Débat La sténose duodénale dans le cancer du pancréas : le point de vue du chirurgien l est important de définir la place du traitement palliatif chirurgical de la sténose duodénale compliquant l’adénocarcinome du pancréas, en complémentarité avec les autres traitements palliatifs possibles. I Du fait de son extension locale ou générale, l’exérèse à visée curative de la tumeur n’est envisageable que chez un malade sur cinq au moment du diagnostic d’adénocarcinome du pancréas [1-4]. Dans les autres cas, le traitement palliatif des complications évolutives (ictère, obstruction duodénale et douleurs) a pour but de préserver une certaine qualité de survie. Les méthodes disponibles sont réparties entre différentes spécialités : endoscopie ou radiologie interventionnelle, chirurgie. L’estimation de l’espérance de vie au moment du diagnostic et le type des matériels prothétiques disponibles guident le choix des indications entre les thérapeutiques chirurgicale et non chirurgicale. La preuve histologique de la malignité et la certitude de la non-résécabilité sont exigibles pour réaliser un traitement palliatif non chirurgical. La connaissance des méthodes chirurgicales palliatives, de leurs indications et de leurs résultats est utile lorsque la décision de non-résection s’impose en peropératoire. La sténose duodénale atteint 10 à 15 % des malades au cours de l’évolution de l’adénocarcinome pancréatique ; elle est rarement présente au moment du diagnostic, et difficilement prévisible. La survenue secondaire d’un syndrome d’obstruction duodénale est comptabilisée comme échec de la palliation endoscopique de l’ictère seul par comparaison aux traitements chirurgicaux associant de principe la dérivation préventive gastrojéjunale à la dérivation bilio-digestive. Les résultats des dérivations digestives préventives sont 4 controversés. EIles ne garantissent pas nécessairement une autonomie alimentaire à la phase terminale de la maladie. Dérivation biliaire et digestive versus dérivation biliaire seule En l’absence d’obstruction duodénale, l’intérêt de la gastrojéjunostomie de principe est controversé. Même, si elle a allongé le temps opératoire, la dérivation gastrique associée à une dérivation biliaire n’augmentait pas dans les études rétrospectives la morbidité et la mortalité postopératoires. En analyse globale dans les études non randomisées, la morbidité et la mortalité postopératoire après une dérivation digestive étaient respectivement de 24 % et 13 % et la morbidité et la mortalité postopératoire sans dérivation digestive étaient respectivement de 25 % et 15 % [5-13]. Dans deux études récentes, le temps d’hospitalisation était plus long après une double dérivation biliaire et digestive qu’après une dérivation biliaire seule [12, 13]. Une seule étude a comparé de façon randomisée la double dérivation biliaire et digestive à la dérivation biliaire seule dans le traitement palliatif du cancer du pancréas non résécable [14]. Chez 194 malades éligibles, la mortalité (2 versus 2 %) et la morbidité (33 versus 32 %) n’étaient pas significativement différentes entre les deux groupes. Le taux de réinterventions pour obstruction duodénale était de 17 % après une dérivation biliaire seule. Les auteurs sug- Débat géraient en conclusion d’associer de principe la dérivation digestive à la dérivation biliaire parce qu’elle n’augmentait pas la morbidité, la mortalité postopératoire et la durée d’hospitalisation. Si la dérivation biliaire seule peut se compliquer d’une obstruction duodénale secondaire, la gastro-entérostomie a aussi sa propre morbidité. Un retard à la vidange gastrique est rapporté dans 15 % des dérivations digestives [9,10,12-15]. Le retard à la vidange gastrique se définit comme un retard à la reprise de l’alimentation orale au-delà du 10ème jour postopératoire. Plusieurs facteurs peuvent contribuer au retard de vidange gastrique. Les vagotomies causées par des micrométastases, l’envahissement tumoral des nerfs rétropéritonéaux ou l’action inhibitrice d’hormones sécrétées par la tumeur, l’effet non spécifique de l’anesthésie et de l’intervention sur la motricité digestive, l’œdème muqueux de l’anastomose, l’inflammation périanastomotique (complication postopératoire), les sutures chirurgicales (longueur de l’anastomose) [16-18] ou un circuit vicieux associé au passage d’aliments dans le duodénum ont été mis en cause [19]. gastro-entérostomie précolique (p = 0,16) [20]. Dans la deuxième étude portant sur 180 patients, le taux de retard de vidange était de 9 % après gastro-entérostomie transmésocolique avec un taux d’obstruction digestive de 2 % [11]. Dans l’étude randomisée de Lillemoe et al, le taux de retard de vidange gastrique était de 2 % (1/44) dans le groupe ayant eu une gastroentérostomie transmésocolique et aucun malade n’a eu d’obstruction digestive jusqu'au décès. Les auteurs de cette institution ont conclu que la gastro-entérostomie transmésocolique était la meilleure méthode de dérivation duodénale et devait être réalisée systématiquement pour tout cancer du pancréas non résécable. Lucas et al ont proposé l’antrectomie avec reconstruction gastrojéjunale comme méthode de dérivation duodénale pour le traitement des cancers du pancréas non résécables afin d’éviter le circuit duodénal des aliments, source de vomissements [19,21]. La durée d’hospitalisation postopératoire était de 11,3 jours (extrêmes : 5-29). Les auteurs ont suggéré ce type de montage pour diminuer le retard de Comparaison des différents montages de dérivation duodénale Dans l’expérience de l’institut Johns Hopkins [11,20], la gastro-entérostomie transmésocolique a été réalisée en routine parce qu’elle était considérée comme éliminant virtuellement le retard de vidange gastrique. Deux séries de cette institution ont évalué deux types de gastro-entérostomie. La première étude a comparé, de façon rétrospective, les gastro-entérostomies transmésocolique et précolique. Le taux de retard de vidange gastrique était de 6 % (5/84) pour les gastroentérostomies transmésocoliques et de 17 % (4/23) pour les précoliques (p = 0,08). Le taux d’obstruction digestive était de 2 % après gastro-entérostomie transmésocolique et de 9 % après vidange gastrique mais signalent cependant que les pertes sanguines et les complications étaient importantes, que la durée opératoire pouvait être allongée et que cette technique ne se prêtait pas forcément à des tumeurs localement avancées. Une étude randomisée a comparé trois types de gastro-entérostomie [22]. Un premier groupe de 15 malades a eu une gastro-entérostomie sur le jéjunum à 20 cm de l’angle de Treitz, un deuxième groupe de 15 malades a eu le même type de gastro-entérostomie associée à une fermeture du duodénum à 1 cm au-delà du pylore et un troisième groupe de 15 malades une gastro-entérostomie sur l’anse en Y utilisée pour l’anatomose biliodigestive à 60 cm de celle-ci. Les auteurs ont conclu que les vomissements étaient associés au maintien d’une perméabilité duodénale autorisant une « ré-entrée » des aliments dans l’estomac. La fermeture du duodénum à 1 cm au-delà du pylore associée à une anastomose à 20 cm de l’angle de Treitz limitait ce risque. suite page 6 EN PRATIQUE La place du traitement chirurgical palliatif de l’adénocarcinome du pancréas se définit en fonction du stade de la tumeur au moment du diagnostic et de l’espérance de survie qui lui est rattachée, de l’efficacité immédiate et à long terme des méthodes palliatives non chirurgicales, et des compétences et matériels disponibles pour une alternative thérapeutique nonopératoire.Tant que la résection, lorsqu’elle est possible, des adénocarcinomes du pancréas ne sera pas contestée, il sera justifié de ne proposer de méthodes palliatives non chirurgicales qu’aux malades pour lesquels la certitude diagnostique et la preuve de la non-réséquabilité (ou de sa futilité) auront été rassemblées. Lorsque l’impossibilité de la résection s’impose en peropératoire, la dérivation bilio-digestive, associée à une dérivation gastro-jéjunale pourrait être une attitude raisonnable. Les résultats des gastro-entérostomies peuvent être améliorés par des artifices techniques. Lorsque le plateau technique disponible autorise le choix de toutes les méthodes non opératoires, tous les malades dont le pronostic estimé est inférieur à 6 mois (métastases diagnostiquées, ascite, signes cliniques d’envahissement cœliaque) devraient être considérés comme des contre-indications à la chirurgie. La place de la laparoscopie dans ces traitements palliatifs apparaît limitée. 5 Débat La sténose duodénale dans le cancer du pancréas : (Suite de la page 5) Laparoscopie et traitement palliatif de l’adénocarcinome du pancréas La laparoscopie, associée ou non à l’écho-laparoscopie permettrait de corriger l’évaluation de l’extension de la tumeur et éviterait des laparotomies « inutiles », essentiellement en raison de la découverte d’une carcinose péritonéale, de métastases hépatiques superficielles ou d’une extension vasculaire. Ces résultats et cette indication sont controversés. En raison de son impact sur la survie, la découverte sous laparoscopie d’une carcinose péritonéale ou de métastases hépatiques devrait conduire à proposer un traitement endoscopique palliatif au cours d’une seconde anesthésie, plutôt qu’une dérivation chirurgicale. La place des dérivations biliaires ou digestives poursuivies sous laparoscopie après une exploration diagnostique défavorable apparaît donc limitée. Peu d’études ont évalué les dérivations biliaires et digestives par laparoscopie dans le cancer du pancréas non résécable [23-26]. Dans les séries publiées, le temps opératoire était de 75 à 90 minutes et la durée d’hospitalisation était de 4 à 6 jours. La morbidité et la mortalité postopératoires étaient respectivement de 12,5 à 33 % et de 0 à 8 %. Dans deux études, le suivi jusqu’au décès des malades n'a pas recensé de récidive de l'obstruction biliaire ou digestive [23,26]. Ces résultats sont discutables en raison du faible nombre de cas étudiés et de l’absence de groupe témoin. Pr Bertrand Millat, Dr Frédéric Borie, Chirurgie Digestive, Hôpital St Eloi, Montpellier Références 1. Conlon KC, Klimstra DS, Brennan MF. Long-term survival after curative resection for pancreatic ductal adenocarcinoma. Ann Surg 1996 ; 3 : 273-9. 2. 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