Lettre d’inf ormation et d’analyse sur l’actualité bioéthiq u e n°165 : Mai 2014 Publications contradictoires en série : l’état des lieux de la course scientifique pour l’utilisation thérapeutique de cellules souches est difficile à établir pour un non initié. Qui, des équipes travaillant sur les cellules souches adultes, embryonnaires (CSEh) ou iPS avance le plus efficacement vers les traitements ? Réponses. La recherche biomédicale et la médecine clinique progressent sans faire appel à l’embryon humain Par le Pr Alain Privat Analyse du Pr Alain Privat, neurobiologiste et membre correspondant de l’Académie de Médecine, auditionné par la Commission des Affaires Sociales et de la Santé lors du débat qui a conduit à la libéralisation de la recherche sur l’embryon en France, et plus récemment par la Commission européenne dans le cadre de l’initiative One of us/ Un de nous. G. : Sur quel plan se situe votre opposition à la recherche sur l’embryon humain : éthique ou scientifique ? Pr Alain Privat : Les deux. La mission du médecin est de soigner en gardant à l’esprit un garde-fou absolu : le respect de la vie humaine. La recherche qui utilise l’embryon humain en promettant des solutions thérapeutiques franchit la ligne jaune et elle se fourvoie en investissant temps et argent dans des impasses cliniques. l’étape des essais cliniques sur le patient. L’utilisation en grand nombre de CSEh permettrait de tester de futurs médicaments, à un coût moins élevé que sur des modèles animaux, ou sur des cellules iPS. C’est l’un des objets des contrats passés entre le groupe suisse Roche et le laboratoire ISTEM, créé dans ce but par l’AFM. Pour ce qui est de la médecine régénérative, le débat scientifique reste ouvert alors que pour moi, la situation est encore plus claire. G. : Comprenons bien, comment aujourd’hui est utilisé l’embryon humain? A.P. : Il existe trois axes : les recherches fondamentales sur l’embryon, l’utilisation par l’industrie pharmaceutique d’embryons pour la modélisation des pathologies et le criblage de molécules et les recherches à visée thérapeutique (la thérapie cellulaire, un volet de la médecine régénérative). Les premières, l’embryologie, sont conduites dans leur majorité sur des modèles animaux (de la mouche au primate, en passant par la souris). S’agissant de l’industrie pharmaceutique le débat est clos, même pour les promoteurs de la recherche sur l’embryon humain : les cellules iPS (induced pluripotent stem cells ou cellules adultes inductibles), qui ont valu le prix Nobel au Pr Yamanaka1, présentent les mêmes propriétés que les cellules souches embryonnaires humaines (CSEh). Elles sont faciles d’utilisation, développables dans de grandes quantités sans barrière éthique. Mais elles sont plus chères que celles extraites d’embryons humains, eux-mêmes… gratuits. La mise au point d’un médicament nécessite une dizaine d’années de recherche, impliquant de longs et onéreux essais sur des modèles animaux avant de passer à G. : Sur ce dernier axe, pouvez-vous rappeler ce qu’est la médecine régénérative ? A.P. : Il s’agit de remplacer des cellules déficientes, comme celles qui produisent l’insuline dans le pancréas déficientes dans le diabète, ou de leur fournir des facteurs de croissance ou de survie. Ces recherches font appel à des thérapies cellulaires et tissulaires (greffes) à base de cellules souches. Ces cellules indifférenciées sont présentes chez l’embryon, mais aussi, quoique plus rarement, dans la plupart des tissus adultes. Les cellules souches ont deux caractéristiques exclusives : elles peuvent se multiplier quasiment à l’infini et se différencier dans tous les types cellulaires de l’organisme adulte. G. : Pour vous le recours aux embryons humains est inutile en la matière, quels éléments vous permettent d’être aussi catégorique ? A. P. : D’une part, les médecins utilisent depuis longtemps des cellules souches humaines adultes, en particulier celles issues de la moelle osseuse, qui contribuent à des thérapies efficaces notamment dans certaines maladies hématologiques. Les cellules souches issues du cordon ombi- lical constituent également une source précieuse. D’autre part, les chercheurs disposent depuis 8 ans d’un outil exceptionnel : les iPS. Ces cellules peuvent être cultivées, multipliées et utilisées pour toutes sortes de recherches et de réelles perspectives thérapeutiques. En particulier, elles présentent l’avantage décisif sur les CSEh d’ouvrir la porte à la médecine personnalisée. Prélevées sur des patients souffrant de maladies génétiques, elles peuvent être utilisées pour analyser les détails de la pathologie propre à ce patient et pour élaborer des thérapies adaptées. Ceci est impossible avec des CSEh provenant par définition d’un individu différent. Parmi les objections formulées à l’encontre des cellules iPS, les plus fréquentes concernaient les risques de tumorisation et les risques liés à l’utilisation de virus pour la transformation de ces cellules. Depuis, les virus ont été remplacés par des agents chimiques sans danger et les risques de tumorisation sont éliminés par des techniques de tri cellulaire. Ainsi depuis 2006, près de 3000 articles scientifiques concernant les cellules iPS ont été publiés. Les pathologies étudiées vont de la maladie de Parkinson2, au diabète3, en passant par l‘X-fragile4 et la maladie de Pompe5. Par ailleurs, des travaux de recherche fondamentale concernant par exemple l’évolution ont pu être conduits sur des cellules iPS de primates comparées à des cellules humaines6. Enfin, des essais cliniques sont en cours au Japon sur la Dégénérescence Maculaire liée à l’Age (DMLA). En revanche, depuis vingt ans, aucune tentative thérapeutique utilisant des CSEh n’a été couronnée de succès. L’une des plus récentes, conduite aux EtatsUnis par la société Geron, a été interrompue faute de résultats probants. 1. Le Pr Yamanaka montra que l’introduction de quatre gènes dans des cellules adultes de souris les transformait en cellules souches. Un an plus tard, il reproduisait cette expérience sur des cellules humaines ; 2. (Doi et coll., Stem Cell reports, 2014) ; 3. (Holdich et coll., Transl. Med., 2014) ; 4. (Doers et coll., Cell.Dev., 2014) ; 5. ( Higuchi et coll., Genet. Metab., 2014) ; 6. (Wunderlich et coll., Stem Cell res., 2014). Thérapie cellulaire du cœur & clonage thérapeutique : l’embryonnaire reviendrait-il dans la course aux cellules souches ? Deux cas particuliers ont récemment donné lieu à des publications qui brouilleraient les cartes en matière d’utilisation de cellules souches à des fins thérapeutiques : la thérapie du cœur et le clonage dit « thérapeutique ». Avancées concrètes ? Effets d’annonce ? Thérapie cellulaire du cœur : beaucoup de bruit… Récemment la perspective de soigner des cœurs fatigués, victimes d’un infarctus, via des injections de cellules souches a trouvé un nouvel écho. A l’origine, deux publications publiées ou commentées dans la revue scientifique Nature. La première souligne que les publications scientifiques sur la thérapie cellulaire du cœur dont le protocole se base sur des cellules souches adultes ne présenteraient pas de bénéfice ou qu’il serait dû à un biais dans l’étude. La seconde présenterait un progrès dans l’utilisation des cellules souches embryonnaires humaines (CSEh) pour soigner les fatigues du cœur, et que le risque lié au développement de tumeurs, risque le plus répandu dans l’utilisation de CSEh, serait contenu. Peut-on en déduire que les cellules souches adultes, jusqu’alors plus avancées que celles embryonnaires dans la thérapie du cœur, seraient battues en brèche ? En réalité, non. L’utilisation des cellules souches adultes (hématopoïétiques et mésenchymateuses, donc non-embryonnaires) pour la régénération myocardique a été pratiquée depuis déjà longtemps. Une amélioration dans la fonction ventriculaire, faible, mais réelle, a toujours été notée après injection de cellules souches mésenchymateuses dérivées de la moelle osseuse. Cet effet positif post infarctus - augmentation de l’éjection ventriculaire, diminution de la mortalité un an après le traitement - est démontré dans les études récentes*. Les mises en causes des effets des cellules souches adultes sont discutables. L’article de Nowbar AN et al.* qui jette le doute sur les cellules souches adultes, ne porte pas sur l’effet de ces cellules dans le traitement de l’infarctus du myocarde, chez l’homme, mais sur les inexactitudes rencontrées dans certains rapports. Face à des effets, certes modérés, mais réels, les conclusions de cet article sont à relativiser. L’article qui présente des avancées via les CSEh n’apporte guère de nouveauté, dans un domaine où ce qui compte maintenant, ce sont les résultats chez les patients. Certes, il* présente la régénération par les cardiomyocytes dérivés de CSEh du cœur de primates. Jusqu’alors cela n’avait été réalisé que sur la souris et ce n’est pas anodin. Mais il met en garde vis-à-vis des complications possibles en particulier les arythmies – irrégularités du rythme cardiaque. Comme les cardiomyocytes dérivés des CSEh ne peuvent être injectés aux patients, sous peine de rejet immunologique, l’étude ne fait pas prévoir de grands changements dans ce domaine chez les patients. La récente interview dans le Figaro Santé du Pr Menasché (5 mai), ardent avocat de l’utilisation des CSEh en thérapie cardiaque, se termine d’ailleurs par un constat pour le moins prudent quant à l’utilisation thérapeutique de ces cellules. La vraie question demeure : pourquoi les recherches sur des iPS n’avancent-elle pas plus vite ? La thérapie par cellules souches pluripotentes chez l’homme est bien plus conditionnée par la question du rejet immunologique que par les éventuelles tumeurs qui pourraient se développer. Logiquement le traitement par iPS dérivées du malade lui-même devrait prévaloir. Une publication parue mi mai dans Nature Medecine* pourrait ouvrir des perspectives : des équipes d’Harvard associent iPS, thérapie génique et ingénierie cellulaire pour restaurer du myocarde chez des personnes atteintes d’une maladie génétique qui conduit à des insuffisances cardiaques. A suivre de près. Clonage thérapeutique : le retour ? Plusieurs annonces récentes démontrent que le clonage thérapeutique chez l’homme est possible. L’écho rencontré dans la presse se comprend en partie par le contraste avec le silence qui entoure cette recherche depuis le scandale du professeur coréen Hwang en 2005*. Est-ce à dire pour autant que le clonage thérapeutique pourrait concurrencer les autres moyens d’obtention des cellules souches pluripotentes (notamment les iPS) ? Pour rappel, la technique du clonage consiste à extraire le noyau cellulaire d’un ovocyte, à le remplacer par le noyau d’une cellule prélevée directement sur le patient en attente de traitement. La division de l’ovule est lancée pour aboutir à un embryon au stade précoce duquel sont extraites des cellules souches. L’objectif est de produire un tissu génétiquement identique au patient évitant les rejets observés avec des CSEh « classiques ». Une entreprise qui demeure insoutenable sur le plan éthique, coûteuse, et limitée sur le plan de son application. Ces travaux récents montrent certes que le clonage thérapeutique est possible chez l’homme. Cependant les obstacles sont nombreux. D’abord cette technique consiste à créer des embryons, donc des êtres humains pour la recherche, ce qui éthiquement est indéfendable. Ensuite les conditions sont précises et l’efficacité limitée. Cette réussite a un intérêt théorique, mais n’a guère d’applicabilité pratique, en particulier pour une médecine régénérative. La disponibilité réduite d’ovocytes humains, les questions éthiques soulevées par la rémunération des femmes qui donnent leurs ovocytes et par l’enjeu de société abyssal que représente le clonage humain, la basse efficacité de la procédure de transfert nucléaire et le long temps nécessaire pour obtenir le doublage de la population de CSEh, font qu’une telle technique peinera à devenir une procédure de routine dans le domaine clinique. On sait que les publications en la matière sont systématiquement accompagnées d’une grande couverture médiatique. Cependant cela est loin de prouver que ce clonage dit « thérapeutique » soit devenu une alternative crédible à l’usage des cellules iPS, plus discrètes, mais déjà répandues et très utiles dans les laboratoires. *Faute d’espace, retrouvez toutes les références des publications scientifiques citées dans le numéro en ligne de cette lettre sur www.genethique.org Lettre mensuelle gratuite, publiée par la Fondation Jérôme Lejeune - 37 rue des Volontaires 75725 Paris cedex 15 Contact : [email protected] - Tél. : 01 44 49 73 39 - Site : www.genethique.org - Siège social : 31 rue Galande 75005 Paris Directeur de la publication : Jean-Marie Le Méné - Rédacteur en chef : Guenièvre Mouchet - Imprimerie : PRD S.A.R.L. - N° ISSN 1627.498