¶Estimation du niveau de morbidité psychiatrique
dans la population générale
Une simple estimation peut être dérivée des données nationales, à
défaut internationales, de la morbidité locale
[20]
. Ces données
appliquées à la population d’un secteur de psychiatrie de taille
moyenne donne des chiffres impressionnants, indiquant, mais ce
n’est qu’une indication, que un dixième de la population atteinte
d’un trouble mental est pris en charge par le dispositif psychiatrique
de secteur. Ces estimations ne tiennent pas compte des écarts entre
la morbidité diagnostiquée, la morbidité diagnosticable et la
morbidité traitée. De plus, elles n’indiquent pas quels types de
services sont adéquats. Cette méthode est mieux adaptée pour les
troubles les plus graves où les écarts devraient être réduits au
minimum entre la prévalence du trouble et la prévalence traitée en
raison de l’importance de prendre en charge chaque personne et de
la durée des soins.
¶Estimation des besoins de soins à partir
des statistiques d’utilisation des services
Des données générales de l’utilisation des soins peuvent être
extrapolées à une aire géographique dépourvues de statistiques. Il a
été établi par Golberg et Huxley en 1992, cités par Thornicroft
[20]
,
que chaque année 25 % de la population souffre au moins d’un
trouble mental de sévérité modérée et que, pour ces auteurs, 23 %
consulte un médecin de soins primaires, 14 % est identifiée comme
ayant un trouble ou étant en détresse, 1,7 % est adressée aux services
de soins psychiatriques dans la communauté et 0,6 % est
hospitalisée.
¶Évaluation des besoins pour les populations
en situation sociale précaire
Les troubles mentaux et le taux d’admission en psychiatrie sont plus
fréquents dans les populations présentant une situation sociale
précaire telle que l’absence d’abri ou l’absence de domicile fixe. La
prévalence élevée des psychoses associées à l’alcoolisme dans ces
populations justifie de concevoir des services de soins adaptés pour
une prise en charge au long cours. Cependant, en raison de la
difficulté à recenser ces populations, des méthodes de capture-
recapture sont utiles pour obtenir des estimations plus précises de
leur nombre, pour effectuer ensuite une évaluation de leurs
besoins
[7]
.
Évaluation des pratiques
professionnelles
L’évaluation des pratiques professionnelles est certainement le
préalable à toute évaluation des résultats. En l’absence de
connaissance des pratiques, il est impossible d’interpréter les
variations des résultats. De nombreuses initiatives visent maintenant
à décrire l’influence des recommandations professionnelles sur les
pratiques de soins, et de nombreux auteurs viennent à discuter
l’importance à accorder aux soins basés sur des faits prouvés. Une
évaluation d’un système de santé peut se fonder en grande partie
sur le degré d’utilisation des recommandations existantes pour
satisfaire aux besoins de santé d’une population. Ceci suppose la
recherche de preuves valides et pertinentes comme celles qui sont
mises à disposition par les agences médicales des différents pays,
par des revues telles que l’Evidence Based Medicine Journal ou encore
par des systèmes de synthèse et de dissémination de l’information
médicale tels que la Cochrane Collaboration. Cette dernière propose,
pour l’exemple des chambres d’isolement (cf infra), une analyse de
l’efficacité de l’utilisation de l’isolement comparée à celle de ses
alternatives pour les patients présentant des troubles mentaux
sévères
[16]
. Le processus de sélection des faits prouvés et
l’organisation pour leur implémentation représentent une
perspective importante de l’évaluation des système de soins. Trop
souvent, la psychiatrie est considérée comme manquant globalement
de références scientifiques. Les faits prouvés de grade A (preuve
scientifique établie) et de grade B (présomption scientifique) sont
encore peu nombreux, mais il n’est pas sûr que les efforts
correspondants aient été déployés pour en assurer l’application
régulière. De ce fait, la psychiatrie dispose de thérapeutiques dont
l’efficacité théorique (efficacy) a été démontrée par des essais bien
conduits mais manque d’évaluation de l’efficacité sur le terrain
(effectiveness) lorsque le traitement est appliqué dans des conditions
non contrôlées par un médecin « moyen » à un patient « moyen ».
La mise en place d’un système d’évaluation peut modifier les
conditions d’exercice et de soins comme cela peut être reproché à la
UK Prism Study, sur les soins aux patients psychotiques dans la
communauté, une des rares études de ce type disponible à l’heure
actuelle
[2]
. Quant à l’évaluation de l’efficience (efficiency), elle ne peut
être développée faute d’études d’efficacité sur le terrain pour
pouvoir savoir si elles sont coût-efficaces. Andrews note qu’aucune
intervention thérapeutique psychiatrique n’est citée dans les
500 interventions en médecine dont l’efficience a été évaluée et
exprimée en coût par année de vie sauvée
[2]
.
En raison de ce retard, l’évaluation de l’application des références
médicales opposables (RMO), qui n’est pas jugée satisfaisante,
représente un moyen de savoir si les acteurs d’un système de soins
ont tendance à utiliser les thérapeutiques selon les recommandations
professionnelles élaborées sur des bases scientifiques. Les
responsables des structures de soins, médicaux et gestionnaires qui
se réfèrent habituellement aux exigences professionnelles et
réglementaires, devront de plus en plus faciliter la recherche de
preuves valides et pertinentes, évaluer la qualité de ces preuves dont
l’accès devient très facile par l’Internet. On ne sait pas encore à quel
niveau d’exigence sera développé ce devoir d’actualisation des
pratiques avec l’avènement d’un système qui permet de multiplier à
l’infini la même information dans des délais très courts. Cette
actualisation peut être freinée par le fait que des preuves ne suffisent
pas à mettre fin aux controverses lorsqu’il s’agit de savoir si un
nouveau traitement correctement validé est supérieur à un
traitement pratiqué de longue date pour lequel il est peu probable
que l’on dispose un jour de preuves tangibles
[14]
.
L’étape importante et souvent négligée est l’utilisation des leviers
appropriés pour obtenir des changements dans les pratiques
cliniques. Influencer les professionnels peut se faire dans le cadre de
la formation professionnelle continue et par le biais de l’évaluation
des pratiques professionnelles. En revanche, il existe des risques non
négligeables que les thérapeutiques qui ne disposent pas de preuves
suffisantes soient réduites pour minimiser les dépenses, sans être
remplacées par celles qui sont réputées efficaces.
On voit que ce volet qui était l’exclusivité des professionnels de
santé par la maîtrise et l’actualisation du métier peut devenir un axe
de la politique de gestion des systèmes de santé et de leur
modernisation. Le risque souvent avancé d’uniformisation des
pratiques paraît à l’heure actuelle moins élevé que des variations de
pratique, que ni la pathologie des patients, ni leurs préférences, ne
peuvent expliquer. La fréquence d’utilisation des chambres
d’isolement en est un exemple démonstratif, en raison des variations
de leur nombre selon les établissements, de leur utilisation plus ou
moins fréquente et enfin du degré variable de sécurité obtenue
[1, 18]
.
Il est important de pouvoir coupler une évaluation des pratiques
professionnelles avec un mesurage du résultat afin de démontrer
l’impact des efforts réalisés. Une pratique à risque telle que
l’isolement peut être un témoin de la qualité des soins, du respect
des libertés individuelles et de la gestion des risques. La mortalité
en chambre d’isolement représente un exemple d’indicateur de
résultat qui mesure ce qui doit arriver ou ne pas arriver comme
résultante d’un processus. Au niveau national ou régional, le
nombre de décès en chambre d’isolement peut être rapporté au
nombre de patients qui ont été isolés. En revanche, pour un
établissement de santé, cet événement est un indicateur sentinelle
dans la mesure où tout décès inattendu ou inacceptable demande
un examen sans délai des causes et la mise en place de mesures
correctives.
Psychiatrie Méthodes d’évaluation des systèmes de soins en psychiatrie 37-800-A-20
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