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En écologie, les animaux s’adaptent
aux ressources disponibles de façon
à optimiser leur survie. Cela suffit à
structurer des écosystèmes d’une
grande richesse. Il en serait de même
pour les cellules, qui s’adaptent aux
proies disponibles, et ce faisant
construisent notre organisme. Les
proies de notre écosystème intérieur
sont multiples : aliments, cellules
mortes, bactéries, virus, etc. Ces
proies font l’objet d’une âpre compé-
tition entre prédateurs. Dans notre
système immunitaire, il y aurait deux
types de prédateurs. Les macrophages
non spécialisés, sorte de prédateurs
généralistes capables de phagocyter3
n’importe quelle proie. A côté, les pré-
dateurs spécialistes dont l’efficacité est
bien meilleure, mais pour une seule
sorte de proie. Attention, cette spé-
cialisation n’est intéressante que
lorsque la proie en question (microbe
ou virus) devient suffisamment abon-
dante. Il n’est pas avantageux de se
spécialiser pour une nourriture très
rare. Il vaut mieux alors rester un pré-
dateur généraliste.
Vaccination et
“cellules gloutonnes”
Pour illustrer cela, essayons de mon-
trer que l’on peut obtenir l’équivalent
d’une expérience de vaccination à par-
tir d’éléments écologiques totale-
ment autonomes : ici des poissons et
des martins-pêcheurs dans une ri-
vière. Rappelons que la vaccination
consiste à protéger l’organisme en lui
injectant une substance ressemblant
le plus possible au micro-organisme
visé, sous une forme inoffensive.
Un problème de prolifération excessive
de poissons rouges dans une rivière
surgit, à la suite du débordement d’un
réservoir d’eau voisin où les poissons
vivaient jusqu’alors sans créer de
souci. Ils se mettent à infester la rivière,
mangeant en grande quantité les algues
et les insectes qui la purifiaient. La qua-
lité de l’eau se met à en souffrir et par
là même cela affecte tous les animaux
qui y habitaient. La rivière est malade.
Il faut donc vacciner la rivière contre les
poissons rouges. (Le virus perturbe
notre écosystème comme le poisson
rouge dans la rivière).
Première solution : créer une sorte
d’antibiotique à poisson qui tuera les
poissons rouges en épargnant les
autres espèces. Problème : cela n’est
pas facile de trouver un médicament
toxique uniquement pour le poisson
que l’on veut éliminer.
Deuxième solution : vacciner la
rivière. On prélève des poissons
rouges qu’on produit en grande quan-
tité en élevage et qu’on anesthésie
pour qu’ils ne causent aucun dom-
mage. Ensuite, on les remet massive-
ment dans la rivière. Devant cette
abondance nouvelle, tous les martins-
pêcheurs des environs vont affluer
vers ce qui est leur nourriture de pré-
dilection. Aussi bien nourris, ils vont
se reproduire en masse. Leur présence
va protéger la rivière contre les infes-
tations de poissons. Ensuite, si les
poissons disparaissent, le nombre de
martins-pêcheurs, moins bien nour-
ris, va progressivement diminuer. Il
faudra donc réinjecter des poissons
tous les dix ans pour garder cet équi-
libre (cf. rappel de vaccin). On voit ici
que nous n’avons pas affaire à un
programme préexistant qui pousserait
les martins-pêcheurs à venir manger
ces poissons après les avoir identifié s
comme dangereux pour l’écosystème.
Ils se mobilisent uniquement parce
qu’ils y trouvent leur nourriture de
choix et qu’ils la trouvent en quan-
tité. De la même façon, la vaccination
repose sur la multiplication de certains
lymphocytes en réponse à la pré-
sence de leur nourriture préférée : le
vaccin, ou l’agent infectieux corres-
pondant. La multiplication des lym-
phocytes protège l’organisme de la
prolifération de leur proie.
Perturbations du
système immunitaire
Les concepts de soi et non-soi (anti-
gène) sont des concepts centraux en
immunologie. Pierre Sonigo en pro-
pose la définition suivante. L ’ é l é m e n t
du soi : ce qui est constitutif de l’orga-
nisme et in stallé de façon stable depuis
l’embryogenèse. Ces éléments parti-
cipent à l’ensemble des échanges mé-
taboliques. L’élément du non-soi :
des éléments étrangers ou qui le sont
devenus et qui viennent perturber la
dynamique des réseaux métaboliques.
Des oiseaux, de l’herbe et des four-
mis. A nouveau, servons nous d’une
petite fable pour illustrer les pertur-
bations qui peuvent se présenter
dans un écosystème préalablement
harmonieux. L’écosystème proposé
est schématique et ne contient que
trois éléments. Un tout petit oiseau fait
des crottes dans un désert ce qui per-
met la naissance d’une touffe d’herbe.
Cette herbe va nourrir des fourmis qui
vont à leur tour nourrir les petits oi-
seaux. Ces derniers vont alors déposer
plus de crottes sur le sol. Plus de
crottes, signifie plus d’herbe, donc
plus de fourmis, donc plus d’oiseaux.
L’ensemble va croître progressive-
ment jusqu’à donner une prairie. Les
crottes sont donc à l’origine d’un éco-
système parfaitement équilibré entre
trois organes spécialisés et interdé-
p e n d a n t s: herbes, fourmis et oiseaux.
Cette merveilleuse harmonie règne
pendant des années, durant lesquelles
aucun des ”organes ”ne se développe
au détriment d’un autre. Ces éléments
établis qui se “dévorent en harmonie”,
constituent le soi de la prairie. Puis
arrive un gros cafard (c’est l’équiva-
lent d’une infection) qui se met à man-
ger les fourmis. Moins de fourmis,
donc moins d’oiseaux, donc moins
de crottes, donc moins d’herbe :
toute la prairie est malade.
b r è ve s 3
Les médecins évaluent mal
les symptômes dont peuvent
se plaindre les séropositifs
D’après une étude française
publiée en octobre 1999, les
médecins doivent améliorer
leur compétences dans la
reconnaissance des symp-
tômes chez leurs patients sé-
ropositifs. Le docteur Alain
Fontaine de l’Université de
Paris VII rapporte avec ses
collègues que les médecins
souvent ne diagnostiquent
pas les symptômes dont se
plaignent leurs patients.
D’après l’étude, la concor-
dance entre ce que rappor-
tent les patients et ce que
rapportent leurs médecins est
m é d i o c r e .
L’équipe du Dr Fontaine a
étudié 290 patients séroposi-
tifs choisis au hasard dans
plusieurs centres. Ils ont
comparé les témoignages des
patients et ceux de leurs mé-
decins sur 16 symptômes dif-
férents et ils ont aussi noté si
un traitement spécifique a été
prescrit ou pas.
D’une façon générale l’épui-
sement, l’anxiété, les pro-
blèmes cutanés, la fièvre ou
la perte de poids étaient
mieux reconnus que d’autres
symptômes. Souvent les mé-
decins portaient plus d’atten-
tion à des symptômes physi-
quement mesurables qu’à
des symptômes qu’on ne
peut pas directement mesu-
rer. Ceci indique que pour
des symptômes physiques,
les médecins font plus
c o n fiance à ce qu’ils peuvent
eux-mêmes évaluer qu’à ce
peuvent leur dire leurs pa-
tients. Le groupe du Dr Fon-
taine a aussi observé que les
médecins évaluent mal les
symptômes liés à des effets
secondaires des médica-
ments comme des nausées
ou des sécheresses de la
bouche, ainsi que des symp-
tômes qui sont traitables
comme des troubles du som-
meil ou la diarrhée. Les
symptômes étaient mieux re-
connus chez des patients plus
malades suggérant que les
médecins sont plus attentifs
une fois les patients arrivés à
un stade plus avancé et plus
visible de l’infection à VIH.
Finalement, le Dr Fontaine et
ses collègues ont constaté
que les patients en consulta-
tion externe bénéfic i e n t
d’une meilleure reconnais-
sance de leurs symptômes.
Ceci pourrait être dû à une
plus grande autonomie de ces
patients qui réclament avec
plus d’insistance une prise en
charge de leurs symptômes.
(Journal of Pain and Symp -
tom Management, 1999 ; 18 :
2 6 3 - 2 7 0 )
“La vaccination repose sur la multiplica -
tion de certains lymphocytes en réponse à
la présence de leur nourriture préférée,
vaccin ou agent infectieux corre s p o n d a n t
1. Ce texte est issu d’une interview
réalisée avec Pierre Sonigo le 2 no-
vembre 1999
2. Un texte synthétique en anglais peut
être lu sur Internet à l’adresse :
h t t p : / / w w w . h e r a c l i t e a n . c o m / e s s a y s /
3. p h a g o c y t e r. capacité de certaines cel-
lules, essentiellement des globules
blancs, d’englober des particules
jusqu’à les absorber complétement.