Les Affinités électives. Parisiens, célibataires, libres, ils ont fait connaissance à l'automne 2007 à New
York, lors d'un colloque sur la nature du Temps : pour lui, c'est ce qui s'écoule inéluctablement et
que la littérature voudrait capter. Véra, elle, pense qu'il n'est pas la matière des livres, des êtres ou
des choses et qu'il n'existe pas.
Le Temps est cependant le troisième personnage de ce que, dans sa postface, Michel Schneider
appelle modestement un «conte philosophique» et qui a la profondeur et la complexité d'un grand
roman. Jusqu'à présent, la fiction avait très peu intégré les bouleversements que les facilités des
technologies nouvelles et les avancées vertigineuses de la physique contemporaine provoquent
dans l'espace de représentation, le labyrinthe des sentiments, les rituels des relations amoureuses.
La rencontre, les multiples ruptures, les retrouvailles, les longues périodes de silence et d'absence
– ce qu'ils désignent par le mot «amour» –, Véra et Vincent les vivent à travers les nouveaux
moyens de communication – mails, SMS, Skype calls, portables avec répondeurs et sonneries
différentes et personnalisées – possibles
grâce à la physique quantique. Ces miracles de la science les rendent joignables à tout moment
dans un espace digital pixellisé, – «une capture d'écran» –, où ils se cachent, se protègent, comme
effrayés, de «la présence de l'autre qui seule, ajoute le narrateur anonyme, vous rend présent à vous-même».
Dans ces refuges, ces fuites loin du réel, ils sont éloignés, différents par le poids de leur histoire et
finalement très seuls. Comme la plupart de leurs amis, ils rejettent ce qu'ils considèrent comme le
vieux discours amoureux, mais chacun des deux s'en bricole un nouveau. Vincent vit dans
l'instant, dans le désir, détaché de tout amour, relié à ses romanciers préférés, Benjamin Constant,
Scott Fitzgerald, qui ne lui apportent guère de réponses à ses questions, tandis que pour Véra, la
nature de ce qu'il appelle le temps est un peu mieux cernée grâce à Schrödinger et au boson de
Higgs : l'autre est insaisissable, analogue à la particule dans la théorie de Heisenberg, le fameux
principe d'incertitude selon lequel il est impossible de connaître à la fois sa vitesse et sa position.
Et elle se raconte aussi que ceux qui se sont rencontrés, aimés, quittés sont pareils à ces particules
de la physique : ils sont unis à jamais. Elle cite à Vincent la métaphore qu'Étienne Klein utilisa
pour faire comprendre l'inséparabilité quantique : «Deux coeurs qui ont interagi dans le passé… marqués
à jamais…
forment un tout inséparable.» Mais à travers les masques de leur humour, les réseaux de leur culture,
la souffrance et le deuil amoureux subsistent, le tragique apparaît.
Les derniers mots appartiennent au narrateur. Il cite une lettre qu'un autre grand physicien
quantique, Richard Feynman, adressait le 17 octobre 1946 à Arline Greenbaum, sa femme, morte
seize mois auparavant : «Je t'aimerai toujours… Il m'est difficile de comprendre par l'esprit ce que cela signifie
de t'aimer après ta mort – mais je peux toujours prendre soin de toi et t'entourer.»