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1.2. Se contenter de décrire la population concernée
Si nous avons dû renoncer à définir de façon claire la population accueillie, du moins nous est-
il possible de décrire les troubles les plus fréquents et les plus manifestes. Ce sont ces troubles
que nous rencontrons habituellement dans nos établissements
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• un contrôle extrêmement difficile des émotions.
« Les sentiments, les affects (envie, colère, peur, angoisse…) ne sont ni endigués, ni contenus
dans la plupart des situations de la vie. Ils envahissent le temps et l'espace de la relation, de
façon directe, crue, sans censure ni retenue… Les manifestations pulsionnelles sont souvent
excessives : violence gratuite, agressivité, grossièretés, injures, gestes et paroles obscènes…
On observe aussi des actes de destruction, des agressions dirigées vers les autres (les frères
ou sœurs, les camarades d'école, les enseignants, les parents…) ou vers soi (déchirer, casser,
se faire mal, se mutiler, se mettre en danger…). Les actes et les « mots-actes » se déversent
sans filtres vers le dehors, tant que dure l'excitation psychique interne. Au cours de ces
instants, tout acte de pensée, toute considération de la situation parait inaccessible. L'énergie
développée par la tension est évacuée, exportée, faute de pouvoir être pensée puis verbalisée.
L'emprise pulsionnelle est plus ou moins accessible à la conscience. Le caractère impérieux,
irrésistible de l'agir n'exclue pas une combinaison avec les sentiments de jubilation et de
désarroi. »
• une très faible estime de soi.
« Les enfants et adolescents, doutent d'eux même, ont peur de l'échec, de ne pas être à la
hauteur et le vivent de manière directe, abrupte, massive. Ils semblent manquer de ressources
personnelles suffisantes pour relativiser, composer, prendre un peu de distance avec ces
sentiments insupportables générés par la moindre confrontation à une demande, à une limite
venant d'autrui. Les exigences, les contraintes de la socialisation ou des apprentissages leur
font courir le risque de prendre conscience d'une insuffisance, ou d'une faiblesse. Alors qu'ils
se vivent et se veulent « tout », le moindre « manque » vient assaillir leur narcissisme, au point
d'occulter toute pensée, toute élaboration voire la perception même. Ils tentent d'esquiver tout
ce qui peut menacer ou altérer leur fantasme infantile d'omnipotence. Ceci les conduit à braver,
provoquer, défier ou à l’inverse, s'isoler, se retirer, se claquemurer. »
• une détresse existentielle et une forte quête affective.
« Ces jeunes éprouvent une difficulté importante à se considérer comme manquant,
incomplets. Leurs possibilités d'envisager l'existence ont tendance à se réduire aux binômes :
tout ou rien, ici et maintenant. Pour tenter de gérer ces alternatives terribles, les enfants ou
adolescents vont recourir à tout ce qui peut leur donner le sentiment provisoire d'échapper à la
demande d’autrui. Ils recherchent, à leur manière, souvent de façon indirecte, surprenante, des
adultes structurants, bienveillants et sécurisants. Ils consentent à s'engager par leur médiation,
non sans protestations vigoureuses la plupart du temps, dans des activités qui leur permettent
une certaine restauration narcissique. En contrepoint, la prise de conscience de cette relation
de dépendance provoque des attitudes de fuite ou de rupture, des tentatives de destruction et
d'anéantissement, plus ou moins tonitruantes ou spectaculaires, souvent accompagnées
d'accès de violence, de bris de matériel, de dégradations de locaux, d'agressions physiques
et/ou verbales. L'étayage qui leur est nécessaire n'est apprécié et supportable que dans la
mesure où il est suffisamment discret. Ils s'accommodent de cet étayage pour composer avec
l'angoisse d'être valables à leurs yeux et à ceux des autres. Cette quête affective ne peut dire
son nom. Tout ressenti, toute prise de conscience même partielle, d'un lien avec une personne
qui leur apporte des éléments pour se construire devient révélateur de leur fragilité et de leur
manque, il dévoile leur détresse. Alors qu'ils ont peur d'être isolés pour affronter les aléas de la
vie, ils préfèrent rompre plutôt que de reconnaître qu'ils ont temporairement besoin de ces
points d'appuis. C'est peut-être à partir de cette hypothèse dynamique que nous pouvons
comprendre ces alternances de comportements régressifs et de défis, ces demandes
paradoxales et contradictoires qui intriguent, inquiètent, parfois déroutent les adultes et les
jeunes autour d'eux. »
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Travail collectif - Association des Instituts Thérapeutiques Educatifs et Pédagogiques, AIRe