Vision des travailleurs industriels sur l’'agenda européen en matière de politique industrielle L'Europe doit conserver son ambition de maintenir et renforcer sa base industrielle. À cette fin, une politique industrielle européenne ambitieuse, détaillée et durable est nécessaire. L'industrie revêt une importance cruciale pour la prospérité de l’économie européenne, en permettant de créer des emplois, de relancer la productivité, de favoriser l'innovation et de rehausser les normes sociales. La politique industrielle doit tenter d'anticiper et de gérer le changement de façon socialement responsable, avec des instruments financiers et des outils de régulation adéquats. Seule une Europe sociale forte et efficace peut ranimer l'enthousiasme des citoyens envers l'idéal européen. L'Europe sociale ne peut pas exister sans organisations syndicales nationales fortes avec en face des organisations patronales fortes, et des droits à la négociation collective pleinement développés. À l'échelle européenne, les restructurations interviennent depuis trop longtemps dans un vide virtuel social. Alors que l'Europe sociale est en panne, nous assistons à la libéralisation des marchés du travail, à l’introduction progressive d'emplois précaires et de la flexibilité économique, et à des changements au sein de nos États providence qui favorisent les inégalités de richesses – en particulier en ce qui concerne les politiques en matière de chômage et de pensions. Les salaires et le coût de main d'œuvre ont subi des attaques et ceci a affaibli le pouvoir d'achat et la demande des consommateurs. Pendant ce temps, les lacunes au niveau des compétences se sont accrues, les investissements ont chuté et les performances industrielles globales ont été remises en cause. L'heure est venue pour les hommes politiques européens de se dresser et de s'engager à se battre pour la création et le maintien d'emplois de qualité dans le secteur industriel européen. Les décideurs politiques doivent se focaliser sur l'économie réelle. Nous avons besoin de toute urgence de politiques sociales, économiques et industrielles coordonnées et durables, afin de garantir la confiance du public à l'égard de l'économie et de stimuler la demande économique pour protéger les emplois dans l'économie réelle. La politique économique et industrielle doit s’orienter vers le développement d'un nouveau modèle de croissance basé sur l'innovation, les technologies durables, la production économe en énergie et en ressources et l'internalisation des coûts écologiques, ceci afin de satisfaire les nouveaux besoins soulevés entre autres par une société vieillissante et l'augmentation des besoins en termes de soins médico-sociaux. Pour y parvenir, la Fédération Européenne des Métallurgistes (FEM), la Fédération Européenne des Syndicats des Mines, de la Chimie et de l'Energie (EMCEF) et la Fédération Syndicale Européenne : Textiles, Habillement et Cuir (FSE:THC), réclament que 6 principes sous-tendent la stratégie Europe 2020 et la prochaine initiative phare « Une politique industrielle à l'ère de la mondialisation » : 1. L'Europe a besoin d'une base industrielle forte. L'industrie ne peut prospérer sans une Europe sociale solide qui fournisse des emplois et des systèmes d'éducation de haute qualité et une demande intérieure forte. Il est nécessaire de donner une dimension sociale forte aux politiques industrielles afin d'assurer la cohésion sociale et de s'attaquer à l'instabilité sociale engendrée par la crise économique. Ceci doit être intégré dans l'agenda européen, en même temps que de nouveaux droits sur le lieu de travail, afin d'assurer l'anticipation et la gestion socialement responsables du changement, de la formation tout au long de la vie crédible, des politiques actives du marché du travail qui incluent toutes les catégories de travailleurs quel que soit le contrat, ainsi que la promotion de la sécurité économique et sociale. Avec le développement des forces anti-européennes et de l'extrême-droite à travers tout le continent, les travailleurs de l'industrie sont tout à fait conscients des réels dangers que posent le nationalisme et le populisme xénophobe. 2. Les politiques macro-économiques doivent être reliées aux politiques industrielles afin de soutenir la création et le maintien d'emplois industriels de haute qualité. La lutte contre l'inflation et la modération salariale ne peuvent constituer les bases de l'intégration européenne. Les décideurs politiques européens et les banques centrales doivent encourager des politiques monétaires, fiscales et budgétaires axées sur la croissance. L'harmonisation européenne de l'impôt sur les sociétés devrait également être encouragée en tant qu'outil permettant d'éviter le dumping fiscal au sein de l'UE, à l'instar des actions contre les paradis fiscaux et l'évasion fiscale. 3. Il faut aborder la question de l'investissement dans le secteur industriel en Europe. Une nouvelle réglementation des marchés financiers est nécessaire d'urgence afin de permettre aux banques de retourner à leur rôle fondamental consistant à fournir du capital pour les activités productives plutôt que de créer leurs propres richesses aux dépens de l'économie réelle. Une taxation des transactions financières doit être mise en place dans le cadre de cette nouvelle régulation aux niveaux européen et mondial. Des normes comptables (via la règlementation Bâle) doivent assurer l'accès au crédit pour les sociétés industrielles, en particulier les PME. Les fonds régionaux et structurels européens existants doivent être réorientés afin de permettre la création d'emplois et d'atteindre les objectifs politiques industriels. Les politiques régionales et industrielles doivent encourager la création de fonds de capital-risque soutenant la création d'emplois. Des partenariats public-privé pour la R&D et l'innovation devraient permettre au secteur privé d'atteindre l'objectif de 3 % du PIB consacré aux dépenses de R&D, alors que des critères sociaux et écologiques pour les marchés publics doivent être adoptés afin d'assurer la demande en matière de nouveaux produits. Les mécanismes du marché et l'allocation des risques doivent être rééquilibrés afin de garantir que les politiques d'investissement axées sur le long terme soient plus avantageuses que celles qui privilégient les dividendes à court terme pour les actionnaires. 4. Le développement durable et une transformation équitable devraient assurer le développement de nouvelles stratégies industrielles, ainsi que le maintien et l'amélioration durables des infrastructures industrielles européennes, en se centrant sur la transformation de toutes les industries. Des normes européennes contraignantes en matière d'efficacité énergétique et les primes à la performance doivent être combinées afin de créer un cercle vertueux. À Cancun (CCNUCC CP16), l'UE doit de nouveau réclamer un accord international contraignant et global sur la réduction des gaz à effet de serre (GES) garantissant une transition juste vers une économie à faibles émissions de carbone. La politique en matière de changement climatique doit permettre d'améliorer en permanence la responsabilité et la performance environnementale de l'industrie à l'échelle mondiale, tout en maintenant une compétitivité internationale (y compris les mesures contre les fuites de carbone, telle la mise en place de mécanismes d'ajustement aux frontières). En l'absence de telles conditions, l'Union Européenne doit revoir sa proposition d’augmenter de façon unilatérale de -20 % à -30 % son propre objectif de réduction d'émissions. 5. Un développement durable de l'industrie européenne exige une politique énergétique européenne efficace, encourageant un réseau intelligent de production et de transport d'électricité et de gaz européens pour assurer un mixe énergétique durable qui garantisse la sécurité d'approvisionnement à un prix raisonnable pour l’industrie et les ménages. Ceci nécessite une réévaluation de la stratégie de la Commission relative à la libéralisation des marchés énergétiques, un rôle accru des pouvoirs publics européens et nationaux sur les marchés énergétiques via une Agence Européenne de l'Energie et une planification nationale, ainsi que la création de nouveaux grands projets de production d'énergie afin d'assurer l'approvisionnement à long terme de l'électricité aussi bien que l'investissement dans des technologies énergétiques de pointe. 6. Les politiques commerciales internationales doivent fonctionner pour les travailleurs. La promotion du commerce ne peut constituer une fin en soi mais doit faire partie d'une stratégie en faveur de la croissance et de la prospérité dans les pays développés et en voie de développement. Un environnement concurrentiel équitable doit garantir le respect des droits fondamentaux du travail définis pat l'OIT, des normes environnementales, et l'utilisation de mesures de défense commerciale. L'UE doit assurer que les travailleurs soumis à des restructurations causées par la libéralisation du commerce soient couverts par des politiques d'anticipation et des mesures de soutien appropriées à tous les niveaux. L'implication et la participation des travailleurs dans l'élaboration des politiques industrielles est d'une importance fondamentale à tous les niveaux : UE, national, régional, local et sectoriel. Ce dont l'Europe a besoin, ce n’est pas seulement de projets communs pour le futur. Elle a besoin de projets dans lesquels les individus puissent s'impliquer et s'engager et par lesquels ils puissent être inspirés. La participation des travailleurs devrait être la pierre angulaire de la politique industrielle européenne dans les prochaines années. (Approuvé à Bruxelles, le 19 octobre 2010)