Accélération de faisceaux d`électrons par interaction laser

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Accélération de faisceaux
d’électrons par interaction
laser-plasma
Jérôme Faure
[email protected]
Laboratoire d’optique appliquée (LOA), UMR 7639, École Polytechnique, CNRS, ENSTA, Université Paris-Sud 11, Orsay
Victor Malka et les membres du groupe Sources de Particules par Laser du Laboratoire d’Optique Appliquée ont également
participé à cet article.
L’interaction d’une impulsion laser intense et ultra-brève avec un plasma permet d’engendrer des champs
électriques de très fortes amplitudes. Ces champs sont 10 000 fois plus intenses que ceux qui sont employés pour
accélérer les particules dans les accélérateurs conventionnels. Ils se prêtent donc bien à l’accélération des
particules à de hautes énergies sur des très courtes distances. Nous exposerons ici les principes de ces
accélérateurs « laser-plasma » ainsi que les résultats obtenus récemment.
L
es accélérateurs de particules sont utilisés dans de
nombreux domaines, depuis la médecine jusqu’à la
physique des particules, en incluant la radio-biologie ou la physique de la matière condensée. Les accélérateurs modernes utilisent des ondes radio-fréquence (RF)
pour accélérer des particules chargées à des vitesses relativistes. Cette technologie, développée depuis plus d’un
demi-siècle, a fait ses preuves : elle permet de produire
des faisceaux de particules de très bonne qualité et avec
une grande stabilité. Dans un accélérateur, l’énergie E
acquise par des particules de charge q, accélérées par un
champ électrique Eacc sur une distance L est égale au produit E = qEacc × L. Or, le champ accélérateur dans les cavités RF est limité à quelques dizaines de mégavolts par
mètre ; au-delà, les parois de la structure commencent à
être endommagées par le champ électrique qui les ionise
(phénomène de claquage). Cette limite du champ explique pourquoi les accélérateurs ont tendance à être de
grande taille. Celà n’est pas anecdotique : le successeur du
Large Hadron Collider du CERN pourrait être l’International Linear Collider, qui utilisera 16 000 cavités RF pour
accélérer des électrons et des positrons à 250 GeV sur
31 km. On comprend que, dans ce contexte, il soit important de chercher des solutions alternatives à l’accélération
de particules.
L’utilisation de plasmas s’avère une alternative
plausible : les plasmas étant des milieux ionisés (et donc
déjà claqués), les problèmes de claquage ne se posent plus
et des champs électriques très intenses peuvent s’y propager. On est ainsi capable de produire des champs électriques de l’ordre de quelques centaines de gigavolts par
mètre, soit plus de 10 000 fois plus élevés que les champs
utilisés dans les accélérateurs conventionnels. On espère
ainsi, en utilisant des plasmas, réduire la longueur d’accélération de plusieurs ordres de grandeur. L’idée d’utiliser
des plasmas pour accélérer des particules a été proposée
dès 1979 par Toshi Tajima et John Dawson de UCLA
Figure 1 – Un laser ultra-intense à impulsion ultra-courte est focalisé à
l’entrée d’un jet de gaz de quelques mm. Le champ laser est suffisamment
élevé pour ioniser les atomes de façon quasi-instantanée. Le laser interagit
alors avec un plasma et génère des ondes plasmas relativistes, propices à
l’accélération de particules.
(University of California, Los Angeles), mais il a fallu
attendre les années 90 pour que les premiers résultats
encourageants soient obtenus.
Pour utiliser ces plasmas, il convient d’y exciter les
champs électriques très intenses nécessaires à l’accélération de particules, ce qui peut se réaliser en y focalisant
des lasers à impulsions ultra-courtes. Ces impulsions
laser ont des propriétés très particulières : elles possèdent
une largeur temporelle inférieure à 100 femtosecondes
(1 fs = 10–15 s) et contiennent une énergie de quelques
joules. Ces caractéristiques permettent d’atteindre des
puissances crêtes très élevées, de l’ordre de quelques
dizaines de TW. C’est grâce aux progrès effectués dans le
23
Accélération de faisceaux d’électrons par interaction laser-plasma
domaine des lasers ultra-courts que cette physique des
accélérateurs laser-plasma a réellement pris son envol à la
fin des années 1990. Actuellement, les accélérateurs laserplasma permettent d’accélérer des électrons à des énergies de quelques centaines de MeV sur des distances millimétriques – rappelons ici qu’un électron de 100 MeV
porte une énergie cinétique de 1.6 × 10–11 J et se déplace à
la vitesse ν = 0.99998 c, où c est la vitesse de la lumière. La
barrière du GeV vient d’être franchie, avec une longueur
d’accélération de 3 cm seulement. On est encore loin des
énergies nécessaires à la physique des hautes énergies
(100 GeV à 1 TeV). Néanmoins, ces nouvelles sources
d’électrons possèdent des propriétés particulières : elles
produisent des paquets d’électrons ultra-brefs (< fs) émanant d’un point source extrêmement petit (quelques
micromètres seulement). La brièveté des paquets d’électrons ouvre la voie à des applications concrètes qui requièrent une résolution temporelle inférieure à la centaine de
femtosecondes. De même, des applications en imagerie
utilisant le fait que la source d’électrons est quasi-ponctuelle sont envisagées.
Principe des accélérateurs
laser-plasma
Dans les expériences on focalise un laser dans un jet de
gaz d’hélium ou d’hydrogène. Au point focal, on obtient
une petite bille de lumière de 10 µm de diamètre dans
laquelle est concentrée toute l’énergie lumineuse. Le
champ électrique du laser y atteint de très fortes valeurs
EL =1012 −1013V/m. Le laser ionise alors le gaz en quelques
femtosecondes car le champ laser est beaucoup plus
intense que le champ Coulombien de l’atome. Ainsi les
électrons sont arrachés aux atomes dès que le champ laser
dépasse une valeur seuil Eseuil [V /m] = 1.7 × 108 EI2 [eV ] / Z
– où EI est le potentiel d’ionisation et Z le numéro atomique. Par exemple, pour l’hydrogène Eseuil =3 × 1010V/m ce
qui est bien inférieur au champ laser. C’est ce phénomène
« d’ionisation par suppression de barrière » qui est à l’origine de la création du plasma et permet ensuite à l’impulsion d’interagir avec un plasma et non un gaz. On définit
une grandeur utile pour caractériser l’interaction laserplasma : l’éclairement du laser, I = c ε 0EL2 /2 , qui représente la puissance du laser par unité de surface (en W/cm2)
– les lasers actuels atteignent des éclairements supérieurs
à 1018W/cm2.
Lorsqu’elle pénètre dans le plasma, l’impulsion lumineuse exerce une pression très forte sur les électrons par
le biais de la force pondéromotrice. Cette force, proportionnelle au gradient de l’éclairement laser (Fp ∝ − ∇I voir
encadré 1), tend à pousser les électrons hors des zones où
le laser est présent. Elle déplace les électrons de leur position d’équilibre alors que les ions plus lourds, n’ont pas le
temps de bouger. Les électrons oscillent alors à la fréquence naturelle du plasma ω p = e 2ne 0 / mε 0 où e et m
24
sont la charge et la masse de l’électron et ne0 est la densité
du plasma. Ces séparations de charges se traduisent par
une perturbation de la densité d’électrons du plasma δne,
qui se propage avec une vitesse de phase νp et peut donc
s’exprimer comme une onde progressive selon la direction de propagation z du laser : δne = ne0 δ cos [kp (z − νpt)],
où δ = (ne − ne0)/ne0 est la perturbation relative de densité.
Ce phénomène rappelle celui du sillage produit par un
bateau à moteur navigant sur un lac : le bateau laisse une
onde dans son sillage. De façon similaire, le laser ultracourt qui se propage dans le plasma génère une onde de
sillage aussi appelée onde plasma relativiste (voir
encadré 1), car sa vitesse de phase νp peut s’approcher de la
vitesse de la lumière c. Finalement, cette onde est source
d’un champ électrique longitudinal selon l’équation de
Poisson : ∂Ez /∂z = − e δne /ε0. Le champ électrique atteint
ainsi une valeur maximale donnée par Ezmax = mc ωp δ/e,
proportionnelle à la perturbation de densité δ. En unité
pratique E zmax [V /m] = 96 δ ne1/02 [cm–3 ]. Soit par exemple,
Ezmax =300 GV/m pour ne0 =1019cm–3 et δ = 1.
Un électron peut gagner de l’énergie dans ces champs
électriques longitudinaux s’il possède une vitesse initiale
suffisante. On peut utiliser ici l’analogie du surfeur : pour
attraper la vague, il doit se propulser, en pagayant, à une
vitesse suffisante. Si cette condition est remplie, l’électron
est piégé dans l’onde plasma et peut alors être accéléré.
L’énergie maximale que l’électron peut gagner est donnée
par ΔE ∼ eEz Ldeph, où Ez est le champ électrique longitudinal associé à l’onde plasma, Ldeph = λ3p / 2λ 20 est la longueur d’accélération optimale, aussi appelée la longueur
de déphasage (λp =2π/ωp et λ0 sont les longueurs d’onde
plasma et laser). La longueur de déphasage représente la
distance qu’un électron parcourt pour passer d’une zone
accélératrice à une zone décélératrice de l’onde plasma. En
effet, à mesure que l’électron est accéléré et qu’il atteint
des vitesses relativistes, il devient plus rapide que l’onde et
se déphase par rapport à la structure accélératrice. On
constate ici que la longueur de déphasage croît fortement
lorsque la densité diminue : Ldeph ∝ ne–03/2 (car λ p ∝ ne–01/2 ).
Physiquement, cela s’explique de la façon suivante : moins
le plasma est dense, plus le laser s’y propage vite (car sa
vitesse de groupe est plus grande dans un milieu peu
dense) et plus la vitesse de phase de l’onde plasma y est élevée. Les électrons mettent donc plus de temps à se déphaser et la longueur de déphasage est plus grande. À partir
des expressions de la longueur de déphasage et du champ
électrique, on obtient un gain en énergie :
ΔE > 2mc 2
λ p2
λ02
δ ∝ 1 / ne 0
(1)
On constate ainsi que les particules peuvent atteindre
des énergies plus importantes dans les plasmas de faible
densité. Par exemple, si l’on considère une perturbation
de densité δ =1 et une longueur d’onde laser de λ0 =1µm,
alors on atteint une énergie de 115 MeV en 0.6 mm dans
Accélération de faisceaux d’électrons par interaction laser-plasma
Encadré 1
Ondes plasma relativistes
Figure 1 – Image du haut : perturbation de densité électronique générée
dans le sillage d’une impulsion laser de 30 fs et d’éclairement
I = 3 × 1017 W/cm2. Le laser se propage de gauche à droite selon l’axe z et
r représente la coordonnée transverse. Image du bas : le champ électrique
longitudinal correspondant à la perturbation de densité.
Figure 2 – Image du haut : perturbation de densité électronique générée
dans le sillage d’une impulsion laser de 30 fs et d’éclairement
I = 1019W/cm2. Image du bas : le champ électrique longitudinal correspondant à la perturbation de densité.
Lorsqu’une impulsion laser ultra-intense se propage dans
un plasma, elle provoque le mouvement des électrons par le
biais de la force de Lorentz – e (EL + ν × BL ). Le mouvement des
électrons est essentiellement transverse, avec une pulsation
ω0 égale à celle du laser. Mais dans un champ non uniforme
(i.e. comportant des gradients), un mouvement de dérive vers
les zones de champ faible se met en place. Cette dérive est due
à la force pondéromotrice Fp = – ∇(eEL )2 / 4 mω 02 . Cette force
est capable de déplacer les électrons de leur position d’équilibre. Ces derniers se mettent alors à osciller autour des ions,
générant une onde de sillage derrière l’impulsion laser. L’excitation de l’onde plasma est d’autant plus importante que l’on
s’approche de la résonance. Celle-ci est atteinte lorsque la lon-
gueur de l’impulsion laser est proche de la longueur d’onde
plasma. La figure 1 illustre la perturbation de densité engendrée par une impulsion de 30 fs. En dessous, on a représenté
le champ électrique longitudinal associé à cette onde plasma.
Il atteint ici des valeurs de 5 GV/m. On constate ici que l’onde
plasma est sinusoïdale. Lorsque l’éclairement laser augmente,
on atteint un régime non-linéaire et les ondes plasma perdent
cette forme sinusoïdale. La figure 2 illustre la perturbation de
densité obtenue avec une impulsion beaucoup plus intense.
L’onde plasma devient fortement non-linéaire, avec apparition
de cavités plasma. Le champ électrique associé prend une
forme en dent de scie et atteint des valeurs extrêmement élevées de 200 GV/m.
un plasma de 1019cm–3 et de 1.2 GeV en 1.8 cm dans un
plasma de 1018cm–3 (remarquons ici qu’un plasma de
1018cm–3 est environ 20 fois moins dense que l’atmosphère terrestre).
Injection des électrons
dans les ondes plasmas
Comme nous venons de le voir, un électron doit être
animé d’une vitesse initiale suffisante pour pouvoir être
injecté, piégé puis accéléré dans les ondes plasmas. Le
problème de l’injection des particules est sujet à une
contrainte importante : les particules accélérées doivent
être soumises au même champ accélérateur de façon à ce
qu’elles acquièrent la même vitesse et la même direction.
Cela permet en particulier d’obtenir des faisceaux monoénergétiques et collimatés, utiles pour les applications. Les
particules doivent donc être injectées sur une fraction de
la longueur d’onde plasma λp, de sorte que le champ accélérateur Ez soit identique pour tout le faisceau. Concrète-
ment, il est donc nécessaire d’injecter un faisceau
d’électrons plus court qu’une trentaine de femtosecondes,
ce qui relève d’un véritable défi expérimental : il n’existe
actuellement pas de sources de particules aussi courtes
disponibles en laboratoire. Dans un accélérateur laserplasma, l’injection des électrons est réalisée de façon optique : on utilise des faisceaux laser ultra-courts et leur interaction avec le plasma pour injecter des électrons (voir
encadré 2).
La première méthode qui a permis d’obtenir des faisceaux d’électrons de bonne qualité, c’est-à-dire quasimonoénergétiques et collimatés, est le déferlement dans
un régime dit « de la bulle » (aussi appelé régime d’autoinjection). Les résultats expérimentaux ont montré qu’il
était possible d’engendrer de cette façon des faisceaux de
l’ordre de la centaine de MeV avec des distributions quasimonoénergétiques. La figure 2 montre un faisceau d’électrons obtenu dans ce régime : la qualité spatiale du faisceau est bonne, avec un profil quasiment gaussien, de
divergence à mi-hauteur de 0.5 degrés. Le faisceau d’électrons est quasi-monoénergétique avec une distribution en
énergie fortement piquée à 170 MeV, de largeur 40 MeV,
25
Accélération de faisceaux d’électrons par interaction laser-plasma
Encadré 2
Mécanismes d’injection des électrons
Figure 1 – Illustration de l’injection d’électrons par déferlement dans le
régime de la bulle. Les flèches représentent le mouvement des électrons
dans le référentiel de l’impulsion laser, qui se déplace à la vitesse de la
lumière.
Il est possible d’injecter les électrons dans les ondes de
plasma de façon optique en utilisant une impulsion laser
(régime de la bulle, figure 1), ou bien deux impulsions laser
contre-propagatives (figure 2, injection par collision d’impulsions). Le régime de la bulle est illustré sur la figure 1 : on utilise ici une impulsion laser très intense de sorte qu’elle
expulse les électrons hors de l’axe de propagation (les flèches
blanches sur la figure représentent les trajectoires des électrons dans le référentiel de l’impulsion laser). Ceci résulte en
la création de bulles de plasma remplies d’ions et entourées
d’un mur très dense d’électrons. À l’arrière de la bulle, les
électrons s’accumulent et forment un pic de densité électronique. Au-dessus d’une valeur seuil, le plasma ne peut soutenir
ce pic de densité qui finit par s’écrouler en injectant des bouffées d’électrons dans la bulle de plasma. On peut ici établir
une analogie avec une vague qui déferle : lorsque l’amplitude
de la vague devient trop importante, elle perd sa forme sinusoïdale et un pic de densité apparaît. Puis le déferlement se
produit : la vague s’écroule en produisant de l’écume (l’équivalent des électrons injectés puis accélérés).
L’injection par collision d’impulsions laser donne davantage de contrôle que la méthode précédente. Le mécanisme est
schématisé sur la figure 2 : on utilise ici une impulsion pompe
de fort éclairement (se propageant de gauche à droite), qui
excite une onde plasma. On se place dans un régime moins
non-linéaire et cette impulsion, utilisée seule, n’engendre pas
de faisceau d’électrons. Une deuxième impulsion, dite d’injection, se propage de droite à gauche et son éclairement est
moindre (d’un facteur 10 environ). Lorsque les deux impul-
limitée par la résolution du spectromètre à électrons
utilisé dans cette expérience. Ces résultats très prometteurs souffraient néanmoins d’un manque de stabilité
très gênant : la distribution en énergie de ce faisceau fluctuait fortement de tir à tir. En effet, ce régime très fortement non-linéaire était difficile à contrôler. L’injection
des électrons par déferlement dépend de l’amplitude du
laser, qui elle-même évolue de façon non-linéaire au cours
de l’interaction de l’impulsion laser avec le plasma.
Pour pallier cet inconvénient, la méthode d’injection
par collision d’impulsions laser a été développée. Le principe consiste à utiliser une deuxième impulsion laser
26
Figure 2 – Injection par collision d’impulsions contre-propagatives.
sions se rencontrent, leurs interférences conduisent à la génération d’une onde de battement (les deux impulsions
interfèrent car elles sont issues de la même source laser).
Cette onde est stationnaire et possède une longueur spatiale
caractéristique de λ0/2. Elle est capable de chauffer les électrons du plasma et de leur communiquer suffisamment
d’énergie pour qu’ils puissent être injectés dans l’onde
plasma. On a donc une accélération en deux étapes : (i) les
électrons sont pré-accélérés dans l’onde de battement à des
énergies de l’ordre du MeV, (ii) ils sont alors suffisamment
énergétiques pour être piégés puis accélérés dans l’onde
plasma, jusqu’à des énergies de la centaine de MeV.
pour donner aux électrons l’énergie nécessaire au piégeage dans l’onde plasma. Cette technique a été démontrée expérimentalement en 2006 et elle se révèle très
utile : les faisceaux d’électrons obtenus sont plus stables,
avec des fluctuations des paramètres du faisceau de
l’ordre de 5 à 10 %. De plus, cette méthode permet un
degré de contrôle important sur l’injection des électrons :
on peut par exemple régler la charge du faisceau d’électrons en modifiant l’éclairement de l’impulsion d’injection. Il est également possible de régler l’énergie du
faisceau d’électrons. Supposons par exemple qu’on
dispose d’un plasma de 2 mm de long. Si la collision a lieu
Accélération de faisceaux d’électrons par interaction laser-plasma
Futurs développements
Actuellement, les accélérateurs laser-plasma produisent des faisceaux d’électrons quasi-monoénergétiques
avec des énergies de l’ordre de la centaine de MeV, et une
largeur spectrale de 5 à 10 %. La charge des faisceaux
varie de la dizaine de picocoulombs (injection par collision d’impulsions) à la centaine de picocoulombs (injection par déferlement). Ces paramètres permettent déjà de
réaliser des applications concrètes (voir ci-dessous).
Figure 2 – Faisceaux d’électrons dans le régime de la bulle. Image du haut :
une mesure du faisceau d’électrons dispersé selon son énergie (axe horizontal) et sa divergence (axe vertical). L’image du bas représente la distribution en
énergie du faisceau.
Les développements en cours portent sur deux points :
– (i) augmentation de l’énergie du faisceau d’électrons.
Pour ce faire, il faudra utiliser des plasmas de densité plus
faible (ne <1018 cm–3) et l’accélération sera alors réalisée
sur des longueurs plus importantes (> cm). Or, un laser
focalisé sur une tache de 10 µm diffracte rapidement sur
des distances de l’ordre du mm. Il sera donc nécessaire
d’utiliser un dispositif pour guider l’impulsion laser et la
maintenir focalisée. Une première expérience, réalisée à
Berkeley, a montré qu’il était possible d’utiliser un canal
de plasma pour guider une impulsion laser sur 3 cm.
Dans le canal de plasma, le profil de densité transverse est
parabolique, et agit comme une lentille convergente qui
compense la diffraction naturelle du faisceau laser. Un
faisceau monoénergétique à 1 GeV a ainsi été observé ;
– (ii) augmentation de la charge au niveau du nanocoulomb. Le nombre de particules piégées dépend des mécanismes physiques d’injection. Ces derniers doivent donc
être étudiés en détail afin d’être optimisés. La limite
ultime repose sur l’énergie laser : l’efficacité énergétique
d’accélération de particules étant de l’ordre de 10 à 20 %, il
faudra un laser de 5 à 10 joules pour obtenir des faisceaux
d’électrons de 1 GeV comportant une charge de 1 nC. Ces
lasers, non disponibles à l’heure actuelle, sont en cours de
développement.
Applications
de ces nouvelles sources
Figure 3 – Spectres de faisceaux d’électrons obtenus par collision d’impulsions laser. L’énergie du faisceau peut être ajustée en modifiant la position
zinj de collision entre les deux impulsions laser.
à l’entrée du plasma, les électrons sont injectés très tôt et
peuvent profiter des 2 mm de plasma pour être accélérés.
Si la collision a lieu au milieu du plasma, les électrons ne
seront accélérés que sur 1 mm, voyant alors leur énergie
diminuer environ d’un facteur 2. La figure 3 illustre cette
possibilité de réglage du faisceau en fonction de la position de collision. Dans cet exemple particulier, il a été possible d’engendrer des faisceaux d’électrons quasimonoénergétiques entre 50 et 300 MeV.
Comme nous l’avons vu, les accélérateurs laserplasma ne permettent pas, pour l’instant, d’atteindre des
énergies supérieures au GeV. La physique des hautes
énergies est donc hors de portée et le chemin à parcourir
est encore très long et jonché de nombreux obstacles qui
seront notamment surmontés avec l’évolution de la technologie des lasers de puissance (fiabilité, rendement,
stabilité).
Afin d’étudier les applications nouvelles et à court
terme que peuvent apporter ces accélérateurs laserplasma, il convient de mettre en avant les propriétés particulières des faisceaux de particules et/ou de rayonnement
qui y sont produits : brièveté, taille, qualité et coût de la
source. Nous proposons ici quelques exemples d’applications qui illustrent bien les perspectives originales de ces
sources. Aujourd’hui, la résolution temporelle des accélérateurs conventionnels et du rayonnement synchrotron
27
Accélération de faisceaux d’électrons par interaction laser-plasma
associé est limitée à quelques ps (50 ps au synchrotron de
l’ESRF à Grenoble ou quelques ps pour les meilleures
sources LINAC) ne permettant pas de suivre l’évolution
de la matière à l’échelle du mouvement des atomes et des
molécules. De plus, de tels instruments sont si coûteux
que seules quelques unités existent : la limitation de
l’accès à ces sources ultra-brèves ralentit le développement d’une communauté scientifique potentiellement
importante, limite notre compréhension plus intime de
phénomènes physique, chimique ou biologique, et ne
permet pas la démocratisation de nouvelles applications
médicales (techniques d’imagerie médicale et/ou traitements). Dans le domaine de la chimie par exemple,
l’étude des phénomènes de solvatation aux temps courts
est aujourd’hui limitée au régime de diffusion classique
(échelles temporelles supérieures à 10–11 s). La compréhension de phénomènes radicalaires primaires pour lesquels des effets quantiques ne sont plus négligeables
nécessite l’utilisation de sources de plus courtes durées.
Les faisceaux d’électrons produits par les accélérateurs
laser-plasma permettront de comprendre les transferts de
charge dans une courte fenêtre temporelle (fs-ps), où
« l’étape physique » et « l’étape chimique » sont intimement liées. La compréhension de ces phénomènes radicalaires permettra de mieux appréhender les mécanismes
d’ionisation responsables du développement de tumeurs
cancéreuses, et permettra peut-être une nouvelle approche plus ciblée des traitements du cancer. Un autre exemple d’applications concerne l’utilisation de faisceau
d’électrons de forte énergie (dans la gamme 150-200 MeV)
pour la radiothérapie. À ces énergies, le dépôt de dose est
beaucoup plus uniforme, du fait de la faible diffusion latérale, que les profils de dose obtenus par des faisceaux de
rayons X ou par des électrons de plus faible énergie. Ainsi,
ces faisceaux d’électrons sont mieux adaptés au traitement de certains cancers que les sources conventionnelles. Un autre exemple d’utilisation de ces accélérateurs
laser-plasma concerne l’inspection non destructive et à
haute résolution spatiale de la matière dense. Il est possible, à partir du faisceau d’électrons, de produire une
source secondaire de rayons gamma d’énergie de l’ordre
de la dizaine de MeV. Ces sources sont simplement produites lors du ralentissement des électrons énergétiques
dans une feuille de métal lourd. Les images présentées
sur la figure 4 représentent la radiographie gamma d’un
objet étalon : une sphère de tungstène de 20 mm de diamètre, comprenant des structures usinées dans son intérieur. La figure de gauche représente une coupe de l’objet,
et celle du droite l’image mesurée. L’analyse de ces images permet de déduire que l’extension de la source est de
400 microns, plus petite que ce que l’on obtient par les
28
Figure 4 – Radiographie gamma d’un objet dense.
techniques existantes. De telles sources présentent un
intérêt pour l’imagerie de petits défauts à l’intérieur de
matériaux sensibles (moteurs, train d’atterrissage, cœur
de réacteur, etc.). Finalement, on peut également utiliser
les électrons produits dans les accélérateurs laser-plasma
pour les faire rayonner par effet synchrotron. Il est alors
possible d’obtenir une source X secondaire avec des énergies dans le domaine du keV. Cette source X a été produite en laboratoire et il a été montré qu’elle est ultrabrève (durée de l’ordre de la centaine de fs) et qu’elle
émane d’un point source extrêmement petit (de l’ordre du
micron). Ici encore, cette nouvelle source X est très prometteuse pour l’étude de la dynamique de la matière sur
des échelles de temps ultracourt.
Conclusion
Les accélérateurs laser-plasma produisent aujourd’hui des faisceaux d’électrons de bonne qualité autour
de la centaine de MeV. Ces faisceaux sont stables et ultracourts et peuvent être utilisés pour de nombreuses applications, depuis la radiographie haute résolution jusqu’à
la chimie rapide en passant par la génération de rayonnement secondaire. Ce domaine de recherche évolue très
vite, ce qui laisse présager une amélioration rapide des
performances de ces accélérateurs, en termes d’énergie
et de fiabilité.
POUR EN SAVOIR PLUS
F. Amiranoff, Images de la Physique, 1, 1997, 61.
J. Faure et al., Nature, 431, 2004, 541.
J. Faure et al., Nature, 444, 2006, 737.
I. Blumenfeld et al., Nature, 445, 2007, 741.
W. P. Leemans et al., Nat. Phys., 2, 2006, 696.
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