Revue critique
de l'actualité scientifique internationale
sur le VIH
et les virus des hépatites
n°93 - juin/juillet 2001
VIH-WEB
Internet et comportements sexuels à risque
Josiane Warszawski
Inserm U292, Hôpital de Bicêtre (Le Kremlin-Bicêtre)
Editorial : Sex
and
cyberspace -
virtual
networks
leading to
high-risk sex
Toomey K.E.,
Rothenberg
R.B.
JAMA, 2000,
284, 485-487
Tracing a
syphilis
outbreak
through
cyberspace
Klausner J.D.,
Wolf W.,
Fischer-Ponce
L., Zolt I.,
Katz M.H.
JAMA, 2000,
284, 447-449
The Internet
as a newly
emerging risk
environment
for sexually
transmitted
diseases
McFarlane M.,
Bull S.S.,
Rietmaijer
C.A.
JAMA, 2000,
284, 443-446
Comme le montrent deux articles du JAMA, la recherche de
partenaires sexuels sur internet est associée à des
comportements à risque. Et l'éditorial du même numéro de
conclure sur l'urgence de s'approprier le web comme outil de
communication sur la santé. Reste à maîtriser les nouvelles
technologies de l'information.
M. McFarlane présente une enquête transversale menée auprès
de 856 consultants d'un centre de dépistage du VIH pour étudier
dans quelle mesure la recherche de partenaires sexuels sur
internet est associée à des comportements sexuels à risque.
L'enquête s'est déroulée à Denver entre septembre 1999 et avril
2000. Ces consultants étaient en majorité des hommes
hétérosexuels. Outre le questionnaire sur les comportements
sexuels systématiquement passé dans ce centre, six questions
supplémentaires ont été posées en face-à-face à propos de
l'utilisation d'internet.
Le recours à internet pour trouver un partenaire sexuel a été
déclaré par 15,8% des consultants (135 sujets). La très grande
majorité s'étaient connectés à partir d'un ordinateur personnel.
Les deux tiers ont effectivement eu un contact sexuel avec un
partenaire rencontré de cette manière. Parmi ces derniers, 38,7%
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ont eu au moins 4 partenaires par internet.
Le groupe des sujets qui s'étaient connectés à internet avec
l'intention de rechercher un partenaire (ayant ou non abouti à un
contact sexuel) a été comparé au groupe de ceux qui n'avaient
pas eu recours à internet. Le premier groupe comportait plus
d'hommes et d'homosexuels. Il comportait plus de sujets ayant
eu un nombre élevé de partenaires sexuels et de partenaires
ayant eu eux-mêmes des relations avec d'autres hommes. Les
pénétrations anales et orales au cours du dernier rapport ainsi
que l'utilisation de préservatif étaient plus fréquentes dans ce
groupe, alors que les pénétrations vaginales y étaient moins
répandues. Les antécédents de maladies sexuellement
transmissibles y étaient plus souvent rapportés. Enfin, 28,9% des
sujets de ce groupe, versus 14,5% des personnes qui n'avaient
pas eu recours à internet, avaient déjà eu une relation sexuelle
avec une personne qu'il savait séropositive pour le VIH. Ce
pourcentage atteignait 35,2% chez les personnes pour qui une
rencontre sur internet avait conduit à une relation sexuelle.
Dans le même numéro du JAMA, J.D. Klausner présente une
exploration d'épidémie déclenchée à la suite du diagnostic de
deux cas de syphilis récente ayant attiré l'attention du
département de santé publique de San Francisco. Ces deux cas
avaient été diagnostiqués chez des hommes homosexuels entre
juin et juillet 1999. L'interrogatoire de ces patients révélait qu'ils
avaient rencontré la majorité de leurs partenaires par
l'intermédiaire d'un forum de discussion du même site internet.
Les patients interrogés ont rapporté les noms d'écran de ces
partenaires. Sur les conseils du serveur hébergeant le forum, le
département de santé publique a fait appel à une entreprise de
marketing ayant un portail internet destiné à des homo, bi et
transexuels pour s'introduire sur le forum de discussion.
Pendant deux semaines, cette entreprise a adressé un message
électronique à des centaines d'utilisateurs du forum. Ce message
les informait de la survenue de cas de syphilis parmi certains
d'entre eux. Il incitait également ceux qui avaient eu des rapports
sexuels avec des partenaires rencontrés sur ce forum à aller
consulter un service médical. Parallèlement, une information sur
cette situation était diffusée par fax à un journal local et à tous
les médecins, cliniques et hôpitaux de San Francisco desservant
une clientèle d'homosexuels.
Six patients homosexuels ayant fait l'objet d'un diagnostic de
syphilis récente dans cette période ont pu être ainsi comparés à
32 sujets homosexuels sélectionnés dans une enquête sur les
comportements sexuels en cours dans le département de santé
publique. 67% des patients ayant une syphilis avaient rencontré
des partenaires par l'intermédiaire d'internet, versus 19% des
sujets contrôles (Odds Ratio 8,7 ; p = 0,03).
Enfin, une enquête de satisfaction a été menée auprès de 35
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clients du portail informatique. Elle montrait que 76% des
répondants avaient trouvé cette campagne d'information sur
internet utile et appropriée. Les auteurs signalent néanmoins qu'à
la suite de cette campagne, le forum de discussion a été inondé
de messages homophobes.
Ces deux articles sont commentés par K.E. Toomey dans
l'éditorial de la revue. Il y est indiqué que plus d'un tiers des
visites d'adultes sur internet concernent des sites en relation avec
le sexe. L'auteur estime que le défi actuel n'est pas tant de
décrire ces nouvelles pratiques à risque mais plutôt de
développer de nouvelles méthodes pour identifier la manière
dont ces comportements se manifestent et surtout pour utiliser
internet comme outil d'interventions dans la prévention du VIH.
K.E. Toomey mentionne la théorie des réseaux sociaux comme
approche possible.
Il n'est pas vraiment surprenant que la recherche de rencontres
sexuelles anonymes sur internet soit associée à des
comportements à risque. En ce sens, l'analyse de M. McFarlane,
qui se contente de présenter une série de comparaisons
univariées, a un intérêt assez limité. Les associations observées
avec le fait de rapporter plus souvent une pénétration anale au
cours du dernier rapport sexuel, des partenaires homosexuels, ou
des partenaires séropositifs ne résultent-elles pas uniquement de
la proportion plus élevée d'homosexuels que d'hétérosexuels qui
ont recherché des partenaires sur internet dans cette étude ? On
regrette l'absence d'analyses multivariées qui auraient peut-être
permis d'identifier des pratiques associées indépendamment les
unes des autres au recours à internet et surtout d'explorer si ce
recours est associé à certaines caractéristiques de sexe, d'âge ou
de niveau d'études, indépendamment des comportements
sexuels.
Cette étude a tout de même le mérite de montrer que la
recherche de partenaires sexuels sur internet est loin d'être
exceptionnelle et conforte ainsi l'éditorialiste lorsqu'il insiste sur
l'importance de surveiller son évolution et d'anticiper sa pente,
surtout dans les jeunes générations, qui ont largement accès à
l'informatique.
L'article de J.D. Klausner montre justement comment un
département de santé publique a saisi l'opportunité d'utiliser ce
nouveau média comme voie d'alerte d'utilisateurs
potentiellement exposés à un risque accru de syphilis. C'est aussi
un exemple de collaboration rapide et efficace entre un service
public et des entreprises privées (le serveur du forum et une
entreprise de marketing ayant un portail internet).
Le point de départ était une investigation d'épidémie de syphilis
dans le cadre d'un programme de notification des partenaires
sexuels. La notification des partenaires est obligatoire aux
Internet et comportements sexuels à risque
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Etats-Unis en cas de diagnostic de syphilis : un personnel formé
à cette activité recueille auprès du patient les informations
nécessaires pour identifier, contacter et informer tous ses
partenaires1,2,3. Le personnel garantit au patient qu'il ne révélera
jamais son nom aux partenaires. La confiance dans la
confidentialité du processus est un élément clé de l'adhésion des
patients. Mais la principale limite provient des rencontres
sexuelles anonymes. L'originalité du processus présenté par J.D.
Klausner est d'avoir permis de notifier des partenaires rencontrés
sur internet sans informations sur leur identité autres
éventuellement que le nom d'écran. De plus, la couverture de
cette stratégie a pu être partiellement évaluée. L'envoi des
messages générait une demande d'accusé de réception
électronique. Les noms d'écran des accusés de réception, ainsi
que ceux éventuels des consultants reçus à la même époque dans
les services de santé alertés, ont été comparés à la liste des noms
d'écran cités initialement par les cas-index. Ceux qui
correspondaient ont été considérés comme notifiés.
L'ensemble du processus a ainsi permis d'identifier 5 cas de
syphilis reliés aux deux cas-index par l'intermédiaire du forum.
L'un de ces cas était responsable d'au moins trois infections
secondaires. En moyenne, chaque cas-index a cité en moyenne
12,4 partenaires et 42% des partenaires cités ont été informés et
testés. Les auteurs soulignent que le nombre moyen de
partenaires testés par cas est supérieur à ce qui a été rapporté
avec les programmes de notification traditionnels.
,Le contexte est différent en France, où il n'est pas envisageable
de faire intervenir un agent de santé pour identifier et avertir les
partenaires à la place des patients eux-mêmes. La méthode
décrite par Klausner ne peut donc être considérée comme une
alternative ou une extension possible à un programme existant.
En revanche, elle devrait servir de base de réflexion pour
atteindre des réseaux de partenaires potentiellement concernés
par une épidémie de MST et n'ayant pas de contact spontané
avec un système de soins.
L'usage d'internet est un moyen de transmettre une information
précise et ciblée selon le public potentiel. L'article ne donne
cependant pas suffisamment de détails sur la procédure de
transmission des messages et des accusés de réception à travers
le forum. En particulier, les noms d'écran correspondent-ils à des
adresses électroniques ou à de simples pseudonymes choisis par
les utilisateurs pour le temps d'une connexion ? S'il s'agit
d'adresses électroniques, sont-elles connues du serveur
uniquement ou également des utilisateurs ? La connaissance de
ces adresses permet-elle vraiment de préserver l'anonymat ?
K.E. Toomey conclut sur l'urgence de s'approprier l'internet
comme outil de communication sur la santé vers un public plus
Internet et comportements sexuels à risque
http://publications.crips.asso.fr/transcriptase/93_1322.htm (4 sur 5) [11/04/2003 09:22:55]
large que les professionnels de santé eux-mêmes. La difficulté
provient du nécessaire investissement des autorités de santé pour
intégrer et maîtriser ces nouvelles technologies de l'information,
et l'auteur estime que c'est loin d'être le cas aux Etats-Unis. Qu'il
en soit de même en France est à craindre.
1 - CDC
" Guidelines for treatment of sexually transmitted diseases "
MMWR, 1998, 47, RR-1
2 - Cowan F, French R, Johnson A
" The role and effectiveness of partner notification in STD control : a
review "
Genitourin Med, 1996, 72, 4, 247-52
3 - Peterman T et al.
" Partner notification for syphilis. A randomized, controlled trial of three
approaches "
STD, 1997, 24, 511-18
Internet et comportements sexuels à risque
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