Université de la Méditerranée
Aix-Marseille II
Faculté de Médecine de Marseille
Année universitaire 2004 – 2005
Sous la direction du
Pr Christophe LANÇON
Diplôme Universitaire
« Adolescents difficiles »
Panique à bord
« Comment la souffrance de certains adolescents interroge la fragilité des adultes. »
FAVEREAU Sylvain
1
1. L’Institut Thérapeutique Educatif et Pédagogique, un dispositif méconnu p 3
1.1. Les Instituts Thérapeutiques Educatifs et Pédagogiques sont dans le champ du handicap
1.2. Se contenter de décrire la population concernée p 4
1.3. Se résoudre à ne pas expliquer les causes des troubles observés p 6
1.4. L’exemple de « l’I.T.E.P. 77 » à Avignon p 12
Historique p 12
Projet d’établissement p 12
Prix à payer p 16
2. « Qui s’y frotte s’y pique » p 17
2.1. Les adolescents difficiles mettent à mal tous les dispositifs p 17
2.2. Les adultes sont fragilisés p 18
2.2.1. « Le crépuscule du devoir » p 18
2.2.2. « L’onde de choc traumatique » p 20
2.3. « Un homme averti en vaut deux » p 23
3. La dimension institutionnelle est une garantie p 27
3.1. La formation permet de survivre p 27
3.2. L’institution protège les acteurs p 28
3.3. Le travail à plusieurs : une nécessité pour qui ? p 29
2
Notre système d’éducation sait sélectionner les élites et parvient à assurer la massification de
l’enseignement. Il produit aussi un éventail de difficultés liées à la scolarité et à l’accès aux
apprentissages. Ces difficultés sont de différentes natures et font l’objet de ponses institutionnelles
variées : les services de soins, la pédopsychiatrie, le champ du handicap et les moyens mis en
œuvre par le ministère de l’éducation en direction des élèves « à besoins particuliers ».
De plus, si ces difficultés restent parfois circonscrites dans le cadre scolaire, elles le dépassent
souvent largement. Parmi les autre réponses, notons : le domaine de la protection de l’enfance confié
aux conseils généraux, les magistrats pour enfants, les services de la protection judiciaire de la
jeunesse, mais encore les actions multi partenariales impliquant les services de la jeunesse et des
sports, les collectivités locales (municipalités, conseils généraux, gion), la Caisse d’Allocations
Familiales, le monde associatif ...
Lorsque des enfants ou adolescents débordent le cadre scolaire, ils trouvent souvent des réponses
grâce au maillage des dispositifs existants. Parfois, au contraire, ils semblent ne trouver de place
nulle part et sollicitent l’attention simultanément ou successivement d’un grand nombre d’institutions.
Nous allons nous intéresser ici à certains d’entre eux, âgés de 12 à 18 ans, présentant des troubles
dits « du caractère et du comportement » et orientés de ce fait en Institut Thérapeutique Educatif et
Pédagogique (I.T.E.P) anciennement appelés Instituts de Rééducation (I.R). Les Instituts
Thérapeutique Educatif et dagogique sont depuis longtemps au « carrefour des demandes »
1
, ils
reçoivent souvent des enfants suivis aussi par : un Juge des Enfants, un service de l’Aide Sociale à
l’Enfance (ASE), un service d’Action Educative en Milieu Ordinaire (AEMO), un service de
pédopsychiatrie, ayant une situation scolaire spécifique, même s’il s’agit d’une mise à l’écart et aussi
bien entendu une famille, un environnement social.
La mise en réseau de toutes ces personnes n’est pas toujours effective, du moins s’agit-il toujours
d’un travail multifocal. Nous devons avancer vers un véritable travail à plusieurs, qui n’augmente pas
la confusion et l’enchevêtrement dont souffrent souvent les familles qui confient leurs enfants à nos
établissements. Pour pouvoir mener à bien cette évolution, il convient d’abord de permettre aux
partenaires d’identifier correctement ce type d’établissement et ses particularités locales. Il est aussi
souhaitable de s’interroger sur les forces et les faiblesses des adultes chargés de ces missions dans
leur cadre institutionnel.
Au-delà de la difficulté de prise en charge « d’adolescents difficiles », mon expérience personnelle
me conduit à m’interroger sur la capacité des adultes à prendre en compte ces adolescents qui ne
font, peut être, somme toute, que faire leur « métier d’adolescent », c'est-à-dire d’interroger et de
perturber, la « bonne marche » d’une société.
En effet, j’exerce la fonction de direction d’un Institut Thérapeutique Educatif et Pédagogique et
d’administrateur de l’association AIRe
2
. Par ailleurs, je siège en tant que « Personne Qualifiée » au
conseil d’administration de la Caisse d’Allocations Familiales de Vaucluse que je suis chargé de
représenter dans certaines instances et auprès de quelques associations. A ces divers titres, je suis
amené à constater davantage le désarroi des adultes, citoyens et professionnels, qu’à m’effrayer du
désastre imminent qu’ils annoncent.
Ma préoccupation concerne donc autant les mesures adaptées aux besoins de cette population que
les conditions d’un soutien à des adultes qui sont souvent déroutés par ces adolescents. Notre travail
risque de devenir de plus en plus pénible et de perdre progressivement de son efficacité si nous ne
prenons pas en compte l’évolution des valeurs de notre époque, les situations singulières et leurs
répercussions sur les divers intervenants.
Nous allons donc présenter un type d’établissement recevant des adolescents difficiles, l’Institut de
Rééducation devenu Institut Thérapeutique Educatif et Pédagogique. Nous aborderons les places
respectives des adolescents et des adultes dans ce contexte. Nous chercherons à établir des points
d’appui nécessaires à la poursuite de missions difficiles mais apportant aussi beaucoup de
satisfaction.
1
Colloque de l’Association AIRe - 1996
2
AIRe : Association Nationale des Instituts Thérapeutiques Educatifs et Pédagogiques, Chateaubourg
3
1. L’Institut Thérapeutique Educatif et Pédagogique, un dispositif méconnu
1.1. Les Instituts Thérapeutique Educatif et Pédagogique sont dans le champ du handicap
Le terme Institut de Rééducation (I.R.) est apparu dans l’annexe XXIV au décret n° 56-284 du 9
mars 1956 « conditions techniques d’agrément des établissements privés pour enfants
Inadaptés », puis dans la nouvelle annexe XXIV au décret 89-798 du 27 octobre 1989
remplaçant la précédente. Décret « (…) fixant les conditions techniques d’autorisation des
établissements privés de cure et de prévention pour les soins aux assurés sociaux (…) Trois
annexes (…) la première pour enfants présentant une déficience intellectuelle ou inadaptés
(…) la deuxième (…) déficience motrice (…) la troisième (…) enfants ou adolescents
polyhandicapés. »
L’orientation en Institut de Rééducation s’effectue à la suite d’une « notification de décision
d’orientation », prise par la Commission Départementale de l’Education Spéciale (CDES). La
CDES, créée par l’article 6 de la loi 75-534 du 30 juin 1975 d’orientation en faveur des
personnes handicapées place clairement les Troubles du Caractère et du Comportement dans
le champ du handicap, au moins au plan administratif.
L’appellation Institut de Rééducation, valide depuis 1956 a été remplacée par le décret du
6 janvier 2005, qui a introduit le terme d’Institut Thérapeutique Educatif et Pédagogique
(I.T.E.P). Depuis leur origine, les nombreuses tentatives de définition de la population reçue
dans ce type d’établissements se sont heurtées à une grande difficulté de catégorisation.
L’article 1 du nouveau décret formule les choses ainsi : «… enfants adolescents ou jeunes
adultes qui présentent des difficultés psychologiques dont l’expression, notamment l’intensité
des troubles du comportement, perturbe gravement la socialisation et l’accès aux
apprentissages. Ces enfants, adolescents et jeunes adultes se trouvent de ce fait, malgré des
potentialités intellectuelles et cognitives préservées, engagés dans un processus
handicapant ».
Le « Diagnostic and Statistical Manuel of Mental Disorders, forth édition
1
» (DSM IV) de
« l’American Psychiatric Association, 1987 », la « Classification Internationale des Troubles
Mentaux et du Comportement
2
» (C.I.M. 10 - O.M.S.) instituée par Ph. N. Woods, la
« Classification Française des Troubles Mentaux de l’Enfant et de l’Adolescent »
(C.F.T.M.E.A.) dite classification de « Misès », le travail complémentaire des professeurs Misès
et Quemada « Classification Des Handicaps en Pathologie Mentale de l’enfant et de
l’Adolescent », d’autres approches, spécifiques ou multidimensionnelles, pour importantes
qu’elles soient, ne permettent pas d’aboutir à une conclusion unanime.
Par ailleurs, pour certains, il faut distinguer entre handicap et inadaptation, pour d’autres, il faut
faire la différence entre caractériel et troubles du caractère, pour d’autres encore, entre
souffrance psychique et maladie mentale sans parler des débats concernant les notions de
conduite (comme manière d’agir dans une circonstance déterminée, en principe réservée aux
humains) et de comportement (comme manière d’être et d’agir des animaux et des hommes et
comme manifestations objectives de leurs conduites). Le texte de 1956 dit : «enfants
présentant essentiellement des troubles du caractère et du comportement susceptibles d’une
rééducation psychothérapeutique sous contrôle médical. »(article 1). Le texte de 1989 parle de
«manifestations et troubles du comportement rendant nécessaire, malgré des capacités
intellectuelles normales ou approchant la normale, la mise en œuvre de moyens médico-
éducatifs pour le déroulement de leur scolarité. » (article 1).
Nous ne trancherons pas ici ces débats passionnants au plan de la médecine, des sciences
humaines et des sciences sociales. Nous n’ignorons pas non plus leur importance pratique
permettant d’ouvrir des droits au bénéfice de l’assurance maladie et une compensation dans le
champ du handicap. La toute récente loi 2005-102 du 11 février 2005 précise : « constitue un
handicap, au sens de la présente loi, toute limitation de l’activité ou restriction de participation à
la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération
substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles,
mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant. »
1
Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, Masson, Paris, 1996
2
Critères diagnostiques pour la recherche. O.M.S., Masson, Paris, 1994
4
1.2. Se contenter de décrire la population concernée
Si nous avons dû renoncer à définir de façon claire la population accueillie, du moins nous est-
il possible de décrire les troubles les plus fréquents et les plus manifestes. Ce sont ces troubles
que nous rencontrons habituellement dans nos établissements
1
.
un contrôle extrêmement difficile des émotions.
« Les sentiments, les affects (envie, colère, peur, angoisse…) ne sont ni endigués, ni contenus
dans la plupart des situations de la vie. Ils envahissent le temps et l'espace de la relation, de
façon directe, crue, sans censure ni retenue… Les manifestations pulsionnelles sont souvent
excessives : violence gratuite, agressivité, grossièretés, injures, gestes et paroles obscènes…
On observe aussi des actes de destruction, des agressions dirigées vers les autres (les frères
ou sœurs, les camarades d'école, les enseignants, les parents…) ou vers soi (déchirer, casser,
se faire mal, se mutiler, se mettre en danger…). Les actes et les « mots-actes » se déversent
sans filtres vers le dehors, tant que dure l'excitation psychique interne. Au cours de ces
instants, tout acte de pensée, toute considération de la situation parait inaccessible. L'énergie
développée par la tension est évacuée, exportée, faute de pouvoir être pensée puis verbalisée.
L'emprise pulsionnelle est plus ou moins accessible à la conscience. Le caractère impérieux,
irrésistible de l'agir n'exclue pas une combinaison avec les sentiments de jubilation et de
désarroi. »
une très faible estime de soi.
« Les enfants et adolescents, doutent d'eux même, ont peur de l'échec, de ne pas être à la
hauteur et le vivent de manière directe, abrupte, massive. Ils semblent manquer de ressources
personnelles suffisantes pour relativiser, composer, prendre un peu de distance avec ces
sentiments insupportables générés par la moindre confrontation à une demande, à une limite
venant d'autrui. Les exigences, les contraintes de la socialisation ou des apprentissages leur
font courir le risque de prendre conscience d'une insuffisance, ou d'une faiblesse. Alors qu'ils
se vivent et se veulent « tout », le moindre « manque » vient assaillir leur narcissisme, au point
d'occulter toute pensée, toute élaboration voire la perception même. Ils tentent d'esquiver tout
ce qui peut menacer ou altérer leur fantasme infantile d'omnipotence. Ceci les conduit à braver,
provoquer, défier ou à l’inverse, s'isoler, se retirer, se claquemurer. »
une détresse existentielle et une forte quête affective.
« Ces jeunes éprouvent une difficulté importante à se considérer comme manquant,
incomplets. Leurs possibilités d'envisager l'existence ont tendance à se réduire aux binômes :
tout ou rien, ici et maintenant. Pour tenter de gérer ces alternatives terribles, les enfants ou
adolescents vont recourir à tout ce qui peut leur donner le sentiment provisoire d'échapper à la
demande d’autrui. Ils recherchent, à leur manière, souvent de façon indirecte, surprenante, des
adultes structurants, bienveillants et sécurisants. Ils consentent à s'engager par leur médiation,
non sans protestations vigoureuses la plupart du temps, dans des activités qui leur permettent
une certaine restauration narcissique. En contrepoint, la prise de conscience de cette relation
de pendance provoque des attitudes de fuite ou de rupture, des tentatives de destruction et
d'anéantissement, plus ou moins tonitruantes ou spectaculaires, souvent accompagnées
d'accès de violence, de bris de matériel, de dégradations de locaux, d'agressions physiques
et/ou verbales. L'étayage qui leur est nécessaire n'est apprécié et supportable que dans la
mesure il est suffisamment discret. Ils s'accommodent de cet étayage pour composer avec
l'angoisse d'être valables à leurs yeux et à ceux des autres. Cette quête affective ne peut dire
son nom. Tout ressenti, toute prise de conscience même partielle, d'un lien avec une personne
qui leur apporte des éléments pour se construire devient révélateur de leur fragilité et de leur
manque, il dévoile leur détresse. Alors qu'ils ont peur d'être isolés pour affronter les aléas de la
vie, ils préfèrent rompre plutôt que de reconnaître qu'ils ont temporairement besoin de ces
points d'appuis. C'est peut-être à partir de cette hypothèse dynamique que nous pouvons
comprendre ces alternances de comportements régressifs et de défis, ces demandes
paradoxales et contradictoires qui intriguent, inquiètent, parfois déroutent les adultes et les
jeunes autour d'eux. »
1
Travail collectif - Association des Instituts Thérapeutiques Educatifs et Pédagogiques, AIRe
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