Plaidoyer pour un nouveau capitalisme

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Plaidoyer pour un nouveau capitalisme
Par
Yvan Allaire, Ph.D., MSRC
Président du conseil
Institut sur la gouvernance d’organisations
privées et publiques (HEC-Concordia)
Professeur émérite de stratégie (UQÀM)
Mihaela Firsirotu, Ph. D.
Professeur de stratégie
École des sciences de la gestion
UQÀM
Tiré et adapté de l’ouvrage Black Markets…and Business Blues
(FI Press, juin 2009) par Yvan Allaire et Mihaela Firsirotu.
Plaidoyer pour un nouveau capitalisme
Yvan Allaire et Mihaela Firsirotu
Préambule
Cette version française et abrégée de notre ouvrage Black Markets and Business Blues
(FI Press, juin 2009) a pris naissance lorsque l’un de nous (Allaire) fut invité à prononcer
la 10ième Conférence Gérard Parizeau le 17 septembre 2009. M. Gérard Parizeau fut de
ces personnages aux vastes talents qui savent mener de front et avec brio des activités
diverses et des carrières multiples : entrepreneur, professeur d’université, auteur
d’ouvrages d’histoire, expert renommé du domaine de l’assurance, fondateur de revues
économiques et mécène. En un mot, M. Gérard Parizeau pourrait et devrait nous servir
de modèle de vie. Ce fut un honneur d’être choisi pour prononcer cette conférence
annuelle. Nous en remercions Messieurs Jacques Parizeau et Robert Parizeau ainsi que
le professeur Jean-Pierre Le Goff.
Nous tenons à remercier tout spécialement Majida Lamnini de l’IGOPP qui a mené ce
projet à bon port.
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© Tirée et adaptée du livre : Black Markets and Business Blues
Par Yvan Allaire et Mihaela Firsirotu
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Yvan Allaire et Mihaela Firsirotu
TABLE DES MATIÈRES
Préambule ....................................................................................................................... 2
Chapitre 1
Entre Marx et Hayek : Le dilemme des conservateurs ................................. 4
Chapitre 2
Les causes rapprochées de la crise financière ............................................ 14
Chapitre 3
Que faire pour remédier aux causes immédiates de cette crise ? .. ………...38
Chapitre 4 La transformation des entreprises : finie la loyauté et vive le marché…...46
Chapitre 5 Les causes profondes des crises financières ................................ …………….58
Chapitre 6
La logique des marchés financiers .............................................................. 65
Chapitre 7 Vers un nouveau capitalisme ?.................................................................... 75
Chapitre 8
Trancher le nœud Gordien de la rémunération ........................................ 97
Chapitre 9
Dissiper le mirage de la gouvernance ....................................................... 108
Chapitre 10 Caisses de retraite et réciprocité internationale ...................................... 117
Chapitre 11 En guise de conclusion .............................................................................. 122
Références .................................................................................................................. 126
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© Tirée et adaptée du livre : Black Markets and Business Blues
Par Yvan Allaire et Mihaela Firsirotu
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Yvan Allaire et Mihaela Firsirotu
CHAPITRE 1
ENTRE MARX ET HAYEK…
LE DILEMME DES CONSERVATEURS
Au tout début de notre ouvrage Black Markets…and Business Blues, nous racontons comment nous
avons compris et ressenti le côté tragique de cette catastrophe financière. Par un crépuscule de janvier
2009, roulant sur une route achalandée près de Lake Worth en Floride, nous sommes entrés
soudainement dans une zone étrange, une sorte de cimetière fait de longues rangées de maisons sans
lumières, sans occupants, affichant de futiles panneaux For Sale, For Rent.
Tous les propriétaires de ces maisons modestes avaient été expulsés pour défaut de paiement. Le lieu
suintait l’humiliation des parents, le désespoir des enfants, la décadence d’une société. « La grandeur
d’une civilisation se juge à la façon dont elle traite les plus faibles », a écrit Jean Rostand. La
civilisation américaine nous semblait bien mal en point en cette soirée de janvier.
Cet ouvrage attaque durement le système financier ainsi que certains des opérateurs qui y
grenouillent. Nous estimons, et tentons de le démontrer, que subrepticement nos économies, celle des
États-Unis au premier chef, ont été poussées vers une forme de capitalisme dans lequel les marchés
financiers dominent, font la loi et imposent leur volonté aux entreprises. Nous affirmons que cette
évolution néfaste est la cause fondamentale des crises et fiascos financiers à répétition depuis une
vingtaine d’années. Nous proposons des réformes qui, à notre avis, remettraient la finance à la place
modeste qui devrait être la sienne et ramèneraient dans les entreprises une gestion pour le long terme
ainsi qu’un certain niveau de loyauté, de confiance mutuelle et de solidarité essentiels au bon
fonctionnement de toute organisation humaine.
Étant donnée donc la nature de notre propos et les recommandations auxquelles nous aboutissons, il
est approprié d’annoncer clairement où nous logeons dans le village des idéologies. Nous croyons en
l’entreprise privée, en l’économie de marché. Nous (Mihaëla plus que moi) avons vu (et dans son cas
vécu) les cruels rationnements, les files d’attente, les magasins vides, les pénuries de biens essentiels,
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la mortelle inefficacité qui sont le lot d’une économie planifiée, d’un système économique étatique.
Les marchés poussent à l’utilisation efficiente des ressources; ils répondent rapidement aux besoins et
attentes des consommateurs; ils sont créateurs de richesses et de bien-être pour la société. Les
marchés sont une grande invention,…tout comme l’énergie nucléaire. Ils produisent de grands
bénéfices pour la société lorsqu’ils sont bien encadrés et réglementés.
Le marché est le meilleur ami du citoyen, mais c’est un ami imparfait. Maniaco-dépressif, il est
exubérant un jour, déprimé sans raison le lendemain ! Il a des goûts douteux; il favorise les forts et les
riches au détriment des faibles et des moins nantis; il fréquente les spéculateurs de tout acabit et flirte
avec l’illicite; il souffre de mythomanie, se croyant toujours et en tout rationnel et efficient.
Malgré ses tares, hélas, il demeure tout de même le meilleur ami du citoyen. Tous ceux qui croient aux
vertus du marché et de la libre entreprise, qui croient aux mérites du système, dit capitaliste, doivent,
les premiers, se lever contre les abus, les déviations, les manigances qui risquent de discréditer ce
système pour le grand malheur de tous. Il faut se montrer critique de ce bon ami et sévère envers lui; il
y va de son intérêt et du nôtre !
Les paradoxes du capitalisme sont apparus dès ses origines. La tension, voire l’opposition, entre le
succès du modèle capitaliste, d’une part, et la solidarité sociale, les valeurs et cultures nationales,
d’autre part, a préoccupé les philosophes depuis au moins Adam Smith. Le capitalisme doit s’appuyer
sur des valeurs et des normes sociales que le capitalisme contribue, cherche même, à détruire. Les
forces dynamiques qu’il déchaîne minent progressivement les valeurs de loyauté, de réciprocité, de
confiance, de retenue, ce que Putnam et d’autres ont nommé le capital social.
Éventuellement, le capitalisme s’affranchit de toute contrainte, élude les restrictions et les
prohibitions. Or, ces valeurs sociales et ces restrictions sont nécessaires au capitalisme. Leur absence
en sonne le glas.
Adam Smith, Ferdinand Tönnies, Edmond Burke, Hegel, Karl Marx, Max Weber, Simmel, Sombart,
Lucas, Schumpeter, Hayek ont tenté de résoudre à leur façon ce dilemme, ce paradoxe.
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Adam Smith (1723-1790) dont on a voulu faire le père fondateur d’une sorte fondamentalisme des
marchés était au contraire bien conscient des risques et des conséquences d’une économie de
marchés sans limite et sans garde-fous. Smith n’a-t-il pas écrit un ouvrage intitulé The Theory of Moral
Sentiments, un plaidoyer éloquent sur l’importance de la morale, des valeurs et de la recherche du
bien commun pour la société. Smith croyait que le libre marché devait mener au développement de
valeurs comme « la prudence, la vigilance, la constance, la circonspection ».
Il se méfiait des velléités monopolistiques des « marchands ». Il mettait en garde ses lecteurs contre
ceux qui professent leur attachement aux marchés libres mais qui, à la première occasion, conspirent
et complotent pour éliminer la concurrence au dépens de leurs acheteurs.
Edmond Burke (1729-1797), conservateur éclairé, supporteur de l’économie de marché, décriait les
effets pernicieux de l’avarice et de « l’amour du lucre » lorsque sans restriction et mal canalisés. Dans
un propos très contemporain, il écrivait (en 1790) que le plus grand danger pour la société
commerciale provenait des gens d’argent (men of money) lorsque leur ambition pécuniaire n’était pas
suffisamment entravée par les règles légales ou culturelles.
Pour Hegel (1770-1831), le marché doit s’appuyer sur des institutions gardiennes du passé et des
traditions dispensatrices de valeurs et de normes de comportement. Une fonction publique intègre et
bien formée devient un complément et un contrepoids nécessaires aux forces vives du marché. Aucun
marché libre ne perdure sans gardien incorruptible !
Le capitalisme, écrivait Karl Marx (1818-1883), porte en lui-même, le germe de sa destruction. Avec
Marx, la cupidité et l’appât du gain sont les ennemis de la cohésion sociale et de la moralité. Pour
Marx, le capitalisme, qui est synonyme de cupidité, représente une force irrésistible, ultimement
nocive et cruelle, qui ne peut être canalisée, encadrée ou réglementée. Il faut donc abolir, éliminer,
interdire le capitalisme et la propriété privée.
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Marx proposait un système dit socialiste ou communiste pour remplacer le système injuste et
pernicieux appelé capitalisme. Quels que furent les bons sentiments qui l’animaient, son système,
lorsque soumis à l’épreuve de la société réelle, s’avéra un échec monumental et cruel.
Avec Tönnies (1855-1936), Weber (1864-1920) et ses contemporains, le débat porte sur la tension
entre, d’un côté, la communauté (Gemeinschaft) organique et solidaire et, de l’autre, la société
(Geselchschaft) constituée de relations marchandes et contractuelles, de calculs individuels en quête
d’intérêt personnel.
Un vigoureux défenseur de l’économie de marché, de l’esprit du capitalisme et de la rationalité, Max
Weber notait dans une phrase devenue célèbre que l’appât du gain illimité n’était pas le fait du
capitalisme ni conforme à son esprit. Toutefois, dans un système capitaliste et rationnel, l’homme en
vient à être dominé par les moyens plutôt que par la fin, par l’argent et la consommation qui
deviennent les fins ultimes de l’existence. L’homme rationnel et calculateur ressent alors ce que Weber
appela « un certain désenchantement du monde ».
Simmel (1858-1918) vantait les mérites de l’économie de marchés mais estimait que ses vertus étaient
insuffisantes, son objet trop limité, qu’il fallait à la société des objectifs supérieurs et partagés, un sens
de direction.
Schumpeter (1883-1950) eut le grand avantage d’avoir pu observer ce laboratoire de l’anticapitalisme
que devint la Russie après la révolution bolchevique de 1917. La « destruction créatrice » inhérente au
capitalisme lui semblait bien douce et plutôt positive par comparaison à la destruction brutale dans
l’URSS socialiste. Sceptique, ironique et pessimiste, Schumpeter s’évertua à démontrer les failles du
socialisme tout en déplorant que son attrait populaire le ferait ultimement triompher du capitalisme.
Avec Schumpeter, comme avec Marx, le succès du capitalisme mène à sa destruction en ce qu’il sape
les fondements mêmes des valeurs culturelles et sociales nécessaires à sa survie.
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Autant, Marx ne pouvait ou ne voulait, imaginer la survie du capitalisme sous quelque forme, Friedrich
Hayek (1899-1992) ne pouvait imaginer un capitalisme avec quelque entrave ou soumis un tant soit
peu à l’autorité des États. Hayek peut à juste titre être vu comme le vrai père fondateur du
fondamentalisme des marchés. Thatcher et Reagan en furent les disciples les plus efficaces. Hayek, a
écrit Jerry Muller, avait une vision parfaite mais d’un seul œil. L’expérience du nazisme et du
soviétisme lui a inculqué une aversion profonde pour le leadership étatique, pour les supposés
bienfaits de l’Etat Providence. Toutefois, comme tous les esprits conservateurs, il manifesta une
certaine appréciation, surtout à la fin de sa vie, pour les institutions, fussent-elles gouvernementales,
qui étaient nécessaires au bon fonctionnement des marchés.
John Maynard Keynes (1883-1946), ce libéral poussé à gauche par les immondes combines des
marchés financiers des années 1920 et la terrible dépression qui en résulta, se fit le défenseur d’un
rôle accru des gouvernements « comme le seul moyen pratique d’éviter la destruction de l’ordre
économique existant et comme condition essentielle au bon fonctionnement de l’initiative
individuelle ». Son projet consistait à sauver, malgré lui, un capitalisme moribond et en grande
dépression. Keynes qualifiait déjà les marchés financiers de son époque de casinos peuplés de
spéculateurs.
Ces remarquables esprits, ces intellectuels et philosophes d’un autre âge, étaient également des
hommes d’action, engagés dans les débats et l’action politiques de leur époque. Edmond Burke aurait
pu parler en leur nom à tous lorsqu’il déclarait n’avoir que mépris « pour ceux qui protègent leur pureté
intellectuelle par un célibat politique ».
Le dilemme des conservateurs
Les conservateurs de naguère cherchaient à composer avec le dilemme suivant : leur engagement
envers le libre marché et leur aversion pour toute intervention des gouvernements les rendaient
impuissants et futiles lorsque les abus et les manigances de certains menaient tout le système
capitaliste vers sa déconfiture. Ils en appelaient alors à un retour aux valeurs morales et sociales, et à
leur exaltation, seules capables de contenir les excès du capitalisme; ou encore, comme Schumpeter,
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ils en arrivaient presque à célébrer ces crises comme une sorte de sain mécanisme d’autocorrection
inhérent au capitalisme. Devant les signes avant-coureurs de la dernière crise, certains puissants
idéologues, Greenspan1 au premier chef, ont adopté une posture semblable.
Toutefois, ceux qui croient aux vertus du système capitaliste, de l’entreprise privée et des marchés
seront plus judicieux s’ils acceptent qu’une bonne dose d’intervention, d’encadrement et de
réglementation soit nécessaire à la survie du système. Un appel, aussi éloquent soit-il, au renouveau
des valeurs morales, ne peut, à court terme du moins, suffire dans un monde dépouillé des institutions
capables de susciter, de protéger et d’entretenir ces valeurs.
Avec le temps, s’il est vrai que la sanction juridique précède la sanction sociale, elle-même source de
valeurs et de normes, on verra possiblement rejaillir dans la société les valeurs morales et les
comportements de modération et d’engagement qui donnent à l’économie de marché toute sa
richesse économique et sociétale. Il convient de rappeler que la terrible crise des années 1930 donna
lieu à une réglementation serrée des marchés financiers, qui, avec le temps, induit des comportements
moraux durables, du moins jusqu'à ce qu’une nouvelle vague de déréglementation, débutant autour
de 1980 recommence la lente corrosion des valeurs.
Quant à proposer aux citoyens de souffrir en silence pendant que le merveilleux système se guérit par
lui-même de ses pathologies, cela nous semble politiquement périlleux et inutilement cruel.
Notre propre démarche s’inspire donc d’une certaine tradition selon laquelle un appui à l’économie de
marché et la libre entreprise doit s’accompagner d’une volonté, d’un devoir, d’en contrôler les excès et
d’établir les garde-fous garants de leur pérennité mais aussi d’une certaine justice sociale. Lacordaire
avait une phrase heureuse sur le sujet : « Entre le riche et le pauvre, entre le fort et le faible, c’est la
liberté qui opprime et la loi qui affranchit »
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Alan Greenspan fut le président du Federal Reserve Board, (le proche équivalent d’une banque centrale aux État-Unis) de
1987 à 2006.
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Deux distinctions préalables sont importantes :
1. Malgré la prétention d’un certain courant idéologique, qui a eu ses heures même au Québec, la
discipline du marché n’est pas appropriée pour toutes les activités d’une société. Certaines institutions,
gardiennes des valeurs (aurait dit Platon), doivent être soumises à une logique distincte, voire
protégées, de la logique des marchés. Alors, comment démarquer la nature des biens et services que
l’on devrait soumettre à la discipline des marchés et ceux que l’on devrait considérer comme des biens
et services publics devant être produits et distribués selon des mécanismes sociaux et politiques. Cette
démarcation varie d’un État à l’autre ainsi que d’une époque à l’autre, selon les courants idéologiques
dominants. En certains pays, la gestion des prisons, l’assurance-maladie, l’eau potable, les services
militaires d’appoint, la pratique religieuse, la protection contre les incendies etc. sont soumis aux lois
du marché; ailleurs, ce sont des biens publics exclus des marchés. Les sociétés doivent faire ces choix
avec prudence.
À notre époque, ce sont les marchés financiers qui imposeront leur logique aux entreprises privées
offrant des biens et services de nature publique ou sociale. Cette affirmation est lourde de
conséquences. Pour les marchés financiers, la valeur du titre coté en Bourse doit croitre sans cesse. Or,
le moteur premier de cette augmentation de la valeur du titre est la croissance continue du bénéfice
par actions. C’est donc dire qu’un solide profit ne suffit pas ; il faut un solide profit en croissance
perpétuelle. Ce caractère infernal des marchés boursiers pousse la direction des entreprises,
rémunérée par des options sur le titre, à prendre toutes les mesures pour atteindre cet objectif de
croissance du bénéfice par action aussi longtemps que faire se peut. Poussés par les pressions du
marché et leur richesse en péril, les dirigeants en arrivent à des mesures à la limite du licite et parfois
au delà. C’est ainsi que l’on fabrique des Enron, Worldcom et toutes les sociétés responsables de la
crise financière de 2007-2008.
2. Si les vertus des marchés de biens et services sont généralement admises et prêtent peu au débat en
nos temps, il en va autrement des marchés financiers. Ceux-ci tentent de s’affubler des mêmes vertus
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que les marchés de biens et services : efficience, innovation, satisfaction des besoins, concurrence, etc.
Or, les marchés financiers, par leur rôle d’intermédiation, apportent une certaine valeur ajoutée pour
la société. Cependant, hypertrophiés et métastasés, les marchés financiers étouffent l’économie réelle
et imposent une logique malsaine aux entreprises productrices de biens et services.
Voici un point essentiel de toute notre argumentation. Dans les entreprises cotées en Bourse et sans
actionnaire de contrôle, les marchés financiers en sont venus à imposer leur logique du court terme, de
croissance trimestrielle du bénéfice par action au même temps que ces entreprises font face à une
concurrence féroce, résultat de la mondialisation et déréglementation, sur les marchés pour leurs
biens et services.
Si la pression de la concurrence sur les marchés de biens et services contribue à l’abaissement des prix
au bénéfice des consommateurs, il faut laisser aux entreprises le temps et l’espace pour s’ajuster et
mettre en place les stratégies qui conviennent. Or, la pression des rendements à court terme exercée
par les marchés financiers s’avère, dans ces circonstances, néfaste pour la santé et la survie des
entreprises.
Un exemple instructif : la gestion privée des prisons
Pour rendre concrets les deux avertissements qui précèdent, la pratique américaine de confier à des
entreprises privées, cotées en Bourse, une partie de la gestion des prisons offre un exemple
intéressant. Ainsi, quelque 264 prisons américaines sont gérées par des sociétés privées. Elles ne
représentent que 7,8% du budget total de toutes les prisons américaines. En soi, on pourrait défendre
cette politique en invoquant les avantages du secteur privé pour la prestation efficiente de services de
cette nature. Cependant, si ces entreprises, comme c’est le cas aux États-Unis, deviennent des sociétés
cotées en Bourse avec de multiples fonds de placement comme « propriétaires », alors la logique des
marchés financiers s’imposera avec toutes ses conséquences particulièrement nocives et cruelles dans
ces situations.
Comment un dirigeant d’une entreprise dans ce marché arrive-t-il à convaincre les analystes financiers
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de la valeur d’un placement dans son entreprise ? Comment les convainc-t-il d’une croissance
soutenue du bénéfice par action ? Chaque trimestre, ce dirigeant doit faire face aux analystes et
investisseurs pour plaider sa cause. « Le bénéfice par action du dernier trimestre a augmenté de X%
par comparaison au même trimestre de l’année dernière et nous anticipons une croissance de Y% pour
l’année prochaine en comparaison avec cette année. Cette croissance soutenue proviendra de…. ». Le
dirigeant doit invoquer des raisons plausibles pour soutenir cette affirmation, comme celles-ci :
« Le rythme d’incarcération aux États-Unis augmente de X% chaque année et notre entreprise
augmente sa part de ce marché. » « Un nouveau programme des autorités de l’immigration vise une
détention allongée pour les immigrants illégaux, ce qui représente une excellente occasion de
croissance des affaires pour notre entreprise. » Ces citations ne font que paraphraser les propos tenus
par les dirigeants de la société Corrections Corporation of America lors de conférences avec les
analystes financiers.
Pour cette société cotée en Bourse, maximiser la valeur pour les actionnaires signifie :
a) Beaucoup d’emprisonnements pour assurer la croissance de l’entreprise
b) Longues peines de prison sans remise en liberté conditionnelle ...pour stabiliser la trésorerie
Les dirigeants ont reçu de nombreuses options sur le titre pour bien aligner leurs intérêts sur ceux des
actionnaires. Non seulement ont-ils un intérêt pécuniaire à tout faire pour que le bénéfice par action
continue de croître mais s’ils devaient manquer de zest et d’imagination dans la poursuite de cet
objectif, ils seraient remerciés brutalement; même si un parachute « doré » devait amortir leur chute,
leur valeur sur le marché du talent subirait une baisse dramatique.
Que ces dirigeants feraient-ils pour satisfaire aux attentes des « actionnaires » impatients et des
spéculateurs avides de gains rapides? Leur éthique sera soumise aux pressions de leur propre fortune;
l’éthique n’est que la résistance des valeurs soumises aux pressions de l’intérêt personnel. Les sommes
en jeu pour ces dirigeants sont souvent énormes. Une baisse importante du cours du titre, parce que
les investisseurs sont déçus ou ont perdu confiance, inflige aux dirigeants des pertes monétaires
pénibles, parfois fait la différence entre une retraite somptueuse et un modeste train de vie.
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Se pourraient-ils que les entreprises privées de gestion des prisons s’engagent dans un lobby discret,
par groupes interposés, pour que les termes d’emprisonnement soient allongés et que les remises en
liberté conditionnelle soient écartées du système? « Three strikes and out2 » et des termes de prison
fermes sans remise en liberté conditionnelle, qui font partie du cadre juridique américain, asssurent
une solide croissance du marché et une grande stabilité des flux financiers associés à chaque
prisonnier!
Enfin, à la limite, pourrait-on soudoyer des juges pour qu’ils imposent des peines plus longues que
celles méritées? En Pennsylvanie, au cours de 2009, deux juges furent condamnés pour avoir recu $2,6
millions de la part d’opérateurs de centres de détention privés pour avoir imposé des peines allongées
à plus de 1 000 jeunes coupables de délits mineurs.
Ce ne sont pas tant les individus que nous blâmons pour ces comportements mais un système pervers
de motivations et d’incitatifs. Évidemment, nul n’est tenu d’accepter un emploi pour une firme de
gestion des prisons mais la même dynamique sournoise prévaut dans tous les secteurs économiques
soumis aux mêmes impératifs des marchés financiers.
Nous attribuons à cette logique pernicieuse des marchés financiers la cause profonde de la dernière
crise financière ainsi que de celles qui l’ont précédée. Nous présentons au Chapitre 2 les causes
immédiates de cette crise financière de 2007-2009 ainsi qu’au Chapitre 3 les mesures à prendre pour
éviter une crise du même type.
Toutefois, ce texte porte surtout sur les causes profondes des crises à répétition ainsi que sur les
politiques à mettre en place pour restaurer un capitalisme industriel, un capitalisme fondé sur des
valeurs morales, source de richesse et de prospérité pour toute la société. Le lecteur qui comprend
bien les causes de la dernière crise peut passer directement au Chapitre 4 et les suivants.
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Une politique commandant qu’ à la troisième offense, un coupable soit condamné à la prison à vie, sans possibilité de
remise en liberté conditionnelle!
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Comme l’écrivait bellement Paul Soriano : « le changement fait habituellement son entrée dans les
institutions en s’y introduisant par effraction ». La crise de 2007-2009 permettra peut-être que
d’anciennes et de nouvelles valeurs pénètrent par effraction dans notre système économique.
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Chapitre 2
LES CAUSES RAPPROCHÉES DE LA CRISE FINANCIÈRE
Comment le fait de (trop) prêter sur hypothèques à des Américains dont la qualité du crédit est
médiocre peut-il se transformer en une crise financière de dimension internationale ? Comment cette
crise financière, singulière par son ampleur, s’est-elle fabriquée ? Comment l’expliquer simplement ?
Comment en tirer les leçons pour l’avenir ?
Or, les causes directes de cette crise prennent la forme d’acronymes ésotériques, (CDO, CDS, VaR,
MtM, etc.), d’innovations financières virtuelles, de montages hors bilan, de réseaux de transactions
opaques, et ainsi de suite; à telle enseigne que d’en fournir une explication satisfaisante, ni trop
simpliste, ni trop exotique, pose un défi pédagogique quasi-insurmontable.
Expliquer la crise ?
Une partie de l’explication, facile à comprendre celle-là, met en relief la cupidité, l’appât du gain des
principaux acteurs (incluant les agences de notation de crédit), l’alignement des rémunérations fastes
pour des résultats de courte durée, des récompenses extravagantes pour une gestion hasardeuse
comportant des risques cachés ou mal compris. Cette tare de « l’homme avide de profits » (Machiavel)
est une constante de l’Histoire, mais elle est devenue une véritable crise morale au cours des derniers
20 ans.
D’autres facteurs, plus techniques, plus spécifiques, ont contribué à provoquer la crise et à l’amplifier.
Ainsi, les principes comptables de la juste valeur marchande (mark-to-market ou MtM) auxquels sont
assujetties les institutions financières ont pesé lourdement dans l’enchaînement des évènements
menant à la crise financière.
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Une réglementation défaillante ou carrément absente concernant les nouveaux produits financiers et
les nouveaux intervenants, comme les fonds de couverture (mieux décrits comme des fonds de
spéculation), a aussi facilité la bulle de crédit et de l’immobilier aux États-Unis. Cette posture en ce qui
touche la réglementation est la manifestation d’une sorte d’idéologie, voire d’un fondamentalisme,
des marchés. Prêché et pratiqué par les Greenspan et comparses, ce fondamentalisme s’appuie sur
une foi touchante dans la capacité des marchés à s’« auto réglementer », à corriger rapidement et
efficacement les excès et les abus.
Ce « laissez faire, laissez courir » dans le secteur financier est toujours périlleux; il eût des effets
pernicieux qui ont alimenté cette crise. La croissance débridée des « dérivés de crédit » (CDS), sans
supervision, sans transparence, sans imputabilité, s’avère une cause première (et technique) de la crise
financière. Ces dérivés de crédit, qui ont atteint en quelques années une valeur nominale de $ 57,000
milliards, se prêtent à toutes sortes d’entourloupettes et manigances. Ces produits ont aussi servi à
dissimuler le véritable niveau de levier financier dans le système financier mondial.
Le tableau suivant présente un compendium des causes directes de cette crise. Nous n’allons pas dans
ce court texte tenter de décrire tous les arrangements complexes, les montages financiers, les produits
dérivés et autres instruments, qui sont devenus le pain quotidien du monde financier. Nous décrirons
brièvement les causes rapprochées de la dernière crise.
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Les Causes Immédiates
de la Crise Financière de 2007-2009
 Déréglementation et non-réglementation des marchés






financiers;
La Croissance phénoménale des produits financiers
complexes;
La trop grande confiance placée dans les agences de
notation;
La recherche d’alpha par tous les fonds de placement;
Les limites du VaR et des autres mesures de risque;
Les principes comptables de la juste valeur marchandes
(Mark-to-Market);
Les pathologies de la rémunération variable dans le
secteur financier.
32
1. La déréglementation et non réglementation de l’industrie financière sont toujours
périlleuses.
Ce n’est pas que toute déréglementation soit mauvaise, bien au contraire. Toutefois, la
déréglementation, ou l’absence de réglementation, du système financier américain fut presque chaque
fois la cause d’énormes problèmes par la suite, problèmes qui s’étendent rapidement à l’ensemble du
système financier mondial.
Pourquoi ? Parce que le secteur financier américain foisonne
d’"innovateurs" de tout acabit pour qui une déréglementation, ou une absence de réglementation,
devient une source d’occasions d’affaires, de nouvelles façons de faire des profits.
Il en fut ainsi avec la déréglementation des " Savings and Loans " au début des années 80, une initiative
qui a coûté quelque 125 milliards $ aux payeurs de taxes américains.
Au cours des années 90, une dure bataille fut menée par les grandes banques américaines (et leur
principal allié Robert Rubin alors Secrétaire au trésor, devenu par la suite… président du comité
exécutif du conseil de la Citigroup jusqu’en janvier 2009 !) Leur but était d’abolir le Glass-Steagall Act
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qui imposa en 1933 une compartimentation du système financier entre banques commerciales,
banques d’affaires, sociétés d’assurance, courtiers en valeurs mobilières. Le premier bénéficiaire de
cette déréglementation serait… Citigroup, qui venait d’achet la société Travelers ! Cette dernière
société comportait, outre des filiales de vendeurs d’assurance, des firmes de courtage et des banques
d’affaires. Sans la mise au rancart du Glass-Steagall Act, Citigroup aurait du se départir de bon nombre
de ces filiales, rendant ainsi l’acquisition caduque, une grossière erreur.
Rubin et compagnie eurent gain de cause. Le Glass-Steagall Act, qui avait protégé le système financier
américain contre les crises pendant plus de 50 ans, fut mis au rancart, fut aboli en 1999. S’en suivirent
de multiples fusions/acquisitions entre banques commerciales, banques d’affaires, maisons de
courtage, etc. Il en résulta un système composé d’institutions financières « too big to fail » et dont les
motivations financières jouèrent un rôle déterminant, mais insuffisamment reconnu, dans les fiascos
Enron, Worldcom, Global Crossing et les autres.
Au même temps, dans un repli obscur du système financier se jouait une rude partie dont l’issue
exerça une influence déterminante sur la crise que vécut le système financier en 2008.
Le 7 mai 1998, Mme Brooksley E. Born, la présidente de la Commodity Futures Trading Commission
(CFTC), l’agence responsable de la surveillance des marchés où se négocient les contrats à terme sur
les denrées, émit un document de travail suggérant que les produits dérivées transigés de gré à gré
(«over-the counter» ou OTC markets) soient soumis à une réglementation par son organisme. Il faut
comprendre que les instruments négociés de gré à gré (OTC) ne sont soumis à aucune réglementation.
Mal lui en prit. Le puissant trio de Robert Rubin, Secrétaire au trésor (encore lui), Arthur Leavitt, alors
président de la Securities and Exchange Commission (SEC), et Alan Greenspan, alors président de la
Banque fédérale américaine, passa à l’action pour tuer dans l’œuf cette velléité de réglementation.
Mme Born quitta son poste puisque son mandat n’allait pas être renouvelé par le Président Clinton.
Son document prit le chemin des oubliettes. Les produits dérivés de gré à gré ne seraient pas
réglementés.
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Le 15 décembre 2000, quelques jours avant que Bill Clinton ne quitte la présidence des États-Unis, le
sénateur Phil Gramm glissa dans la législation de 11 000 pages sur le budget américain un projet de loi
de 262 pages intitulé The Commodity Futures Modernization Act. Cette loi garantissait que les produits
dérivés ne seraient pas réglementés par la CFTC !
Nous en verrons les conséquences plus loin dans ce texte lorsque nous traitons de ces fameux dérivés
de crédit. Rappelons qu’il s’agit d’un marché dont la valeur totale a atteint en 2008 quelque 57 000
milliards $ (ou $57 billions en français, $57 trillion en anglais), plus de trois fois le PIB des États-Unis.
C’est donc un marché non réglementé, géré de façon artisanale et propulsé par des spéculateurs
voraces.
Enfin, que dire de l’idée saugrenue de lever, le 7 juillet 2007, une interdiction en place depuis 1932
stipulant qu’une vente à découvert3 ne peut être effectuée que si le prix de la dernière transaction est
supérieur au prix de la transaction précédente (« uptick rule »).
L’intention évidente de cette règle était d’empêcher que les ventes à découvert amplifient un
mouvement à la baisse sous l’effet de ces ventes spéculatives. Or, quelques mois plus tard, les ventes à
découvert sans restrictions ont contribué à pousser vers la faillite les entreprises financières Bear,
Stearns et Lehman Brothers. Morgan Stanley, Merrill Lynch, Goldman Sachs faillirent connaître le
même sort. En désespoir de cause, les gouvernements américains et britanniques ont du interdire en
octobre 2008 (après la faillite de Lehman Brothers) toute vente à découvert sur les titres des
institutions financières.
2. Il faut se méfier de l’«innovation financière»
Si l’innovation est l’élixir de la croissance dans les entreprises industrielles, il en va autrement dans les
entreprises financières. Or depuis vingt à trente ans, le monde de la finance produit des
Le terme signifie « vendre un titre que l’on a emprunté, croyant que le titre baissera en valeur et qu’on
pourra le racheter à bas prix, remettre au prêteur le titre emprunté et empocher le profit ».
3
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« innovations » à un rythme remarquable. En conséquence, les systèmes financiers sont devenus de
complexes montages financiers en grande partie cachés hors du bilan des institutions financières. Ce
système est impénétrable; son opacité et sa complexité rendent difficiles l’évaluation et l’attribution
des risques.
Deux « produits » illustrent bien les dangers de l’ « innovation » financière débridée. Ils se sont avéré
les maillons faibles qui ont fait s’écrouler de grands pans d’un édifice plus fragile qu’il ne semblait. Il
s’agit des dérivés de crédits (CDS) et des créances titrisées (CDO).
Les dérivés de crédit
Dans sa forme première, le marché des dérivés de crédit peut sembler utile en ce qu’il permet à un
prêteur (une banque par exemple) d’acheter une certaine assurance contre le risque que son débiteur
fasse faillite. Sur cette prémisse simple et orthodoxe, des montages financiers complexes furent
échafaudés.
Ainsi, en achetant de telles « assurances », les banques pouvaient réduire les montants de
capitalisation imposés par les accords de Bales (Basel) pour soutenir leurs activités. De meme, les CDOs
(ou dettes titrisées, vois prochaine section) pouvaient obtenir des notations de crédit plus élevées
parce que appuyés par des « assurances » de ce type.
Toutefois, bien que fonctionnant comme une assurance, ces produits ne sont jamais appelés
« assurance » car alors ils seraient soumis à tout l’appareillage de réglementation de l’assurance
incluant l’obligation de mettre en réserve une bonne partie des primes touchées par les vendeurs de
ces assurances.
Par ailleurs, parce que ces dérivés de crédit sont négociés de gré à gré entre un acheteur et un vendeur
(du moins en théorie), ils ne sont pas soumis à la supervision des commissions des valeurs mobilières.
Voici donc un produit financier complexe qui n’est encadré par aucune réglementation ni supervisé par
aucune agence !
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Pourtant, comme le montre la figure ci-après, ce marché de « l’assurance crédit » a littéralement
« explosé » entre 2002 et 2007 atteignant quelque 57,9 billion $ (trillion en anglais, soit 57 900
milliards $ !).
Trompés par la volatilité (et donc le risque apparent) très faible des années 2003 à 2007 (jusqu’en juin)
ainsi que par un taux de faillite des entreprises et des ménages extrêmement bas, les « assurés » se
sont contentés de très faibles garanties offertes par les «vendeurs» d’assurances, compte tenu de leurs
obligations.
Figure : La croissance phénoménale des CDS (Credit derivatives swapes)
Valeur nominale en mille milliards de US $
Source : Bank for international Settlements
Le taux de croissance de ce marché des dérivés de crédit, non réglementé et faiblement surveillé, fut
tel que les systèmes en place furent débordés, incapables de rendre compte rapidement des
obligations prises, ni même de confirmer les transactions en temps opportun.
Pour toute assurance conventionnelle, l’assuré doit démontrer une perte réelle pour être assurable et
remboursé par l’assureur. Dans le cas des «dérivés de crédit», les pertes peuvent être virtuelles et
spéculatives. C’est pourquoi le montant total des dérivés de crédit est de sept à huit fois supérieures au
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total des prêts assurés ! Imaginons que l’on puisse prendre une assurance sur une maison dont on n’est
ni propriétaire, ni créancier hypothécaire, tout simplement parce que l’on spécule qu’elle risque de
passer au feu. Éventuellement, une maison de $100,000 pourrait porter pour $800,000 d’assurance,
dont $700,000 détenus par des spéculateurs. Si cela était permis, il y aurait lieu de s’inquiéter pour le
sort de cette maison.
Or, il en est ainsi avec les dérivés de crédit. Les spéculateurs peuvent miser contre la dette d’une
entreprise ou d’un pays ou contre la valeur d’un ensemble de dettes hypothécaires pour des montants
supérieurs à la valeur nominale de cette dette et sans jamais avoir prêté un seul sou à cette entreprise
ou ce pays ou sans avoir financé un seul dollar de cette dette hypothécaire. Ces spéculateurs feront
des gains spectaculaires si les agences de crédit émettaient quelque doute quant à la valeur de cette
dette. En effet ces contrats d’ « assurance » sont des instruments négociables, comme une action ou
une obligation.
Voici un exemple éloquent et pertinent. Supposons qu’en septembre 2008, un fonds de spéculation ait
acheté une « assurance » ou dérivé de crédit (un CDS) sur la dette de la Grèce. Il aurait payé alors une
prime annuelle de $50 000 pour une « assurance » de 5 ans sur $10 millions de cette dette. Notons
bien que ce fonds ne détient aucune dette de la Grèce, n’a pas investi un seul dollar en obligations du
gouvernement grec. Ce fonds prend le risque que la cote de crédit de la Grèce s’améliore, ce qui ferait
chuter le coût de l’ « assurance » et infligerait donc une perte au fonds de spéculation; mais le risque
n’est pas grand, étant donné le niveau d’endettement de la Grèce et le faible prix payé en septembre
2008 pour ce dérié de crédit..
Or, la situation grecque se détériore. Six mois plus tard, en février 2009, l’ « assurance » crédit sur la
dette grecque coûte maintenant $ 250 000. Le fonds de spéculation peut revendre le dérivé de crédit
et réaliser $200 000. de profits en six mois sur une mise de $ 50 000. (ou quelque 800% sur une base
annuelle!). Si le spéculateur conserve sa position, en février 2010, son dérivé de crédit vaut alors $ 399
000.
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Pourraient-ils, ces spéculateurs, tenter de créer un sentiment négatif envers l’entreprise ou le pays,
disséminer toute information négative, « planter » des reportages négatifs dans certains média? Quoi
qu’il en soit, les profits gigantesques et les risques modérés de ces opérations les rendent irrésistibles.
Le dommage infligé aux pays et aux entreprises est bien réel puisque le coût d’un dérivé de crédit
devient la prime minimale que devra payer un pays pour sa dette (au dessus de l’intérêt payé par les
pays a faible risque).
Qui donc « vend » ces « polices d’assurances »? Comme le montre la figure suivante, en 2006, les
banques représentent quelque 40% de ce marché ; mais, déjà en 2006, plus de 30 % de ces assurances
furent vendues par des fonds de couverture, c’est à dire quelque 8 000 milliards $ d’assurances en
2006 et possiblement plus de 20 000 milliards en 2008 !
Durant les années fastes, les fonds de couverture « vendeurs » d’assurance ont encaissé des primes
d’assurance sans avoir à payer pour des pertes. Ils ont empoché, comme c’est la norme dans leur cas,
20% des profits ainsi réalisés, ce qui représente des sommes gigantesques. Lorsque les vents ont
tourné et que les acheteurs de ces « assurances » ont demandé paiement (ou que leurs créanciers
inquiets ont demandé des garanties additionnelles), les dirigeants de plusieurs fonds de couverture en
difficulté ont tout simplement déclaré faillite ou fermé boutique. Ils ont conservé bien sûr les
rémunérations faramineuses des bonnes années.
Toutefois, les grandes banques américaines et certains grands assureurs (AIG, MBIA, etc.) se sont aussi
aventurés dans ce secteur d’activités ou ont financé les fonds de couverture. Elles ne peuvent pas
cependant simplement déclarer en faillite leurs activités internes de type fonds de couverture; ce sont
leurs bilans au complet qui sont garants de ces activités. Devant les risques de catastrophe pour tout le
système financier, le gouvernement américain (les payeurs de taxe) dut assumer la note très salée
pour indemniser les contreparties (les acheteurs d’ « assurance » crédit) de AIG et des autres.
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Les dérivés de crédit:
Le
rôle
fonds
de couverture
Le
rôle
desdes
fonds
de couverture
sur le
marché des dérivés de crédit
Copyright © Allaire et Firsirotu, 2009
46
Les créances titrisées (les CDO)
Dans le monde bancaire d’antan, une banque accordait un prêt hypothécaire équivalent à une fraction
de la valeur estimée de la maison de l’emprunteur. Si celui-ci ne pouvait faire face à ses obligations, la
banque saisissait la propriété et la vendait pour récupérer son argent. Si, exceptionnellement, la vente
rapportait moins que le montant de l’emprunt, la banque enregistrait la perte à ses états financiers.
Cette description du fonctionnement du monde bancaire, anachronique et surannée, n’a plus aucun
rapport avec les marchés financiers à notre époque.
La titrisation de créances de toute nature représente une innovation financière, positive au départ
mais qui, comme c’est souvent leur lot, devint une source d’abus flagrants avec le temps. Cette
alchimie financière, dans un premier temps, permit de transformer des créances de toute nature
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(hypothèques, cartes de crédit, prêts pour automobiles, etc.) en des instruments négociables, porteurs
d’une haute notation de crédit, ce qui autorise d’y investir les grands fonds de placement régis quant
aux types de placements. Cette transformation apportait une énorme liquidité sur ces marchés et en
décuplait la capacité de financement.
Or, ce « produit » financier a joué un rôle-vedette dans la dernière crise financière. La conflagration
mondiale déclenchée par les hypothèques dites « subprime » tient au fait que ces hypothèques, de
faible crédit lorsque prises individuellement, étaient rassemblées dans un portefeuille puis divisées en
tranches distinctes quant au risque et au rendement. Ces tranches portent alors le nom générique de
« créances titrisées » (en anglais « collaterized debt obligations » ou CDO). Par cette alchimie, il
devenait possible d’obtenir des agences de notation des notes de crédit élevées pour plusieurs
tranches, laissant tout le risque dans les tranches inférieures.
Or, les investisseurs institutionnels (caisses de retraite, sociétés d’assurance, fondations) ne sont pas
autorisés à investir dans des instruments de dette qui n’ont pas reçu une notation de crédit dite
« investment grade ». Avec cet arrangement toutefois, ces investisseurs pouvaient maintenant acheter
ces tranches portant une haute note de crédit. De tels placements étaient intéressants car ils
procuraient un rendement légèrement supérieur à celui d’investissements conventionnels portant la
même notation de crédit. Dans le jargon du placement, un tel rendement produit un effet « alpha », un
rendement supérieur à ce qui serait attendu en raison du risque. La mesure de performance d’un
gestionnaire de fonds, et souvent sa rémunération variable, reflète sa capacité à produire de tels
rendements « alpha ».
L’univers de la gestion de fonds fut obsédé, au cours des années 2001-2008 par une quête du Saint
Graal, la recherche de rendements « alpha ». Pas un fond spéculatif (dit, hedge fund), pas un fond de
privatisation, pas un gestionnaire de fonds d’infrastructure ou d’immobilier qui ne prétendait pas
fournir des rendements alpha à ses investisseurs. C’est ainsi et pourquoi les hypothèques « subprime »
se sont retrouvées dans les portefeuilles de fonds institutionnels partout au monde.
Les signes avant-coureurs de sérieux problèmes commencèrent à apparaître dès 2006, comme montre
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la figure ci-dessous, particulièrement éloquente en ce qui a trait au taux de « délinquance » de ces
prêts, lequel bondit dès 2006. Les indices des prix des maisons, variable cruciale pour maintenir ce
marché, montre un ralentissement et même une légère chute en 2006-2007.
Les signes avant-coureurs :
le marché américain des subprimes
sous pression
1
House price indices; Q1 2000 = 100.
Subprime loan delinquencies as a percentage of total subprime loans; seasonally adjusted, in per cent.
Sources: Datastream; JPMorgan Chase; LoanPerformance.
2
La figure suivante montre la croissance remarquable des nouvelles émissions de CDOs.
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La Croissance des CDOs
(collaterized debt obligations)
(Données trimestrielles en mille milliards de US$)
1
In trillions of US dollar.
Annualised.
Sum of cash tranche sizes by pricing date; includes only cash and hybrid structures. Hybrid portfolios consisting
mainly of structured finance products different from cash CDOs are excluded.
5 Covers about 80% of index trade volume, according to CreditFlux Data+.
Sources: IMF; CreditFlux Data+; ISDA; national data; BIS calculations.
3
4
Copyright © Allaire et Firsirotu, 2009
13
Au paroxysme du marché, au cours du dernier semestre de 2006 et du premier semestre de 2007, de
nouveaux CDOs furent émis au rythme de quelque 1 500 milliards US$ par trimestre et la moitié de ces
CDOs prenait une forme synthétique4!
Dans ce Babel de montages financiers, leurs concepteurs mêmes ne s’y comprennent plus. Leurs
structures sont plus fragiles que prévu ; les chaînes de causalité sont impénétrables; l’effet cumulatif et
l’interdépendance de ces structures financières font quelles échappent éventuellement à la
compréhension même de leurs créateurs. Incrédules, ils assistent à l’effondrement et nient leur
responsabilité. C’est ainsi que lorsque les investisseurs devinrent craintifs à propos des hypothèques
« subprime », leurs appréhensions contaminèrent tous les CDOs puisque personne ne savait lesquels
contenaient, et en quelle proportion, des hypothèques « subprime ».
Même les CDOs ne contenant aucune hypothèque subprime chutèrent brutalement en valeur
marchande puisque tous ces produits sont reliés par le taux de rendement attendu. Si le taux de
4
Un CDO synthétique est un produit complexe par lequel les investisseurs deviennent les « assureurs », des vendeurs de
CDS. Au lieu d’assembler de multiples créances en un CDO conventionnel, ici on assemble des dérivés de crédit dont les
primes servent à donner un rendement aux acheteurs du CDO synthétique, qui deviennent en fait des « assureurs » de crédit.
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rendement attendu sur les CDO avec hypothèques subprime augmente radicalement en raison du
risque intrinsèque et de la faible liquidité de ces produits, les attentes de rendement vont également
augmenter pour les autres produits CDO puisque ceux-ci forment une chaîne de risque-rendement.
L’analogie suivante peut éclairer : si le prix des maisons dans un quartier d’une ville chutait
soudainement de 50%, il est improbable que le prix des maisons des autres quartiers reste stable, en
l’absence de barrières à la mobilité.
La liquidité du marché du CDO se tarit soudainement; les justes valeurs marchandes chutèrent
dramatiquement puisque aucun acheteur ne voulait s’y risquer ou demandait des rendements très
élevés. Les acheteurs d’assurance sur ces produits demandèrent aux assureurs de les rembourser ou
de leur transmettre des valeurs sûres pour garantir le paiement de l’assurance. Les vendeurs
d’assurance devaient vendre, au pire moment, des titres pour faire face à leurs obligations, contribuant
ainsi à la chute précipitée des valeurs boursières et autres. Toutes les institutions financières, soumises
aux règles comptables de la juste valeur marchande, devaient absorber d’énormes pertes sur leurs
valeurs en portefeuille. Ces pertes diminuaient dangereusement leur capitalisation, menant à des
risques de faillite et une recherche frénétique de nouveaux investisseurs pour augmenter leurs fonds
propres.
Ce fut la panique. Les gouvernements des pays développés durent voler au secours d’un système au
bord de la catastrophe. On croyait que ces opérations de titrisation (les CDOs) et d’assurance-crédit
(les CDS) diminuaient les risques d’ensemble, un peu comme de l’eau dans une bouilloire; en fait, le
risque s’était infiltré là où on ne le voyait plus, pourrissant lentement toute la structure.
Le principal argument en appui à toutes ces « innovations » est à l’effet qu’ils augmentent la liquidité
des marchés, réduisent les risques par la diversification et par la possibilité d’acheter de la protection.
Or, il devient évident que toutes ces opérations n’ont pas fait diminuer les risques. Ceux-ci sont passés
de l’un à l’autre comme dans un jeu de chaise musicale ; celui qui est le moins habile ramasse le risque
lorsque la musique arrête !
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3. En finance, il faut se montrer sceptique des mathématiques !
“Those whom the gods want to destroy they first teach math”, Niall Ferguson
Le phénomène de la mathématisation de la finance et du placement au cours des 30 dernières années
a contribué de façon subtile au chaos des derniers mois. L’arrivée massive de gens formés en
mathématiques et en physique chez les fabricants de produits financiers (les JP Morgan, Goldman
Sachs, Morgan Stanley, ainsi que dans les fonds de couverture - « hedge funds ») a mené à des «
innovations financières » d’un niveau inédit de complexité et d’abstraction ainsi qu’à des modèles
d’évaluation des risques se voulant à la hauteur de ces nouveaux produits financiers.
Tout cet appareillage statistique et mathématique à première vue impressionne et intimide quiconque
ne détient pas un doctorat dans le domaine, ce qui est le lot de la plupart des membres de conseil
d’administration, des gestionnaires de fonds et même du personnel des agences de notation de crédit,
lesquelles doivent pourtant apprécier les risques de ces produits ésotériques et leur donner une note de
crédit. Or, les modèles quantitatifs d’évaluation des risques aussi précis puissent-ils paraître dépendent
en fait d’hypothèses fragiles et de données historiques qui ne sont pas garantes de l’avenir.
Le tableau suivant reproduit la description que donnait DBRS, l’agence de notation canadienne, de sa
démarche pour attribuer une note de crédit aux CDOs. Le nombre de fois que les termes « présume »,
« estimation » apparaissent dans cette description est remarquable pour une démarche qui se veut
précise, fiable et valide. Changer les hypothèses et le résultat sera dramatiquement différent.
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Les agences de notation
et les produits financiers complexes
 Voici quelques extraits d’un document (en mai 2008) de l’agence





canadienne DBRS sur ses méthodes de notation de dettes adossées à
des actifs :
“The Gaussian copula function is employed to estimate the
correlation between defaults…”(p.6)
“DBRS assumes that spreads are mean reverting…”(p.7).
“DBRS has chosen to model the logarithm of the spread…as an
Ornstein-Uhlenbeck process.” (p.7)
“DBRS assumes a correlation of 80% between investment-grade
reference entities and 50% between non-investment-grade reference
entities.” (p.7)
“Once assumptions on credit spreads, base correlations and
portfolio defaults have been made, the DBRS MTM model can
then approximate the remoteness of the trigger regime” (p. 10)
 (Emphasis added)
Les modèles d’évaluation des risques de type VaR (Value at Risk) sont de plus en plus importants pour
déterminer le montant de capital nécessaire pour appuyer prudemment une activité, le niveau de
levier financier acceptable ainsi que les rendements qui sont appropriés pour les risques assumés.
Ces modèles cherchent à estimer la probabilité que certains événements, certains niveaux de perte, se
produisent. Cette probabilité dépend au premier chef de la volatilité observée historiquement dans les
marchés pertinents. (Volatilité signifie risque dans le monde de la finance).
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Illustrons par un exemple simple. Le tableau suivant montre le niveau de volatilité des marchés
boursiers (en fait du S&P 500) selon un indice (appelé VIX) calculé depuis 1990. (Plus l’indice est élevé,
plus la volatilité et le risque sont élevés) :
Les glorieuses années 2003 à juillet 2007:
une baisse généralisée de la volatilité
(et donc du risque selon les modèles en usage)
Indice VIX
(Volatilité du S&P 500)
31 déc.
"
"
"
"
"
"
"
"
"
1990
1991
1992
1993
1994
1995
1996
1997
1998
1999
26,3
19,3
12,5
11,6
13,2
12,5
20,9
24
24,4
23,4
31 déc.
"
"
"
"
"
"
Juin
2000
2001
2002
2003
2004
2005
2006
2007
26,8
23,8
28,6
18,3
13,2
12,0
11,5
16,2
Pour apprécier le niveau de risque encouru par un placement, les modèles d’analyse vont utiliser les
données pertinentes sur la volatilité de ce type de placement au cours des cinq ou dix dernières
années. Ainsi, au début 2008, dans l’évaluation d’un placement pour lequel l’indice VIX est pertinent,
les modèles auraient tenu compte du fait que la volatilité moyenne des cinq dernières années avait été
de 15,5 et des dix dernières années, de 20,2 (incluant la période turbulente de la bulle Internet et du
11 septembre 2001).
Il est important de remarquer la très faible volatilité des années 2003 à 2007. Ce phénomène a eu une
influence déterminante sur l’appréciation des risques, les montants de capitaux requis et le levier
financier permissible. Lorsque la volatilité observée au cours d’un passé récent est aussi faible, les
modèles de risque vont calculer un faible risque pour tout investissement et tout niveau
d’endettement.
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Toutefois, un décideur sceptique voudra que l’on soumette le modèle d’évaluation des risques à
l’épreuve de circonstances plus défavorables (stress test dans le jargon du domaine) que celles des
dernières années; par exemple, stresser le modèle en refaisant les calculs avec le pire résultat observé
depuis 1990 (soit 28,6 en 2002), ou encore en doublant la volatilité observée au cours des derniers 5
ans (2 x 15,5 = 31,0). Ayant mené de tels tests et pris des décisions en conséquence des résultats, le
responsable jugera qu’il a agi avec prudence et sagacité. Or, voici la volatilité observée à compter de
juin 2008 :
Les signes avant-coureurs
de la crise financière
29 juin 2008
Indice VIX
Volatilité en 2008
16,2
31 juillet 2008
28,0
6 octobre 2008
58,0
19 novembre 2008
74,3
20 novembre 2008
80,9
18 mars 2009
40,8
En quelques semaines d’octobre et de novembre 2008, la volatilité des marchés a grimpé à près de
trois fois la volatilité la plus élevée observée depuis que l’indice fut créé en 1990.
Les calculs des risques, la valeur des produits dérivés et les garanties à donner, la capitalisation requise
pour appuyer les risques et l’endettement, les attentes de rendement, les primes exigées sur les
dérivés de crédit, tout est chamboulé par une telle explosion de la volatilité.
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Par Yvan Allaire et Mihaela Firsirotu
Plaidoyer pour un nouveau capitalisme
Yvan Allaire et Mihaela Firsirotu
Les modèles mathématiques les plus raffinés furent incapables de détecter les signes avant-coureurs
de la crise (et ils étaient abondants), d’apprécier à quel point les comportements qu’ils incitaient
allaient amplifier la crise. Comme un météorologue quantitatif rivé à son écran d’ordinateur dans une
salle sans fenêtres, les matheux de la finance continuaient de prédire le beau temps alors qu’un
ouragan fonçait sur eux.
« It is better to be vaguely right than precisely wrong » disait John Maynard Keynes; et ce bon vieux
Pascal, pourtant mathématicien lui-même, ne vantait-il pas la supériorité de « l’esprit de finesse » sur
«l’esprit de géométrie ».
4. Comment les règles comptables ont agi comme accélérant de la crise !
Une cause technique de la crise financière, s’ajoutant aux causes premières que sont la cupidité,
l’appât du gain, l’insoutenable absence de réglementation des dérivés de crédit et l’arrogance de soidisant «génies de la finance», provient de l’application généralisée du principe comptable de la «juste
valeur marchande» (Mark to Market ou MtM). Ce principe comptable est approprié en certaines
circonstances mais ses effets furent imprévus et pervers dans le monde financier que les «ingénieurs»
de la finance nous ont construit.
Puisque tous ces «produits», tranches de prêts, dérivés de crédit, etc. ont une valeur établie par un
marché de l’offre et de la demande, les détenteurs de ces produits doivent reconnaître à leur bilan ces
placements à leur «juste valeur marchande» (en anglais « Mark to Market»). Peu importe la valeur des
actifs sous-jacents, peu importe qu’à terme le produit aura sa pleine valeur, le détenteur doit, pour les
fins de ses états financiers (trimestriels ou annuels), inscrire une perte si le marché à cette date précise
donne une valeur à la baisse à ces produits. Cette règle comptable de la juste valeur marchande fait en
sorte que les pertes reconnues aux états financiers sont des pertes non réalisées puisque dans 3, 6, 12
mois, 3 ans, 5 ans, il se pourrait que l’on doive renverser en tout ou en partie cette perte parce que le
marché est maintenant en hausse.
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Yvan Allaire et Mihaela Firsirotu
Or, lorsque ces marchés deviennent pessimistes et que les acheteurs hyper-prudents exigent des
rendements élevés, les banques et autres investisseurs doivent reconnaître instantanément d’énormes
pertes comptables résultant de la baisse rapide de valeur des actifs qu’elles détiennent; elles doivent
également répondre aux appels de marge pour les produits dérivé qu’elles ont vendus (c'est-à-dire, la
nécessité d’ajouter des garanties ou de verser des sommes additionnelles pour garantir à l’acheteur
d’un produit dérivé sa solvabilité).
Parce que ce sont tous les marchés pour ces nouveaux produits (CDO, CDS, etc.) qui sont touchés par
l’incertitude (et non seulement ceux qui comportent des hypothèques « subprimes »), leur valeur
chute dramatiquement; mais la somme totale de ces produits financiers détenus par des investisseurs
et fonds de tout acabit est astronomique.
Ces pertes de valeur et ces appels de marge provoquent une diminution de la capitalisation et des
avoirs liquides des institutions touchées. Cela les fragilise, les met à risque de contrevenir à leurs
obligations réglementaires, les force à vendre des titres de qualité au pire moment, à rechercher des
contributions à leur capital en de temps difficiles. Aussitôt que les signes de leur vulnérabilité
deviennent publics, les retraits de dépôts et les appels de marge s’intensifient. Elles sont engagées
dans une spirale mortelle.
Une fois la crise passée cependant et y ayant survécu, beaucoup d’institutions financières pourront
enregistrer d’énormes profits au fur et à mesure que les valeurs marchandes de ces instruments
financiers se rétabliront. Déjà en 2009, plusieurs banques doivent leurs bons résultats aux effets,
positifs cette fois, de la comptabilité de la « juste valeur marchande ».
5. L’appât du gain met le feu aux poudres !
Toute cette agitation frénétique pour créer de nouveaux «produits» financiers, cette recherche de
l’innovation financière à tout prix, cette quête obsessive de rendement « alpha » prend source dans un
système de rémunération hors de contrôle. Les motivations financières de tous (banques d’affaires,
gestionnaires de fonds, agences de notation de crédit, fonds de couverture, etc.) bien alignées sur le
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même objectif, sont la cause première de problèmes présents et à venir. Tout système de
rémunération est en faute lorsqu’il récompense immédiatement et en argent comptant des
performances de courte durée, possiblement artificielles, sans lien avec les risques assumés et sans
que les déboires subséquents ne mènent à un quelconque remboursement ou ajustement.
Voici, au tableau suivant, la rémunération versée aux « meilleurs » gestionnaires de fonds de
couverture pour la seule année 2007. Ces gens n’ont rien inventé d’utile pour la société, n’ont pas créé
d’emplois (ou si peu), n’ont pas risqué leur propre capital. Ils ont trouvé une combine ou deux… et des
investisseurs institutionnels naïfs.
Les rémunérations extravagantes dans le monde financier: les
fonds spéculatifs (hedge funds)
Les 25 gestionnaires de hedge funds les mieux payés
en 2007 ont reçu un montant total de U.S. $16
milliards, une rémunération de $360 million étant
le minimum pour faire partie de ce groupe.
La rémunération combinée de ces 25 gestionnaires
était supérieure au PIB de 57 pays selon les
données de la Banque mondiale...
… et représentait trois fois la rémunération totale
des 500 PDG des entreprises du S&P 500, ceux-là
même que l’on estime trop payés!!!
© Allaire and Firsirotu 2009
Ces rémunérations faramineuses agissent sournoisement sur les motivations des jeunes personnes de
talent. Le tableau suivant rend compte de l’évolution du pourcentage des diplômés MBA de Harvard
qui choisissent le secteur financier comme carrière.
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Yvan Allaire et Mihaela Firsirotu
Pourcentage des Diplômés MBA de Harvard
Embauchés par le Secteur Financier
84
Classe
%
1969-1972
5
1988-1992
15
2000
34
2008
45
Le phénomène ne surprend pas lorsqu’on apprend qu’en 2008, les fonds de spéculation (hedge funds
et les private equity funds) offraient à ces jeunes diplômés un salaire garanti de $300 000 pour leur
première année en plus d’un bonus de $30 000 à la signature de leur contrat. Par comparaison, le
secteur manufacturier offrait une pitance de $130 000 pour la première année.
Cette surenchère n’est pas limitée à Harvard. Le Graduate Mangement Admission Council rapporte
qu’à leur entrée dans les programmes de MBA américains, 21% des étudiants déclaraient vouloir faire
carrière dans le secteur financier, mais que 40% d’entre eux choisissaient ce secteur à la fin de leurs
études.
Bien sûr que la crise financière a tempéré les ardeurs des recruteurs venus du monde de la finance,
mais cela n’est que temporaire.
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Comment et pourquoi le Canada a-t-il évité les pires effets de la crise financiere ?
S’il est vrai que les marchés financiers de par le monde ont fait un remarquable diapason de chutes
dramatiques à l’automne 2008, un fait demeure : le système financier canadien,
la fiscalité
canadienne ainsi possiblement que certaines valeurs sociétales ont fait éviter au Canada les pires
conséquences de cette crise.
Une mesure concrète de la position favorable du Canada nous est fournie par, justement, les dérivés
(ou assurances) de crédit pour différents pays. Voici ce qu’il en coûtait en pleine crise (le 21 novembre
2008) pour acheter une « assurance » contre une défaillance de crédit survenant au cours des
prochains cinq ans sur la dette émise par différents pays :
Le système financier canadien :
position relativement favorable
Coût d’assurer US$10 million de dette pour 5 ans
Pays
États-Unis
Royaume-Uni
Japon
Allemagne
France
Russie
Canada
21 nov. 08
36 000 $
84 000 $
44 000 $
84 000 $
47 000 $
975 000 $
13 000 $
Source : Markit
Le message est clair : les marchés internationaux jugeaient que le Canada représentait le meilleur
risque financier de tous les pays en plein cœur de la crise financière.
Le Canada est une nation modeste, ce qui est sage lorsque vous vivez près d’un voisin qui se déclare “la
plus grande démocratie sur terre” ou encore “le plus grand pays de l’histoire du monde ». On ne sait
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trop en quel endroit secret se sont tenus ces Olympiades de la démocratie, mais il semble que le
Canada n’ait pas fait mieux que se mériter une médaille d’argent ou de bronze ; c’est bien ainsi. Le
Canada est une terre de modération. Notre devise nationale devrait être : In medio stat virtus5.
Cette modération et cette prudence se manifestent de façon claire dans les comportements des
individus et la supervision des institutions financières.
La réglementation des banques au Canada
Aucune banque canadienne n’a fait faillite durant la dernière crise financière, alors que depuis 2007,
on compte (en date de novembre 2009) 156 faillites de banques américaines6. Le réseau national de
succursales des banques canadiennes leur assure une large base de dépôts stables; leur petit nombre
rend facile et efficace leur supervision par le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF)
et la Banque du Canada; virtuellement toutes les banques d’affaires canadiennes appartiennent aux
banques à charte, alors qu’aux États-Unis, ces banques d’affaires (ou investment banks) opèrent de
façon autonome et sous forme de sociétés par actions cotées en bourse.
Étroitement surveillées par le BSIF et la Banque du Canada, les banques à charte canadiennes ont
maintenu un niveau de levier financier raisonnable (les actifs équivalent à 18 fois les fonds propres)
alors que les banques commerciales et les banques d’affaires américaines poussaient ce ratio au-delà
de 30 fois.
Le crédit et la modération
Le Canada n’a pas suivi l’exemple américain de rendre déductible pour fins d’impôt les intérêts payés
par les citoyens sur leurs emprunts hypothécaires. Tout en atteignant un niveau de propriété
domiciliaire équivalent à celui des Américains (68.4% au Canada, 68.9% aux États-Unis en 2006), le
Canada a ainsi évité l’effet pernicieux d’un endettement subventionné par l’État.
5
6
“La vertu réside au centre”
Cela n’est pas nouveau. Lors de la crise des années 1930, quelque 12,000 banques américaines firent faillite ; au Canada, 0
banque en déconfiture !
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Un mélange heureux de choix politiques et de valeurs nationales a fait que le Canada a évité les abus
qui ont mené à la récente crise financière américaine. Ces différences sont bien illustrées au tableau
suivant :
Canada
Nombre de cartes de crédit par ménage
Endettement moyen sur cartes de crédit,
par ménage
2
2 000 $
États-Unis
6
8 000 $
Pourcentage des détenteurs qui paient la somme
due au complet chaque mois
73 %
40 %
% des prêts hypothécaires qui sont
à haut risque (« subprimes») 2006
< 5%
24 %
% de ces prêts en défaut depuis plus de 90 jours
ou ayant donné lieu à une procédure de saisie
(2007)
< 2%
Service de la dette en % du revenu disponible (ménages) 7,5%
(2008)
16 %
18%
Sources : Banque royale du Canada/Banque du Canada
La bulle financière a été gonflée par cet usage débridé du crédit aux États-Unis, résultat à la fois de
politiques fiscales, du marketing agressif des prêteurs et des valeurs sociétales américaines.
Ainsi, une heureuse combinaison de politiques fiscales, de supervision bancaire et de valeurs de
modération a fait en sorte que le Canada évite les pires débordements qui ont provoqué la dernière
crise.
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Chapitre 3
QUE FAIRE POUR RÉMÉDIER AUX CAUSES IMMÉDIATES DE CETTE CRISE?
« Toute crise constitue une occasion qu’il serait impardonnable de laisser passer », Paul
Romer, Université Stanford.)
D’aucuns prétendent que les bulles financières, tout comme les cycles économiques, sont inévitables
et intrinsèquement liées au fonctionnement des marchés et de l’économie capitaliste. Rappelons
cependant à ces prophètes de malheur qu’après les excès financiers des années 20, une
réglementation musclée et une Commission des valeurs mobilières vigoureuse aux États-Unis ont
permis d’éviter de nouvelles bulles ou crises financières d’envergure au cours des cinq décennies qui
suivirent. La déréglementation des marchés financiers (amorcée en fait au début des années 80 avec
la saga des Caisses d’épargne américaines ou Savings and Loans ) tout au long des années 1990 a
engendré la crise financière actuelle.
Le Forum sur la stabilité financière a mis de l’avant quelques recommandations. D’autres
recommandations également, dans la même veine que celles présentées dans la suite de ce texte sont
ressorties des témoignages d’experts lors de leur comparution devant un comité de la Chambre
américaine des représentants le 13 novembre 2008. (Lo, 2008; Ruder, 2008).
1. Limiter les rémunérations extravagantes
Nous ne sommes toujours pas parvenus à résoudre le dilemme de la rémunération variable. Il est
difficile de s’imaginer un monde des affaires et de la finance sans ces généreuses rémunérations
variables. Les entreprises œuvrant dans le secteur des services financiers tout particulièrement attirent
des individus calculateurs et hautement motivés par de fortes rémunérations variables. Quelles
politiques de rémunération conviennent alors pour contenir et orienter les comportements des cadres
et dirigeants ? Comment s’assurer que des gens doués en finance ne puissent tirer un profit indu du
système en se jouant des règles pour établir leur rémunération ?
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© Tirée et adaptée du livre : Black Markets and Business Blues
Par Yvan Allaire et Mihaela Firsirotu
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Yvan Allaire et Mihaela Firsirotu
Il s’agit-là peut-être d’une mission impossible. Les sociétés privées échappent aux contrôles des
rémunérations ; or, les fonds de spéculation (hedge funds, private equity funds, etc.) sont
généralement des entreprises privés.
De plus, tant que la propriété des entreprises cotées en Bourse sera fractionnée entre une multitude
d’actionnaires et d’investisseurs institutionnels ne détenant chacun qu’une infime part du capital de la
société, la notion de rémunération variable, peu importe sa forme, sera inévitablement exploitée ou
détournée de ses fins.
Les plafonds de rémunération arbitrairement fixés par l’État ne constituent pas la solution (sauf lors de
renflouement où le gouvernement injecte directement des fonds dans une société afin de lui éviter la
faillite). En attendant que des changements fondamentaux ne soient instaurés (comme nous le
recommanderons au Chapitre 8), notre suggestion est des plus simples : les membres du conseil
d’administration doivent être tenus formellement responsables de la rémunération versée aux
dirigeants, professionnels, courtiers (traders) et autres spécialistes de l’entreprise dont ils sont
administrateurs. Ceux-ci devraient être investis, à titre de fiduciaires, de la responsabilité de mettre sur
pied une politique de rémunération qui stipulera :
1. que les bonis et autres rémunérations seront acquis sur plusieurs années;
2. que la relation risque/rendement (le niveau de risque pris pour obtenir un rendement
donné) sera partie intégrale de la rémunération;
3. que les bonis seront remboursables si la performance de l’entreprise venait à se dégrader
dans les années subséquentes (soit une politique prévoyant un système de bonus et
malus ; c’est-à-dire une rémunération comportant une « banque » à laquelle s’ajoute les
bonus annuels mais dont on peut soustraire des malus (des bonus négatifs) en cas de
mauvaise performance ; seulement le tiers du solde de la « banque » est versée chaque
année..
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Le comité de rémunération (ou tout autre comité fixant la rémunération des dirigeants, peu importe le
nom que l’on lui octroie) devrait établir le même genre de relations avec les consultants externes que
celui que le comité de vérification maintient avec les vérificateurs externes. La politique de
rémunération variable des dirigeants devrait être présentée et expliquée aux actionnaires lors de
l’assemblée générale annuelle. Lors de cette assemblée, les montants à être versés selon les diverses
hypothèses de rendement devraient être clairement présentés.
Il est tout aussi important que les investisseurs institutionnels cessent d’encourager les rémunérations
excessives des fonds spéculatifs et autres opérateurs financiers. Le manque de volonté et d’assurance
pour négocier avec eux ainsi qu’une absence de concertation entre les principaux investisseurs
institutionnels ont permis que des niveaux de rémunération indécents soient versés a ces gestionnaires
des fonds spéculatifs.
Ces rémunérations astronomiques versées en retour de ce que plusieurs perçoivent comme étant tout
simplement de la poudre aux yeux, de la prestidigitation et des tours de passe-passe financiers sont
tout simplement immorales. Elles ont un effet pervers sur tous les intervenants du monde des affaires
et de la finance, un milieu où les rémunérations relatives constituent l’étalon de mesure du succès, de
ce qui est considéré comme un traitement équitable.
Nous formulons, au chapitre 8 ci-après, des recommandations plus radicales pour trancher le nœud
gordien de la rémunération.
2. Revoir les principes comptables de la juste valeur marchande (dite Mark-to-Markets).
Le monde ne devrait pas être mené par des comptables. La comptabilité n’est pas une science, mais
une série de jugements. Malgré les intentions louables à l’origine du principe de la juste valeur
marchande (relever la transparence des états financiers, fournir une information pertinente et
opportune), il est devenu évident que ce principe a joué un rôle d’accélérant dans la conflagration
financière de l’automne 2008. Voici une autre illustration du vieux dicton voulant que la route de
l’enfer soit pavée de bonnes intentions.
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L’établissement des états financiers des institutions financières selon les principes de la juste valeur
marchande ne fonctionne bien que si deux conditions fondamentales sont satisfaites; soit,
premièrement, lorsque les marchés fonctionnent eux-mêmes de façon ordonnée et; deuxièmement,
lorsque les actifs évalués à l’aide de cette règle de valorisation au marché sont détenus pour être
négociés de façon continue sur un marché liquide.
Lorsque ces deux conditions ne sont pas satisfaites, il vaut mieux alors recourir aux méthodes plus
traditionnelles d’évaluation des actifs. Ces méthodes d’évaluation des actifs doivent être utilisées avec
prudence et diligence, et ce, surtout lorsqu’elles peuvent faire la différence entre le respect ou non des
normes portant sur les ratios de capital que doivent détenir les institutions financières réglementées.
3. Réduire le volume et l’étendue des transactions négociées de gré à gré (« over-thecounter »).
Il est troublant de constater la rapidité phénoménale avec laquelle a crû le marché des swaps sur
défaillance de crédit (credit swap) pour atteindre, finalement, une valeur nominale totale de 57
billions$ (57 mille milliards$) sans que ne soit exercé aucun contrôle réglementaire ou de supervision
pour s’assurer de la transparence de ce marché et cerner le risque réel assumé par les diverses parties.
Afin de mettre en œuvre cette proposition, la négociation de tout instrument financier négocié hors
bourse atteignant un volume prédéterminé de transactions devra être transférée à une place boursière
ou soumise à la juridiction d’une chambre de compensation exigeant une divulgation complète de
toute information financière pertinente.
4. Réexaminer le rôle des agences de notations.
Ces agences ont eu une influence démesurée sur les investisseurs et les ont incités à la complaisance.
Or, ces agences, hautement motivées par les formidables revenus produits par la notation de ces
produits complexes en forte croissance, se fiaient dans l’établissement de leur notation aux modèles
mathématiques développés par ceux-là mêmes qui avaient élaboré ces « produits » financiers
complexes et en faisaient la mise en marché.
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Les agences de notation devraient être rémunérées par les investisseurs qui ont recours aux notations
de crédit et non par les émetteurs des instruments financiers, comme c’est la coutume présentement.
Les investisseurs institutionnels devraient mettre sur pied de nouvelles agences de notation pour
évaluer les produits financiers les plus complexes si elles prévoient continuer d’investir dans ce genre
de placements.
5. Exiger l’homologation des nouveaux instruments financiers.
La présomption stipulant que les « investisseurs avertis » saisissent toutes les subtilités et tous les
risques des instruments financiers complexes mis en marché ne tient pas la route. Les modèles de
gestion du risque évoluent plus lentement que le rythme d’innovation financière, ce qui résulte en des
évaluations du risque insuffisantes sinon carrément trompeuses.
Dans tous les autres domaines de l’activité humaine, les produits qui représentent un risque pour
l’acheteur ou l’utilisateur doivent satisfaire à un ardu processus d’approbation avant d’être lancés sur
le marché. Par exemple, il ne revient pas aux voyageurs assidus d’attester de la sécurité d’un nouvel
avion, ou aux patients de supputer les risques d’un nouveau médicament breveté.
Les nouveaux produits financiers devraient peut-être recevoir l’homologation d’une autorité de
compétente (relevant d’une commission des valeurs mobilières ou de tout autre organisme similaire)
qui évaluerait le risque et cernerait les informations qui devraient être divulguées aux acheteurs
potentiels. L’agence retenue devrait être indépendante, en mesure d’assurer aux innovateurs
financiers la confidentialité requise et disposer d’experts en mesure d’évaluer le risque intrinsèque de
ces nouveaux produits. Pour poursuivre avec l’analogie de la sécurité aérienne, l’agence responsable
de la certification n’aurait pas à évaluer de façon abstraite les produits financiers hautement
sophistiqués présentés par les ingénieurs financiers de haut niveau.
Le travail de l’agence consisterait à définit les évaluations, les tests de situations extrêmes que devront
fournir les concepteurs de nouveaux produits pour en obtenir l’homologation. Le fardeau de la preuve
repose donc directement sur les concepteurs ; c’est à eux de démontrer quels sont les risques
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potentiels et d’en faire une divulgation adéquate avant de recevoir le droit d’offrir leur nouveau
produit aux acheteurs.
6. Mieux réglementer les ventes à découvert
La pratique de la vente d’actions à découvert7 a toujours suscité des controverses. Il faut bien
reconnaître un certain fondement à l’argument voulant que la vente à découvert contribue à
l’efficience des marchés en permettant aux investisseurs de signifier tangiblement leur désaccord avec
le prix auquel se transige un titre.
Cependant, la possibilité de vendre des titres que l’on ne possède pas devrait être soumise à
l’obligation d’emprunter ces titres et de les livrer dès la passation de l’ordre de vente. La vente à
découvert ne devrait être permise que lorsque le cours de l’action est supérieur à celui de la dernière
transaction.
Les ventes à découvert non couvertes, sauf dans certaines circonstances particulières (pour les
mainteneurs de marché par exemple), sont interdites mais leur surveillance est faible ou inexistante. Il
s’agit-là d’une question particulièrement sensible lorsqu’une société cotée en Bourse, ou encore
l’ensemble du marché, traverse une période de turbulence.
Les spéculateurs qui vendent à découvert sans emprunter les titres amplifient les pressions à la baisse
sur les cours boursiers d’une société et peuvent entraîner sa faillite.
Tout vendeur à découvert devrait déposer les actions qu’il souhaite vendre avant que le courtier ne
puisse procéder à la vente. Les sociétés devraient être informées du nom des personnes ou entités qui
vendent leurs titres à découvert, tout comme elles connaissent le nom des investisseurs détenant
leurs titres.
Il faut donc interdire les ventes à découvert non couvertes ou sans contrepartie (naked short selling); il
faut réintroduire la règle de fluctuation à la hausse du cours (uptick rule) là où ces règles ont été
relaxées; il faut exercer un contrôle sur les autres formes de ventes à découvert.
Le terme signifie : « vendre un titre que l’on a emprunté, croyant que le titre baissera en valeur et qu’on pourra le
racheter à bas prix, remettre au prêteur le titre emprunté et empocher le profit ».
7
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7. Revoir le degré d’autonomie dont jouissent les caisses de retraite pour investir dans les
placements alternatifs.
Bien qu’elles aient été longtemps obligées de se plier à un ensemble de règles limitant leur liberté
d’investir comme bon il leur semblait (rappelons-nous par exemple des limites imposées au
pourcentage de leurs portefeuilles investis en actions, aux placements à l’étranger et à
l’immobilier), les caisses de retraite ont été graduellement libérées de ces contraintes au cours de ces
dernières années. Les caisses de retraite sont ainsi devenues la source principale de capitaux pour les
fonds de couverture (hedge funds) et les fonds privés de placement (ou private equity funds, soit les
fonds qui œuvrent à la privatisation de sociétés cotées en bourse).
Ces fonds spéculatifs, qui portent une certaine responsabilité, directement ou indirectement, pour la
crise financière de 2007-2009, auraient eu une influence beaucoup plus restreinte sans le soutien des
caisses de retraite. À titre d’exemple, plus de 70% des fonds récoltés par Blackstone, un grand fonds
américain de couverture et de privatisation, proviennent de caisses de retraite ou de fondations.
Pour plusieurs raisons, dont notamment les dysfonctionnements dans la façon d’évaluer et de
comparer la performance des caisses de retraite tout comme les pressions subies par ces dernières afin
d’atteindre leurs objectifs de rendement, les caisses de retraite sont devenues des investisseurs
insatiables dans ces nouveaux fonds et des investisseurs de premier rang dans tous les nouveaux
produits financiers exotiques. Il serait opportun de lancer un débat sur la façon de réconcilier la quête
du rendement maximal et l’obligation sociale de minimiser les « dommages collatéraux » ainsi causés.
Les mesures que nous proposons ici pourront nous éviter une autre crise financière, bien que les
fiascos financiers se présentent rarement deux fois de façon identique. Cependant, des changements
encore plus fondamentaux devront être mis de l’avant pour rendre notre système économique et
industriel moins vulnérable aux prédations, abus et excès.
Il est vrai que des réglementations inadéquates et mal conçues peuvent faire plus de tort que de bien.
Cependant, la crise de 2007-2008 fut la pire qui soit survenue depuis celle des années 30. L’inaction
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n’est pas une option. La mise en place des recommandations de ce texte tombe sous le sens commun.
Ces recommandations toutefois ne constituent pas une panacée. Celles-ci ne vont pas renouveler le
capitalisme, nous libérer de l’emprise du capitalisme financier, du capitalisme de casino, devenu
dominant au cours des 20 dernières années. Il nous faut rétablir un capitalisme industriel qui repose
sur une gestion pour le long terme, sur la confiance mutuelle, la loyauté réciproque, le sens de
l’engagement dans l’entreprise et autour de celle-ci.
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CHAPITRE 4
LA TRANSFORMATION DES ENTREPRISES :
FINIE LA LOYAUTÉ, VIVE LES MARCHÉS !
Comment en sommes-nous arrivé à ce qu’un capitalisme financier remplace le capitalisme industriel?
Quels sont les causes profondes de cette évolution? Comment notre système économique est-il passé
d’un certain type d’entreprises, fait de relations de longue durée, de loyauté, d’engagement envers les
parties prenantes à un modèle d’entreprises entièrement asservies aux marchés financiers.
Le modèle (périmé?) de loyauté mutuelle et de parties prenantes
Selon un mode de fonctionnement qui a longtemps été la norme pour les grandes entreprises (et que
nous appelons le “modèle de loyauté mutuelle et de parties prenantes”), l’entreprise embauche son
personnel à la sortie des études secondaires ou collégiales, investit dans sa formation et le socialise à
ses valeurs et façons de faire (sa “culture”), lui fait acquérir une expérience des multiples facettes de
ses activités.
L’entreprise évalue soigneusement le rendement des employés et leur accorde des promotions selon
leur mérite. Leur rémunération est établie selon leur ancienneté et leur position hiérarchique, tout en
tenant compte du contexte économique général. Tous les dirigeants de l’entreprise sont sortis de ses
rangs. L’entreprise offre une certaine sécurité de l’emploi, parfois s’étendant à tous les employés et ce,
jusqu’à l’âge de la retraite.
Les marchés financiers ont alors peu d’influence sur les décisions de la société dont la gouvernance est
assumée par un conseil d’administration constitué majoritairement de membres de la direction et de
personnes affiliées a l’entreprise.
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Ce modèle, naguère, la norme en Amérique du Nord, offrait une grande sécurité d’emploi et des
perspectives de promotion jusqu’au plus haut niveau de la société, selon le talent et les compétences
de chacun. En échange, la personne était profondément engagée envers l’entreprise; elle se sentait
étroitement associée aux succès et aux déboires de celle-ci.
En misant sur une relation durable, sur une loyauté réciproque, et en investissant dans la formation et
le développement de son personnel, l’entreprise accumulait graduellement une somme considérable
d’habiletés, de connaissances tacites et d’apprentissages transmissibles qui constituaient de précieux
actifs intangibles, appartenant en propre à l’entreprise. Ces actifs étaient source d’avantages
concurrentiels durables parce qu’ils ne pouvaient être ni achetés ni facilement imités par les
concurrents. En effet, ces actifs résident dans les cerveaux d’un personnel essentiellement inamovible.
Les dirigeants toujours sortis du rang jouissaient d’une grande crédibilité et d’une grande légitimité
auprès du personnel. Selon ce modèle, les cadres et les dirigeants sont peu connus à l’extérieur des
frontières de leur entreprise.
L’entreprise investit des sommes importantes dans des programmes de formation pour élargir la base
de connaissances des membres de son personnel et la mobilité de ces derniers entre les fonctions.
Ainsi, elle s’assure d’une abondance de ressources capables de répondre à ses besoins.
Le principal moteur de la motivation réside dans la conviction partagée par tous les membres du
personnel que leur entreprise est vulnérable à des phénomènes comme la concurrence et les humeurs
des acheteurs, et que leur destin et celui de leur entreprise sont intimement liés. Évidemment, dans un
tel contexte, la déconfiture de leur entreprise aurait des conséquences extrêmement pénibles pour
tout le personnel, du point de vue tant économique que social. Ce sentiment d’être tous «dans le
même bateau » se traduit par une motivation intrinsèque au haut rendement ainsi que par une
volonté des pairs de contrôler et de punir les comportements opportunistes ou de tire-au-flanc (freerider) chez leurs collègues de travail.
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Le système de valeurs et toute la culture de l’organisation sont alors profondément influencés par
cette contingence fondamentale qu’est la nécessité collective de faire face aux sources de
vulnérabilité qui pèsent sur le destin de l’organisation. Lorsque cette vulnérabilité provient du marché,
de la concurrence et des clients, tout le personnel est facilement mobilisé pour mieux servir le client et
mieux répondre aux attentes du marché.
La rémunération totale des dirigeants ne varie que faiblement selon la performance économique de
l’entreprise et maintient un rapport raisonnable aux rémunérations moyennes payées aux autres
employés de l’entreprise (25 fois au cours de années 1970, 50 fois au cours des années 1980). Cette
pratique stimule et protège un précieux sens d’équité au sein de la société, le sentiment d’être tous
dans le même bateau.
Les dirigeants mettent l’accent sur relèvement des compétences du personnel et sur les
investissements à long terme pour les développements de technologies et de nouveaux produits. Le
rendement à court terme pour les actionnaires n’est qu’une préoccupation parmi tant d’autres. Ceux-ci
ont droit à un dividende qui augmente au gré des succès de l’entreprise ou en raison de l’inflation.
A cette époque, les entreprises se financent en bonne partie par le réinvestissement de leurs profits.
Les dirigeants souscrivent au concept de stakeholders, ou « parties prenantes », c’est-à-dire qu’ils se
donnent la responsabilité de conserver dans leur gestion un sain équilibre entre les intérêts du
personnel, des actionnaires, des clients et de la société en général. Les marchés financiers, et les
actionnaires en particulier, exercent peu d’influence sur les décisions de la grande entreprise.
Le « modèle de loyauté mutuelle et de parties prenantes » émergea de la séparation graduelle de la
propriété et du management, phénomène qui débute au cours des années 1930, mais prend toute sa
force au cours des années 1950 à 1970.
Plusieurs auteurs ont noté le phénomène et en ont décrit le fonctionnement:
–
Berle et Means (1932), Barnard (1938)
–
Whyte (1956)
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–
Sloan (1963)
–
Galbraith (1967)
–
Drucker (1946, 1954, 1972)
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La grande entreprise devient à cette époque une méritocratie institutionnelle. Ce mode de gestion est
parfois décrit comme un « capitalisme de gestionnaires » (Managerial Capitalism)
Dans les meilleures circonstances, cet arrangement industriel a produit d’excellentes entreprises: par
exemple la société IBM de 1960 à 1985, qui offre de bons produits, d’excellentes conditions d’emploi
et un fort rendement aux actionnaires. De grandes institutions ont été construites sur ce modèle de
gestion : Dupont, GE, GM et tant d’autres aux États-Unis ; Bell Canada, Alcan, les banques à charte
canadiennes, Canadien Pacifique et tant d’autres au Canada.
Malgré ses attraits réels, la description idyllique de ce modèle de gestion pouvait cependant cacher des
problèmes sérieux à l’usage. Il comportait des risques de bureaucratisation, d’inflexibilité, de prise de
décision dans l’intérêt premier des dirigeants, et ainsi de suite. Les freins à la mobilité du personnel
entre grandes firmes et la sécurité d’emploi à vie pouvaient faire en sorte que la personne se sente
prisonnière dans une entreprise où, bien que traitée correctement d’un point de vue économique, elle
y soit psychologiquement malheureuse, sans voie de sortie qui ne soit économiquement douloureuse.
Cette période et ce type d’entreprise ont donné prise aux concepts de man in the grey flannel suit
(Wilson, 1955), d’organization man (Whyte, 1956) et de technostructure (Galbraith, 1967), symboles
de conformisme et de grisaille anonyme.
De même, la préoccupation des directions d’entreprises envers les multiples parties prenantes est
apparue aux yeux de certains observateurs comme un subterfuge des hauts dirigeants des entreprises
pour se donner ainsi toute liberté de dépenser et d’investir dans des projets qui augmentaient leur
prestige ainsi que leur pouvoir, plutôt que de favoriser la performance économique de l’entreprise et
la richesse des actionnaires.
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Un changement de contexte
Pour un ensemble de raisons, cette combinaison de loyauté réciproque et de responsabilité envers les
« parties prenantes », s’effrite graduellement depuis le début des années 1980. Les grandes
entreprises américaines, les unes après les autres, ont répudié ce contrat psychologique, social et
économique entre l’entreprise, son personnel, ses actionnaires et tous les autres commettants. Les «
clauses » essentielles de ce contrat, l’équilibre des intérêts, la pérennité d’emploi, les promotions
exclusivement internes et la très faible mobilité du personnel d’une entreprise vers une autre ont subi
l’assaut de nouvelles réalités économiques et sociales.
Quelques textes académiques, parus au cours des années 1970, ont eu une influence considérable sur
la suite des événements. Jensen et Meckling (1974) et autres proposaient que l’actionnaire, preneur de
risques ultime, reprenne son rôle de mandant et exige que ses mandataires (les conseils
d’administration et les dirigeants) place ses intérêts au premier rang et que la maximisation de la
valeur pour les actionnaires devienne l’objectif premier pour les gestionnaires d’une entreprise.
Puisqu’ à l’ « évidence » (plutôt contestable), cela n’était pas le cas, les entreprises, selon cette agency
theory (théorie des mandats), ont spolié la valeur des actionnaires par une gestion molle des coûts,
une tendance aux dépenses somptuaires chez les membres de la direction ainsi que par des
investissements et des acquisitions sans justification économique.
Cette vision du monde des entreprises a suscité un branle-bas de combat chez les gestionnaires de
fonds d’investissement (caisses de retraite, fonds mutuels, etc.). Ceux-ci, alimentés par l’arrivée
massive d’argent à investir, détenaient collectivement, à compter de 1985-1990, plus de 50% des
actions des grandes entreprises (et en détiennent maintenant plus de 70%) et étaient eux-mêmes de
plus en plus soumis à des pressions de performance et rémunérés sur la base de leur rendement. Au
même temps, au cours des années 1990, cédant aux pressions exercées par les fonds institutionnels,
des personnes indépendantes de la direction deviennent majoritaires au sein des conseils
d’administration.
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Par ailleurs, au début des années 1980, de nouveaux acteurs ont fait leur apparition. Prétendant que le
système de gouvernance des grandes entreprises était profondément vicié et qu’il ne pourrait être
réformé par les exhortations des investisseurs institutionnels, ces acteurs, des firmes d’acquisition par
emprunt (leveraged buy-out ou LBO), ont alors mis en branle une véritable révolution en «privatisant »
des entreprises cotées en Bourse au moyen d’un endettement à la limite du tolérable (aidés en cela
par l’innovation de Milken, les obligations pourries ou junk bonds).
Ces nouveaux « propriétaires » ont éliminé les conseils d’administration traditionnels, n’ont donné
d’autre choix aux gestionnaires que de couper toutes les dépenses non essentielles pour servir et
repayer cette énorme dette, ont offert à ces gestionnaires des incitatifs financiers extrêmement
généreux, mais entièrement liés à leur réussite dans cette opération. Ce nouvel arrangement a produit,
en effet (du moins au début), des augmentations considérables de la valeur de l’entreprise après ce
traitement-choc.
Or, de toute évidence, ce traitement (la privatisation par endettement) ne pouvait être infligé à toutes
les entreprises publiques. Cependant, puisqu’une bonne part des succès de ces opérations de LBO
provenait des façons de récompenser les cadres et dirigeants, les investisseurs (et les dirigeants) ont
estimé que de nouvelles formes de rémunération devraient être adoptées par l’entreprise cotée en
Bourse. Par exemple, pourquoi ne pas augmenter spectaculairement la rémunération variable des
hauts dirigeants et la relier directement à la création de valeur pour les actionnaires (mesurée par le
prix de l’action)?
Ainsi motivés et mobilisés, les dirigeants prendraient toutes les mesures nécessaires, couperaient tous
les coûts et investiraient avec sagacité, ayant comme seul objectif de maximiser l’intérêt des
actionnaires. Un mouvement d’une grande force s’est alors mis en marche qui, en pratique, a éliminé
complètement le modèle «loyauté et parties prenantes” pour le remplacer par un « modèle
d’entreprise soumise à trois marchés »: le marché financier, le marché des biens et services, le marché
du « talent ».
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Tout un ensemble de phénomènes se sont trouvés rassemblés pour détruire le vieil ordre des choses
et établir un nouvel ordre où ces trois marchés distincts mais reliés entre eux imposent leurs règles et
leurs impératifs à la gestion et la stratégie des entreprises.
Depuis le début des années 1980, sous l’impulsion de Reagan-Thatcher, la déréglementation de
nombreuses industries, la privatisation des entreprises d’État et l’ouverture des marchés à la
concurrence internationale ont bouleversé plusieurs secteurs économiques, forçant des ajustements
pénibles et rapides pour éviter la déconfiture des entreprises dans ces secteurs. Les délocalisations des
opérations vers des pays à faibles salaires, les rationalisations d’effectifs, etc. sont rendues obligatoires
pour la survie de la société.
Au même temps, la pression des marchés financiers sur les dirigeants d’entreprises augmente; les
actionnaires impatients veulent des rendements rapides; la décennie 1980-1990 marque la fin du
modèle “parties prenantes” et son remplacement par le modèle « maximisation de la valeur aux
actionnaires ». Les fonds institutionnels sont les actionnaires majoritaires des grandes entreprises et
veulent être traités comme les propriétaires de l’entreprise.
Pour bien aligner les intérêts des dirigeants sur ceux des actionnaires, les dirigeants reçoivent des
rémunérations variables extrêmement généreuses à la condition de livrer un haut rendement aux
actionnaires; sinon, leurs jours sont comptés.
Des fonds de spéculation (hedge funds), qui font leur apparition au cours des années 1995-2000,
entourent les entreprises cotées en Bourse et les prennent d’assaut lorsque l’occasion de faire des
profits rapides se présente.
Or, les impératifs de flexibilité, de mobilité stratégique et de performance financière qu’imposent les
marchés de biens et services et les marchés financiers font en sorte que l’entreprise ne peut
s’accommoder des contraintes de l’ancien contrat social et économique avec son personnel,
comportant sécurité d’emploi et promotion exclusive à l’interne.
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Soumises aux pressions des marchés financiers, les entreprises doivent ajuster rapidement leurs
effectifs à la conjoncture économique. La dure récession de 1981-1982 a été un point tournant à cet
égard, alors que beaucoup d’entreprises ont répudié leur engagement de sécurité d’emploi envers
leurs cadres intermédiaires. Tous les cadres et les dirigeants ont alors compris que leur « sécurité
d’emploi » passait dorénavant par leur valeur sur le marché du « talent ». Cela a mené directement à
l’émergence des « vedettes » et des «étoiles » comme dans le sport professionnel. Toutefois, ces
vedettes étaient surtout remarquables par leur habilité à « créer de la valeur pour les actionnaires ».
Or, tous les ouvrages classiques sur la gestion des entreprises ne sont pertinents que dans le contexte
de l’ancien contrat social et économique, fait de durée, de sécurité et de loyauté réciproque. Cela vaut
également pour beaucoup d’ouvrages contemporains (voir, par exemple, Collins 2001, 2002), lesquels,
curieusement, semblent présumer un ordre économique et social pourtant clairement révolu. Ce serait
comme si un ouvrage publié en 2010 sur la gestion d’une équipe professionnelle de sport (par exemple
le hockey, le baseball ou le soccer) présumait que ces équipes peuvent encore être gérées sur le
modèle qui avait cours en 1960.
Vision économiste versus vision humaniste de la société
Sur le plan fondamental, philosophique presque, cette évolution, cette transition du «modèle de
loyauté mutuelle et de parties prenantes » au «modèle à trois marchés », témoigne d’une opposition
profonde entre deux conceptions de l’entreprise, de son rôle dans la société ainsi que de la forme de
relation appropriée entre les personnes et leur entreprise.
Une conception « économiste »
Selon un courant de pensée issu du domaine des sciences économiques, la relation entre la personne
et l’organisation est soumise aux contraintes, aux limites cognitives et aux calculs intéressés,
caractéristiques du fonctionnement des êtres humains en milieu social. Selon cette perspective, le défi
principal pour l’architecte et le dirigeant d’une organisation consiste à y établir les structures et les
systèmes de gestion qui permettront d’atteindre un haut niveau de performance, et ce, malgré les
limites cognitives et les propensions opportunistes des membres de l’organisation.
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La conception « économiste » de la relation entre la personne et l’organisation recouvre d’autres
courants théoriques, comme ceux postulant la concurrence permanente entre les individus, leur
profond besoin de puissance et de domination, la primauté de l’intérêt individuel sur le bien-être de
l’ensemble (Schelling, 1978), ou encore, la propension à tricher, à tirer profit gratuitement et de façon
calculée du travail et du mérite des autres (free-rider).
Le champ de la finance et de l’économie se préoccupe au plus haut point de la relation entre mandants
et mandataires ainsi que des coûts de mandat résultant de l’avantage d’information et d’expertise du
mandataire sur son mandant, tout comme des omportements du mandataire qui seraient contraires
aux intérêts du mandant (moral hazard) (Jensen et Meckling, 1976 ; Pratt et Zeckhauser, 1985 ; et
autres).
Enfin, selon une conception plus positive, mais tout aussi « économique » dans son essence même, les
membres de l’organisation, par leur talent, leur expérience et leur savoir-faire, constituent de
précieuses ressources stratégiques qu’il faut pleinement utiliser, protéger de la concurrence et
rémunérer selon les conditions d’un marché que l’entreprise souhaite aussi imparfait que possible
(Barney, 1991; Dierickx et Cool, 1987, 1989 ; Wernerfelt, 1984 ; et autres).
Cette conception des rôles et des comportements des personnes en milieu organisationnel, si sombre
ou froidement réaliste qu’elle puisse sembler, comporte néanmoins des enseignements précieux pour
la gestion d’organisations complexes. Il ne fait aucun doute que toute organisation contient les germes
en puissance des comportements décrits dans cette section.
Une conception « humaniste »
Les tenants d’une conception « humaniste » de l’organisation reprochent aux théoriciens de la
conception « économiste » de présenter leurs modèles comme des lois ou des données générales, de
faire le postulat qu’un certain système de valeurs foncièrement américain jouit d’une portée
universelle. Cette vision « économiste » essentiellement américaine serait donc insensible au fait que
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les cultures des différentes nations sont fort variables quant aux types de comportements qu’elles
encouragent et provoquent en milieu organisationnel.
La vision « économiste » de l’organisation ne serait pas une norme inéluctable. Elle serait le résultat de
l’échec ou de l’incompétence à façonner une organisation qui mobilise la capacité et la volonté
d’engagement, de solidarité, de coopération, de confiance et de loyauté que les personnes
manifestent dès que l’on sait créer une culture organisationnelle propre à stimuler ces
comportements.
Or, de toute évidence, certains présupposés « humanistes » en ce qui a trait à la relation entre la
personne et le système social auquel elle appartient ont contribué à la création de systèmes sociaux
oppressifs, dégénérés et profondément dysfonctionnels. L’échec monumental du socialisme a
d’ailleurs été causé par la foi absurde de cette doctrine en l’émergence éventuelle d’un « nouvel
homme » qui transcenderait et disciplinerait toutes ses pulsions opportunistes et ses calculs intéressés.
Par contre, certains chantres du marché et de l’« économisme » souffrent d’un réductionnisme moral
pernicieux. Ils semblent parfois oublier que les relations de marché et les comportements
économiques doivent être enchâssés dans un système de valeurs civiques, lesquelles établissent les
balises et les normes de l’activité économique. Adam Smith l’avait bien compris, lui qui est l’auteur
d’un ouvrage qui est tout aussi important que The Wealth of Nations, mais moins bien connu : The
Theory of Moral Sentiments (voir Muller, 1992).
Autant la conception « économiste » de l’organisation est formelle et réaliste, mais incomplète et
incapable de saisir toute la richesse et la complexité de la vie en organisation, autant la conception «
humaniste » est à maints égards anecdotique, utopique et anachronique, mais en même temps
sensible au caractère affectif, émotif, voire passionnel de la relation entre la personne et
l’organisation.
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Selon les époques et les sociétés, les entreprises oscillent entre l’une et l’autre conception. À notre
époque, le balancier s’est déplacé presque complètement vers la vision « économiste » de
l’organisation. Pourrait-il se déplacer de nouveau vers une conception « humaniste » ? Cela est
possible, mais nous en doutons fort pour les années à venir si on ne tire pas toutes les lecons de la
dernière crise financière.
L’entreprise moderne qui œuvre dans un contexte de marché exigeant un haut degré de flexibilité et
d’adaptation, et favorisant la mobilité professionnelle, doit trouver les arrangements qui définissent
pour son lieu et son époque les conditions d’une association satisfaisante et mutuellement rentable.
Le défi pour le chef de l’entreprise moderne est de réconcilier ces conceptions « économiste » et «
humaniste », de faire une synthèse des dimensions économiques et sociales, rationnelles et émotives
qui caractérisent la relation entre les personnes et leur organisation, tout en tenant compte du «
contexte » mobilité-vulnérabilité dans lequel son entreprise œuvre. Cela l’aidera à bien comprendre sa
marge de manœuvre.
Le défi de l’entreprise moderne
Comment l’entreprise peut-elle créer une valeur économique durable dans un contexte de fortes
pressions simultanées exercées sur elle par trois marchés distincts :
• le marché financier, impatient, impitoyable et demandant que les intérêts des actionnaires
soient servis les premiers;
• le marché des biens et services, déréglementé et ouvert à la concurrence internationale ;
• le marché pour un « talent » maintenant mobile et à la recherche de sa pleine valeur
économique où qu’elle se trouve ?
N’en doutons point, le dirigeant d’aujourd’hui et de demain devra trouver une réponse satisfaisante à
cette question dans le contexte de son entreprise. Ce nouveau contexte est maintenant une réalité
incontournable du fonctionnement de l’entreprise. Il nous semble toutefois que ce contexte, poussé à
son paroxysme dans les sociétés cotées en Bourse avec un actionnariat de gestionnaires de fonds
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impatients de rendement à court terme, mène, au mieux, à un cul de sac, au pire, aux crises
financières à répétition.
Nous le répétons, si la pression de la concurrence sur les marchés de biens et services contribue à
l’abaissement des prix au bénéfice des consommateurs, il faut laisser aux entreprises le temps et
l’espace pour s’ajuster et mettre en place les stratégies qui conviennent. Or, la pression pour des
rendements à court terme exercée par les marchés financiers s’avère, dans ces circonstances, néfaste
pour la santé et la survie des entreprises.
Le retour intégral au modèle de loyauté mutuelle et de parties prenantes, même si cela peut sembler
attrayant, n’est pas une option réaliste. La boîte de Pandore a été ouverte ; le dentifrice ne peut être
remis dans le tube ! Il importe, au contraire, de définir les conditions d’un nouveau contrat
économique et psychologique entre l’entreprise, ses dirigeants, son personnel et ses actionnaires.
Nous en proposons une ébauche dans les prochains chapitres. A notre avis, cette réforme ne pourra
réussir sans un changement fondamental dans les formes de propriété des entreprises ainsi que dans
les modes de rémunération des dirigeants.
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CHAPITRE 5
LES CAUSES PROFONDES DES CRISES FINANCIÈRES
Les causes rapprochées du dernier fiasco financier sont maintenant assez bien connues. Ce qui ne
signifie pas, loin de là, que les mesures pour en éviter la répétition seront mises en place.
Aux États-Unis et ailleurs, les autorités politiques flairant le vent démocratique ajouteront un soupçon
de réglementation, une pincée de contrôle au fonctionnement des marchés financiers. Toutefois, tout
ce train de propositions de réformes ne vise pas les problèmes de fond qui ont produit cette crise
financière ainsi que les fiascos antérieurs.
Pour comprendre de quoi il retourne, il faut jeter un regard au-delà de la crise récente, se poser la
question : Qu’y a-t-il de commun à toutes ces crises ? Presque chaque fois, elles prennent leur envol
aux États-Unis et font leurs pires ravages dans des entreprises typiques du système américain :

cotées en bourse, sans actionnaire de contrôle;

« propriété » de centaines de fonds aux objectifs à court terme et d’actionnaires
transitoires; l’augmentation continue du bénéfice par action devient un impératif, le
moteur de la plus-value du titre;

fidèles à la plus orthodoxe gouvernance avec des conseils peuplés très majoritairement de
membres indépendants;

gérés par des dirigeants mobiles, hautement rémunérés, surtout par des options sur le
titre, pour travailler exclusivement pour ces « propriétaires »;

encerclés par des fonds spéculatifs qui surveillent l’entreprise pour frapper à la moindre
défaillance, à la moindre occasion d’en tirer un profit rapide.
Les désastres financiers à répétition, la cupidité rampante, la gestion à courte vue des
entreprises décrits dans ce texte prennent racines dans le modèle d’entreprise associé
depuis les trente dernières années au capitalisme dit « anglo-saxon ».
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Ces sociétés « modèles » sont des cibles faciles, ou des agneaux sacrificiels sur l’autel des marchés
financiers et des opérateurs et spéculateurs de tout acabit. Les fonds spéculatifs vendent à découvert
leurs actions et leurs dettes et sèment le doute sur l’état de santé de la société ; ou, encore, ils
achètent leurs actions ainsi que des produits dérivés sur le titre et font pression sur les conseils
d’administration ou la direction pour que la société adopte des mesures de courte portée visant à
pousser le prix du titre à la hausse.
Cette agitation boursière a grandement réduit la période de détention moyenne des actions. Aux ÉtatsUnis, cette période est passée de sept ans en moyenne au cours des années 1960, à deux ans en 1992
et à sept mois en 2006. Le Canada n’échappe pas à ce phénomène comme le montre le tableau
suivant.
Période de détention moyenne des actions
Entreprises canadiennes
Période de
détention moyenne
Bombardier (classe B)
12 mois
Banque Nationale
16 mois
Groupe CGI (classe A)
10 mois
Groupe Jean Coutu (classe A)
18 mois
Alimentation Couche-Tard (classe B)
13 mois
Alcan (avant l’offre d’achat)
6 mois
Source: Allaire, Y. et M. Firsirotu. « À qui appartient l’entreprise? ». Revue Forces, Juin 2007.
Sous la pression d’investisseurs institutionnels impatients et les attaques (réelles ou potentielles) de
vendeurs à découvert et de fonds dits de couverture, la direction des sociétés, bien rémunérée au
demeurant pour offrir peu de réticence, ne gère plus qu’à court terme et se consacre entièrement à
des mesures visant à soutenir la croissance des bénéfices par action et du cours boursier. Incertains au
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sujet des leur propre avenir dans ce nouveau monde, les dirigeants des sociétés demandent et
reçoivent prestement d’importantes rémunérations pour leur participation à ces mesures de « création
de valeur pour les actionnaires ».
Ce modèle de détention de la propriété des entreprises a produit les fiascos répétés des vingt
dernières années. Cette espèce de sociétés ne doit pas constituer la norme, mais l’exception. Les pays
qui prospéreront seront ceux où ce modèle sera peu répandu ou s’estompera peu à peu. Certains
observateurs perspicaces de ce système ont relevé le rôle pernicieux joué par cette forme de propriété
des entreprises. Henry Blodget, le controversé et notoire analyste de la bulle technologique, a observé
de près ces phénomènes. Il écrit :
Il est facile de rendre responsable les PDG et les conseils d’administration de l’écroulement de Wall
Street ; car, en effet, une bonne part du blâme leur revient. Mais une part du blâme revient aussi aux
actionnaires et au modèle même d’entreprise faisant appel à l’épargne publique. (Atlantic Magazine,
Décembre 2008).
Ce n’est pas un hasard si les sereins dans la mine de charbon que furent les Bear Stearns et Lehman
Brothers s’étaient transformés, le premier en 1997 et le deuxième en 1994, de sociétés de
professionnels qu’elles étaient depuis leur origine en entreprises cotées en bourse. Les deux ont
disparu; les autres banques d’affaires, qui s’étaient également transformées en entreprises cotées en
bourse, furent sauvées de justesse (Morgan Stanley, Goldman Sachs) par leurs amis à Washington.
Il ne fait pas de doute que si ces banques d’affaires avaient conservé la forme de sociétés de
professionnels, les partenaires, avec leur fortune personnelle en jeu, n’auraient jamais permis que l’on
prenne des risques pouvant mener à la déconfiture de leur société.
L’entreprise du modèle américain est soumise à la logique implacable des marchés financiers : Assurer
une croissance soutenue du bénéfice par actions afin de faire augmenter le prix de l’action.
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Des sociétés comme Countrywide Financial, Washington Mutual, New Century, Ameriquest se
spécialisaient dans le prêt hypothécaire « subprime » pour emprunteurs financièrement fragiles. Ces
prêts étaient regroupés puis vendu par les banques d’affaires à des investisseurs de par le monde.
Étant des entreprises cotées en bourse, ces sociétés devaient obtempérer à l’impératif d’une
augmentation continue du bénéfice par action. Décevoir les marchés financiers à cet égard mène à une
chute de la valeur du titre, pénible occurrence pour les actionnaires…et les dirigeants bardés d’options,
pouvant même mener à leur limogeage éventuel.
Or, puisque les profits de ces entreprises proviennent essentiellement des honoraires reçus pour leurs
services et des profits sur la revente des hypothèques, comment peuvent-elles faire croître leurs
profits de trimestre en trimestre ? En augmentant le volume de prêts consentis d’un trimestre à l’autre
même si pour y arriver, il leur faut relâcher les contraintes et les normes de crédit les plus
élémentaires. À la limite, on en arrive à ce cas célèbre, possiblement apocryphe, du travailleur agricole
mexicain qui ne parle pas anglais, qui gagne quelque $14 000 par année et dont on finance le montant
total de $725 000 pour l’achat d’une maison en Californie.
Le tableau ci-après montre bien que tous les acteurs de la dernière crise, à l’exception des fonds de
couverture, des caisses de retraite et de S&P, sont des entreprises cotées en bourse, soumises aux
impératifs des marchés financiers.
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Fragments…
Les joueurs au coeur de la récente crise financière
Sub-Prime
Originators
Lending
« Banks »
Investment
Banks
80
Countrywide
Financial
HSBC
Washington
Mutual
Wells Fargo
Home
Mortgage
First Franklin
Financial
New Century
Financial
Etc.
Bank of
America
Citigroup
Wachovia
Merrill Lynch
Fannie Mae
Freddie Mac
Lehman
Brothers
Bear Stearns
Morgan
Stanley
Merrill Lynch
Goldman
Sachs
Sellers of
Credit Default
Swamp
AIG
MBIA
Ambac
FGI
Hedge Funds
Tous, sauf les hedge funds, S&P et
les caisses de retraite, sont des
entreprises cotées en bourse, sans
actionnaires significatifs!
Investors in
Sub-Prime,
CDO, MBS
and others
Investments
Banks
European
Banks
American
Banks
Hedge Funds
Pension
Funds
Credit rating
agencies
(Moody’s,
Standard &
Poors)
Les sociétés, asservies aux marchés financiers et faisant face à une concurrence féroce pour leurs biens
et services, sont prêtes à recourir à tous les moyens stratégiques, tactiques ou financiers afin
d’atteindre les rendements attendus par leurs actionnaires. Elles sous-traitent et délocalisent leurs
opérations, réorganisent (« re-engineer ») leurs processus d’affaires. Elles étirent au maximum
l’interprétation des règles comptables, adoptent tous les trucs financiers pour enjoliver leurs bilans et
leurs résultats, rachètent leurs propres actions et augmentent leur ratio d’endettement. Elles
procèdent à des acquisitions de concurrents ou fusionnent avec ceux-ci.
Elles concentrent leurs activités sur des secteurs moins soumis à la concurrence internationale. Elles
font pression sur les gouvernements afin qu’ils assouplissent les exigences en matière de conditions de
travail pour leurs employés.
La haute direction est récompensée fastueusement, ou punie sévèrement, selon qu’elle a réussi, ou
non, à composer avec toutes ces contingences. Soumis à cette méthode du bâton et de la carotte, les
dirigeants deviennent des mercenaires et adoptent de plus en plus une approche à court terme.
Les employés, ceux qui produisent et vendent les biens et services de l’entreprise, deviennent de
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© Tirée et adaptée du livre : Black Markets and Business Blues
Par Yvan Allaire et Mihaela Firsirotu
Plaidoyer pour un nouveau capitalisme
Yvan Allaire et Mihaela Firsirotu
véritables tampons devant absorber tous les coûts et les incertitudes des mesures prises par une haute
direction qui est bien payée pour être au service exclusif des actionnaires. Un sentiment d’injustice et
d’iniquité s’installe au sein de l’organisation, en mine le sens de solidarité et de loyauté. Un dangereux
clivage se creuse entre les membres de la haute direction et les autres employés de la société.
Cette frénésie financière, et ses conséquences, est bien captée par la figure suivante montrant la part
des profits totaux des entreprises américaines qui proviennent respectivement des firmes du secteur
financier et des firmes du secteur manufacturier. Cette évolution trace un portrait éloquent de
l’évolution de nos structures industrielles.
La part des profits du secteur financier reste inférieur à 20% jusqu’à la fin des années 1980, puis bondit
pour atteindre quelque 45% en 2004. Le secteur manufacturier, qui représentait près de 60% des
profits totaux au cours des années 1950, en arrive à ne plus représenter que 5% en 2004 !
Part respective des profits de l’industrie financière et de
l’industyrie manufacturière (É.U. 1950-2004)
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Par Yvan Allaire et Mihaela Firsirotu
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Yvan Allaire et Mihaela Firsirotu
C’est ainsi que les sociétés, graduellement puis brutalement, sont devenues un lieu de montages
financiers, une vaste Bourse d’échanges financiers, dont la fabrication de vrais produits a été en grande
partie évacuée.
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CHAPITRE 6
LA LOGIQUE DES MARCHÉS FINANCIERS
Tout au long des trente dernières années, les marchés financiers ont pris un ascendant pernicieux sur
le fonctionnement des sociétés par actions cotées en bourse. Au fur et à mesure 1. que les fonds de
placement de toute nature en sont devenus les actionnaires « majoritaires », 2. que les conseils
d’administration furent peuplés en grande majorité, comme le veut l’orthodoxie de la gouvernance,
par des membres indépendants, 3. que les dirigeants furent richement rémunérés, en grande partie
par des options sur le titre de l’entreprise, alors les marchés boursiers et financiers devinrent la partie
prenante dominante, parfois la seule qui compte.
Dans la suite de ces phénomènes, sont apparus des opérateurs financiers, comme les fonds de
privatisation et les fonds de couverture; ceux-ci ont compris le lucratif potentiel de ces nouvelles
circonstances et ont vigoureusement œuvré pour façonner un contexte réflementaire qui leur soit
favorable. L’entreprise cotée en bourses, sans actionnaire de contrôle, devint un vassal des marchés
financiers.
Ainsi, à titre d’exemple, que veulent donc ces fonds de couverture qui se donnent le rôle d’actionnaires
activistes pour exercer des pressions sur les dirigeants d’entreprises ciblées? Voici ce que démontrent
les recherches (Bratton, 2006 / Brav et al., 2007) à ce sujet :
Vendre ou privatiser la société (dans 33% à 36% des cas)
Vendre des parties de la société (dans 18% à 32% des cas)
Utiliser la trésorerie pour verser des dividends spéciaux ou pour racheter les actions
de a société (dans 20% à 36% des cas)
Changer la gouvernance, la direction ou la stratégie de la société (dans 30% à 45% des
cas)
Adopter une stratégie de croissance (dans 1% à 2% des cas)
Toutes ces “demandes”, sauf la dernière, ont pour objet de faire grimper rapidement,
mais provisoirement, le prix du titre.
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Par Yvan Allaire et Mihaela Firsirotu
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Les marchés financiers en sont venus à imposer leur logique du court terme, de croissance trimestrielle
du bénéfice par action au même temps que les entreprises font face à une concurrence féroce sur les
marchés pour leurs biens et services. Cette combinaison de pressions est néfaste pour la santé et la
survie des entreprises.
Nous avons souligné plus haut comment cette dynamique a joué un rôle critique dans la déconfiture
financière de 2007-2009. Il nous faut insister sur ce point et en illustrer plus concrètement comment
cette logique se manifeste dans l’univers inversé des marchés financiers « modernes ».
Nous le ferons en invoquant trois exemples de sociétés par actions qui ne sont pas des institutions
financières mais qui partagent une certaine circonstance : d’abord, les sociétés canadiennes
Falconbridge et Inco dont le sort fut décidé par les fonds de couverture américains; France Télécom,
une société d’État privatisée (partiellement) par l’État français; enfin la société américaine (Aetna) qui
œuvre dans un marché, celui de la vente d’assurances-maladie, qui n’existe pas ou prou dans les pays
ayant mis en place des régimes universels de soins de santé; Les phénomènes qui s’y manifestent et
que nous décrirons brièvement se trouvent décuplés dans les firmes du secteur financier.
Le destin de Falconbridge et d’Inco
Imaginons la scène… Début de l’été 2006, une salle de réunion dans un grand hôtel de New York, une
quarantaine de personnes réunies pour écouter des dirigeants d’entreprises canadiennes plaider leur
cause. Le sort de leurs entreprises est entre les mains de cette quarantaine d’« actionnaires », tous des
gestionnaires de fonds de couverture (hedge funds).
Au podium, des dirigeants canadiens des societies Falconbridge et Inco tentent de convaincre
l’auditoire des avantages d’une fusion de leurs entreprises afin de créer ainsi un joueur de stature
mondiale dans leur industrie. Ces « actionnaires », qui, pour la plupart, ne détenaient pas une seule
action dans ces entreprises trois mois plus tôt, ont maintenant le pouvoir ultime de décision.
C’est un « non » sans appel. Falconbridge deviendra la propriété d’un conglomérat anglo-suisse et Inco
sera absorbé par une société brésilienne!
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Par Yvan Allaire et Mihaela Firsirotu
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Ces gestionnaires de fonds de couverture américains ont fait une bonne affaire. Mais est-ce qu’une
bonne affaire pour eux l’est aussi pour l’ensemble de la société canadienne ou pour les entreprises en
jeu ? Rien n’est moins certain.
Profit à court terme
Pourquoi ces fonds de couverture ont-ils rejeté sans appel la proposition de fusion mise de l’avant par
les deux entreprises? Pour une raison bien simple : pour la fusion proposée, les actionnaires de ces
deux entreprises recevraient en échange des actions de la nouvelle société dont le projet de fusion
produirait des bénéfices sur une longue durée. Une telle proposition est sans intérêt pour ces «
investisseurs », puisque toute leur rémunération, astronomique, est fondée sur des rendements
rapides réalisés en espèces sonnantes.
Soyons concrets. Dès les premiers signes d’une possible fusion entre Inco et Falconbridge au début de
mai 2006, les fonds de couverture amassent un grand nombre d’actions de l’une et l’autre entreprise,
selon des méthodes qui minimisent l’effet sur le prix de ces titres (produits dérivés, etc.). Pour
maximiser leur rendement et leur rémunération, il faut que les deux entreprises soient mises à l’encan
et vendues rapidement à l’acheteur qui offre de payer le meilleur prix comptant.
Rémunération des gestionnaires de fonds
Sur la base des informations fragmentaires rendues publiques, calculons les rémunérations des
gestionnaires des fonds de couverture qui ont participé à l’opération Falconbridge-Inco.
Achat, collectivement, de 40 % des actions de Falconbridge à des prix variant entre 45 $
et 55$. La mise de fonds est de 7,5 millards de dollars.
Vente, le 15 août, de ces actions à 62,30 $. Les recettes sont de 9,4 milliards de dollars,
le profit de 1,9 milliards de dollars et le rendement de 25% en trois mois.
La rémunération des gestionnaires de ces fonds est habituellement de 20% à 30% des
profits réalisés. Ces quarante gestionnaires se partageront donc entre 380 $ et 570 $
millions pour avoir mené cette opération.
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Mieux encore, on estime que ces mêmes fonds ont aussi accumulé près de 50% des actions d’Inco.
Selon la même base de calcul et supposant que la transaction avec la société brésilienne est conclue au
prix offert, ces mêmes gestionnaires recevront à ce seul titre entre 500 $ et 700 $ millions de
rémunération en espèces.
Pour trois mois de dur labeur, pour le risque pris avec l’argent des autres et pour avoir réussi à mettre
aux enchères deux entreprises dont l’intention première était de se fusionner, quelque quarante
gestionnaires de fonds de couverture recevront en argent sonnant et rutilant, entre 900 millions et 1,3
milliards de dollars.
C’est en menant de telles opérations que l’on se retrouve dans la liste des 25 gestionnaires de fonds les
mieux payés, dont la rémunération personnelle en 2007 a varié entre 360 millions et 3,5 milliards de
dollars.
Il est grand temps de repenser certaines de nos pratiques en ce domaine. Elles ont été conçues à une
autre époque, pour d’autres mœurs et coutumes de placement. Elles servent maintenant à conférer un
vaste pouvoir économique à des intervenants qui n’ont aucun compte à rendre, sauf a leurs
investisseurs. Leurs agissements non seulement incitent-ils à une gestion à court terme des entreprises
mais encore peuvent changer et façonner toute la structure industrielle d’un pays.
Privatiser France Télécom
D’une société d’État, France Télécom devient en 1997 une firme cotée en Bourse avec 21% seulement
des actions détenues par des actionnaires privés. Graduellement au fil des années, la part de l’État
français se rétrécit pour finalement devenir minoritaire en 2004. L’État français détient maintenant
26,65% du capital. France Télécom devient également cotée (sous forme d’ADR) en Bourse de New
York. Toutefois les deux tiers des 102,000 employés de FT ont le statut de fonctionnaires et donc ne
peuvent être renvoyés.
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La société France Télécom émet pour $2,5 milliards de dettes obligataires en automne 2008. Le
prospectus cite parmi les risques qu’elle encoure:
« Si France Télécom était incapable de réduire ses coûts, ses marges de rentabilité, sa position
financière et ses résultats seraient affectés négativement »
Les marchés boursiers et obligataires attendent donc de la direction un vigoureux programme de
coupes d’effectifs. En conséquence, le conseil d’administration de France Télécom a mis en place un
système de bonus semi-annuel pour le PDG et autres dirigeants : leur bonus est lié à la croissance des
revenus sur une base comparative ainsi que sur un indicateur de croissance organique de la trésorerie.
En clair, la haute direction sera récompensée si elle trouve les moyens de réduire les coûts malgré les
engagements de la société envers la sécurité d’emploi du personnel.
Les marchés boursiers sont en attente des résultats de ces efforts de la direction, comme le montre la
figure ci-dessous.
Évolution du titre de France Télécom depuis son entrée en Bourse
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Comment faire pour satisfaire aux attentes des marchés financiers, pour réduire les coûts dans un
contexte de personnel fonctionnarisé ? Il faut mettre en place des programmes qui rendront les
conditions de travail si éprouvantes que plusieurs quitteront l’entreprise de leur gré : par exemple, des
rétrogradations humiliantes ; des réaffectations demandant une relocalisation perturbante pour les
ménages à double travailleur; l’affichage des performances individualisées comparées, etc.
Depuis 24 mois (jusqu’en novembre 2009), 32 employés se sont suicidés, donnant souvent comme
raison dans leur dernier écrit les conditions de travail chez France Télécom : les pressions constantes,
les changements d’affectation, les déplacements géographiques, les réductions de responsabilité, etc.
visant à provoquer des départs « volontaires ». Voici ce qu’écrit un employé de Marseille avant de se
suicider :
Je me suicide à cause de mon travail à France Télécom. C’est la seule cause. Urgence permanente,
surcharge de travail, absence de formation, désorganisation totale de l’entreprise. Management par la
terreur !
Cela m’a totalement désorganisé et perturbé. Je suis devenu une épave, il vaut mieux en finir. (...)
J’insiste là-dessus, c’est bien le travail qui a provoqué ça et donc c’est France Télécom qui est
responsable de mon suicide.
(Le souligné est de l’auteur de cette note)
Le 20 octobre 2009, le vice-président exécutif de la société, que les syndicats considèrent comme le
maître d’œuvre de ces mesures, est contraint de démissionner ; les restructurations et autres mesures
sont suspendues jusqu’à nouvel ordre. Pourtant, les dirigeants de France Télécom ne faisaient que leur
boulot : faire en sorte de satisfaire aux attentes de leur principale partie prenante, les marchés
financiers !
Gérer les soins de santé au privé : la société Aetna
La société américaine Aetna dont l’activité principale consiste à vendre de l’assurance pour couvrir les
frais médicaux doit composer en 2009 avec l’idée saugrenue du nouveau président américain de
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mener une réforme du système de santé américain.
La figure suivante montre l’évolution du titre de cette entreprise en 2008 au fur et à mesure que les
perspectives d’une victoire démocrate et, par conséquent, d’une réforme du système de santé
s’affermissent. De son sommet en janvier 2008, le titre a perdu les deux tiers de sa valeur au moment
de l’élection de Barack Obama à la présidence des États-Unis en novembre 2008. La remontée
modeste du titre après l’élection de novembre 2008 témoigne du sentiment que la crise financière et
la récession économique devraient reléguer au deuxième plan, sinon aux oubliettes, les projets de
réforme du système de santé américain.
Aetna : Performance du titre au cours des deux
dernières années
Or, en février 2009, le président Obama annonce son intention de pousser le Congrès à adopter une
réforme fondamentale du système de santé avant la fin de l’été. Le titre d’Aetna (et de toutes les
entreprises de cette industrie) chute de nouveau et revient au nadir atteint en novembre 2008.
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© Tirée et adaptée du livre : Black Markets and Business Blues
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Yvan Allaire et Mihaela Firsirotu
Puis, le projet de réforme s’enlise; l’opposition est farouche, bien organisée et bien financée. Les
marchés financiers en viennent à estimer que toute réforme éventuellement adoptée n’aura pas les
effets négatifs appréhendés au départ.
Les enjeux sont importants, non seulement pour les investisseurs mais également et surtout pour les
dirigeants dont toute la fortune est enjeu. Le tableau ci-après montre l’impact des fluctuations de la
valeur du titre sur la valeur boursière de l’entreprise et sur la valeur des options du PDG.
Alors que le PDG, M. Williams, âgé de 59 ans, jouissait, sur papier, d’une fortune de $250 millions en
janvier 2008, il en était réduit à un maigre $32 millions en novembre 2008.Que doit-il faire, qu’est-il
prêt a faire pour que le titre d’Aetna revienne aux valeurs de janvier 2008?
Aetna
(propriété: 525 fonds détiennent 91% des actions)
Impact du prix du titre
Prix du
titre
($ US)
Valeur boursière
Valeur des
options du
PDG*
Janvier 2008
60 $
24 milliards $
250 millions $
Nov. 2008
20 $
8 milliard $
32,5 millions $
Sept. 2009
28,50 $
11,4 milliards $
69,9 millions $
* Ronald Williams, 59 ans
33
Pour établir la rémunération variable des dirigeants, le conseil d’administration d’Aetna, exemplaire en
cela, a lié celle-ci à des mesures précises et quantitatives de performance. Ce sont justement celles que
les marchés financiers suivent et scrutent pour décider de la valeur du titre. Les investisseurs sont
heureux de ce programme de rémunération variable qui les assure que la direction ne travaillera que
pour la création de valeur à court terme pour eux. Les gardes-chiourme de la gouvernance en félicitent
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Par Yvan Allaire et Mihaela Firsirotu
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le conseil d’administration.
Le tableau suivant reproduit le document officiel du programme de rémunération variable de la société
Aetna.
AETNA:
Programme de rémunération variable des dirigeants
Quelles sont ces variables critiques qui vont mobiliser tous les efforts de la direction :
1. Le rendement aux actionnaires au cours de la dernière année.
2. La croissance annuelle du bénéfice par actions.
3. La réduction du « medical benefit ratio ». En clair, cette mesure révèle le pourcentage des
primes reçues qui a été versé pour rembourser les frais médicaux des clients; plus ce ratio
diminue, plus les marchés financiers sont heureux; toute hausse de ce ratio d’un trimestre
à l’autre fera baisser le prix du titre. La meilleure façon d’améliorer ce ratio est de refuser
d’assurer ceux qui souffrent de maladies chroniques coûteuses, d’augmenter les primes
jusqu'à la limite de la capacité de payer des individus et des entreprises, de choisir avec
soin ceux que l’on voudra assurer, de refuser toute couverture pour les maladies
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Yvan Allaire et Mihaela Firsirotu
préalables, etc.
Non seulement la direction d’Aetna doit-elle bien faire mais elle doit, pour se mériter de hautes
rémunérations variables, faire mieux que les autres entreprises du domaine! Placez-vous dans les
souliers de M. William et ses collègues de la direction. Nous sommes des gens ambitieux, âpres au
gain. Nous ne sommes pas des Bénédictins. Le quantum de notre rémunération représente le score de
la partie, une mesure de notre réussite.
Quelles mesures et plans d’action devrions-nous mettre en place pour atteindre la performance qui
nous donnera droit à de riches bonus et qui augmentera la valeur de nos options ? Comment
comprimer le « medical benefit ratio » plus que nos concurrents; comment produire une croissance
continue, trimestre après trimestre, du bénéfice par action? Comment contribuer à orienter les
velléités de réforme du Président Obama et du Congrès américain dans une direction conforme à nos
intérêts ?
Quelle que soit la valeur putative de laisser aux marchés privés la dispensation des services d’assurance
santé, les marchés financiers à notre époque y imposent une logique implacable souvent contraire à
l’intérêt public. Est-ce ainsi que les sociétés veulent vivre, soumises aux impératifs des marchés
financiers ?
Il n’est pas notre propos dans ce texte d’établir s’il est judicieux ou non de soumettre aux lois du
marché telle ou telle activité qui dans d’autres pays relève strictement du domaine public. Notre
argument se limite à ceci : dans l’univers économique contemporain, lorsque l’on fait le choix de
« privatiser » une entreprise, un bien ou un service, ce ne sont pas les lois du marché de biens et
services qui vont donner le ton à sa gestion mais la logique des marchés financiers qui imposera sa loi.
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Par Yvan Allaire et Mihaela Firsirotu
Plaidoyer pour un nouveau capitalisme
Yvan Allaire et Mihaela Firsirotu
Chapitre 7
VERS UN NOUVEAU CAPITALISME…?
If capitalisms are to be successful in the 21st century they are likely to be quite different from the models we are
familiar with. Hyman Minsky, 1993
We cannot rebuild this economy on the same pile of sand. President Obama
Capitalism can give us the best of all possible worlds, but it does so only on a playing field where the government
sets the rules and acts as referee. George A. Akerlof and Robert J. Shiller, Animal Spirits (2008)
Des esprits sobres et pondérés le disent. Le capitalisme financier, tel que pratiqué au cours des 20
dernières années, doit changer. Durant la Grande Dépression des années 1930 un capitalisme
moribond fut sauvé par l’intervention des gouvernements. Les gouvernements ont alors garanti les
dépôts bancaires et simplifié le système financier. La loi Glass-Steagall fut adoptée en 1933 pour
encadrer tout le système financier, établissant une partition étanche entre les banques, les courtiers
en valeurs mobilières, les assureurs, les banques d’affaires interdisant aux membres d’un groupe
d’offrir des services appartenant aux membres d’un autre groupe.
Les pratiques spéculatives des opérateurs boursiers ont été limitées, les sociétés qui ont recours à
l’épargne publique en s’inscrivant en Bourse ont dû divulguer toute l’information pertinente aux
investisseurs. La surveillance des marchés financiers fut confiée à la toute nouvelle Securities and
Exchange Commission (Commission des valeurs mobilières américaine). Un capitalisme industriel
s’imposa; les financiers y jouèrent le rôle de second plan qui devrait être le leur.
Nous y sommes à nouveau. Une nouvelle forme de capitalisme doit émerger des ruines du capitalisme
financier; ce capitalisme en sera un de producteurs, un capitalisme qui incite les entreprises à gérer
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Plaidoyer pour un nouveau capitalisme
Yvan Allaire et Mihaela Firsirotu
pour le long terme, à rétablir au sein des entreprises une certaine loyauté réciproque entre la direction
et les employés, une plus grande équité salariale, un sentiment d’être tous dans le même bateau. Ce
capitalisme récompensera hautement ceux qui contribuent vraiment au mieux-être économique de la
société. Ce capitalisme donnera aux intervenants financiers la place modeste qui leur revient. Les
spéculateurs de tout acabit y seront encadrés par une réglementation serrée; les caisses de retraite ne
pourront soutenir de leurs immenses fonds les activités de ces spéculateurs.
Ce capitalisme reposera sur de nouvelles formes de propriétés des entreprises et de rémunérations
des dirigeants, lesquelles donneront des assurances de stabilité de propriété, permettront aux
dirigeants de gérer l’entreprise selon une vision et des plans à long terme et favoriseront l’émergence
du sentiment de solidarité, de confiance réciproque et de respect mutuel si essentiels au bon
fonctionnement des organisations.
Ce capitalisme ne sera pas le résultat que de mesures prises par les gouvernements et leurs agences. Il
repose également et essentiellement sur les comportements des dirigeants d’entreprises. Ceux-ci
doivent faire preuve d’un leadership avisé, d’un engagement envers tous les employés, de respect
pour les diverses parties prenantes à l’entreprise (actionnaires, employés, clients, fournisseurs,
collectivités locales, etc.). Les rémunérations doivent être équitables et contribuer à conserver le
précieux sentiment d’être tous dans le même bateau. Ne serait-il pas approprié lorsque son entreprise
doit mettre à pied des milliers de travailleurs en raison de conditions économiques difficiles que le
PDG, de son gré, refuse tout bonus tant que l’entreprise n’aura pas surmonté ses difficultés?
Bien sûr, il ne s’agit pas de revenir au modèle de loyauté/parties prenantes des années 1950-1980. À
notre époque, les marchés de biens et services sont devenus hautement concurrentiels, ouverts aux
entreprises du monde entier. Cette concurrence continuera d’exercer des pressions sur la performance
et la pérennité des entreprises. Les entreprises ont besoin de temps pour s’adapter, innover, mettre en
place les stratégies pour assurer leur avenir. Les entreprises qui n’arrivent pas à relever les défis de la
concurrence, lorsque celle-ci est équitable, disparaitront comme il en va dans toute économie saine.
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Plaidoyer pour un nouveau capitalisme
Yvan Allaire et Mihaela Firsirotu
Toutefois, les marchés financiers ne doivent pas exercer des pressions de rendement à court terme
sur les entreprises au même temps que celles-ci doivent lutter d’arrache pied pour composer avec la
dure concurrence pour leurs biens et services. La transformation du système économique doit
s’assurer de préserver les bienfaits de l’économie de marché et de la libre entreprise tout en
favorisant, cependant, le développement d’un nouveau type de gestion privilégiant le long terme et
l’émergence d’un certain degré de réciprocité, de loyauté et confiance mutuelle au sein de l’entreprise.
Nous devons reconstruire dans les organisations et les sociétés le capital social qui a été sauvagement
dilapidé au cours des années de capitalisme financier.
Nos recommandations prennent la forme suivante :
I) ÉLARGIR ET SOUTENIR DES FORMES VARIÉES DE PROPRIÉTÉ DES ENTREPRISES (Présent chapitre)
II) TRANCHER LE NŒUD GORDIEN DE LA RÉMUNÉRATION (Chapitre 8);
III) DISSIPER LE MIRAGE DE LA GOUVERNANCE : pour une gouvernance légitime et crédible
(Chapitre 9);
IV) BALISER LA LATITUDE DES CAISSES DE RETRAITE, les Dr. Frankenstein du monde financier
(Chapitre 10);
V) PROMOUVOIR ET DÉFENDRE LA RÉCIPROCITÉ INTERNATIONALE en matière de commerce et de
fusion et acquisition (Chapitre 10).
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I)
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Élargir et soutenir des formes variées de propriété des entreprises
Le modèle de la société par actions cotée en Bourse, sans actionnaire significatif, propriété de
centaines de fonds de placement dont la composition change au gré de leurs stratégies et tactiques, a
constitué la forme prédominante de sociétés dans les pays anglo-saxons.
Ainsi que le montrent les deux figures suivantes, le pourcentage des entreprises américaines et
britanniques cotées en bourse ayant un actionnaire de contrôle ou un actionnaire détenant au moins
25% des votes est infime; le phénomène est modéré mais significatif au Canada et très répandu en
Europe.
Sociétés cotées ayant un actionnaire de contrôle,
selon les pays
70%
64.2%
56.1%
60%
50%
39.4%
40%
32.6%
26.3%
30%
18.0%
20%
10%
2.4%
2.0%
1.7%
0%
Germany
NL
Spain
Italy
Sweden
Canada
UK
NYSE
Nasdaq
Sources : Barca and Becht (2001), The Control of
Corporate Europe, OUP and Allaire (2008) for Canada
(S&P/TSX).
80
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Yvan Allaire et Mihaela Firsirotu
Sociétés cotées avec un actionnaire détenant 25% ou plus des votes,
selon les pays
100%
90%
82.5%
80.4%
80%
67.1%
70%
65.8%
64.2%
60%
50%
40%
25.0%
30%
15.9%
20%
7.6%
5.2%
10%
0%
Germany
NL
Spain
Italy
Sweden
Canada
UK
NYSE
Nasdaq
Sources : Barca and Becht (2001), The Control of
Corporate Europe, OUP and Allaire (2008) for Canada
(S&P/TSX).
L’univers économique de notre époque est soumis à la logique des marchés financiers, sauf :

dans l’entreprise résolument privée (par exemple Cirque du Soleil, Kruger, Aliments McCain,
Pharmacies Katz, au Canada; Cargill, Bechtel, Publix et quelque 400 autres avec des revenus
de plus d’un milliard de dollars aux États-Unis);

dans l’entreprise avec un actionnaire de contrôle, avec ou sans classe d’actions à vote
multiple (par exemple Magna, CGI, Bombardier, Rogers, Telus, Saputo, GTC et beaucoup
d’autres au Canada; Google, Berkshire Hathaway, The New York Time, News Corp, Mars, Ford
aux États-Unis);

dans les sociétés de personnes en nom collectif, les « partenaire » professionnels, comme les
grand bureaux de vérificateur comptable (Ernst and Young, Deloitte, etc)., de conseillers en
gestion (McKinsey, Groupe Sécor, etc.), de conseillers juridiques (Stikeman, Elliott; Ogilvy
Renault, etc.)

dans les coopératives (Agropur, Desjardins, Coopérative Fédérée);
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Plaidoyer pour un nouveau capitalisme

Yvan Allaire et Mihaela Firsirotu
dans les sociétés d’État (Hydro-Québec, Postes Canada, SCHL, SAQ, Loto-Québec, Hydro One,
et autres).
Ainsi, le tableau suivant présente la distribution des 100 plus grandes entreprises canadiennes (sur la
base de leurs revenus) selon la forme de leur propriété. La diversité des formes de propriété est
surprenante et rassurante. Le fait que seulement 41 entreprises8 sur les 100 se conforment au modèle
chéri par les fondamentalistes des marchés et les spéculateurs de tout acabit est heureux pour la santé
économique canadienne.
Formes de propriété des 100 plus grandes entreprises canadiennes
(sur la base de leurs revenus en 2008)
Source: données du Financial Post, compilées par l’auteur
 Sociétés d’État
 Propriété privée
 Filiales de sociétés étrangères
 Coopératives
13
11
13
3
 Sociétés cotées en bourse avec contrôle
par une catégorie spéciale d’actions
12
 Sociétés cotées en bourse avec
actionnaires de contrôle
7
 Sociétés cotées avec actionnariat diffus 41
© Allaire and Firsirotu 2009
Un autre exemple est fourni par une étude du Conference Board of Canada pour identifier des
« champions industriels », définis comme des sociétés ayant une position substantielle sur leurs
marchés internationaux et des revenus annuels supérieurs à $1 milliard. Quelque 43 sociétés
canadiennes en 2005 se qualifièrent comme des “champions industriels”.
8
De plus, plusieurs de ces 41 entreprises sont soumises à des contraintes sur leur propriété imposes par l’état
canadien ; il en est ainsi des banques à charte, des société de communications et autres.
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De ces 43 sociétés, trois ont déjà passé sous contrôle étranger. Des 40 autres sociétés, la moitié sont
soit privées (6) soit sous le contrôle d’un actionnaire majoritaire (14). De ces quatorze sociétés, neuf (9)
sont contrôlées par une catégorie d’actions à vote supérieur.
Bien sûr que toutes ces formes de propriété sont soumises à des problèmes et enjeux de gestion et de
gouvernance. Certaines ont connu des résultats décevants, d’autres ont péri, plusieurs ont vivoté. Cela
est vrai mais que dire de la forme classique d’entreprises du modèle américain, cotées en bourse et
sans actionnaire significatif. Ce type d’entreprise a mené le monde économique au seuil de la
catastrophe, a détruit les fonds de retraite et les épargnes des citoyens de par le monde au rythme de
milliers de milliards de dollars.
Pour sauver le système, les gouvernements américains et européens ont dû « investir » dans ces
entreprises des centaines de milliards de dollars de fonds publics.
Nous proposons que les gouvernements et leurs agences créent les conditions favorables aux formes
de propriété qui donnent stabilité et durée à la propriété des entreprises et les protègent contre les
manigances et pressions indues des fonds spéculatifs. Certaines formes de propriété, comme les
sociétés d’État, les coopératives, les sociétés entièrement privées, sont par nature imperméables aux
agissements des spéculateurs. Les sociétés cotées mais ayant un actionnaire de contrôle directement
ou par le truchement d’une catégorie d’actions à vote supérieur jouissent d’une immunité relative à
l’égard des tractations et pressions malveillantes des marchés financiers.
La suite de ce chapitre traite, tour à tour, de chacune de ces formes de propriété.
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1. La citoyenneté corporative…. Récompenser la loyauté de l’actionnaire;
2. Les actions multi votantes…Laisser le contrôle des entreprises aux entrepreneurs fondateurs et leurs
familles;
3. Les entreprises privées … devraient demeurer privées
4. Les sociétés de personnes en nom collectif : la meilleure forme de propriété pour les entreprises
« professionnelles »
5. Les coopératives : une forme de capitalisme démocratique
6. Les sociétés d’État… les moutons noirs du capitalisme
1. La citoyenneté corporative…. Récompenser la loyauté de l’actionnaire ;
Pour les sociétés cotées en bourse et sans actionnaire significatif, nous proposons une forme de
citoyenneté corporative selon laquelle une action ne comporterait le droit de vote qu’après une année
de détention. Les sociétés cotées en Bourse devraient également pouvoir inciter leur actionnariat à
conserver leurs actions pendant un temps plus long en octroyant un dividende majoré après une
période de détention donnée.
À notre époque dominée par des opérateurs financiers, la pratique d’accorder la pleine et entière
« citoyenneté corporative », dont le droit de vote,
à tout « investisseur » quelles que soient sa
motivation et la durée de son séjour comme actionnaire doit être remise en question. L’équivalent civil
de cette pratique consisterait à accorder le droit de vote à tous ceux (touristes, hommes d’affaires,
voyageurs, etc.) qui s’adonnent à séjourner dans un pays lors de la journée des élections. Tout
nouveau citoyen, même s’il doit s’acquitter de tous les impôts exigés sur le territoire dès son arrivée,
ne peut obtenir la pleine citoyenneté et le droit de vote qu’après quelques années de résidence. La
démocratie d’entreprise devrait demander un minimum d’engagement d’un nouvel actionnaire avant
de lui accorder le pouvoir d’influencer la destinée d’une société.
On ne peut se laisser paralyser par le mythe tenace de l’actionnaire comme propriétaire de l’entreprise
quand il s’agit de spéculateurs de courte durée aux combines nocives pour l’entreprise qui, souvent, ne
risquent rien parce que protégés par des produits dérivés. Il est risible de déclarer que ces gens et ces
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fonds sont les propriétaires légitimes de l’entreprise. La collectivité dans laquelle œuvre l’entreprise,
ses employés et ses cadres pourraient à juste titre prétendre qu’ils possèdent un intérêt dans
l’entreprise en question, un intérêt tout aussi important, sinon plus important, que l’intérêt pécuniaire
de ces « actionnaires » mercenaires.
Quoique iconoclaste dans un contexte d’affaires anglo-saxon, la notion voulant que s’écoule une
période minimale de temps avant que l’on puisse jouir de la citoyenneté corporative, droit de vote
inclus, offre plusieurs avantages et mérite que l’on s’y penche
Nous proposons, tout comme l’Institut sur la gouvernance des organisations publiques et privées
(2008), que les gouvernements amendent les lois sur les sociétés par actions afin d’y inclure la
possibilité pour les entreprises d’exiger une période de détention minimale d’un an avant qu’une
action d’une société cotée en Bourse n’acquière le droit de vote.
Advenant une offre non sollicitée pour acquérir l’entreprise, seuls les actionnaires disposant du droit
de vote le jour de la présentation de l’offre devraient avoir le droit de voter pour ou contre une telle
offre. Cependant, s’il juge l’offre d’achat attrayante, le Conseil d’administration disposerait du pouvoir
de lever l’application de cette période minimale afin de permettre à tous les actionnaires de voter.
De plus, les sociétés cotées en Bourse devraient être autorisées à encourager la stabilité de leur
actionnariat en déclarant un dividende majoré (par exemple de 10 %) aux actionnaires qui détiennent
leurs actions depuis, par exemple, deux ans ;
Ces mesures peuvent nécessiter des modifications au cadre juridique pertinent aux sociétés par
actions. Dans le cas du Canada, il n’exigerait un changement à la Loi canadienne sur les sociétés par
actions (LCSA), un simple ajout à la clause imposant un traitement égal pour toutes les actions d’une
même catégorie. La LCSA (et celle du Québec en voie de profonde révision au moment d’écrire ces
lignes) pourrait stipuler que toute différence de traitement entre les actionnaires d’une même
catégorie d’actions serait justifiée si cette inégalité
est associée uniquement à la période de
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détention des actions.
2. Les actions à vote multiple…Laisser le contrôle des entreprises aux entrepreneurs fondateurs et leurs
familles
La pratique d’émettre une catégorie d’actions à vote multiple, c’est-à-dire porteuses de plusieurs
droits de vote, a fait l’objet d’attaques virulentes de certains investisseurs institutionnels et d’un
traitement défavorable, voire carrément hostile, des Bourses et des commissions des valeurs
mobilières. Une certaine presse d’affaires, serviable et naïve, s’est fait l’écho et le propagateur de
canards sur cette forme de propriété. Des chercheurs ont aussi tenté de montrer que les actions de ce
type subissaient un effet négatif sur leur prix en raison des appréhensions des investisseurs et de la
quasi-impossibilité d’une prise de contrôle non souhaitée par l’actionnaire majoritaire.
En dépit de ces circonstances, on trouvait en 2002 des actions à droit de vote multiple au capital
actions d’environ 6 % des sociétés inscrites sur un Bourse américaine (Gompers, Ishii et Metrick, 2006).
Plus révélateur encore, parmi toutes les sociétés américaines ayant effectué un premier appel publique
à l’épargne (PAPE ou IPO) en 2002, 16,5 % d’entre-elles avaient choisi une structure de capital
comportant des actions à droit de vote multiple. (Chemmanur et Jiao, 2006). Les entreprises
américaines qui ont une telle structure de capital incluent notamment Google, Berkshire Hathaway (la
société de Warren Buffet), News Corp., Viacom, The New York Times, Echostar, Ford Motor, Comcast,
Wrigley, Hershey…
Au Canada, c’est 6,57 % de toutes les entreprises cotées en Bourse qui comptent des actions multi
votantes à leur capital actions en 2005 (Allaire, 2006 b). Toutefois, au Canada, plusieurs grandes
entreprises comptent un actionnaire de contrôle ou un actionnaire significatif détenant plus de 20%
des votes, souvent par le truchement d’actions multi-votantes. Ainsi, en 2008, 13 % des 253 plus
grandes sociétés canadiennes faisant partie de l’Indice S&P/TSX de la Bourse de Toronto avait émis de
telles actions (Allaire 2008a). Plusieurs des « champions industriels » canadiens comptent des actions à
droit de vote multiple à leur structure de capital, par exemple Bombardier, Rogers Communications,
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Shaw Communications, CGI, Magna International, la société Power, Onex et Telus.
Les actions multi-votantes sont répandues dans plusieurs pays européens : quelques 23 % des
entreprises européennes en 1997 (Bennedes and Nielsen, 2004) comptaient sur un capital-actions
comportant des actions multi-votantes. La situation variait toutefois sensiblement d’un pays à l’autre
puisque 56 % des entreprises suédoises avaient des actions multi-votantes, 53 % en Suisse, que 3 % en
France et aucune en Belgique, au Portugal et en Espagne. Dans ces pays, on a plutôt recours à d’autres
méthodes afin d’accroître le pouvoir des actionnaires de durée comme les fondateurs de l’entreprise.
Le fait indéniable est que de nombreux entrepreneurs, par crainte de perdre le contrôle sur leur
entreprise, n’auraient pas recours à l’épargne publique s’ils n’avaient pas la possibilité d’émettre des
actions multi-votantes. Le dynamisme de nos économies en souffrirait si des façons alternatives de
financer leur croissance n’étaient pas disponibles.
Le fait est aussi indéniable que durant les périodes d’emballement des marchés financiers et de vagues
successives d’acquisitions pour des motifs douteux, la protection qu’offrent les actions multi-votantes
a eu comme effet de tenir à distance les mercenaires et autres chevaliers de la finance. À telle
enseigne que pour mettre un terme à la vague d’acquisitions la plus pernicieuse, celle menée par les
fonds de privatisation (appelés alors les « leveraged buy-out funds ») au cours des années 1980, pas
moins d’une trentaine d’États américains ont promulgué des lois pour donner aux conseils
d’administration les moyens de résister aux tentatives de prise de contrôle « hostiles ».
Les actions multi-votantes offrent un mécanisme supérieur en ce qu’elles protègent des actionnaires et
non la direction en place, comme le font les lois de plusieurs états américains. De plus, pourvu que les
actionnaires minoritaires soient bien protégés, ceux-ci bénéficient du talent, de l’innovation et de
l’énergie de l’entrepreneur-fondateur aussi actionnaire majoritaire.
Il ne fait pas de doute que, par exemple, en 2002 alors que le dollar américain oscillait entre $1, 53 et
$ 1, 62 canadien et que le marché boursier canadien était à son point le plus bas des dix dernières
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années (incluant la période de l’automne 2008!), plusieurs entreprises canadiennes (Magna, Rogers,
CGI, Bombardier, GTC, etc.) seraient fort probablement passées aux mains d’entreprises étrangères,
transformant le tissu industriel canadien en un ensemble de divisions et filiales de sociétés
étrangères.
Cette stabilité de l’actionnariat en contrôle de l’entreprise permet de concevoir son développement en
longue durée, d’établir des relations de loyauté et d’engagement mutuel avec les employés.
Deux études portant sur les entreprises familiales américaines en arrivent à des conclusions qui vont à
l’encontre de l’idéologie qui prévaut sur les marchés financiers américains et sur certains campus
universitaires. C’est avec un peu de retard que les chercheurs américains ont découvert les avantages
de l’entreprise familiale non seulement en matière de performance économique, mais également de
stabilité, de continuité et de responsabilité sociale.
L’étude d’Anderson et Reeb (2003), s’appuyant sur données des sociétés du S&P 500 (à l’exclusion des
sociétés de services publics et du secteur financier) entre 1992-1999 en arrive à la conclusion suivante :
Contrairement à nos hypothèses de départ, nous avons constaté que les sociétés familiales performent
mieux dans l’ensemble que les autres sociétés ; nos résultats contredisent l’hypothèse voulant que les
actionnaires minoritaires soient lésés dans une société contrôlée par une famille, d’où la conclusion à
l’effet que la société familiale est une forme efficiente de structure organisationnelle (2004, p.27)
Les chercheurs attirent l’attention sur le fait que : « les résultats semblent toutefois reposer
principalement sur les sociétés familiales où le conseil d’administration jouit d’un fort degré
d’autonomie vis-à-vis les membres de la famille contrairement aux firmes où le conseil ne compte que
peu d’administrateurs indépendants (2004, p. 24) …
Nos conclusions indiquent que l’entreprise propriété de la famille fondatrice, disposant d’un conseil
d’administration indépendant, semble constituer une structure organisationnelle particulièrement
efficiente. » (2004, 27).
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Une autre étude américaine, celle de Villalonga et Amit (2206a, b), porte sur les entreprises familiales
qui, entre 1994 et 2000, se retrouvaient dans les 500 plus grandes entreprises américaines du
magazine Fortune. L’étude tire des conclusions intéressantes et nuancées :
« Les données semblent indiquer que les entreprises familiales performent mieux que les autres, ce qui
est conforme aux résultats de la recherche de Anderson et Reeb » (2004) (2006a, p. 11).
Cependant, la propriété familiale est créatrice de valeur… « lorsqu’elle est associée à certaines formes
de gestion familiale et de contrôle. La gestion familiale ajoute de la valeur tant que le fondateur
continue de servir à titre de président-directeur général de l’entreprise familiale, ou à titre de président
du conseil au côté d’un président-directeur général qui n’est pas issu des rangs de la famille » (2006b,
p. 29).
Ces études sont pertinentes à notre objectif en deux façons ; premièrement, elles démontrent que les
actions multi-votantes sont non seulement compatibles avec une haute performance économique et
donc bénéfiques aux autres investisseurs actionnaires de la société. Évidemment, les fonds de
spéculation et autres spéculateurs se rendent bien compte qu’ils n’ont que peu d’emprise sur les
sociétés dont des actionnaires détiennent un bloc de contrôle. Enfin, ces études contiennent des
conclusions utiles à l’établissement d’une gouvernance appropriée aux sociétés comportant des
actions multi-votantes pour en tirer tous les avantages et en minimiser les coûts éventuels.
Il est impérieux que le cadre législatif et les pratiques de gouvernance assurent une protection
adéquate aux actionnaires minoritaires. Le meilleur indicateur que cet objectif est atteint provient de
la prime observée sur les actions d’une catégorie d’actions avec droit de vote supérieur par
comparaison à la catégorie d’actions de la même entreprise avec droit de vote subalterne. Comme le
montre le tableau ci-après, cette prime est négligeable au Canada, alors qu’elle prend une valeur
considérable en Italie et au Mexique.
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Prime sur les actions avec droit de vote
supérieur, selon les pays
Pays
Prime (%)
Australie
23
France
28
Suède
1
Allemagne
10
Mexique
46
Italie
29
Royaume-Uni
10
États-Unis
2
Canada
3
Sources: Nenova (2003); Deck and Zingales (2004); Morck et al. (2005)
© Allaire 2007
Un facteur déterminant de cette faible prime au Canada relève du cadre législatif canadien en matière
de protection des droits des actionnaires minoritaires ainsi que du droit de suivi (« coattail ») imposé
par la bourse de Toronto en 1987 aux sociétés voulant émettre des actions multi-votantes. Advenant
une offre publique d’achat (OPA) des actions multi-votantes (et donc du contrôle de la société)
acceptée par l’actionnaire de contrôle, cette offre doit être étendue, selon les mêmes termes et
conditions, aux détenteurs de la catégorie d’actions à droit de vote subalterne.
D’autres mesures peuvent venir conforter la protection des actionnaires minoritaires; par exemple,
limiter le multiple de votes des actions à un ratio raisonnable (4 :1 par exemple) de sorte que
l’actionnaire détenant le contrôle doive posséder un pourcentage significatif des fonds propres de la
société afin de conserver un contrôle absolu (50 % ou plus des votes). En effet, les études démontrent
que les avantages découlant d’un actionnaire majoritaire s’amenuisent rapidement lorsqu’un écart
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trop grand se produit entre le pourcentage des votes de cet actionnaire et le pourcentage des fonds
propres détenu par celui-ci (Gompers, Ishii et Metrick, 2006).
De même, le tiers des membres du conseil d’administration devrait être élu par les actionnaires
détenant des actions à droit de vote subalterne. Enfin, un comité spécial du conseil, constitué des
membres indépendants de l’actionnaire de contrôle, devrait examiner et faire rapport sur toutes les
transactions entre la société et les parties apparentées, au premier chef celles impliquant l’actionnaire
de contrôle.
Dans le monde financier contemporain, la forme classique du modèle américain devient une sorte
d’agneau sacrificiel sur l’autel de la spéculation. Des observateurs américains astucieux et
expérimentés l’ont bien noté:
“Given the proliferation of financial innovation and economic and legal encumbrances, the oneshare/one-vote principle no longer constitutes a uniformly efficient rule of corporate governance, if it
ever did.” (Martin and Partnoy, 2005, p. 813).
3. Les entreprises privées … devraient demeurer privées
Pourquoi une société privée choisit-elle de faire appel à l’épargne publique et ainsi s’inscrire à la
Bourse ? La réponse habituellement avancée invoque l’accès aux capitaux pour financer la croissance
de l’entreprise et la possibilité de créer un marché liquide pour les titres des investisseurs initiaux ou
pour le fondateur. La logique d’un tel choix est toutefois discutable si l’on tient compte des obligations
fiduciaires maintenant imposée aux sociétés cotées en Bourse, des coûts et du temps nécessaires pour
entretenir des relations suivies avec les analystes financiers et les investisseurs actuels ou potentiels
ainsi que de l’obligation de divulgation des informations de nature stratégique fort utile pour les
concurrents.
Les entreprises privées doivent mesurer soigneusement les coûts et les avantages de faire appel à
l’épargne publique et de s’inscrire à la cote d’une Bourse. Dans le contexte des marchés financiers
contemporains, elles devraient envisager d’autres méthodes pour financer leur croissance et lever les
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fonds nécessaires pour assurer une certaine liquidité aux actionnaires.
Aux États-Unis, plus de 441 sociétés privées affichent un chiffre d’affaires supérieur à 1 milliard de
dollars. Ces sociétés embauchent plus de 6,2 millions de personnes. Nous retrouvons parmi ces
entreprises Cargill, la première société privée américaine avec un chiffre d’affaires de 111 milliards de
dollars ; Bechtel, le géant du génie-conseil, avec 31,4 milliards de dollars de revenus ; Publix Super
Markets, une société détenue par ses employés (et qui en 78 ans d’existence n’a jamais effectué de
mise à pied) avec 24 milliards de dollars de revenus.
Au Canada, les Aliments McCain, Katz Pharmacies, le Cirque du Soleil, Kruger, Jim Pattison Group, PCL
Construction (détenue par les employés) sont toutes des entreprises d’envergure qui n’ont pas eu
besoin de recourir à l’épargne publique pour connaître le succès. Au contraire, la plupart de ces
entreprises invoqueraient probablement qu’elles ont connu le succès justement parce qu’elles sont
demeurées résolument privées. Les entreprises entièrement privées jouent un rôle important en
Allemagne, en France, en Espagne ainsi que dans plusieurs autres pays.
Les gouvernements, directement ou indirectement, doivent faire en sorte qu’il soit facile pour les
sociétés privées de le demeurer indéfiniment tout en ayant accès au capital requis pour leur
croissance.
4. Les sociétés de personnes en nom collectif : la meilleure forme de propriété pour les entreprises
« professionnelles »
Les sociétés de personnes, ou en nom collectif, ont été longtemps une, voire la seule, forme de
propriété pour les professionnels. La responsabilité illimitée, ou le fait que les sociétaires devaient
supporter les pertes de la société le cas échéant, était l’exigence requise pour gagner la confiance des
clients. Il fut un temps où toutes les banques d’affaires étaient des sociétés en nom collectif.
Selon cette forme de propriété, les associés doivent se préoccuper des risques car la majeure partie de
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leurs patrimoine est constituée de leur part dans la société, un patrimoine dont ils ne peuvent disposer
avant qu’ils ne prennent leur retraire ou se retirent de la société. Or, au cours des années 1990 et
2000, les banques d’affaires sont devenues des sociétés inscrites en Bourses. Elles se sont adaptées
aux règles du jeu. Elles ont joué du levier financier à outrance, se sont aventurées dans des marchés
complexes et risqués afin de satisfaire aux attentes de leurs actionnaires et gonfler le cours de leurs
actions. Pendant un temps, la recette réussit. Tous gagnaient, sauf que les actionnaires assumaient,
sans le savoir, d’énormes risques.
La complexité d’une entreprise devrait être limitée par la qualité de sa gouvernance. La gouvernance
des sociétés de personnes est de loin supérieure à celle de la société-type inscrite en Bourse en vertu
de la connaissance intime de l’industrie qu’ont les sociétaires, de leur haut niveau d’engagement et de
leur responsabilité pour les risques de l’entreprise..
La société est la meilleure forme de propriété pour les entreprises complexes et risquées comme, par
exemple, les fonds de couverture et les fonds de privatisation. Ces entreprises ne doivent pas devenir
des sociétés par actions cotées en Bourse, comme certaines l’ont fait au cours des dernières années.
5. Les coopératives : une forme de capitalisme démocratique
Les coopératives, mal connues et mal aimées dans les économies ultra capitalistes, jouent un rôle
significatif dans la structure industrielle de plusieurs pays leur procurant des avantages importants. Le
tableau suivant montre l’importance que joue dans l’économie de divers pays les coopératives qui font
partie de la liste des 300 plus grandes coopératives au monde.
En effet, en 2006, les 300 principales coopératives affichaient des revenus oscillant entre 600 millions
de dollars américains et $58 milliards. Les coopératives pesaient pour 20 % du PIB finlandais alors que
dans cinq autres pays développés et stables le poids de celles-ci atteignait plus de 10 %. Au Canada,
c’est au Québec où l’on retrouve le secteur coopératif le plus développé.
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Les 300 plus grandes coopératives
au monde
Pays
% PIB des Global 300 (2006)
Finlande
20 %
Suisse
13,8 %
NouvelleZélande
13,6 %
Pays-Bas
13,4 %
France
10,1 %
Canada
2 %
Québec
6,1 %
Tiré du livre « Black Markets… and Business Blues » publié en juin 2009 par Yvan Allaire
and Mihaela Firsirotu. Tous droits réservés
Ces 300 grandes coopératives évoluent dans des secteurs très précis : 30 % dans le secteur
agroalimentaire ; 23 % dans le commerce au détail ; 22 % dans l’assurance et 19 % dans les services
bancaires. Aux États-Unis, les coopératives pourraient constituer une solution de compromis dans le
secteur de la santé où persiste des tensions entre le secteur privé et le secteur public.
Des
coopératives américaines du secteur de la santé avec des revenus totalisant plus de 2 milliards de
dollars (Health Cooperative of Puget Sound, Health Partners of the Twin Cities) sont d’ailleurs apparues
au cours des dernières années sur cette liste des 300 plus grandes coopératives au monde.
Les coopératives peuvent jouer un rôle bénéfique dans toute société. Environ cent millions de
personnes à travers le monde travaillent pour des coopératives. De par leur nature même, ces
organisations sont largement immunisées contre les turpitudes et les engouements financiers ainsi que
contre les violentes oscillations des valeurs boursières. Les coopératives évoluent dans un monde sans
options sur le titre pour les dirigeants, sans incitation pécuniaire à valoriser la gestion à court terme et
la maximisation des profits. On ne peut surestimer la différence entre la recherche d’un honnête profit
et la maximisation du profit à tout prix et à court terme.
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Étant donné le rôle joué par les coopératives, les gouvernements et leurs organismes de
réglementation, ainsi que les agences internationales de supervision du secteur financier, doivent
s’assurer que la réglementation en ce domaine ne nuise pas au développement des coopératives,
prenant note du fait que les coopératives œuvrant dans les secteurs de l’assurance et des services
bancaires ont fait preuve d’une résilience remarquable au cours de la dernière crise financière.
Dans les meilleurs des cas, lorsqu’elles ont atteint une grande taille et une maturité suffisante, les
coopératives peuvent combiner de façon fructueuse les impératifs capitalistes et les considérations
humanistes au sein d’une gestion axée sur le long terme. Évidemment, les coopératives ne sont pas à
l’abri de pratiques de gestion malsaines, de querelles internes, de paralysie décisionnelle et des
dépenses somptuaires par leurs dirigeants. Cependant, les coopératives bien établies ont appris à
mettre en place les garde-fous et les systèmes de gouvernance qui les protègent des écarts de
conduite et des comportements contraires à l’esprit coopératif.
Des coopératives telles que Crédit Mutuel CIC en France (qui vient d’acquérir pour 5,2 milliards de
dollars américains les activités allemandes de Citigroup), le Mouvement Desjardins au Québec et
Mondragon dans le Pays Basque espagnol ont mis en place des systèmes de gouvernance et de gestion
à la hauteur des besoins et défis de leur entreprise.
6. Les sociétés d’État… les moutons noirs du capitalisme
Les sociétés d’État constituent le baromètre de la maturité politique d’un pays. Les sociétés immatures
feront un mauvais usage de ce type d’entreprise; le gouvernement comme seul actionnaire y verra un
endroit pour caser certains de ses partisans, une plateforme de patronage politique, un moyen de
tromper la surveillance démocratique de ses agissements; ou, encore, à la moindre défaillance, les
sociétés d’État deviendront l’occasion irrésistible pour les partis d’opposition de tenter d’embarrasser
le gouvernement. Les sociétés politiquement immatures ne font pas bon usage des sociétés d’État.
Tout comme les sociétés cotées en Bourse, les sociétés d’État posent un défi d’envergure en matière
de gouvernance. Plus loin dans ce texte, nous traitons de ces défis. Toutefois, sans un certain niveau de
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maturité politique, une bonne gouvernance des sociétés d’État demeurera un objectif illusoire.
Étant donnée cette mise en garde au sujet de la maturité requise, un pays ne devrait mettre sur pied
une société d’État que dans certaines situations, dont, notamment ;

les monopoles naturels (lignes de transmission électrique, barrages hydro-électriques, etc.) ;

la production de biens et services créant des effets de débordement négatifs (distribution de
boissons alcoolisées, les loteries, les jeux et les casinos, etc.) ;

les biens ou services que le marché ne produit pas ou pas suffisamment pour répondre aux
besoins (le capital de risque, par exemple) ;

les services publiques essentiels (les services postaux, les transports en commun, la Santé,
l’Éducation, la distribution de l’eau) desquels une partie de la population serait exclue,
partiellement ou totalement, si leur distribution était laissée à des entreprises privées motivées
principalement par la recherche du profit.
Les gouvernements ne pourraient-ils atteindre leurs fins plus efficacement en ayant recours à des
entreprises privées qui seraient assujetties à une réglementation appropriée, à des taux de rendement
contrôlés, à de prix plafond et de subventions ciblées. Ces entreprises pourraient également avoir
l’État comme un actionnaire important.
Étant donné notre vision plutôt négative des sociétés dont l’actionnariat est diffus et dont la gestion
doit obéir aux impératifs des marchés financiers, nous ne voyons pas comment ces entreprises
détenues par des intérêts privés peuvent faire mieux que les États pour protéger le bien-être collectif.
Lorsque les gouvernements décident de soumettre la gestion des entreprises d’État à la discipline du
marché, ils ont tendance pour y arriver à vendre une partie du capital de l’entreprise à des intérêts
privés et à l’inscrire sur un marché boursier sans abandonner, dans un premier temps, leur contrôle
majoritaire. Une telle opération fut menée pour France Télécom, ainsi que nous l’avons décrit plus
haut.
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Par Yvan Allaire et Mihaela Firsirotu
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Le gouvernement chinois fait un usage abondant de cette forme de société. Ainsi des dix sociétés ayant
la plus grande valeur boursière en 2008, trois étaient des sociétés de l’État chinois, une de l’État russe,
et une autre était sous le contrôle du gouvernement brésilien.
Cette forme de propriété en arrive à combiner les avantages et limites des sociétés d’État avec les
avantages et les limites des sociétés cotées en Bourse et dont l’actionnariat est largement réparti dans
le public.
Dans le meilleur des cas, ces entreprises mixtes prennent l’allure d’une société cotée en Bourse bien
gérée disposant d’un actionnaire de contrôle et d’une équipe de direction compétente, sensible aux
exigences des marchés financiers sans être soumise ou inféodée à ceux-ci, gouvernée par un conseil
constitué d’administrateurs indépendants soigneusement sélectionnés pour leur crédibilité et leur
expérience pertinente.
Dans le pire des cas, la liste des pathologies est longue et facile à dresser. Les investisseurs privés sont
méfiants et inquiets quant aux véritables intentions de l’État actionnaire, quant aux objectifs sociaux et
politiques qu’il poursuit. Les objectifs des gouvernements peuvent entrer en conflit avec leurs
obligations envers les autres actionnaires. La question de la rémunération des dirigeants est toujours
un enjeu difficile : pour les dirigeants, leur rémunération est trop inférieure à celle de dirigeants de
sociétés comparables; pour les autres observateurs, leur rémunération est trop généreuse pour une
société gouvernementale.
Tôt ou tard, la direction exercera des pressions en faveur d’une
privatisation complète avec tous les avantages que cela leur amènera.
Toutes ces formes de propriété possèdent un dénominateur commun : elles LIMITENT OU ÉLIMINENT
l’influence des investisseurs à court terme, des fonds spéculatifs et des multiples opérateurs financiers
qui tournent autour de l’entreprise « idéale » selon le credo américain. Ces formes alternatives de
propriété devraient dominer le paysage industriel des sociétés équilibrées.
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Yvan Allaire et Mihaela Firsirotu
Aucune de ces formes de propriété n’est parfaite toutefois. Elles soulèvent toutes des enjeux de
gouvernance. Certaines ont connu de piètres résultats dans le passé. Cependant, ces échecs ont permis
d’apprendre comment gérer et gouverner ces formes d’entreprises afin de les rendre dynamiques et
rentables.
Toutefois, aucune de ces formes de propriété ne peut rivaliser avec la société cotée en Bourse quant
au rôle joué dans les divers fiascos financiers depuis 20 ans ; aucune de ces formes de propriété n’a
mené le système financier mondial au bord du précipice; aucune n’a nécessité l’apport de centaines de
milliards de dollars puisés à même les poches des contribuables pour éviter leur faillite collective !
Cependant, toutes les formes de propriétés comme l’entreprise du modèle classique cotée en bourse,
doivent faire face à deux enjeux : la rémunération des dirigeants et la qualité de leur gouvernance.
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Chapitre 8
TRANCHER LE NŒUD GORDIEN DE LA RÉMUNÉRATION
« Celui qui sait qu’il en a assez est riche » Tao Te Ching
À juste titre, la rémunération des dirigeants suscite une vive controverse. Des sondages montrent que
80% des américains et 90% des fonds institutionnels estiment que les hauts dirigeants d’entreprises
sont trop payés. Un sondage canadien aboutirait vraisemblablement au même constat.
Le sujet mérite donc un franc débat qui va au delà des cas patents de rémunération extravagante. Le
«casus belli », le bât qui blesse, prend la forme de la figure ci-dessous montrant le rapport entre la
rémunération moyenne des PDG d’entreprises américaines et le salaire moyen des travailleurs.
Rappelons que, pour l’année 2005, la rémunération annuelle moyenne des dirigeants américains des
entreprises composant l’indice Standard and Poor fut de US$ 13.5 millions alors qu’au Canada, pour les
186 plus grandes entreprises inscrites à la bourse de Toronto, la rémunération annuelle des PDG
s’établissait à C$ 5 millions.
Que nous révèle ce tableau ? Alors qu’au cours des années ’70, le PDG moyen gagnait environ 25 fois le
salaire moyen d’un employé, sa rémunération totale fait maintenant plus de 400 fois le salaire moyen
d’un employé.
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Ce tableau établit cependant une importante distinction entre la composante « salaire et bonus »
d’une part et la composante « rémunération totale », incluant l’impact des options et des autres
formes de rémunération à long terme. La première composante, « salaire et bonus», représente
environ 20% de la rémunération totale (près de 33% au Canada). Pour cette seule composante, la
rémunération du PDG est passée de 25 fois le salaire moyen du travailleur en 1970 à environ 75 fois en
2004-2005.
Cette évolution ne suscite pas, ou ne devrait pas du moins susciter, de controverse. Dans tous les
domaines où s’est établi un marché relativement libre pour le talent, on a constaté une évolution
similaire.
Le marché pour dirigeants d’entreprises
Dans le domaine de la gestion des entreprises, le marché du « talent » s’est manifesté de vive façon au
fur et à mesure que les grandes entreprises recrutent leur PDG et autres dirigeants hors de leurs rangs.
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Ce phénomène de faible incidence jusqu’en 1980 devient de plus en plus important. Selon Spencer
Stuart, 33% des PDG des 227 plus grandes entreprises canadiennes en 2006 ont été recrutés hors des
rangs de l’entreprise; selon Towers, Perrin, les administrateurs de 40% des grandes entreprises
américaines déclarent qu’ils recruteront leur prochain PDG hors des rangs de l’entreprise. C’est ainsi
que les marchés se créent, qu’on aime ou pas le résultat.
C’est pourquoi le vrai débat devrait porter plutôt sur la deuxième courbe de la figure ci-haut, celle qui
trace l’évolution de la rémunération totale de PDG et capte donc l’influence des options ainsi que des
autres formes de rémunération variable, dite « à long terme ». Elle révèle que la rémunération totale
des PDG aux États-Unis fut quelque 525 fois le salaire moyen des travailleurs en 2000, son point
culminant; cette relation s’établit à environ 411 en 2005.
Notons au passage que l’augmentation la plus spectaculaire se produit en même temps que les
conseils d’administration se conforment aux nouvelles normes de « bonne » gouvernance et comptent
de plus en plus de membres « indépendants » de la direction. Cette montée vertigineuse des
rémunérations des PDG coïncident également avec la domination de l’actionnariat par les fonds
institutionnels!
Les données historiques canadiennes sur la rémunération des dirigeants sont moins accessibles.
Toutefois, il est important de noter qu’en 2005 la rémunération totale (incluant options etc.) des
dirigeants canadiens représentait 133 fois le salaire moyen des travailleurs canadiens. Donc, la
rémunération « scandaleuse » de PDG américains, plus de 400 fois le salaire d’un travailleur industriel,
devient un « scandale » de 133 au Canada.
Capital versus talent
Camouflée derrière cet enjeu populaire se profile une forme de lutte entre le « capital » et le « talent».
Aucun doute que les propriétaires des clubs de hockey doivent parfois, secrètement, ressentir une
certaine nostalgie pour l’époque où un Maurice Richard jouait pour une pitance et l’honneur, attaché
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par contrat, mal représenté et sans autre issue de carrière.
Les PDG, dont l’emploi est beaucoup plus fragile que naguère ont appris à négocier leur pleine valeur
marchande, surtout lorsque des recruteurs, des « chasseurs de tête », cherchent à les attirer dans une
autre entreprise. Leur valeur au marché dépend en bonne part de leur capacité (perçue ou réelle) à «
créer de la valeur pour les actionnaires »; mais qui sont ces actionnaires auxquels le PDG doit plaire,
qu’il doit enrichir ?
Certainement pas le mythique duo de la veuve et de l’orphelin mais des conseillers en placement
milliardaires, des gestionnaires de fonds mutuels et de fonds de couverture aussi milliardaires, des
spéculateurs de tout acabit cherchant à s’enrichir rapidement, des investisseurs institutionnels
impatients de rendement à court terme.
Plusieurs de ces « actionnaires » n’ont que peu d’engagement et de loyauté envers l’entreprise. Il
serait étonnant alors que les membres de la direction ressentent engagement et loyauté à leur égard. Il
est bien humain de chercher à maximiser sa propre rémunération lorsque son travail et son talent
contribuent à enrichir des « actionnaires » que les PDG estiment, pour une bonne part, n’être que des
mercenaires impitoyables jouissant de rémunérations faramineuses qu’ils ne méritent pas, des
actionnaires passagers dont ils ne respectent ni les tactiques ni le rôle.
La cupidité
La cupidité est une maladie contagieuse et insidieuse. Elle prend des proportions épidémiques de nos
jours alors que l’on cherche toujours et en vain le vaccin, le remède pour nous protéger de ce mal. La
cupidité se propage dans toute une société par un phénomène d’envie du bonus de l’autre, par le
sentiment d’être sous-payé pour la « valeur » de ses services, relativement parlant…
Voyons un peu. M. Lloyd C. Blankfein, le PDG de Goldman Sachs reçoit une rémunération annuelle qui
fait dans les $70 millions en 2007. Les options sur le titre et les actions qu’il détient valaient au 31
décembre 2008 quelque $257 millions. L‘année 2008 en fut une de vache maigre ; l’entreprise vacilla
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un moment au bord de la déconfiture dont elle fut réchappée par l’intervention du gouvernement
américain et ses agences. M. Blankfein reçut une pitance de rémunération en 2008 : $1,1 million.
Or, 2009 s’annonce bien pour Goldman Sachs qui se prépare à payer quelque $20 milliards en
rémunérations pour l’année. Comme Goldman Sachs compte quelque 34 000 employés (en incluant le
personnel surnuméraire et temporaire, les commis et secrétaires), ce montant équivaut à quelque 588
000 par employé. Ce chiffre est évidemment sans intérêt, Goldman Sachs n’étant pas une entreprise
socialiste. Il serait plus intéressant de connaître le montant des bonus que recevront les 120 employés
pour qui Goldman Sachs s’est procuré, tôt et à fort prix, des vaccins contre la grippe H1N1.
La rémunération de mes amis...
M. Blankfein et ses collègues sauront-ils résister en 2009 aux généreux bonus qui corrigeraient leur
manque à gagner de 2008 et cela malgré les protestations, les pressions politiques et même les
démonstrations devant le siège de la société ? Seront-ils sensibles à la fureur populaire ? Peut-être ces
gens estiment-ils qu’ils sont en fait sous-payés ! Comprenez donc que les amis de M. Blankfein, ses
compagnons de golf, ses voisins dans les Hampton, son groupe de référence, sont des gestionnaires de
fonds de spéculation (appelés trompeusement « hedge funds »).
Sa vie sociale et professionnelle tourne autour de gens comme ces cinq gestionnaires de hedge funds
les mieux payés en 2007:

John Paulson (rémunération : 3,7 milliards $)

George Soros (2,9 milliards $)

James Simons (2,8 milliards $)

Philip Falcone (1,7 milliards $)

Ken Griffin (1,5 milliards $)
Rappelons-le ici. Les 25 gestionnaires de fonds de spéculation les mieux payés en 2007 gagnèrent
collectivement quelque U.S. $16 milliards, une rémunération de $360 millions étant le seuil pour faire
partie de ce club sélect. Cette paye collective représente trois fois la rémunération totale des 500 PDG
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des entreprises américaines composant l’indice du Standard & Poor, ceux-là même dont les
investisseurs décrient la rémunération excessive et la cupidité.
M. Blankfein ne se qualifie même pas, et de loin, pour faire partie de ce club. Pourtant Goldman Sachs
est devenu en fait un énorme « hedge fund ». Des $30 milliards de revenus réalisés au cours des neuf
premiers mois de son exercice 2009, 80% provenaient d’activités de « trading », le même type
d’activités auquel s’adonnent beaucoup de hedge funds.
Ne serait-il pas normal que l’on compare la rémunération de M. Blankfein à celle des dirigeants de ces
hedge funds ? Alors, il semble sous-payé ; M. Blankfein et ses collègues se feraient-ils exploiter ?!
Hélas, ce phénomène de cupidité qui se justifie par la cupidité supérieure de l’autre contamine tout le
tissu économique et toute la société. Les dirigeants d’entreprises comparent leur rémunération et,
quel qu’en soit le niveau, en sont mécontents s’ils jugent qu’un autre moins méritoire est mieux payé.
Comment le PDG d’une société industrielle aux dizaines de milliers d’employés mettant en marché des
produits innovateurs et utiles pour la société peut-il ne pas ressentir un certain malaise, une envie
larvée envers les rémunérations très supérieures à la sienne que reçoivent les opérateurs financiers de
tout acabit pour leurs spéculations, tractations et manigances.
Et ainsi, un cercle vicieux d’inflation des rémunérations commença à tourner en fin des années 1980
pour aboutir au résultat actuel, apparemment insoluble, à moins de prendre des mesures radicales.
Des mesures radicales…
Nous avons étudié la question de la rémunération sous tous ses angles, jonglé avec les nombreuses
« solutions » proposées, et passé en revue l’importante littérature à ce sujet.
Nous sommes
convaincus qu’un certain niveau de confiance mutuelle, de loyauté et de réciprocité doit être
réinstauré dans les sociétés cotées en Bourse. Et nous sommes également convaincus que nous n’y
arriverons pas avec les modèles actuels de rémunération prévalant dans la majorité des entreprises.
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La relation entre la rémunération totale du PDG et autres dirigeants et la rémunération médiane des
employés de la société qu’ils dirigent revêt une importance mal comprise ou occultée. La confiance
mutuelle, la réciprocité, la loyauté, la poursuite d’objectifs communs et l’esprit de corps au sein d’une
organisation se détériorent lentement mais sûrement si les politiques de rémunérations sont perçues
par les employées comme étant injustes et favorisant outrageusement quelques privilégiés. Sans
l’effet rassembleur de ces valeurs, du sens d’engagement, du sentiment d’être tous dans le même
bateau, l’entreprise devient rapidement un lieu de rassemblement pour mercenaires.
Le programme de rémunération variable pour l’ensemble des cadres et dirigeants doit donc contribuer
à la solidarité entre les gestionnaires, au sentiment d’être tous « dans le même bateau » et non pas la
grande majorité en chaloupe et quelques-uns dans un yacht de luxe?
Nous en sommes arrivés à une conclusion fondamentale, voire radicale, sur la rémunération des
dirigeants d’entreprises cotées en Bourse :
Ce fut une erreur magistrale d’établir un lien direct entre la rémunération variable des dirigeants et le
cours des actions. Cela a pu sembler une façon simple et logique de lier les intérêts des dirigeants à
ceux des actionnaires. Dans la pratique, toutefois, le cours des actions fluctue énormément et est
influencé par de nombreux facteurs hors du contrôle de la direction; il peut même, dans une large
mesure, être manipulé à court terme.
Cette relation directe entre le cours de l’action et la rémunération variable des dirigeants pourrait se
défendre si les actionnaires en question étaient loyaux, engagés à long terme envers le succès de la
société. Tel n’est pas le cas dans l’entreprise du « modèle américain », comme nous l’avons montré
plus haut.
Nous ne voyons d’autre solution que d’éliminer toute rémunération variable sous forme d’octrois
d’options d’achat d’actions ou d’actions avec droit d’exercice restreints.
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Nous ne sommes pas arrivés légèrement à cette conclusion mais après mûres réflexions. Nous
estimons que ces formes de rémunération ont poussé les dirigeants à se préoccuper beaucoup trop
des fluctuations à court terme du cours des actions. Elles ont donné aux investisseurs de court terme
trop d’ascendant sur les dirigeants ; elles ont créé un subtile mais dangereux clivage entre les intérêts
de la haute direction et ceux de tous les autres employés de la société; les inégalités produites par ces
formes de rémunération entre hauts dirigeants et les autres membres de l’organisation sont néfastes
pour les valeurs de solidarité et de loyauté, conduisent à une sorte de lutte des classes.
Ce système a permis des niveaux de rémunération astronomiques, imprévisibles au moment de l’octroi
des options, lors des périodes d’euphorie boursière. Encore une fois, c’est à contrecœur que nous
recommandons que les gouvernements interdisent ces programmes de rémunérations fondés sur la
valeur des actions. On ne peut espérer qu’une entreprise agira d’elle-même si elle n’y est pas poussée,
invoquant la crainte, fondée ou non, de perdre ses « meilleurs gestionnaires » au bénéfice
d’entreprises ne s’imposant pas la même discipline.
Toutes les suggestions visant à « améliorer » ce modèle de rémunération à base d’options et d’actions,
que ce soit l’indexation des options, une période allongée de détention avant de lever les options, les
restrictions à l’encaissement, l’octroi d’actions avec restrictions sur leur vente plutôt que l’octroi
d’options, ne font, somme toute, qu’apposer un cataplasme sur une jambe de bois.
Nous avons démontré plus haut que l’énorme écart entre la rémunération des dirigeants d’entreprise
et celle de l’employé moyen ou médian découle surtout de l’octroi des options d’achat d’actions. Ces
disparités de revenus, au-delà d’un certain niveau, minent les sentiments de solidarité, de loyauté, de
confiance mutuelle sans lesquels une entreprise ne peut connaître le succès à long terme.
Nous sommes opposés aux limites arbitraires des rémunérations qui seraient imposées par l’État. Les
situations varient trop pour que ces plafonds salariaux puissent fonctionner. Les comités de
rémunération et les conseils d’administration doivent cependant assumer pleinement leur
responsabilité fiduciaire d’établir des politiques de rémunération dans l’intérêt à long terme de
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l’entreprise, ainsi que le veut la loi canadienne sur les sociétés par actions.
Les conseils d’administration, eux-mêmes, devraient établir un plafond sur la rémunération globale
versée à la haute direction (salaires, bonis à court terme et bonis à long terme, primes de retraite, etc.)
sous forme d’un multiple de la rémunération médiane des employés. Ce multiple pourrait varier d’un
secteur à l’autre et d’une industrie à l’autre.
Comme nous l’avons montré plus haut, ce multiple était d’environ 25 au cours des années 1950 à la fin
des années 1970 alors que prévalait le modèle d’entreprise dit de « loyauté et parties prenantes »
(loyalty / stakeholder model).
Depuis, les marchés des biens et services sont devenus plus compétitifs, ouverts à la concurrence
internationale, la sécurité d’emploi pour les cadres s’est estompée et la mobilité des cadres et
dirigeants d’une entreprise à l’autre est devenue monnaie courante. Pour ces raisons, le multiple s’est
accru mais devrait être maintenu dans une plage oscillant entre 50 et 100. Toutefois, ce plafond ne
pourrait excéder 100 dans le cas du chef de la direction d’une société sans que les actionnaires ne
soient appelés à voter pour autoriser un dépassement de cette limite.
Le conseil d’administration doit être à l’écoute de ce que le marché est prêt à offrir à titre de
rémunération pour un haut dirigeant. Toutefois, ce marché du « talent » n’est pas efficient et tend à
fournir une information partielle et biaisée. Les entreprises doivent être prêtes à perdre les dirigeants
et cadres les plus mercenaires qui sont perpétuellement à la recherche de meilleures rémunérations.
Leur présence dans l’entreprise et l’exemple de leur comportement insuffleront toujours une dose
nocive de cupidité parmi les rangs de celle-ci.
La rémunération variable des dirigeants devrait être basée sur une véritable mesure de la performance
économique de l’entreprise (la valeur économique ajoutée, le rendement sur l’actif ajusté pour le
risque, etc.) Ces mesures sont moins volatiles et captent mieux les résultats atteints sur une période
donnée; à long terme, ils ont une influence réelle sur la valeur boursière d’une entreprise. Bien sûr
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que ces mesures peuvent également être manipulées, mais dans une moindre mesure si les principes
et règles comptables ne sont pas trop flous et malléables.
Les politiques de rémunération devraient tenir compte, lorsque pertinent, des mesures de satisfaction
de la clientèle et des employés. Elles devraient avoir recours à une « banque » (réserve) de façon à ce
que les bonus gagnés une année puissent mener à des « malus » (ou bonus négatif) si les résultats
subséquents sont mauvais et mettent en doute les résultats passés. Les bonus sont versés à la
« banque » et le tiers du solde en sa banque est versé au dirigeant en prime annuelle.
La direction ne doit pas recevoir de prime pour avoir vendu l’entreprise. Les arrangements qui donnent
aux dirigeants des conditions de rémunération trop favorables lors de tout changement de contrôle
devraient être abolis. Les membres des conseils d’administration ne devraient pas, eux-aussi, tirer
profit de la vente de l’entreprise. La prise de contrôle d’Alcan par Rio-Tinto et la privatisation avortée
de Bell Canada ont donné lieu a des primes extraordinaires pour les dirigeants de ces entreprises.
Quel rôle ces primes ont-elles joué dans la réceptivité des dirigeants à ces opérations ne peut être
pleinement apprécié sans connaitre les quanta de ces primes. Dans le cas d’Alcan, les options sur le
titre détenues par les cinq principaux dirigeants avaient une valeur marchande de $12,6 millions au 31
décembre 2006 (dont seulement la moitié réalisable à ce moment). Or, en raison de l’acquisition
d’Alcan par Rio-Tinto, ces options purent être encaissées en 2007 pour $58 millions.
Conclusion
La rémunération des dirigeants est devenue un nœud gordien que l’on ne peut démêler, qu’il faut
trancher. Il faut interdire les options sur le titre comme forme de rémunération variable. Cette
pratique, à peine vieille de quinze ans (dans sa forme hypertrophiée), est indéfendable si on souhaite
rétablir les valeurs de solidarité, de confiance et de loyauté dans et autour des entreprises.
Les conseils d’administration doivent assumer pleinement leur responsabilité fiducaire en ce domaine
et établir des politiques de rémunération qui soient dans l’intérêt de l’entreprise pour le long terme et
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non seulement pour les actionnaires à court terme. Il leur incombe de bien peser comment l’esprit de
corps, la solidarité, la confiance mutuelle au sein de l’entreprise seront appuyés ou fragilisés par les
politiques de rémunération de l’entreprise. Les conseils d’administration doivent se préoccuper que les
formes et niveaux de rémunération pour les dirigeants ne suscitent pas une remise en question de la
légitimité politique et sociale de leur l’entreprise en particulier et du système de libre entreprise en
général.
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Chapitre 9
DISSIPER LE MIRAGE DE LA GOUVERNANCE
La gouvernance orthodoxe d’une société typique du modèle anglo-saxon n’est souvent qu’un mirage.
En effet, vu de loin, les conseils d’administration semblent prendre toutes les décisions importantes,
semblent exercer le contrôle ultime sur la société et sa direction. Vu de plus près toutefois, le mirage
se dissipe pour faire place à la sobre réalité des limites de la gouvernance. Dans ces sociétés à
l’actionnariat largement réparti, les administrateurs indépendants, aussi impressionnantes que fussent
leurs biographies, ne sont trop souvent que les vassaux des membres de la direction.
Ceux-ci jouissent d’un avantage insurmontable en termes d’information, de temps investi dans les
dossiers et d’expertise spécifique. Les dirigeants choisissent l’information qui sera présentée au conseil
ainsi que les problèmes et enjeux qui y seront soulevés. Les membres du conseil d’administration
approuvent tout, du plan stratégique et des budgets aux acquisitions, des politiques de toute nature
aux structures organisationnelles, des nominations des cadres supérieurs à leur rémunération. Mais
ces « décisions » reposent sur des informations, analyses, propositions soumises et défendues par la
direction.
Les administrateurs s’en remettent à leur vaste expérience personnelle afin de poser quelques
questions pertinentes et faire un certain nombre de recommandations. Les gestionnaires ont eux passé
des centaines, voire des milliers, d’heures à étudier ces questions et préparer les documents tandis que
les membres du conseil y ont peut-être consacré que quelques heures avant de se présenter à la
réunion du conseil.
La gouvernance d’entreprise engendre un paradoxe : lorsque la direction est compétente, elle a
réponse à tout et le conseil ne trouvera que rarement des failles dans ce que la direction propose. Si,
par contre, le conseil prend souvent la direction en défaut, soulève des enjeux auxquels elle n’a pas
réfléchi, trouve régulièrement des failles évidentes aux propositions de la direction, le conseil devrait
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prestement congédier une telle direction. En d’autres mots, lorsque la direction en place est habile et
compétente, la gouvernance devient vite une routine fiduciaire…jusqu'à ce que survienne une crise.
Ce qui surprend à propos de la gouvernance pratiquée dans beaucoup de sociétés, c’est le fait que
même pour les sujets se prêtant bien à un rôle incisif de la part du conseil, comme, par exemple, en
matière de relève à la haute direction, d’embauche du président et chef de la direction,
d’établissement de la politique de rémunération, la prestation des conseils laisse souvent à désirer.
Ainsi, un sondage mené auprès des grandes entreprises américaines et canadiennes montre que 40 %
des conseils chercheront leur prochain PDG hors des rangs de l’entreprise ! Qu’en est-il de la
planification de la relève par les conseils d’administration? De la même façon, par leurs démarches et
leurs décisions, les conseils ont contribué à transformer l’enjeu délicat et complexe de la rémunération
des dirigeants en une véritable crise sociale et un mélodrame politique.
L’orthodoxie dominante en matière de gouvernance depuis Sarbanes-Oxley n’a fait que renforcer cet
aspect de la gouvernance : une façade de responsabilité fiduciaire pour rassurer les actionnaires ainsi
qu’une apparence d’autorité décisionnelle pour donner le change.
Ce propos sceptique sur la gouvernance n’aboutit pas au constat de sa futilité et de son impuissance,
bien au contraire. La gouvernance peut, et doit, jouer un rôle important pour le bien-être de nos
sociétés. Pour y arriver toutefois, il nous faut adopter des formes de propriété qui permettent la mise
en place d’une gouvernance qui soit créatrice de valeur. Cette gouvernance doit résoudre le dilemme
incontournable de l’asymétrie d’information et de compétence entre le conseil et la direction. Au
premier chef, les conseils d’administration doivent jouir d’une haute légitimité et crédibilité.
Les différentes formes de propriété décrites plus haut posent des défis bien précis en termes de
gouvernance. Dans tous les cas, cependant, les gouverneurs doivent être légitimes et crédibles, un
objectif beaucoup plus facile à atteindre que dans le cas du modèle conventionnel et « idéal » de
l’entreprise à l’américaine.
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La légitimité du conseil
Depuis le milieu des années 1990 et de façon accentuée depuis les scandales des années 2001-2002,
l’indépendance des membres de conseil est devenu la pierre angulaire et, pour certains, la pierre
philosophale de la gouvernance. Le concept fait surtout référence à l’indépendance du conseil vis-à-vis
de la direction.
Or, l’indépendance du conseil envers la direction est une condition nécessaire mais non suffisante de sa
légitimité. Cette indépendance donne une certaine assurance aux actionnaires et aux autres parties
prenantes que les membres du conseil ne seront pas influencés, ni donneront les apparences d’être
influencés, par leur propre intérêt plutôt que par l’intérêt de l’entreprise et de ses parties prenantes.
Dans les faits, personne dont les intérêts personnels (autres que ceux à titre d’actionnaire) dépendent
de façon significative des décisions prises par la direction d’une entreprise ou par son conseil
d’administration ne peut légitimement représenter les intérêts des parties prenantes à l’entreprise.
Cependant, l’absence de telles relations ne fait pas par le fait même de la personne « indépendante »
un administrateur légitime si le processus de nomination et d’élection au conseil comporte des failles
et ne respecte pas les règles élémentaires de démocratie (Allaire, 2007).
En effet, la légitimité d’un conseil prend également sa source dans la façon de mettre en nomination et
d’élire les membres du conseil. Si cette démarche est viciée, si les parties prenantes estiment ne pas
être vraiment représentées au conseil, alors ce conseil manquera de légitimité, peu importe que ses
membres soient tous formellement indépendants de la direction.
Plusieurs mesures ont été proposées afin d’accroître la démocratie dans l’entreprise. Pensons,
notamment, au vote cumulatif, à la possibilité pour tout actionnaire (ou regroupement d’actionnaires)
représentant au moins 5% des votes de proposer des candidats aux postes d’administrateurs, le vote
individuel et majoritaire pour les candidats au conseil, etc. Toutes les mesures qui sont destinées à
renforcer la légitimité des conseils méritent l’appui vigoureux de ceux qui militent à améliorer la
qualité de la gouvernance dans nos organisations publiques et privées.
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Par Yvan Allaire et Mihaela Firsirotu
Plaidoyer pour un nouveau capitalisme
Yvan Allaire et Mihaela Firsirotu
Dans les organismes publics et dans les sociétés cotées en Bourse mais sans actionnaire substantiel à
bord, il est souhaitable qu’une forte majorité des administrateurs et que tous les membres des comités
statutaires du conseil (les comités de vérification, de gouvernance et des ressources humaines) soient
indépendants de la direction.
Au Canada et aux États-Unis, pour les sociétés avec un actionnaire substantiel, voire de contrôle, la
notion d’indépendance fut élargie pour y ajouter l’indépendance des membres du conseil vis-à-vis de
cet actionnaire substantiel.
Or, les actionnaires importants, lorsqu’ils sont engagés activement dans la gouvernance et la gestion
de l’entreprise, jouissent d’une forme de légitimité tout aussi importante, sinon plus importante, que
celle fondée sur l’indépendance.
Un des fondements de notre système économique veut que les actionnaires détenant une
participation importante dans une entreprise puissent jouer un rôle clé dans sa gestion et sa
gouvernance, s’ils le désirent. Les conseils d’administration des sociétés cotées en Bourse comportant
des actionnaires importants devraient combiner ces deux formes de légitimité au sein de leur conseil
et de leurs comités statutaires.
Ce dernier point est controversé et fait l’objet de débats, au Canada du moins. Nous sommes d’avis,
tout comme l’Institut sur la gouvernance des organisations publiques et privées (IGOPP, 2008), que les
actionnaires importants qui jouent un rôle actif dans la gestion et la conduite de la société constituent
des membres légitimes du conseil et devraient être reconnus comme tel. Leur participation directe
dans les conseils d’administration et sur les comités statutaires devrait aller de soi.
Toutefois, les conseils d’administration des sociétés qui sont sous le contrôle d’un actionnaire (ou
d’actionnaires reliés) devrait compter sur une proportion suffisante (jamais moins du tiers) de
membres qui sont élus exclusivement par les actionnaires minoritaires.
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Par Yvan Allaire et Mihaela Firsirotu
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Le concept d’indépendance acquiert un rôle, restreint certes, mais important dans le fonctionnement
d’un conseil s’il est présenté comme étant une source de légitimité. En fait, ce n’est que par sa
légitimité qu’un conseil gagne le droit d’imposer ses vues et volontés à la direction de la société. Au
regard de l’histoire économique, il pourra sembler curieux que, pendant un temps, les actionnaires
importants d’une société ne furent pas légitimes pour siéger sur les comités importants du conseil
d’une entreprise dans laquelle ils ont investi leur argent, leur temps et leur énergie.
La crédibilité du conseil
Si c’est la légitimité qui donne à un conseil d’administration le droit et l’autorité d’imposer ses
volontés à la direction, c’est la crédibilité qui fait qu’un conseil sera efficace et créera de la valeur.
La crédibilité d’un conseil repose sur l’expérience combinée et l’expertise collective de ses membres,
pertinentes aux enjeux et aux défis spécifiques avec lesquels l’organisation doit composer. La crédibilité
d’un administrateur individuel résulte de son expertise et de son expérience spécifiques, accompagnée
d’une véritable indépendance d’esprit. Un administrateur peut augmenter sa crédibilité personnelle si,
dès son arrivée au conseil, il ou elle investit le temps et l’effort intellectuel nécessaires pour
comprendre les aspects essentiels du fonctionnement de l’entreprise, son modèle d’affaires et les
moteurs de sa valeur économique ou sociale.
Le véritable test de la crédibilité d’un conseil est le respect et la confiance qu’il inspire aux membres de
la direction; cette crédibilité se manifeste par la conviction au sein de l’équipe de direction que ses
discussions avec le conseil sont fructueuses, ouvrent de nouvelles perspectives et ajoutent une réelle
valeur aux prises de décision. Un administrateur crédible est une personne engagée et respectée par
les autres membres du conseil et qui n’hésite pas à soulever des questions difficiles et à insister pour
que les grands enjeux soient traités au conseil.
Un administrateur crédible partage son expérience avec la direction et lui offre ses conseils tout en
s’assurant de rester indépendant. La crédibilité ne peut être mesurée. Il est pratiquement impossible
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pour un observateur externe d’évaluer la crédibilité d’un administrateur, même si cette qualité est
évidente pour tous les collègues siégeant au conseil.
Malheureusement, le fait que bien des administrateurs manquent de crédibilité explique la
performance médiocre et la faible valeur ajoutée de la gouvernance pour de trop nombreuses
organisations. Il peut arriver qu’un administrateur de haute crédibilité puisse ne pas être pleinement
indépendant au sens strict du terme (parce qu’il a occupé un poste de dirigeant dans cette industrie au
cours des trois dernières années, par exemple).
La gouvernance de toute organisation ou institution se situe toujours quelque part sur un continuum
allant de « ni légitime, ni crédible » à « légitime et crédible », avec toute la gamme des combinaisons
possibles entre ces deux extrémités. C’est-à-dire que la gouvernance oscille entre une « dictature
incompétente » et une « démocratie efficace ».
Pour certaines formes de propriété d’entreprise, la légitimité et la crédibilité de leur gouvernance vont
presque de soi, bien que des difficultés peuvent survenir de temps à autre. C’est le cas des sociétés
privées n’ayant pas fait appel à l’épargne public, des sociétés en nom collectif ou des coopératives.
Dans les sociétés comptant un actionnaire majoritaire ou important, que soit par l’entremise
d’actions votes multi-votantes ou non, une gouvernance légitime et crédible peut être atteinte si les
principes décrits plus haut sont mis en place. En fait, les individus disposant d’une participation
importante dans la société bénéficient d’une grande légitimité leur permettant d’exercer leur autorité
sur la direction ; ils jouissent également de cette précieuse et rare qualité qu’est la crédibilité. Bien
souvent, ce sont eux qui ont créé l’entreprise et l’ont bâtie; ils en connaissent les moindres racoins; ils
y ont investi massivement leur temps, leur énergie et leur passion; enfin, une grande partie de leur
patrimoine est engagée et mise à risque dans l’entreprise.
De fait, les sociétés cotées en Bourse dont l’actionnariat est diffus sont particulièrement vulnérables à
ce compte. Leurs conseils, quoique souvent légitimes, sont rarement crédibles parce que les
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administrateurs n’ont pas cette connaissance intime de l’organisation, ni la capacité d’investir le temps
et l’énergie requis pour acquérir une certaine crédibilité pour gouverner une société complexe.
Aucune entreprise ne devrait être complexe à un point tel que son conseil d’administration ne puisse
la gouverner efficacement. Les « gouverneurs » d’une société détenue par un grand nombre
d’actionnaires devraient se rappeler de cette règle. Leur capacité à gouverner est plutôt limitée et, par
conséquent, ils devraient veiller à garder leur entreprise simple. C’est la principale leçon qui se dégage
de la déconfiture récente des institutions financières américaines et européennes. Leur complexité
avait atteint un tel niveau qu’il devenait impossible pour les membres du conseil (et souvent même
pour les membres de la haute direction) de comprendre les tenants et aboutissants de leurs
opérations.
Les sociétés d’État sont confrontées à des enjeux de gouvernance bien spécifiques. Dans une certaine
mesure, ces sociétés sont similaires à celles qui sont contrôlées par un actionnaire majoritaire. Les
gouvernements à titre d’actionnaires ont le pouvoir de nommer les membres du conseil, mais,
contrairement à un actionnaire majoritaire d’une société privée, les membres du gouvernement ne
participent pas, et ne peuvent le faire, à la gouvernance et à la gestion de l’entreprise d’État.
En fait, les gouvernements agissent, à titre d’actionnaires, de façon similaire aux actionnaires des
sociétés disposant d’un large actionnariat publique, tout en voulant exercer à distance une autorité sur
ces sociétés comme celle exercée par un actionnaire de contrôle. Cette tension, si elle est mal résolue,
devient néfaste pour la performance de la société d’État.
Dans une situation idéale, les gouvernements définissent un cadre de gouvernance auquel les sociétés
d’État doivent se conformer. Ce cadre, de nos jours, s’inspire des meilleures pratiques de gouvernance
fiduciaire du secteur privé. On y établit le principe de l’indépendance des membres des conseils, exige
la création de comités statutaires (vérification, gouvernance, ressources humaines), impose une
division des rôles de président du conseil et de président et chef de la direction, etc. Le conseil pourrait
idéalement être doté des pouvoirs et de l’autorité d’un conseil d’une société cotée en Bourse :
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nomination du chef de la direction, établissement de la rémunération fixe et variable des dirigeants,
participation à la démarche de nomination de nouveaux membres au conseil.
Ces mécanismes standards de bonne gouvernance fonctionnent relativement bien (au moins aussi bien
que pour les sociétés cotées en Bourse) jusqu’au jour où une société d’État se retrouve au cœur d’une
controverse politique. Voilà le moment de vérité qui met à l’épreuve la maturité politique de la société
civile.
À moins que le conseil ne soit directement coupable ou responsable des décisions ou actions qui ont
causé la controverse, le gouvernement à titre d’actionnaire devrait laisser au conseil la tâche de gérer
la situation. Cela est plus facile en théorie qu’en pratique. Que l’on veuille ou pas, pour les partis
d’opposition, les médias et la population en général, le gouvernement demeure le grand responsable
de tout ce qui se fait ou ne se fait pas dans ces sociétés d’État.
Ce fait incontournable place les gouvernements devant un dilemme. Incités à laisser une bonne marge
d’autonomie aux organismes et à leur conseil, les gouvernements ne devraient pas intervenir dans
leurs décisions; mais plus ils sont autonomes, plus il est probable que ces organismes, à un moment ou
l’autre, prendront des décisions qui pourront embarrasser le gouvernement. Donc, une « bonne »
gouvernance rend le gouvernement plus vulnérable devant le grand public, les partis d’opposition et
les médias pour des décisions prises à son insu; par contre, une mauvaise gouvernance aboutit à des
organismes moins performants, politisés et bureaucratiques, mais possiblement moins risqués
politiquement pour les gouvernements
Dans des pays politiquement immatures, les attaques répétées des partis d’opposition et l’inévitable
déchaînement médiatique exerceront une telle pression que les gouvernements finiront par prendre
des mesures intempestives pour calmer le jeu. Or, cette façon de composer avec les « crises »
entraînera un affaiblissement de la gouvernance de ces sociétés, une perte de légitimité et de
crédibilité des conseils.
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Les sociétés d’État peuvent jouer un rôle important dans la structure industrielle d’un pays. Toutefois,
ces sociétés ne pourront donner leur pleine mesure dans un contexte d’immaturité politique, de
calculs politiques à courte vue et d’absence de retenue chez les partis d’opposition.
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Chapitre 10
CAISSES DE RETRAITE ET RÉCIPROCITÉ INTERNATIONALE
I.
BALISER LA LATITUDE DE PLACEMENT DES CAISSES DE RETRAITE
Nous avons soutenu que les caisses de retraite publiques et privées furent en quelque sorte les
Docteurs Frankenstein des marchés financiers. Par leurs placements dans les fonds de couverture,
fonds de privatisation et autres fonds « innovateurs », elles ont créé des monstres financiers qui, par
leurs agissements et leurs spéculations, ont infligé de sérieux dommages aux structures industrielles
ainsi qu’au système financier lui-même. Sans l’apport massif en capitaux en provenance des caisses de
retraite, ces opérateurs financiers n’auraient joué qu’un rôle marginal et n’auraient pas acquis le
pouvoir et l’influence dont ils jouissaient dans la période s’échelonnant de 2000 à 2007.
Les caisses de retraite ne sont peut-être pas soumises aux pressions exercées par des investisseurs
impatients ou par les variations quotidiennes des cours boursiers. Cependant, au cours des ans, un
ensemble de pressions, de mesures de performance et de rémunération ont pris forme et ont
finalement eu le même effet sur la gestion de ces caisses. Les cotisants à ces caisses publiques ou
privées réclament un rendement maximal afin de minimiser le coût de leurs obligations futures. Ce
rendement est comparé à divers indices ainsi qu’au rendement des autres caisses. Se classer dans le
premier quartile ou, encore mieux, dans le premier décile, est devenu l’objectif de tous les
gestionnaires de caisse. Comme de raison, la rémunération variable des gestionnaires était liée à ces
mesures de performance.
Étant donné les écarts importants dans la répartition des actifs dans les portefeuilles, ainsi que dans les
échéances des rentes futures à verser, ces comparaisons sont de piètres indicateurs de performance.
Peu importe, la couverture médiatique entourant ces rendements quantitatifs rendait futile toute
tentative d’analyse et de remise en perspective de ceux-ci. Tous les gestionnaires de caisses voulaient
donc figurer au premier quartile dans sa catégorie, ce qui est évidemment impossible sur le plan
statistique.
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Cette pression exercée pour se classer dans le premier quartile et de s’y maintenir, de battre les
indices, a mené les gestionnaires de caisse à rechercher toutes les façons d’atteindre cet objectif. Les
caisses de retraite ont donc investi un pourcentage croissant des actifs dans des placements dits
alternatifs (fonds de spéculation, de privatisation, d’infrastructure, immobilier commercial et
résidentiel, etc.) promettant des rendements alpha, soit des rendements supérieurs tenant compte
des risques assumés. Elles ont également eu recours à l’effet de levier (c’est-à-dire le recours à
l’endettement) afin d’accroître le rendement sur l’avoir des caisses
Nous avons souligné comment cette dynamique, très présente dans notre système économique, a
enclenché un cercle vicieux quasiment impossible à stopper. À un moment donné, tout gestionnaire de
caisse a appris à utiliser ces instruments afin de hausser le rendement. Alors, le seul moyen de se
maintenir dans le premier quartile était d’utiliser ces outils encore plus que les autres caisses.
Nous avons proposé, plus haut, que les gouvernements, sur qui repose la responsabilité de déterminer
les classes d’actifs dans lesquels les caisses de retraite peuvent investir, se penchent de nouveau sur
cette question. Nous ne voyons aucun avantage à ce que les caisses puissent investir dans des fonds
spéculatifs (déguisés sous le nom de fonds de couverture) ou dans des fonds de capitaux privés.
On pourrait invoquer qu’il suffirait pour les gouvernements ayant autorité sur les caisses de retraite de
leur imposer un plafond quant au pourcentage des actifs pouvant être investis dans des fonds de cette
nature. Toutefois, ces fonds sont de véritables caméléons, changeant de nom et de stratégie au gré des
courants dominants, à telle enseigne qu’il est futile de tenter de les réglementer directement ou
spécifiquement. Il vaut mieux les assécher en les privant de capitaux, du moins ceux en provenance des
caisses de retraite.
Une règle devrait être imposée aux caisses de retraite : celles-ci ne peuvent investir dans aucun fond
de placement qui exige plus de 3 % comme rémunération totale (fixe et variable) pour ses services.
Une telle règle mettrait fin aux rémunérations mirobolantes versées à ces gestionnaires de fonds pour
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des activités douteuses, voire carrément nocives. Ça en serait fini de ces frais de gestion de 2 %
auxquels il faut ajouter 20 % ou plus du rendement obtenu ! Les caisses de retraite devront peut-être
laisser passer des occasions de placement au rendement attrayant. Soit ! À long terme, les caisses de
retraite et les collectivités ne s’en porteront que mieux.
Les caisses de retraite, qu’elles soient publiques ou privées, sont avant tout redevables envers les
cotisants et les futurs retraités. Cependant, les capitaux qu’elles gèrent leur sont confiés par des
entreprises, des États, et des citoyens d’une collectivité donnée. Selon nous, les caisses ont l’obligation
de réfléchir longuement et de faire preuve d’imagination quant au rôle qu’elles devraient jouer dans la
société et quant à leur contribution à l’économie et à la structure industrielle du pays, dans le respect
de la relation risque/rendement qui doit guider toutes leurs décisions.
Les caisses de retraite, dans une société moderne où les retraites à prestations déterminées dominent
(comme il se doit), représentent un outil formidable pour la collectivité 9. Une mince fraction de leurs
actifs représente des sommes considérables. Comme leurs obligations s’échelonnent sur une longue
période, elles peuvent devenir des investisseurs patients orientés vers le long terme. Leurs racines
dans la collectivité font en sorte qu’elles ont une connaissance intime de la structure industrielle, de
ses problèmes et des occasions qui s’y trouvent.
II) PROMOUVOIR ET DÉFENDRE LA RÉCIPROCITÉ INTERNATIONALE
Le principe de la réciprocité internationale a été proposé pour deux secteurs spécifiques : les fusions et
les acquisitions transfrontalières ainsi que le commerce international.
Les fusions et acquisitions transfrontalières
Nous vivons à une époque où certains pays exportant massivement des biens et du pétrole aux ÉtatsUnis et ailleurs ont accumulé d’énormes réserves de dollars. Ces pays ont mis en place des fonds
souverains chargés d’investir ces réserves afin d’obtenir un rendement supérieur à celui offert par les
bons du Trésor américains. Certains de ces fonds sont devenus un instrument au service de la stratégie
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Les caisses de retraite canadiennes montraient des actifs de $1,200 milliards au 31 décembre 2009!
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industrielle de leur gouvernement respectif. D’où la réception plutôt mitigée qui leur est faite. La
question est encore plus sensible lorsque ces fonds se proposent d’acquérir, en totalité ou en partie,
des entreprises œuvrant dans le secteur des ressources naturelles.
Évidemment, les États peuvent, comme ils font d’ailleurs parfois, bloquer ces transactions en imposant
dans certains secteurs d’activité des limites à la propriété étrangère. Mais ces interventions soulèvent
la controverse et peuvent dégager un relent de protectionnisme. La solution repose, selon nous, dans
l’application du principe de réciprocité.
Aucune entreprise ou fonds d’un pays étranger ne peut acquérir une entreprise nationale si cette
dernière ne serait pas autorisée d’acquérir une entreprise semblable dans ce pays étranger. En d’autres
mots, si nos entreprises ne peuvent acquérir les vôtres, vous ne pouvez acquérir les nôtres. Nous
appuyons cette prise de position en autant qu’il soit possible d’analyser au cas par cas certaines
situations particulières.
Le commerce international
Le principe de la réciprocité équivaut dans ce cas précis à une forme de protectionnisme. Toutes les
importations devraient être soumises à l’imposition d’un tarif douanier qui fluctuerait selon les écarts
de coûts sociaux et environnementaux absorbés par les entreprises du pays importateur et celles du
pays exportateur. L’objectif est bien évidemment de permettre aux entreprises nationales de
concurrencer avec les importations de pays à faibles salaires où les mesures de protection sociale et
environnementale sont quasi-inexistantes.
Cela peut sembler juste et raisonnable à première vue mais une telle politique peut avoir des
ramifications insoupçonnées et imposer de pénibles coûts aux populations les plus vulnérables dans les
pays importateurs comme dans les pays exportateurs en voie de développement. Toutefois, si la
dévastation du tissu industriel des pays développés continue au rythme actuel, de telles mesures
seront certainement proposées et adoptées, malgré les hauts cris de l’Organisation mondiale du
commerce.
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Chapitre 11
EN GUISE DE CONCLUSION
Quelle était la fonction sociale de ce système financier alambiqué ? La réponse la moins sévère serait
qu’il permettait aux personnes qui avaient investi une partie de leurs avoirs dans un de ces fonds, peu
importe le type de fonds, d’obtenir des rendements supérieurs. À long terme, dans le meilleur des cas,
les investisseurs pouvaient peut-être toucher un rendement, ajusté pour le risque, très légèrement
supérieur à celui qu’ils auraient obtenu avec un portefeuille rudimentaire composé tout simplement
d’actions et d’obligations traditionnelles!
Que de ressources monopolisées pour si peu de résultats : le gaspillage des meilleurs talents, des
rémunérations astronomiques alimentant une cupidité omniprésente et galopante, l’encensement de
la spéculation, la fracture du tissu industriel, la dévastation de l’économie réelle.
Au cœur de cette invraisemblable crise financière, se dissimule le modèle « idéal », le modèle
américain, de l’entreprise. Ce nouveau modèle s’est façonné au cours des trente dernières années
alors que le capitalisme managérial d’antan se métamorphosait en un capitalisme financier, un
capitalisme de casino.
Or, en 2008, ce modèle d’entreprise était devenu la norme dans les pays « développés » : reposant sur
le principe « d’une action, un vote », cotée en Bourse, « propriété » d’un grand nombre de fonds de
placement aux objectifs de rendement à court terme, d’ « actionnaires » éphémères et spéculatifs,
gouvernés par des administrateurs « indépendants », gérés par des dirigeants mercenaires et mobiles,
bien payés pour servir exclusivement ces nouveaux « actionnaires ». Ce modèle, fort répandu aux
États-Unis et certains autres pays, est à la source des fiascos financiers que nous avons connus au cours
des vingt dernières années.
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Les marchés financiers en sont ainsi venus à imposer leur logique du court terme, de croissance
trimestrielle du bénéfice par action au même temps que les entreprises font face à une concurrence
féroce sur les marchés pour leurs biens et services. Cette combinaison de pressions est néfaste pour la
santé et la survie des entreprises.
Toutefois, maintenant que le modèle américain, dominant depuis au moins la chute du mur de Berlin,
adulé et imité presque partout, a perdu de son lustre, les autres pays peuvent, et doivent, choisir de se
donner les règles et les institutions économiques qui leur conviennent même si cela va à l’encontre du
modèle américain qui a prévalu au cours des dernières années.
Au Canada par comparaison aux États-Unis, l’appareillage de surveillance des banques, la solidité de
celles-ci en raison de leur vaste réseau d’épargnants, l’endettement modéré des ménages, la quasiabsence de prêts dits « subprime », le plus grand nombre d’entreprises comptant des actionnaires
substantiels, l’inégalité moindre des revenus, une plus grande mobilité et solidarité sociales ont
façonné un contexte économique bien propre au Canada qui lui a fait résister mieux que la plupart des
autres pays à la tornade financière des années 2007-2009.
Cependant, durant les années d’euphorie et de domination du modèle américain de l’entreprise, le
Canada fut soumis à de fortes pressions, tant internes qu’externes, pour ajuster son modèle au modèle
américain, l’étalon d’or, semblait-il, en matières économiques et financières. Le même phénomène
s’est produit en Europe continentale. À Ottawa, Bruxelles, Paris, Berlin, Londres, des politiciens et des
idéologues écoutés des gouvernements ont tenté de convaincre leurs gouvernements et leurs sociétés
des bienfaits et avantages d’imiter le modèle américain de l’entreprise et, plus largement, de société.
Cette conception de la société et de l’économie a perdu son attrait pour l’instant (en 2009), d’où
l’occasion pour les gouvernements et leurs agences d’agir vigoureusement afin de promouvoir un
nouveau genre de capitalisme.
Les gouvernements doivent encourager, protéger et appuyer de nouvelles formes de propriété
d’entreprise. Le développement de ces formes alternatives de détention de la propriété des
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entreprises constitue une condition nécessaire à une gestion à long terme des entreprises ainsi qu’à
l’émergence des valeurs de confiance mutuelle, de réciprocité et de loyauté essentielles à la survie des
organisations. Pour que ces valeurs puissent émerger, croître et se développer, nous croyons que la
délicate question de la rémunération des dirigeants doit aussi être résolue.
Nous avons faits plusieurs recommandations plutôt radicales au sujet de la rémunération :
l’élimination de tous les programmes d’octroi d’options d’achat d’actions et le plafonnement par les
conseils d’administration de la rémunération de la haute direction à un multiple du salaire médian
prévalant dans l’entreprise. C’est à contrecœur que nous faisons ces recommandations mais nous
croyons qu’il faut trancher le nœud gordien de la rémunération que l’on cherche en vain à dénouer
depuis plusieurs années.
Nous avons formulé nombre de suggestions et recommandations aux gouvernements, aux agences de
réglementation des caisses de retraite, aux commissions des valeurs mobilières, aux caisses de retraite
elles-mêmes, aux conseils d’administration et aux Bourses.
Nos propositions appellent à une action plus vigoureuse de l’État que nous ne l’aurions souhaitée.
Dans de nombreuses circonstances, les acteurs du système, pris par sa logique inextricable, ne peuvent
s’en distancer malgré les réserves et les craintes que le système leur inspire. Du moins, ils ne le
peuvent sans subir des coûts personnels considérables.
Quelques héros et saints mis à part, les acteurs dans un système financier vicié et périlleux ne peuvent
modifier leurs comportements que si tous les autres le font simultanément. Dans l’univers des sociétés
cotées en Bourse dont les actions sont détenues par un grand nombre de fonds, les entreprises ne
peuvent se soustraire, sans impunité, aux diktats des marchés financiers. Les gouvernements se
doivent d’agir. Seul l’État peut dans ces conditions imposer un changement simultané, instituer de
nouvelles règles du jeu qui placeront tous les joueurs sur un même pied, créeront de nouvelles normes
de comportements et susciteront les changements nécessaires à la survie du système.
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En ce moment (automne 2009), les gouvernements des pays développés (les membres du G20
certainement) ont une certaine marge de manœuvre, marge qui se résorbe rapidement, pour effectuer
des changements importants avant que les maestros de la finance, quelque peu déstabilisés pendant
un temps, ne recouvrent leurs esprits et leur morgue. Au premier chef, les États-Unis tireront-ils les
leçons qui s’imposent et adopteront-ils des arrangements réglementaires et économiques vraiment
différents. On peut en douter.
Au fur et à mesure que la crise de 2007 – 2009 se résorbera à la faveur d’un certain resserrement de la
réglementation et la mise en place d’un certain nombre de mesures du type de celles proposées dans
cet ouvrage, il est bien possible, même probable, que les causes fondamentales des fiascos financiers ne
soient pas corrigées. Alors, il vaut mieux se préparer à la prochaine débâcle, bulle ou crise qui
surviendra d’ici quelques années.
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