placer son règne sous le sceptre fragile de l'âme, comme Fechner19
l'a tenté; ni, à plus forte raison, de pouvoir définir la vie en
référence à des facteurs de l'animalité encore moins susceptibles
de servir, telle la sensation qui ne peut la caractériser que de
manière incidente. Bien plus, c'est uniquement à partir du moment
où la vie est reconnue comme l'apanage de tout ce dont il y a
histoire et qui ne se résume pas à en être le théâtre que son concept
est investi dans son droit. Car c'est à partir de l'histoire, non point
de la nature, et, à plus forte raison, pas de notions aussi fluctuantes
que l'âme et la sensation, que la sphère de la vie reçoit finalement
sa pleine et entière détermination. De là tient son origine la tâche20
qui incombe au philosophe : comprendre toute vie naturelle en
regard de celle plus vaste balisée par l'histoire. Et la survivance
des œuvres n'est-elle pas de beaucoup, et sans comparaison, plus
facile à reconnaître que celle des créatures? L'histoire des grandes
œuvres d'art retrace leur descendance à partir des sources, leur
gestation au temps de l'artiste et la période de leur survivance, en
principe éternelle, dans l'aval des générations suivantes. Cette
dernière, lorsqu'elle se produit, se nomme gloire21. Les traductions
qui sont bien plus que des courroies de transmission voient
le
jour
quand, dans sa survivance, une œuvre a atteint l'époque de sa
gloire. Elles ne sont pas tant au service de celle-ci, ainsi que de
mauvais traducteurs ont coutume de le revendiquer pour leur
travail, qu'elles ne lui sont redevables de leur existence. En elles,
la vie de l'original connaît son eclosión la plus vaste et la plus
tardive, comme telle promise à un constant renouvellement.
Pareille eclosión, comme pour celle d'une vie spécifique et
supérieure, tient sa détermination d'une finalité spécifique et
supérieure. Vie et finalité
—
leur accord, apparemment manifeste
et pourtant se dérobant presque à la connaissance, ne fraie sa voie
que lorsque le dessein pour lequel opèrent séparément toutes les
finalités de la vie n'est pas sollicité dans la sphère propre à celle-ci
mais à un niveau plus élevé. Tous les phénomènes finalisés de la
vie,
de même que sa finalité en général, sont finalisés en dernière
instance non pas en vue de la vie mais de l'expression de son
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