1895 - 2 - Essai sur le développement de la conception

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Guerre populaire jusqu'au communisme !
Essai sur le développement de la
conception moniste de l’histoire
Gheorgi Plekhanov
1895
G. Plékhanov : Essai sur le développement de la conception moniste de l’Histoire
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Avertissement..........................................................................................................................................................................................3
Préface de la 2° édition..........................................................................................................................................................................4
Ch. I : Le matérialisme français du XVIII° siècle........................................................................................................................5
Ch. II : Les historiens français de la Restauration......................................................................................................................9
Ch. III : Les socialistes utopistes...................................................................................................................................................15
Ch. IV : La philosophie idéaliste allemande................................................................................................................................28
Ch. V : Le matérialisme contemporain........................................................................................................................................45
Conclusion..............................................................................................................................................................................................87
Annexe I : Retour à Mr. Mikhaïlovski et à « la Triade »..................................................................................................................99
Annexe II. Quelques mots à nos adversaires................................................................................................................................102
G. Plékhanov : Essai sur le développement de la conception moniste de l’Histoire
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Avertissement
Georges Plékhanov (1856-1918) appartient à la première génération des marxistes russes, ceux qui ont été à l’origine de
la diffusion du marxisme en Russie. Propagateur de cette doctrine révolutionnaire Plékhanov a touché, dans son œuvre,
aux domaines les plus divers : théorie marxiste, histoire du marxisme, philosophie, sociologie, économie politique, histoire
de la pensée politique en Russie et dans le monde, esthétique, critique littéraire, etc. Et la portée de son action
révolutionnaire a dépassé largement les cadres de la vie politique en Russie autour de 1890, sa notoriété comme son
prestige étaient déjà considérables parmi les socialistes d’Europe occidentale ou d’Amérique, à la fois comme théoricien
du marxisme et comme militant du mouvement ouvrier.
C’est en 1883 qu’avec d’autres émigrés de Russie Plékhanov fonde à Genève la première organisation des marxistes
russes : le groupe Libération du Travail. Cette association s’assignait pour tâche et elle s’en acquitta de réfuter
l’idéalisme qui prévalait alors parmi les intellectuels russes ralliés au mouvement dit populiste ou qui en subissaient
l’influence.
Les années de combat contre le populisme (1883-1903) furent celles où Plékhanov écrivit ses meilleurs ouvrages, ceux où
il s’affirme un brillant propagandiste du marxisme. Non content de critiquer les conceptions philosophiques et
sociologiques des populistes russes, il joue un rôle de premier plan dans la lutte contre l’anarchisme et l’anarcho-
syndicalisme d’Europe occidentale. A la fin des années quatre-vingt-dix, il est le premier à s’élever contre le révisionnisme
d’Edouard Bernstein et de Conrad Schmidt, qui tentent de substituer le réformisme à la théorie révolutionnaire de Marx et
d’Engels.
Après 1903, Plékhanov se rallie au menchevisme, courant opportuniste de la social-démocratie russe. Ses erreurs de
jugement sur les événements de l’époque lui vaudront de sévères critiques de Lénine. Quant à son œuvre philosophique,
voici ce que le même Lénine écrivit à ce sujet en 1921 :
« Il me semble opportun de remarquer… à l’intention des jeunes membres du parti, qu’il est impossible de devenir un
communiste conscient et authentique sans avoir étudié je dis bien étudié tous les ouvrages philosophiques de
Plékhanov car c’est ce qui existe de meilleur dans toute la littérature marxiste internationale(1) ».
*
L’Essai sur le développement de la conception moniste de l’histoire a été publié légalement, mais sous le pseudonyme de
N. Beltov, à Saint-Pétersbourg en 1895. Plékhanov fut incité à écrire ce livre par les articles contre les marxistes russes
qu’un des théoriciens du populisme libéral, Nicolas Mikhaïlovski, avait fait paraître dans la revue Rousskoé Bogatstvo,
dont il était l’un des rédacteurs. Et c’est pour égarer la censure que l’auteur choisit un titre qu’il qualifiait lui-même de
« volontairement balourd ». La propagande du matérialisme philosophique était en effet interdite dans la Russie des tsars.
En feignant d’opposer la conception « moniste » de l’histoire aux conceptions dualistes, Plékhanov faisait passer la
solution matérialiste qu’il apportait là à des problèmes proprement philosophiques.
Ouvrage de polémique, écrit d’une plume alerte, et qu’on lit sans effort, l’Essai sur le développement de la conception
moniste de l’histoire est l’un des meilleurs livres de Plékhanov. Sous un volume réduit, il présente un exposé, somme
toute, complet des aspects essentiels de la philosophie marxiste.
*
Dans la présente édition, les chiffres entre crochets renvoient aux notes complémentaires en fin d’ouvrage, qui ont été
établies par les éditeurs.
Les chiffres entre parenthèses renvoient aux notes en bas de page. A l’exception des phrases entre crochets, qui sont des
traductions, toutes ces notes sont de Plékhanov.
Les éditeurs
(1) V. Lénine, Œuvres, Paris-Moscou, t. 32, pp. 94-95.
G. Plékhanov : Essai sur le développement de la conception moniste de l’Histoire
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Préface de la 2° édition
Je n’ai corrigé que les fautes d’inattention et d’impression qui s’étaient glissées dans la première édition. Je ne me suis
pas estimé en droit de changer quoi que ce fût à mes arguments, pour la simple raison que ce livre est un écrit de
polémique, et que changer quoi que ce soit à un écrit de polémique revient à attaquer l’adversaire avec une arme neuve
en l’obligeant à se défendre avec une vieille. Le procédé serait illicite et, dans le cas présent, d’autant moins licite que mon
principal adversaire, Nicolas Mikhaïlovski, ne se trouve plus au nombre des vivantsi.
Les critiques de nos idées ont prétendu que celles-ci étaient, premièrement, fausses en soi, deuxièmement
particulièrement fausses dans leur application à la Russie qui se trouverait, paraît-il, appelée à suivre ses voies propres
dans le domaine de l’économie, et, troisièmement, nocives en ce qu’elles disposent leurs adeptes à l’inaction, au
« quiétisme ». Nul ne s’aviserait de répéter le dernier reproche à l’heure présente. Le deuxième a été réfuté au vu et au su
de chacun par toute l’évolution de la vie économique russe pendant les dix dernières années. Quant au premier, il suffit de
prendre connaissance de la littérature ethnologique récente pour se convaincre de la justesse de notre explication de
l’histoire. Toute œuvre sérieuse sur la « culture des primitifs » est obligée d’y recourir chaque fois qu’il est question de la
liaison causale des phénomènes de la vie sociale et spirituelle chez les peuples « sauvages ». Je me bornerai à citer
l’ouvrage classique de von den Steinen, Unter den Naturvölkern Zentral-Brasiliens(2); il va de soi que je ne saurais
m’étendre ici sur le sujet.
Je réponds à certains de mes critiques dans un article ci-annexé : « Quelques mots à nos adversaires ». Je l’ai publié
d’abord sous un pseudonyme, et c’est pourquoi j’y parle de mon livre comme de l’œuvre d’un tiers dont je partagerais les
vues. Mais ce texte ne réfute pas M. Koudrine qui après sa publication, m’a pris à partie dans le Rousskoé Bogatstvoii.
Aussi dirai-je ici deux mots à ce contradicteur.
Le plus sérieux de ses arguments contre le matérialisme historique paraît consister dans le fait suivant qu’il relève : une
seule et même religion, par exemple le bouddhisme, est parfois professée par des peuples se trouvant à des stades fort
différents de l’évolution économique. Mais l’argument ne semble fondé qu’à première vue. L’expérience montre qu’en de
pareils cas « une seule et même religion » change substantiellement de contenu selon le degré de développement
économique du peuple qui la professe.
Voici encore un point sur lequel je voudrais répondre à M. Koudrine. Il a relevé un contresens dans ma traduction du
Plutarque (voir note, page 55) et fait à ce sujet de fort sarcastiques remarques. Or, pour cette faute, je suis, en réalité,
« hors de cause ». Me trouvant en voyage, j’ai envoyé le manuscrit à Pétersbourg sans la citation de Plutarque, me
contentant d’indiquer la référence. Une des personnes qui s’occupaient de l’édition du livre (si je ne m’abuse, un ancien
élève du lycée où l’érudit M. Koudrine a fait ses études) a traduit les paragraphes auxquels je le renvoyais et commis le
contresens relevé par mon contradicteur. C’est assurément regrettable. Mais on doit reconnaître aussi que c’est l’unique
bévue dont aient pu nous convaincre nos adversaires. Il leur fallait bien obtenir quelque fiche de consolation. Aussi irai-je,
« humainement », jusqu'à me réjouir que nous leur ayons prêté le flanc. N. Beltov
(2) [Parmi les peuples primitifs du Brésil central.]
G. Plékhanov : Essai sur le développement de la conception moniste de l’Histoire
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Ch. I : Le matérialisme français du XVIII° siècle
« Si l’on rencontre aujourd’hui, dit M. Mikhaïlovskiiii, un jeune homme… qui vous déclare, voire avec quelque
précipitation superflue, qu’il est « matérialiste », cela ne signifie point qu’il soit matérialiste au sens philosophique
habituel, comme le furent chez nous, jadis, les tenants de Büchner et de Moleschott. Très souvent, votre interlocuteur
ne s’intéresse pas le moins du monde ni à l’aspect métaphysique, ni à l’aspect scientifique du matérialisme, et ne
possède même que des notions fort confuses à leur sujet. Il veut dire qu’il est un partisan du matérialisme
économique, et encore dans un sens particulier, un sens convenu(3)»
Nous ignorons quelle sorte de jeunes gens a rencontrée M. Mikhaïlovski. Mais ce qu’il dit pourrait donner à penser que la
doctrine des tenants du « matérialisme économique » ne possède aucun rapport avec le matérialisme « au sens
philosophique habituel ». Est-ce exact ? Le « matérialisme économique » est-il vraiment aussi étriqué et aussi pauvre de
contenu qu’il le paraît à M. Mikhaïlovski ?
Un résumé succinct de l’histoire de cette doctrine va nous permettre de répondre.
Qu’est-ce que « le matérialisme au sens philosophique habituel » ?
Le matérialisme, c’est l’antithèse de l’idéalisme. L’idéalisme cherche à expliquer tous les phénomènes naturels, toutes les
propriétés de la matière, par telle ou telle propriété de l’esprit. Le matérialisme opère juste à l’inverse : il tâche d’expliquer
les phénomènes psychiques par telle ou telle propriété de la matière, telle ou telle particularité organique du corps humain
ou animal. Tous les philosophes aux yeux de qui la donnée première est matière appartiennent au camp des matérialistes,
et tous ceux qui tiennent l’esprit pour tel, au camp des idéalistes. Voilà tout ce qu’on peut dire du matérialisme en général,
du « matérialisme au sens philosophique habituel »; car le temps a édifié sur sa base des superstructures si diverses
qu’elles confèrent au matérialisme de chaque époque un aspect qui le différencie complètement du matérialisme des
autres époques.
Matérialisme et idéalisme, c’est à cela que se ramènent les grandes directions de la pensée philosophique. Il a certes
presque toujours existé parallèlement des systèmes dualistes érigeant l’esprit et la matière en substances distinctes et
indépendantes. Mais le dualisme n’a jamais pu fournir de réponse satisfaisante à une question impossible à éluder :
comment deux substances distinctes, ne possédant rien de commun entre elles, peuvent-elles exercer une influence l’une
sur l’autre ? Aussi les penseurs les plus conséquents et les plus profonds ont-ils toujours incliné au monisme, c’est-à-dire
à l’explication des phénomènes par un seul principe fondamental monos » en grec, veut dire unique). Tout idéaliste
conséquent est moniste, au même titre que tout matérialiste conséquent. Sous ce rapport, il n’y a aucune différence entre
Berkeley, par exemple, et d’Holbach. Le premier fut un idéaliste conséquent, le second un matérialiste non moins
conséquent, mais l’un et l’autre furent également des monistes; et, l’un comme l’autre, ils se rendaient également compte
de l’impuissance des systèmes dualistes, les plus répandus, peut-être, jusqu'à nos jours.
La première moitié de notre siècle a vu le règne du monisme idéaliste en philosophie; la seconde moitié a assisté dans le
domaine de la science avec laquelle, pendant cette période, a fusionné la philosophie au triomphe d’un monisme
matérialiste qui, au reste, n’est pas toujours logique ni avoué.
Nous n’avons pas à exposer ici dans son détail l’histoire du matérialisme. Il suffira à notre propos de considérer son
développement depuis la seconde moitié du dix-huitième siècle. Et, là encore, il nous importe surtout d’examiner un de
ses courants à vrai dire le principal : le matérialisme d’Holbach, d’Helvétius et de leurs adeptes.
Les matérialistes de cette tendance ont entretenu une polémique acharnée avec les penseurs officiels de l’époque,
lesquels, invoquant Descartes sans toujours bien le comprendre, prétendaient qu’il existe chez l’homme certaines idées
innées, c’est-à-dire indépendantes de l’expérience. Dans leur réfutation de cette théorie, les matérialistes français n’ont
guère fait que reprendre la doctrine de Locke qui, dès la fin du dix-septième siècle, avait démontré qu’il n’existe pas
d’idées innées (no innate principles). Mais, en réexposant cette thèse, ils lui ont conféré un aspect plus systématique; ils
ont mis les points sur les i auxquels, en libéral anglais bien élevé, Locke n’avait pas voulu toucher. Allant jusqu’au bout de
leurs idées, ils ont été des sensualistes intrépides, c’est-à-dire qu’ils ont considéré toutes les fonctions psychiques de
l’homme comme des modifications de la sensation. Inutile de se demander ici jusqu'à quel point, dans tel ou tel cas, leurs
arguments demeurent valables au regard de la science actuelle. Il va de soi que les matérialistes français ignoraient
beaucoup de choses aujourd’hui connues de chaque écolier : qu’on se réfère plutôt aux théories physiques et chimiques
d’Holbach, pourtant fort au courant des sciences de la nature de son temps. Du moins ont-ils eu l’incontestable mérite de
mener leur pensée logiquement du point de vue de la science à leur époque; et c’est tout ce qu’on est en droit d’exiger
d’un penseur. Il n’est pas surprenant que la science contemporaine ait dépassé les matérialistes français du siècle dernier;
mais ce qui importe, c’est que les adversaires de ces philosophes retardaient par rapport à la science d’alors. Les
historiens de la philosophie ont coutume d’opposer aux conceptions des matérialistes français celles de Kant, dont on
serait assurément malvenu à nier les connaissances scientifiques. Mais cette opposition manque absolument de base. On
prouverait sans peine que Kant et les matérialistes français sont partis du même principe, mais l’ont développé de façons
différentes, aboutissant ainsi à des conclusions différentes, sous l’action des sociétés différentes dans lesquelles ils ont
vécu et pensé. L’idée, nous le savons, sera jugée paradoxale par ceux qui sont habitués à croire sur parole les historiens
de la philosophie; et il ne nous est pas loisible de l’appuyer ici d’une argumentation circonstanciée. Mais nous le ferons
volontiers, si nos adversaires en expriment le désir.
(3) Rousskoé Bogatstvo, janvier 1894, section II, p. 98.
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