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Artificialisation du vivant : histoire, processus et conséquences
Hervé Richard,Pierre-Marie Badot, Jean-François Viel
CNRS-Université de Franche-Comté/ UMR 6249 Chrono-environnement, Besançon,
nov. 2008
De la domestication à l’artificialisation du vivant
Depuis que l’Homme est passé du statut de prédateur à celui de producteur, la
domestication et la mise en valeur des systèmes écologiques contribuent inexorablement à
façonner la culture, l’économie, l’organisation sociale, les paysages et l’image d’un territoire.
Les écosystèmes résultant de ce processus de transformation s’appuient sur un contexte
géologique et biologique qui a été lentement domestiqué puis artificialisé pour l’adapter aux
besoins multiples de sociétés variées.
Cette évolution est longue et complexe. Les premiers systèmes agro-forestiers
néolithiques d’abattis-brûlis perdurent pendant plusieurs millénaires, mitage de petites
clairières au milieu de forêts dont la diversité n’est que le fruit de dynamiques internes qui
viennent se surajouter aux conséquences à long terme de changements globaux affectant
les conditions climatiques et édaphiques. Ces proto-agriculteurs resteront largement
dépendants de cette nature qu’ils transforment, qu’ils subissent parfois, mais qui reste, par la
chasse, la pèche et la cueillette, un complément indispensable et longtemps inépuisable.
Pourtant, dès ces premiers balbutiements agricoles, par un processus lent de contacts, de
diffusions et d’adoptions temporaires de nouvelles techniques, jalonné de périodes fastes et
malgré d’inévitables échecs, la domestication des milieux naturels est en marche. Très
lentement, de génération en génération, les jachères, l’introduction de l’araire et la
systématisation des cultures attelées, l’introduction du métal transforment graduellement
l’environnement des sociétés humaines successives. Les petites clairières originelles
s’agrandissent jusqu’à se fondre les unes aux autres. Les écosystèmes se diversifient. La
population humaine augmente. Les sociétés se hiérarchisent. De véritables stratégies
territoriales sont élaborées. Puis les attelages se font plus lourds et les jachères sont
abandonnées. Enfin, l’agriculture est mécanisée, chimisée, automatisée. L’artificialisation du
vivant est alors quasi universelle.
Cette longue évolution, engagée il y a environ dix millénaires dans des contextes
environnementaux très variés, n’est pourtant pas régulièrement croissante, depuis un état
strictement conditionné par les seules contraintes naturelles jusqu’à l’aspect uniformément
anthropisé actuel. Le temps des clairières concerne la majeure partie de cette évolution qui
voit se succéder emprises et déprises agricoles, mais aussi transformations des pratiques et
changements de productions. L’origine de ces mutations est souvent multiple associant des
causes naturelles (comme les crises climatiques), des processus directement liés à une
exploitation irraisonnée des terres (érosion et épuisement des sols) à des événements socio-
économiques (guerres, épidémies, crises ou au contraire embellies financières). Ces phases
successives de changements, d’adaptations et de reconversions agricoles sont les vecteurs
essentiels de la structuration des paysages actuels. L'artificialisation fragmente le paysage et