Les revues systématiques d`utilisation des médicaments : une

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DE
SHERBROOKE
NOUVELLE
Les revues systématiques d’utilisation
des médicaments : une approche
d’amélioration de la qualité de l’acte
axée sur le patient
Drug utilization reviews: a systematic approach to
quality improvement centered on the patient
Paul Farand1,2, Benoît Cossette2
1
2
Faculté de Médecine, Université de Sherbrooke
Centre Hospitalier Universitaire de Sherbrooke
Correspondance :
Paul Farand
Service de Cardiologie
Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke
3001, 12e Avenue Nord
Sherbrooke (Québec) J1H 5N4
Canada
819 346-1110, poste 75251
[email protected]
Article reçu le :
12 avril 2012
Article accepté le : 16 octobre 2012
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u Centre hospitalier universitaire
viennent d’évaluation réalisées dans les centres
de Sherbrooke (CHUS), de nom-
d’hébergement aux États-Unis, où la réalisation
breuses activités visent à assurer
de telles évaluations est requise par la législa-
une utilisation optimale des médicaments avec
tion américaine fédérale.[3]
une emphase particulière sur l’utilisation sécuri-
Bien que la mise en place de RUM struc-
taire de ces derniers. Cela est fait, entre autres,
turées impliquant plusieurs centres permette
par le biais d’analyses descriptives et des re-
généralement de tirer des conclusions solides,
vues d’utilisation des médicaments (RUM) qui
ces dernières demandent l’utilisation de res-
dressent un portrait de l’usage des médica-
sources importantes et la mise en place de
ments. Les analyses descriptives ont comme
structures complexes. Au Québec, un exemple
objectifs de décrire ou quantifier une problé-
de ces structures est le Programme de gestion
matique [1] alors que les RUM sont définies
thérapeutique des médicaments (PTGM). Le
comme des initiatives structurées et continues.
PGTM regroupe les cinq Centres hospitaliers
Les RUM visent l’interprétation des tendances
universitaires (CHU) du Québec avec l’objectif,
d’utilisation de médicaments en relation avec
notamment par le biais des analyses descrip-
des critères prédéterminés pour tenter de préve-
tives et RUM, d’optimiser l’utilisation des médi-
nir ou minimiser la prescription inappropriée [2].
caments dans les établissements. La structure
Ces activités sont réalisées dans un contexte
du PGTM permet à chaque CHU d’obtenir des
extra ou intra–hospitalier. Les résultats des
données sur l’utilisation des médicaments dans
analyses ou revues peuvent éventuellement
son milieu et de se comparer à des établisse-
mener à des suggestions d’interventions afin
ments avec des missions similaires. Les résul-
d’améliorer l’usage des médicaments. Dans le
tats des analyses descriptives et RUM effec-
contexte intra-hospitalier, les principales expé-
tuées par le PGTM sont disponibles sur son
riences de RUM décrites dans la littérature pro-
site Internet (www.pgtm.qc.ca) et concernent
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autant des évaluations suivant l’introduction d’une
Le CHUS dispose d’un atout important
nouvelle thérapie que l’évaluation de thérapies en
pour la réalisation d’analyses descriptives et
utilisation depuis un certain temps. Le PGTM cible
RUM : l’entrepôt de données du Centre infor-
les sujets qui feront l’objet de revues ou d’analyses
matisé de recherche évaluative en services et
en fonction des priorités identifiées par les repré-
soins de santé (CIRESSS), alimenté, depuis
sentants des CHU partenaires. Le type de devis
1993, par le dossier clinique informatisé du
est décidé par le comité scientifique du PGTM.
CHUS [4]. CIRESSS, par la disponibilité d’infor-
Certaines problématiques (par exemple,
mations cliniques numériques, permet la réali-
des analyses portant sur la clientèle pédiatrique)
sation d’évaluation d’utilisation de médicaments
peuvent être rencontrées dans un nombre limité de
sur des populations de taille importante, dans
centres, ce qui demande une investigation propre
des délais restreints. Certains exemples sont
à chaque établissement plutôt qu’une approche
décrits ci-dessous.
multicentrique.
Exemples de RUM effectuées par des chercheurs attachés à l’Université de Sherbrooke
en maladies infectieuses
Dans le contexte de l’épidémie de colites à
prophylaxies chirurgicales.[6] Cette RUM remet
Clostridum difficile au début des années 2000,
en doute l’utilisation de certaines antibiopro-
l’outil CIRESSS a non seulement permis d’aider
phylaxies chirurgicales dans le contexte où les
à décrire de manière adéquate la situation[5],
infections potentiellement évitées sont souvent
mais aussi de trouver des pistes de solutions
bénignes par rapport à l’impact potentiel des
par le biais de RUM. Une de ces dernières est
colites. Finalement, un programme informa-
la démonstration d’un taux élevé (1,5%) de
tique de surveillance continue a été mis en
colites à Clostridium difficile entraînées par les
place depuis 2010. Le programme utilise en
antibiotiques administrés dans le contexte de
temps réel les données cliniques des patients à
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partir de la base de données hospitalière, pour
de savoir si ce système permet aussi de dimi-
ensuite émettre des avis sur l’ajustement de
nuer les complications associées à l’usage des
l’antibiothérapie des patients. Ce système a été
antibiotiques. En résumé, ce système est en
en mesure d’améliorer l’utilisation des antibio-
quelque sorte une RUM en temps réel avec un
tiques et d’effectuer des économies monétaires
impact immédiat sur les soins des patients.
significatives. Une évaluation est en cours afin
Exemple d’une RUM ayant modifié de manière significative la pratique au CHUS : l’héparine
Le Département de pharmacie en collaboration
changement immédiat du protocole d’anticoa-
avec le Département de médecine a réalisé une
gulation utilisé au CHUS, afin d’obliger l’indexa-
RUM portant sur l’évaluation de l’utilisation de
tion des doses d’héparine au poids au moment
l’héparine non fractionnée à visée thérapeu-
de la prescription.
tique (excluant l’usage prophylactique). La pre-
La deuxième phase consistait à effectuer
mière phase consistait en une analyse rétros-
trois analyses ciblées rétrospectives à partir des
pective de l’incidence de saignements en lien
résultats de la première phase. La première de
avec l’utilisation d’héparine. Les résultats ont
ces analyses a démontré que, chez les patients
clairement démontré une incidence plus impor-
déjà sous anticoagulation orale, pour qui une
tante qu’attendue de saignements liés à une
thérapie d’héparine non fractionnée était insti-
anticoagulothérapie excessive et des temps de
tuée, les risques d’événements hémorragiques
céphaline activée (TCA) supra-thérapeutiques.
dépassaient nettement les bénéfices escomptés
Ces excès d’anticoagulation étaient liés à l’uti-
des héparines. Effectivement, des événements
lisation de bolus et de doses initiales de perfu-
hémorragiques modérés et sévères ont été ob-
sion d’héparine sans indexation au poids cor-
servés pour 14 % des patients ayant reçu de
porel tel qu’usuellement recommandée [7]. Les
l’héparine non-fractionnée, malgré la présence
résultats de la première phase ont mené à un
d’une anticoagulation orale thérapeutique. Ces
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résultats ont été présentés par notre groupe en
daire au fait que ces nomogrammes suggèrent
congrès en 2011 (Pelletier M.-E., et coll., SSVQ
une dose maximale d’héparine. Ces résultats
2010) et ont depuis été confirmés par une étude
sont en attente de publication (Sous presse,
à plus grande échelle [8].
Obesity, Joncas et coll., 2012).
La deuxième analyse ciblait les nomo-
Les résultats des analyses de la deu-
grammes guidant la prescription d’un bolus d’hé-
xième phase devraient concerner les aspects
parine lors de l’initiation de la perfusion d’héparine
centraux de la troisième et dernière phase de la
intraveineuse. Ce bolus était omis pour environ
RUM sur l’héparine dans notre centre, soit une
50% des perfusions au CHUS, généralement pour
évaluation prospective des changements propo-
les patients identifiés à haut risque de saignement.
sés. Cette dernière phase permettra l’évaluation
Nos analyses ont démontré que l’omission d’un
de l’adhésion aux nouvelles pratiques cliniques
bolus entraîne un nombre significativement plus
proposées et du bénéfice des changements
grand de TCA supra-thérapeutiques dans les pre-
apportés. Elle permettra également de fournir
mières 24 heures. Ces résultats ont été présentés
aux cliniciens une rétroaction sur l’ensemble du
en congrès (Bonenfant F. et coll., CCS 2011) et ont
processus d’évaluation.
déjà fait l’objet de modifications de pratiques dans
Finalement, plus récemment, le CHUS s’est
notre centre suite à des présentations dans les
doté d’une structure nommée Unité de recherche
services cliniques concernés.
en pharmacie (UREp) ayant comme mandat de
La dernière analyse ciblée concerne l’uti-
faciliter la réalisation de projets d’évaluation qui
lisation de l’héparine intraveineuse chez les pa-
ont un impact sur la qualité des soins de santé,
tients avec obésité importante. Avec l’utilisation
plus spécifiquement sur l’utilisation sécuritaire des
des nomogrammes actuels, un délai significatif
médicaments en centre hospitalier. Cette structure
est observé pour l’anticoagulation des patients
devrait accroître la capacité du CHUS à réali-
avec surpoids. Cela est potentiellement secon-
ser des évaluations. Les sujets actuellement en
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évaluation sont l’utilisation sécuritaire de l’insu-
mécanismes visant l’amélioration de la qua-
line, la neuropathie associée à l’oxaliplatine et
lité des actes médicaux. La description de
l’utilisation sécuritaire des antithrombotiques.
l’usage des médicaments peut être faite à
L’UREp peut utiliser l’entrepôt de données CI-
l’aide d’analyses descriptives ou de RUM.
RESSS et peut travailler en lien avec les acteurs
Cela, à un niveau local ou bien en jumelant
locaux et provinciaux, notamment le PGTM, afin
les efforts de plusieurs centres. De ces dé-
de viser l’amélioration de l’usage des médica-
marches peuvent émaner des résultats qui
ments.
amèneront des réflexions et ultimement des
S’assurer de l’utilisation optimale des
médicaments est une partie importante des
modifications de la pratique en visant l’amélioration de la sécurité des soins.
Références
1. Lee, D. and U. Bergman, Studies of drug utilization, in
Pharmacoepidemiology, B. Strom, Editor. 2000, John
Wiley & Sons Ltd.: Toronto. p. 463-81.
2. Soumerai, S.B. and H.L. Lipton, Computer-Based
Drug-Utilization Review — Risk, Benefit, or Boondoggle? New England Journal of Medicine, 1995.
332(24): p. 1641-1645.
3. Briesacher, B., et al., Evaluation of Nationally Mandated Drug Use Reviews to Improve Patient Safety in
Nursing Homes: A Natural Experiment. Journal of the
American Geriatrics Society, 2005. 53(6): p. 991-996.
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data warehouse into practice organisation. International Journal of Medical Informatics, 2006. 75(3-4):
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46(12): p. 1838-43.
7. Cossette, B., et al., Evaluation of bleeding risk in
patients exposed to therapeutic unfractionated or
low-molecular-weight heparin: a cohort study in the
context of a quality improvement initiative. Annals of
Pharmacotherapy, 2010. 44(6): p. 994-1002.
8. Subherwal, S., et al., Admission International Normalized Ratio Levels, Early Treatment Strategies, and
Major Bleeding Risk Among Non-ST-Segment-Elevation Myocardial Infarction Patients on Home Warfarin
Therapy: Insights From the National Cardiovascular
Data Registry. Circulation, 2012. 125(11): p. 1414-23.
5. Valiquette, L., et al., Impact of a reduction in the use
of high-risk antibiotics on the course of an epidemic
of Clostridium difficile-associated disease caused by
the hypervirulent NAP1/027 strain. Clinical Infectious
Diseases, 2007. 45 Suppl 2: p. S112-21.
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