nuit que
le jour, l'hiver que l'été, aux pôles et aux tropiques qu'aux moyennes latitudes, en altitude qu'au niveau de la mer
à l'équateur, et l'inverse aux pôles, et sur les continents qu'au-dessus des océans. Compte-tenu de son inertie, en
2100 l'océan n'aurait progressé que de 50 à 90% vers son nouveau point d'équilibre thermique, et donc le niveau
continuerait à monter. Il pourrait en outre se produire un ralentissement du Gulf Stream, ce qui modifierait
fortement le climat européen. Les glaciers et une partie des pôles fondraient, les courants marins seraient
perturbés par le réchauffement global et par les perturbations régionales produites par la fonte des glaces, les
28
W. Moomaw & M. Tullis, A multicountry Comparison of CO2 emissions, in R. Socolow et al., Industrial
Ecology and Global Change, Cambridge : Cambridge University Press, 1994, p. 160.
29
GIEC, op. cit., 1995.
30
R.T. Watson, Presentation of Robert T. Watson, chair of the IPCC, at the COP6, 13 novembre 2000.
31
GIEC, Changement de climat 1995 – Résumé à l'intention des décideurs, 1995, p. 5.
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écosystèmes seraient soumis à des contraintes inhabituelles et s'adapteraient ou disparaîtraient. Il y aurait un
déplacement des écosystèmes montagneux vers de plus hautes altitudes. Enfin, il faut ajouter le risque de
surprises climatiques, par définition imprévisibles, tant pour ce qui est de la probabilité et du lieu d'occurrence
qu'en ce qui concerne la magnitude possible. Cet aspect du problème retient davantage l’attention des
scientifiques dans le Third Assessment Report du Giec32, paru en 2001, de même que les événements
climatiques extrêmes.
Les conséquences sur les milieux naturels dépendent fortement de la sensibilité des écosystèmes, qui reste
très mal connue. Une évolution rapide des milieux est évidemment une menace directe sur la biodiversité. Ainsi
les forêts, dont le rythme de migration est assez lent (de 4 à 200 km par siècle 33), pourraient être en partie
détruites - et ceci ne sera pas sans conséquences pour les espèces animales dont l'habitat en dépend. Dans tous
les cas, le problème principal est la vitesse du changement, en rapport avec les inerties que nous avons mis en
évidence.
Figure 14 : Les résultats des modèles climatiques (Source : Hadley Center for Climate Prediction and
Research).
32
33
GIEC, Third Assessment Report, 2001. Disponible sur le site : URL : http://www.ipcc.ch
GIEC, Changement de climat 1995 – Résumé à l'intention des décideurs - Analyse scientifique et
technique des incidences de l'évolution du climat, mesures d'adaptation et d'atténuation, 1995, p.
4.
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Figure 15 : Domaines de tolérances de plusieurs types de biomes (Source : GIEC 1995, p. 29)
Nous avons donc ici un risque de dommages graves et irréversibles sur l’environnement, naturel et artificiel,
et en situation d'incertitude sur les causes. C'est donc sur la base du principe de précaution que la
communauté internationale s'est mobilisée34.
34
Comme le rappelle MIES, Programme national de lutte contre l'effet de serre, 2000.
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iv - Quelles sont les conséquences pour les sociétés ?
La conclusion que le GIEC tire de tous ces changements est claire : « [...] les divers secteurs de la
société doivent s'attendre à être confrontés à des bouleversements multiples et à la nécessité de s'y
adapter »35.
Le premier secteur visé est l'agriculture, dont toutes les sociétés dépendent pour leur nourriture. Un
changement dans la régularité des conditions climatiques, quel qu'il soit, est rarement bon pour l'agriculture. Les
paysans ont un savoir et une organisation largement adaptés à un certain climat, et la nourriture est un besoin
primaire essentiel. Même s'il semble que la production globale doive peu diminuer, on doit avant tout tenir
compte des impacts nationaux : un pays placé dans la dépendance d'un autre au niveau alimentaire est sous
l'épée de Damoclès de l'arme alimentaire. Les écosystèmes déjà fortement sollicités, tels que ceux qui sont déjà
en voie de désertification pour d'autres raisons, ceux qui sont fortement peuplés et/ou fortement pollués sont les
plus vulnérables. Il y a quand même une probabilité de conséquences positives au niveau agricole : certains pays
pourraient voir le rendement de leurs cultures augmentées par l'augmentation du taux de CO2, qui agit comme
un engrais pour un certain type de plantes. Il faut toutefois supposer que ces cultures ne seront pas atteintes ni
par les sécheresses ni par les inondations ou autres facteurs climatiques.
Un second secteur est celui des infrastructures matérielles. Elles devraient elles aussi souffrir, car elles sont
elles aussi adaptées à des condition climatiques régulières et relativement prévisibles. Ainsi, si le permafrost
sibérien vient à fondre, les immeubles russes, dénués de fondations, ne tiendront pas longtemps debout. De la
même façon, tous les ponts, évacuations d'eau, régulation de l'approvisionnement en eau etc. sont construits pour
faire face à une certaine régularité dans la variabilité naturelle du climat. Il ne sont pas dimensionnés pour les
cas qui sortent de la fourchette habituelle, et encore moins pour les surprises ou les événements climatiques
extrêmes. Ajoutons à cela que la montée des eaux maritimes devrait entraîner la disparition de certaines terres :
1% de l'Egypte, 17,5% du Bangladesh (cf. Fig 18) et 80% pour l'île Majuro, dans l'archipel Marshall. Il y aurait
92 millions de personnes menacées avec l'hypothèse d'une augmentation du niveau de la mer de 50 cm, et 118
millions avec l'hypothèse à 95 cm. Une montée du niveau des océans, même faible, aurait aussi pour
conséquence la salinisation des deltas, qui sont des régions très peuplées, parce que très fertiles, en populations
humaines comme en populations animales. Cet effet pourrait être combiné à la salinisation provoquée par le
pompage de l’eau des fleuves en amont pour l’agriculture intensive.
La majeure partie de ces conséquences induiront évidemment des tensions accrues entre les communautés
humaines, du fait de ressources naturelles devenant rares : eau douce (trop ou pas assez), surfaces cultivables,
etc. les rivalités seront exacerbées. Le tout dans une biosphère déjà mise à mal par d'autres problèmes
environnementaux : déforestation, désertification, pollution et épuisement des sols, etc. Les événements
climatiques hors-normes, quant à eux, qu'il s'agisse de surprises ou non aux yeux des scientifiques, conduiront
des secteurs entiers de populations à migrer, s'ils ne peuvent plus vivre sur place et s'ils ne reçoivent pas d'aide
pour faire face aux difficultés. Il s'agit donc aussi de risques de déstabilisation des communautés humaines.
35
GIEC, Changement de climat 1995 – Résumé à l'intention des décideurs, 1995, p. 6.
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Figure 16 : Impacts potentiels sur la santé (Source : UNEP / GRID, 2000)
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Figure 17 : Impacts sur les maladies tropicales transmissibles (Source : UNEP / GRID, 2000)
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Figure 18 : Montée des eaux au Bangladesh (Source : UNEP / GRID, 2000)
Région
Amérique Latine
Ex-URSS
Europe
Amérique du Nord
Afrique
Asie du Sud
Reste de l'Asie et Pacifique
Impact sur les rendements (%)
Maïs
Blé
de -61 à une augmentation
de -50 à -5
de -19 à +41
de -30 à une augmentation diminution ou augmentation
de -55 à +62
de -100 à +234
de -65 à +6
de -65 à -10
de -61 à +67
de -41 à +65
Tableau 5 : Impacts sur les rendements agricoles selon les régions (Source : GIEC 1995)
Les dommages éventuels par causalité directe du changement climatique sur la santé individuelle, troisième
secteur, sont plus difficiles à entrevoir : le climat ne tue pas directement. Il est néanmoins probable que les
vagues de chaleur feront augmenter la mortalité, et que les maladies infectieuses véhiculées par les insectes des
pays chauds, telles que le paludisme, dengue, fièvre jaune, remonteront vers le nord de quelques centaines de
kilomètres. La principale cause de mortalité est indirecte. Inondations et autres événements mal gérés ou mal
gérables par les organisations humaines provoqueront ce qu'ils provoquent déjà aujourd'hui : malnutrition,
épidémies de choléra par mélange entre eau potable et excréments, migrations, etc.
Au point de vue économique, et dans l'hypothèse d'un doublement du taux de CO2 en 2100, le GIEC estime
que ces dommages coûteront entre 1 et 2,5% du PIB mondial par an, entre -0,5 à 2% du PIB de l'OCDE (-60 à
+240 milliards de pertes), entre 2 à 6% pour les pays en voie de développement36. Ce sont les hypothèses les
36
GIEC, Changement de climat 1995 – Résumé à l'intention des décideurs, 1995, p. 16.
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plus conservatrices : d’autres études montrent des tendances plus inquiétantes, comme la courbe des coûts
annuels liés aux dégâts dus aux tempêtes, qui pourrait conduire à un coût de 100% du PMB en 206537. Il faut
bien dire cependant que cet aspect du problème n’est guère creusé. Seules quelques équipes dans le monde
travaillent sur le sujet, et la plupart sont de simples estimations économiques : on calcule la destruction et
combien cela coûterait de racheter les biens manquants. Il n'existe quasiment aucune étude sur l'anticipation des
conséquences au point de vue social ou politique. L'analyse présente donc de nombreuses faiblesses : peut-on et
pourra-t-on toujours tout acheter sur un marché ?
Figure 19 : Augmentation des pertes dues aux catastrophes naturelles (Source : UNEP / GRID, 2000)
37
Estimation faite par l’entreprise de réassurance Munich Re, citée dans J. E. Salt, Climate Change and the
Insurance Industry, in Corporate Environmental Strategy, 1999, Vol.7, no 2, pp. 146-155. Voir aussi A.
Meyer, Contraction & Convergence, London : Green Books, 2000, p. 32.
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v - Quels sont les moyens de réduire les émissions ?
D'après le GIEC, il faudrait réduire immédiatement les émissions de 50 à 70% pour stabiliser les
concentrations à leur niveau actuel38.
Les mesures envisagées ne manquent pas, même si les analystes sont loin d'être d'accord sur leur efficacité
et sur le potentiel de chacune d'entre elles. Elles se répartissent en trois catégories :
- les moyens permettant de réduire les émissions de GES d'origine anthropique : réduction de la
consommation énergétique, utilisation d'énergies moins carbonées, dématérialisation de la production (moins de
carbone par point de PNB produit), progrès technique (rendements), des transports moins consommateurs et des
infrastructures incitant moins au déplacement, efficacité énergétique, développement des énergies renouvelables
(solaire, biomasse, éolien, hydraulique, géothermique par exemple), etc.
- les solutions permettant de stocker les GES : essentiellement la séquestration du CO2 dans les anciens
gisements pétrolifères (il y a des expériences menées actuellement) ou au fond des océans, et le changement
dans l'utilisation des sols et foresterie (les sols et arbres stockent du CO2). Aucune de ces solutions ne donne de
garantie fiable à l'heure actuelle.
- les politiques publiques et mesures réglementaires : réorientation de la fiscalité, accords volontaires39,
gestion de la demande en énergie, éducation, sensibilisation, information, et bien sûr la coopération internationale.
Ajoutons à cela un ensemble de mesures transversales visant à mieux connaître le problème, ses impacts,
leur localisation et les solutions possibles pour réduire les émissions ou la gravité des impacts : stimulation de la
recherche-développement et de l'observation, etc.
Dans le cas particulier de la France, le gouvernement a adopté un Plan National de Lutte contre les
Changements Climatiques40 (PNLCC) qui prévoit un certain nombre de mesures. Citons les principales : relance
de la politique de maîtrise de l'énergie (augmentation du budget de l'Agence De l'Environnement et de la
Maîtrise de l'Energie à cet effet), une écotaxe (dans le cadre de la Taxe Générale sur les Activités Polluantes),
et un relèvement de la Taxe Intérieure sur les Produits Pétroliers pour ramener peu à peu le prix du gasoil à
celui de l'essence. Il est aussi envisagé de mettre en oeuvre un marché de permis d'émission pour une partie du
secteur industriel. On notera la faiblesse du chapitre 'gouvernance' dans le PNLCC : l'approche est très
technocratique, essentiellement par les taxes et la réglementation – de même que le rapport de GIEC. Rien n'est
prévu pour permettre aux citoyens de prendre conscience des enjeux et des problèmes, auxquelles ils seront
pourtant tôt ou tard confrontés.
Toutes ces mesures s'appuient sur deux types d'approche différentes pour ce qui est de l’analyse : les
approches ascendantes et les approches descendantes. Les premières sont des approches d'ingénieur, basées
sur des solutions microscopiques, telles que des innovations techniques permettant de réduire les émissions de
GES, pour produire des effets macroscopiques par diffusion et généralisation. Les secondes sont des approches
d'économistes, visant au contraire à agir sur des variables macroscopiques, telles que les prix, pour produire des
effets micro.
D'une manière générale, les premières citées sont en général très optimistes sur le potentiel de réduction des
émissions. Les modèles macro-économiques sont quant à eux assez pessimistes sur l'existence de réductions
d'émissions accessibles à moindres frais. En effet, les modèles techniques surestiment la viscosité sociale et la
rapidité du changement, alors que les modèles macro-économiques sous-estiment le changement technique et
n'anticipent pas les ruptures. Ainsi, il serait possible techniquement mais très coûteux de remplacer le système
énergétique rapidement. La plupart des analystes, mais pas tous, estiment que ce serait trop cher.
38
GIEC, Second Assessment Report, 1995, p. 9.
Tels que ceux proposés par l'industrie pétrolière - par exemple l'American Petroleum Institute, Climate
Change - Voluntary Action by the Oil and Gas Industry, American Petroleum Institute, 2000.
40
MIES, Programme national de lutte contre l'effet de serre, 1999.
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39
Au point de vue des rendements énergétiques, les économistes estiment qu'on devrait pouvoir les augmenter
au niveau mondial de 10 à 30%, voire même de 50 à 60% dans certains pays, pour un coût négatif ou nul41.
D’autres parlent de potentiels beaucoup plus élevés42. Mais encore une fois, il ne faut pas perdre de vue que ce
sont les émissions totales à l'échelle d'une communauté politique qui font problème. Les émissions par outil, objet
ou marchandise singulier sont secondes, et doivent être évaluées par rapport au gain total. Il faut donc s'assurer
par exemple que la fabrication de l'outil ayant un meilleur rendement ne produit pas davantage d'émissions. Un
exemple de ce genre de solution à courte vue : la voiture à air comprimé, qui n'a rien d'une voiture à air, sinon
localement - il faut en effet de l'énergie pour comprimer l'air. D'autant qu'avec un tel système il y a désormais
deux transformations énergétiques (énergie -> air, air -> roues), donc un rendement inférieur, et donc
vraisemblablement davantage d'émissions au total pour la même quantité de déplacement.
Le jugement sur les coûts est déterminant. Il est possible que ce qui est trop cher aujourd'hui devienne peu
coûteux demain, par exemple si les catastrophes climatiques augmentent. On peut aussi juger qu'un climat stable
est une condition de vie essentielle pour les générations futures, et que le coût économique n'est pas une raison
suffisante pour ne rien faire. Rappelons que les partisans de l'esclavage au XIXe siècle aux Etats-Unis
argumentaient eux aussi sur la base d'un motif d'ordre économique. On peut aussi trouver des synergies entre
les différentes raisons. Le pétrole est probablement mieux utilisé sous forme de plastique que brûlé dans des
moteurs au rendement faible. Il sera de toute façon épuisé dans quelques décennies, aussi est-il dans tous les
cas urgent de sortir de l'économie du pétrole, et même de l'économie énergivore puisqu'il n'existe aucune
solution énergétique propre, gratuite et illimitée.
Toutes ces solutions sont cependant très technocratiques. Comme le commente un peu laconiquement le
GIEC : « La mesure dans laquelle les possibilités technologiques et l'efficacité économique seront
concrètement réalisées va dépendre d'initiatives visant à remédier à la pénurie d'informations et à
surmonter les obstacles culturels, institutionnels, juridiques, financiers et économiques qui peuvent
s'opposer à la diffusion des techniques et à l'évolution des comportements »43. Les personnes sont
considérées comme une pâte à modeler, incapables d'initiative.
Au-delà des désaccords sur les potentiels en termes de réduction de GES, bon nombre de solutions sont loin
de faire l'unanimité. L'une des solutions les plus controversées est l'augmentation de la part d'énergie produite
par le nucléaire. Le GIEC envisage ceci sous conditions : le passage au nucléaire est envisageable « si des
réponses généralement acceptables peuvent être apportées à des préoccupations telles que celles qui
concernent la sécurité des réacteurs, le transport et l'élimination des déchets radioactifs et la
prolifération des combustibles nucléaires »44. Pour l'instant, ces réponses n'existent pas. Une politique
nucléaire n'aura pas d'impact significatif sur le système énergétique mondia l avant plusieurs décennies, et les
capacités permettant de produire massivement des réacteurs sont encore à construire. La tendance aujourd'hui
est plutôt à un fort ralentissement de l'industrie du nucléaire45, le cas français ne devant pas faire illusion.
L'utilisation des forêts et des sols comme puits de carbone est aussi très controversée46. Outre les doutes
sur le plan scientifique (combien et pour combien de temps le carbone sera-t-il stocké ?), les pays du Sud
craignent qu'on vienne leur dicter comment utiliser leurs forêts, les Autochtones craignent qu'on ne les chasse de
leur territoire, les environnementalistes craignent pour la biodiversité (si on remplace les forêts primaires par des
plantations d'eucalyptus), etc. Il serait en effet peu utile de résoudre une question en contribuant à accroître les
41
GIEC, Changement de climat 1995 – Résumé à l'intention des décideurs, 1995, p. 16.
Par exemple : IPSEP, Cutting Carbon Emissions While Making Money - Climate Saving Energy
Strategies for the European Union, International Project for Sustainable Energy Paths, Février 2000.
43
GIEC, Second Assessment Report, 1995, p. 11.
44
GIEC, ibid., 1995, p. 12.
45
IEA, World Energy Outlook, 2000, p. 287.
46
H. Eraker, CO2lonialism - Norwegian Tree Plantations, Carbon Credits and Land Conflicts in Uganda,
April 2000, NorWatch 2000.
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42
problèmes dans un autre secteur. Le recours massif au nucléaire accroîtrait ainsi le risque d'avoir à négocier un
Kyoto nucléaire dans quelques décennies, sans compter l'opacité qui accompagne la gestion de ce type
d'énergie. Les dépôts de déchets radioactifs sont aujourd'hui cernés de missiles, qu'en sera-t-il demain ? Qui
veut assurer les centrales nucléaires, à part l'Etat, c'est-à-dire ses dirigeants temporaires ? Qui sait restaurer la
région de Tchernobyl ? Qui peut garantir un confinement des déchets sur des durées de plusieurs milliers ou
millions d'années ? Etc. Dans l'attente d'une réponse satisfaisante à ces questions, l'option nucléaire ne parait
pas plus sûre que le risque de changement climatique, et doit aussi faire l'objet de précaution.
Ceci vaut d’ailleurs pour toutes les solutions énergétiques. Les critères doivent être les mêmes pour tous. B.
Dessus identifie ainsi quatre risques à minimiser dans toute orientation des politiques énergétiques47 : le
changement climatique, l'épuisement des combustibles fossiles, les déchets nucléaires, et la concurrence dans
l'utilisation des sols (le sol utilisé pour produire de l'énergie ne peut plus l'être pour produire de la nourriture par
exemple) – à quoi nous ajouterions volontiers quelques autres aspects, comme la gestion durable des sols
(pollution, épuisement, biodiversité etc.) Aucune solution ne doit créer de maux inscrits de manière irréversible
dans la biosphère, qu'il s'agisse du changement climatique, des déchets nucléaires ou de la dégradation des sols.
Toutes les stratégies humaines devraient pouvoir être révisables, compte-tenu des incertitudes et en particulier
de la variation des préférences humaines dans le temps : « le problème n'est pas de définir aujourd'hui la
meilleure politique pour les 100 ans à venir, mais de choisir une stratégie avisée et de l'adapter
ultérieurement à la lumière des progrès des connaissances »48.
L'idéal, bien entendu, aurait été que le changement climatique et les infrastructures dépendant des
combustibles fossiles aient elles-mêmes été révisables... Il n'y a pas besoin de connaissances supplémentaires
pour connaître les conséquences de la plupart des maux envisageables, qu'il s'agisse d'une déstabilisation du
climat, d'une dépendance par rapport à des ressources fossiles, de la désertification, des déchets nucléaires etc.
C'est en partie parce que les tendances actuelles vont en sens inverse de cette recommandation du GIEC qu'il
existe des négociations sur le climat, sur la biodiversité etc., bref qu'il existe une crise environnementale.
vi - Entre faits et incertitudes
Nous avons jusqu'ici exposé ce qui est reconnu comme étant les faits, et laissé entrevoir quelques-unes
des nombreuses incertitudes qui émaille nt la problématique du changement climatique. Pour présenter le
problème d'une manière suffisamment complète, il faut davantage développer l'aspect incertain de toutes ces
données.
Tout d'abord, les modèles mathématiques qui permettent de simuler l'évolution du climat. Rappelons qu'un
modèle est une abstraction du réel : le comportement de la biosphère est ramené à un ensemble d'équations que
l'on calibre (ce qui signifie qu'on leur donne une référence particulière) et que l'on fait artificiellement évoluer
dans le temps (selon un pas de temps). Le modèle est alors d'autant plus fidèle au réel qu'il le représente avec
précision. Un certain nombre de faiblesses permet cependant de douter de la qualité de cette fidélité.
Une première source d'incertitude réside dans la « myopie » des modèles. Ceci résulte de la précision de la
discrétisation, opération par laquelle l'atmosphère, voire les océans, sont arbitrairement découpés en
parallélépipèdes (presque) rectangles, appelés mailles, aux angles desquels on va calculer les paramètres
climatiques tels que la température, la vitesse du vent, etc. L'intérieur des mailles est régi par des équations de
mécanique des fluides, de thermodynamique, ce qui permet de passer d'une maille à l'autre en calculant à
chaque fois la variation des paramètres. Mais voilà : avec les ordinateurs les plus puissants, l'utilisation d'une
maille de quelques centaines de kilomètres de côté pour une simulation sur un siècle, ce qui est quand même un
minimum en termes d'horizon temporel, conduit à un calcul qui prend plusieurs mois pour être effectué. Et autant
dire qu'une maille d'une telle dimension ne permet pas de prendre en compte les reliefs, ni la végétation, ni les
nuages, facteurs qui sont cependant d'une grande importance pour le temps qu'il fait en local – le seul qui nous
47
48
Commissariat au Plan, Energie 2010-2020, 1997.
GIEC, Second Assessment Report, 1995, p. 1.
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intéresse, finalement, puisque c'est avec celui-là que les activités humaines et les écosystèmes auront à
composer. En un mot, les modélisations globales sont encore trop grossières. Elles permettent de saisir
uniquement les phénomènes globaux, et ont peu de sensibilité pour les détails plus locaux. La conséquence est
qu'une prévision locale des changements climatiques est impossible. Et elle risque de ne pas l'être avant
longtemps, tant la puissance de calcul requise est grande.
Figure 20 : Le pouvoir de forçage radiatif des gaz et les incertitudes (Source : UNEP / GRID, 2000).
Et ce n'est pas tout. Une deuxième source d'incertitude vient du fait que certaines rétroactions pourraient
avoir été négligées. Citons quelques hypothèses à ce sujet. Il se pourrait ainsi que le méthane contenu dans le
permafrost soit brutalement relâché, entraînant une rétroaction positive par injection massive de gaz à effet de
serre dans l'atmosphère. Le cas est similaire avec les conséquences de la destruction d'écosystèmes à cause
des changements des milieux, et donc relâchement de CO2 par décomposition. La modification de la circulation
océanique pourrait de même déstabiliser l'Antarctique, et entraîner une fonte massive des glaces - et par
conséquent une remontée du niveau des mers de quelques mètres de plus. Les immenses incertitudes sur la
circulation océanique profonde pourraient aussi se révéler désastreuses. Il est par contre possible qu'il y ait des
rétroactions négatives aussi, et que le climat se révèle moins sensible qu'on ne le pense aujourd'hui. Compte-tenu
des connaissances actuelles, toute hypothèse en ce domaine relève plus de l'intuition, de l'indice, comme dans
une enquête policière, que de la preuve indubitable et reproductible. Enfin, remarquons que la science du climat
et les hypothèses de travail sont en gros la même pour tout le monde : les modèles pourraient donc être tout
simplement faux. Il pourrait y avoir unanimité dans l'erreur 49.
Troisième source d'incertitude : les différents paramètres utilisés pour calibrer les différents facteurs de
causalité dans les modèles. On a habituellement recours à des observations pour calibrer et vérifier les modèles,
mais dans le cas du climat on se heurte au problème mentionné plus haut : l'expérience que l'être humain est en
train de mener avec la biosphère n'a pas d'équivalent observable dans le cosmos. La planète Terre est unique, et
toute expérience ne peut être dissociée d'un risque que l'on fait peser sur elle. De nombreux paramètres restent
49
P. Roqueplo, Climats sous surveillance, Paris : Economica, 1993.
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donc incertains faute d'observation, et sont davantage issus de calculs dont les experts jugent les résultats
probables et réalistes que d'observations rigoureuses. Le poids de la subjectivité de l'expert est très lourd. La
mesure de la contribution des différents gaz au forçage radiatif est un bon exemple (figure 20). Les données
actuelles sur les sociétés humaines50 sont aussi assez lacunaires - les inventaires des émissions actuelles par
exemple. Le GIEC a commencé à travailler pour mettre au point des méthodes homogènes afin que les
inventaires soient comparables51. Il se mêle ici un facteur politique : identifier qui pollue revient facilement à
désigner le coupable. Il y a donc des tensions politiques importantes autour ce genre d'étude, comme nous le
verrons plus loin.
Un quatrième type d'incertitude a trait aux caractéristiques de certaines rétroactions. C'est une chose de dire
que certains facteurs pourraient avoir été négligés, ou simplement être inconnus, et c'en est une autre de dire
que l'effet de certaines rétroactions est tout simplement impossible à modéliser, pour cause de non-linéarité 52. Le
climat n'est pas une mécanique prévisible, il est chaotique et a une histoire qui ne peut être ramenée à quelques
équations. Mentionnons à titre d'illustration ce qu'on nomme l'effet papillon, exemple imagé d'un battement
d'ailes de papillon en Australie qui provoquerait, par suite d'un enchaînement imprévisible d'amplifications
successives, un cyclone en Floride. Il ne s'agit pas ici d'un cas impossible : comme nous l'avons déjà souligné, le
climat évolue normalement par déséquilibres successifs. C'est une caractéristique très commune des systèmes
thermodynamiques : « en cas de forçage rapide, les systèmes non-linéaires sont particulièrement
susceptibles de comportements imprévisibles »53. Pour arriver à modéliser le climat, il faudrait donc en théorie
une précision infinie des modèles, ce qui ne sera évidemment jamais le cas. Les chercheurs avouent d'ailleurs
que les modèles ne devraient pas apporter grand-chose de plus d'ici 10 ans pour ce qui est de la précision des
prévisions globales.
Un cinquième type d'incertitudes porte sur les différents scénarios mis au point par le GIEC ou d'autres
organismes tels que l'IIASA 54 ou le CME55. Les hypothèses qui sont au fondement des scénarios varient
fortement selon les auteurs, en particulier les hypothèses sur l’évolution technique et les capacités des
économies à continuer de croître tout en réduisant leurs émissions. Les opinions vont des techno-optimistes (ex :
Ausubel56, Grübler57) et économico-optimistes (GIEC) aux techno-pessimistes (Agarwal58) et économicopessimistes (les assureurs !), en passant par ceux qui nient toute réalité au changement climatique (F. Singer59).
Un exemple d'état des lieux détaillé en la matière peut être trouvé dans un article de l'institut étasunien
Resources for the Future60.
Ces hypothèses sont centrales pour évaluer le coût des impacts et celui des politiques publiques. Le GIEC
par exemple a délibérément exclu les scénarios de type catastrophe ou surprise climatique, considérés comme
marginaux61 et non-représentatifs. Et pourtant : avec la chute de l'URSS, l'Ukraine émet aujourd'hui 60% de
50
World Bank, Uncertainties in Estimating Greenhouse Gas Emissions, 1992.
GIEC, Good practice and Uncertainty Management in National Greenhouse Gases Inventories, 2000.
52
H. Le Treut, Pourquoi les modèles n'ont pas tort, in La Recherche, mai 1997, n°298.
53
GIEC, Second Assessment Report, 1995, p. 6.
54
IIASA : Institut International d'Analyse des Systèmes Appliqués - l'acronyme en anglais est identique :
International Institute for Applied Systems Analysis.
55
CME : Conseil Mondial de l'Energie - l'acronyme anglophone est WEC, World Energy Council.
56
J.H. Ausubel, Does Climate Still Matter ?, in Nature, 25 April 1991, Volume 350, pp. 649-652.
57
A. Grübler, Technology and global change, Cambridge : Cambridge University Press, 1998.
58
A. Agarwal & S. Narain, Green Politics, New Delhi : Center for Science and Environment, 1999.
59
S.F. Singer, Le cas scientifique contre la Convention sur les Changements Climatiques, novembre 2000,
Center for the New Europe.
60
A.B. Jaffe, R.G. Newell & R.N. Stavins, Energy-Efficient Technologies and Climate Change Policies :
Issues and Evidences, in Climate Issues Brief, December 1999, n°19, Resources For the Future.
61
GIEC, Rapport spécial du GIEC - Scénarios d'émissions - Résumé à l'intention des décideurs, 2000.
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51
CO2 en moins par rapport à 1990, et les îles Marshall, lorsqu'elles auront disparu sous les flots, n'émettront plus
rien. Si les surprises sont difficiles à anticiper, il reste indispensable d'essayer de les penser afin de mettre en
oeuvre des moyens techniques réalistes : le cas paradigmatique ici est l'énergie nucléaire, qui fait implicitement
le pari de la pérennité d'un confinement matériel et politique des déchets (que les générations futures devront
assurer). Or quand on voit ce que l'Europe est devenue en deux siècles, politiquement parlant, il y aurait toutes
les raisons d'être moins optimiste... Quant au confinement matériel définitif, on ne peut pas dire qu’il soit encore
en vue, pas plus que la désintégration rapide des déchets.
Il est à noter aussi que la focalisation sur l’aspect économique des coûts conduit à de nombreuses impasses :
l’impossible ‘valeur’ économique des écosystèmes, les controverses sur le coût de la vie humaine, l’incapacité à
prévoir des coûts autres que marginaux, etc.
Nous reviendrons en détail sur ces aspects ultérieurement.
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