Panique à bord

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Université de la Méditerranée
Aix-Marseille II
Faculté de Médecine de Marseille
Année universitaire 2004 – 2005
Sous la direction du
Pr Christophe LANÇON
Diplôme Universitaire
« Adolescents difficiles »
Panique à bord
« Comment la souffrance de certains adolescents interroge la fragilité des adultes. »
FAVEREAU Sylvain
1. L’Institut Thérapeutique Educatif et Pédagogique, un dispositif méconnu
p 3
1.1. Les Instituts Thérapeutiques Educatifs et Pédagogiques sont dans le champ du handicap
1.2. Se contenter de décrire la population concernée
p 4
1.3. Se résoudre à ne pas expliquer les causes des troubles observés
p 6
1.4. L’exemple de « l’I.T.E.P. 77 » à Avignon
p 12
Historique
p 12
Projet d’établissement
p 12
Prix à payer
p 16
2. « Qui s’y frotte s’y pique »
p 17
2.1. Les adolescents difficiles mettent à mal tous les dispositifs
p 17
2.2. Les adultes sont fragilisés
p 18
2.2.1.
« Le crépuscule du devoir »
p 18
2.2.2.
« L’onde de choc traumatique »
p 20
2.3. « Un homme averti en vaut deux »
p 23
3. La dimension institutionnelle est une garantie
p 27
3.1. La formation permet de survivre
p 27
3.2. L’institution protège les acteurs
p 28
3.3. Le travail à plusieurs : une nécessité pour qui ?
p 29
1
Notre système d’éducation sait sélectionner les élites et parvient à assurer la massification de
l’enseignement. Il produit aussi un éventail de difficultés liées à la scolarité et à l’accès aux
apprentissages. Ces difficultés sont de différentes natures et font l’objet de réponses institutionnelles
variées : les services de soins, la pédopsychiatrie, le champ du handicap et les moyens mis en
œuvre par le ministère de l’éducation en direction des élèves « à besoins particuliers ».
De plus, si ces difficultés restent parfois circonscrites dans le cadre scolaire, elles le dépassent
souvent largement. Parmi les autre réponses, notons : le domaine de la protection de l’enfance confié
aux conseils généraux, les magistrats pour enfants, les services de la protection judiciaire de la
jeunesse, mais encore les actions multi partenariales impliquant les services de la jeunesse et des
sports, les collectivités locales (municipalités, conseils généraux, région), la Caisse d’Allocations
Familiales, le monde associatif ...
Lorsque des enfants ou adolescents débordent le cadre scolaire, ils trouvent souvent des réponses
grâce au maillage des dispositifs existants. Parfois, au contraire, ils semblent ne trouver de place
nulle part et sollicitent l’attention simultanément ou successivement d’un grand nombre d’institutions.
Nous allons nous intéresser ici à certains d’entre eux, âgés de 12 à 18 ans, présentant des troubles
dits « du caractère et du comportement » et orientés de ce fait en Institut Thérapeutique Educatif et
Pédagogique (I.T.E.P) anciennement appelés Instituts de Rééducation (I.R). Les Instituts
1
Thérapeutique Educatif et Pédagogique sont depuis longtemps au « carrefour des demandes » , ils
reçoivent souvent des enfants suivis aussi par : un Juge des Enfants, un service de l’Aide Sociale à
l’Enfance (ASE), un service d’Action Educative en Milieu Ordinaire (AEMO), un service de
pédopsychiatrie, ayant une situation scolaire spécifique, même s’il s’agit d’une mise à l’écart et aussi
bien entendu une famille, un environnement social.
La mise en réseau de toutes ces personnes n’est pas toujours effective, du moins s’agit-il toujours
d’un travail multifocal. Nous devons avancer vers un véritable travail à plusieurs, qui n’augmente pas
la confusion et l’enchevêtrement dont souffrent souvent les familles qui confient leurs enfants à nos
établissements. Pour pouvoir mener à bien cette évolution, il convient d’abord de permettre aux
partenaires d’identifier correctement ce type d’établissement et ses particularités locales. Il est aussi
souhaitable de s’interroger sur les forces et les faiblesses des adultes chargés de ces missions dans
leur cadre institutionnel.
Au-delà de la difficulté de prise en charge « d’adolescents difficiles », mon expérience personnelle
me conduit à m’interroger sur la capacité des adultes à prendre en compte ces adolescents qui ne
font, peut être, somme toute, que faire leur « métier d’adolescent », c'est-à-dire d’interroger et de
perturber, la « bonne marche » d’une société.
En effet, j’exerce la fonction de direction d’un Institut Thérapeutique Educatif et Pédagogique et
2
d’administrateur de l’association AIRe . Par ailleurs, je siège en tant que « Personne Qualifiée » au
conseil d’administration de la Caisse d’Allocations Familiales de Vaucluse que je suis chargé de
représenter dans certaines instances et auprès de quelques associations. A ces divers titres, je suis
amené à constater davantage le désarroi des adultes, citoyens et professionnels, qu’à m’effrayer du
désastre imminent qu’ils annoncent.
Ma préoccupation concerne donc autant les mesures adaptées aux besoins de cette population que
les conditions d’un soutien à des adultes qui sont souvent déroutés par ces adolescents. Notre travail
risque de devenir de plus en plus pénible et de perdre progressivement de son efficacité si nous ne
prenons pas en compte l’évolution des valeurs de notre époque, les situations singulières et leurs
répercussions sur les divers intervenants.
Nous allons donc présenter un type d’établissement recevant des adolescents difficiles, l’Institut de
Rééducation devenu Institut Thérapeutique Educatif et Pédagogique. Nous aborderons les places
respectives des adolescents et des adultes dans ce contexte. Nous chercherons à établir des points
d’appui nécessaires à la poursuite de missions difficiles mais apportant aussi beaucoup de
satisfaction.
1
Colloque de l’Association AIRe - 1996
2
AIRe : Association Nationale des Instituts Thérapeutiques Educatifs et Pédagogiques, Chateaubourg
2
1. L’Institut Thérapeutique Educatif et Pédagogique, un dispositif méconnu
1.1. Les Instituts Thérapeutique Educatif et Pédagogique sont dans le champ du handicap
Le terme Institut de Rééducation (I.R.) est apparu dans l’annexe XXIV au décret n° 56-284 du 9
mars 1956 « conditions techniques d’agrément des établissements privés pour enfants
Inadaptés », puis dans la nouvelle annexe XXIV au décret 89-798 du 27 octobre 1989
remplaçant la précédente. Décret « (…) fixant les conditions techniques d’autorisation des
établissements privés de cure et de prévention pour les soins aux assurés sociaux (…) Trois
annexes (…) la première pour enfants présentant une déficience intellectuelle ou inadaptés
(…) la deuxième (…) déficience motrice (…) la troisième (…) enfants ou adolescents
polyhandicapés. »
L’orientation en Institut de Rééducation s’effectue à la suite d’une « notification de décision
d’orientation », prise par la Commission Départementale de l’Education Spéciale (CDES). La
CDES, créée par l’article 6 de la loi 75-534 du 30 juin 1975 d’orientation en faveur des
personnes handicapées place clairement les Troubles du Caractère et du Comportement dans
le champ du handicap, au moins au plan administratif.
L’appellation Institut de Rééducation, valide depuis 1956 a été remplacée par le décret du
6 janvier 2005, qui a introduit le terme d’Institut Thérapeutique Educatif et Pédagogique
(I.T.E.P). Depuis leur origine, les nombreuses tentatives de définition de la population reçue
dans ce type d’établissements se sont heurtées à une grande difficulté de catégorisation.
L’article 1 du nouveau décret formule les choses ainsi : «… enfants adolescents ou jeunes
adultes qui présentent des difficultés psychologiques dont l’expression, notamment l’intensité
des troubles du comportement, perturbe gravement la socialisation et l’accès aux
apprentissages. Ces enfants, adolescents et jeunes adultes se trouvent de ce fait, malgré des
potentialités intellectuelles et cognitives préservées, engagés dans un processus
handicapant ».
1
Le « Diagnostic and Statistical Manuel of Mental Disorders, forth édition » (DSM – IV) de
« l’American Psychiatric Association, 1987 », la « Classification Internationale des Troubles
2
Mentaux et du Comportement » (C.I.M. 10 - O.M.S.) instituée par Ph. N. Woods, la
« Classification Française des Troubles Mentaux de l’Enfant et de l’Adolescent »
(C.F.T.M.E.A.) dite classification de « Misès », le travail complémentaire des professeurs Misès
et Quemada « Classification Des Handicaps en Pathologie Mentale de l’enfant et de
l’Adolescent », d’autres approches, spécifiques ou multidimensionnelles, pour importantes
qu’elles soient, ne permettent pas d’aboutir à une conclusion unanime.
Par ailleurs, pour certains, il faut distinguer entre handicap et inadaptation, pour d’autres, il faut
faire la différence entre caractériel et troubles du caractère, pour d’autres encore, entre
souffrance psychique et maladie mentale sans parler des débats concernant les notions de
conduite (comme manière d’agir dans une circonstance déterminée, en principe réservée aux
humains) et de comportement (comme manière d’être et d’agir des animaux et des hommes et
comme manifestations objectives de leurs conduites). Le texte de 1956 dit : «enfants
présentant essentiellement des troubles du caractère et du comportement susceptibles d’une
rééducation psychothérapeutique sous contrôle médical. »(article 1). Le texte de 1989 parle de
«manifestations et troubles du comportement rendant nécessaire, malgré des capacités
intellectuelles normales ou approchant la normale, la mise en œuvre de moyens médicoéducatifs pour le déroulement de leur scolarité. » (article 1).
Nous ne trancherons pas ici ces débats passionnants au plan de la médecine, des sciences
humaines et des sciences sociales. Nous n’ignorons pas non plus leur importance pratique
permettant d’ouvrir des droits au bénéfice de l’assurance maladie et une compensation dans le
champ du handicap. La toute récente loi 2005-102 du 11 février 2005 précise : « constitue un
handicap, au sens de la présente loi, toute limitation de l’activité ou restriction de participation à
la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération
substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles,
mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant. »
1
2
Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, Masson, Paris, 1996
Critères diagnostiques pour la recherche. O.M.S., Masson, Paris, 1994
3
1.2.
Se contenter de décrire la population concernée
Si nous avons dû renoncer à définir de façon claire la population accueillie, du moins nous estil possible de décrire les troubles les plus fréquents et les plus manifestes. Ce sont ces troubles
1
que nous rencontrons habituellement dans nos établissements .
• un contrôle extrêmement difficile des émotions.
« Les sentiments, les affects (envie, colère, peur, angoisse…) ne sont ni endigués, ni contenus
dans la plupart des situations de la vie. Ils envahissent le temps et l'espace de la relation, de
façon directe, crue, sans censure ni retenue… Les manifestations pulsionnelles sont souvent
excessives : violence gratuite, agressivité, grossièretés, injures, gestes et paroles obscènes…
On observe aussi des actes de destruction, des agressions dirigées vers les autres (les frères
ou sœurs, les camarades d'école, les enseignants, les parents…) ou vers soi (déchirer, casser,
se faire mal, se mutiler, se mettre en danger…). Les actes et les « mots-actes » se déversent
sans filtres vers le dehors, tant que dure l'excitation psychique interne. Au cours de ces
instants, tout acte de pensée, toute considération de la situation parait inaccessible. L'énergie
développée par la tension est évacuée, exportée, faute de pouvoir être pensée puis verbalisée.
L'emprise pulsionnelle est plus ou moins accessible à la conscience. Le caractère impérieux,
irrésistible de l'agir n'exclue pas une combinaison avec les sentiments de jubilation et de
désarroi. »
• une très faible estime de soi.
« Les enfants et adolescents, doutent d'eux même, ont peur de l'échec, de ne pas être à la
hauteur et le vivent de manière directe, abrupte, massive. Ils semblent manquer de ressources
personnelles suffisantes pour relativiser, composer, prendre un peu de distance avec ces
sentiments insupportables générés par la moindre confrontation à une demande, à une limite
venant d'autrui. Les exigences, les contraintes de la socialisation ou des apprentissages leur
font courir le risque de prendre conscience d'une insuffisance, ou d'une faiblesse. Alors qu'ils
se vivent et se veulent « tout », le moindre « manque » vient assaillir leur narcissisme, au point
d'occulter toute pensée, toute élaboration voire la perception même. Ils tentent d'esquiver tout
ce qui peut menacer ou altérer leur fantasme infantile d'omnipotence. Ceci les conduit à braver,
provoquer, défier ou à l’inverse, s'isoler, se retirer, se claquemurer. »
• une détresse existentielle et une forte quête affective.
« Ces jeunes éprouvent une difficulté importante à se considérer comme manquant,
incomplets. Leurs possibilités d'envisager l'existence ont tendance à se réduire aux binômes :
tout ou rien, ici et maintenant. Pour tenter de gérer ces alternatives terribles, les enfants ou
adolescents vont recourir à tout ce qui peut leur donner le sentiment provisoire d'échapper à la
demande d’autrui. Ils recherchent, à leur manière, souvent de façon indirecte, surprenante, des
adultes structurants, bienveillants et sécurisants. Ils consentent à s'engager par leur médiation,
non sans protestations vigoureuses la plupart du temps, dans des activités qui leur permettent
une certaine restauration narcissique. En contrepoint, la prise de conscience de cette relation
de dépendance provoque des attitudes de fuite ou de rupture, des tentatives de destruction et
d'anéantissement, plus ou moins tonitruantes ou spectaculaires, souvent accompagnées
d'accès de violence, de bris de matériel, de dégradations de locaux, d'agressions physiques
et/ou verbales. L'étayage qui leur est nécessaire n'est apprécié et supportable que dans la
mesure où il est suffisamment discret. Ils s'accommodent de cet étayage pour composer avec
l'angoisse d'être valables à leurs yeux et à ceux des autres. Cette quête affective ne peut dire
son nom. Tout ressenti, toute prise de conscience même partielle, d'un lien avec une personne
qui leur apporte des éléments pour se construire devient révélateur de leur fragilité et de leur
manque, il dévoile leur détresse. Alors qu'ils ont peur d'être isolés pour affronter les aléas de la
vie, ils préfèrent rompre plutôt que de reconnaître qu'ils ont temporairement besoin de ces
points d'appuis. C'est peut-être à partir de cette hypothèse dynamique que nous pouvons
comprendre ces alternances de comportements régressifs et de défis, ces demandes
paradoxales et contradictoires qui intriguent, inquiètent, parfois déroutent les adultes et les
jeunes autour d'eux. »
1
Travail collectif - Association des Instituts Thérapeutiques Educatifs et Pédagogiques, AIRe
4
• des difficultés relationnelles où l'affrontement défensif domine.
« Pour ne pas savoir ce qui se trouve en jeu dans leur relation avec autrui, esquiver le risque
de découvrir la réalité fragile de leur velléité d'omnipotence, des enfants et des adolescents
peuvent tenter de dominer, réduire, nier l'autre comme personne. Ne se sentant eux-mêmes
pas dignes de ce statut, ils ne respectent pas les adultes dans leurs rôles, surtout dans leurs
fonctions d'autorité (parents, éducateurs, enseignants…). Ils peuvent aussi utiliser leurs
semblables les plus faibles ou les plus vulnérables (agressions, brimades, sévices…).
L'attaque pour tenir l’autre à distance ou à sa merci, apparaît bien du registre de la défense qui
permet d’éviter la relation authentique. »
• des difficultés relationnelles où le repli défensif est privilégié.
« Lorsque la confrontation au désir de l'autre ou aux attentes normatives paraît trop périlleuse
en regard de la représentation de ses propres forces, lorsque l'autre est vécu sur un mode
intrusif, aliénant, lorsque l'option de l'attaque n'apparaît pas favorable ou impossible, la
stratégie de la « forteresse » est pour certains enfants, à certains moments ou de manière plus
structurée, un recours. Toute tentative d'approche, réelle ou ressentie, peut provoquer un
sentiment d'emprise insupportable et déclencher un renforcement du retrait au réel, des
passages à l'acte destructeurs, des envahissements imaginaires… »
• un rapport perturbé à la temporalité.
« La considération de l'avant et de l'après a un caractère pénible, comme si tout effort de
mémoire ou de projet activait leur détresse existentielle. L'instant apparaît protecteur, il permet
d’éviter de lier les éléments d'une trajectoire, d'un itinéraire de vie. Le vécu est morcelé, les
séquences se juxtaposent sans chronologie. L'approche de la vie s'organise sur un mode
fatidique. Pour éviter de souffrir, ces jeunes à leur manière répètent les comportements de ces
aventuriers en désespérance qui jouent le tout pour le tout et brûlent leur vie simultanément par
la négation du passé et celle du futur. La dépendance à cette dynamique de fuite en avant, qui
leur apporte à l'occasion quelques compensations jubilatoires, vient attester d'un désarroi
profond et pathétique. »
• une perturbation des liens intergénérationnels.
« La représentation des places et les rôles des membres de la famille au sens large apparaît
souvent ambivalente, ambiguë, fluctuante, floue. Les difficultés de repérage des liens
d'appartenance, des pouvoirs de chacun et de leurs limites s'expriment notamment par des
tensions, des affrontements, des difficultés de séparation, des rapports fusionnels exacerbés.
La différenciation des sexes, des générations, des fonctions paternelles et maternelles est
brouillée. Bien des parents, des enfants et des adolescents se trouvent démunis pour faire la
part des choses entre envies et besoins, entre exigences immodérées et références à une loi,
une règle, une norme. Cette confusion expose directement l'enfant ou l'adolescent aux
fluctuations d'affects, dans un univers où chacun peut faire sa loi au gré des pulsions, des
sentiments, des circonstances. Dès lors, l'accès au sens de la loi symbolique qui en passe
précisément par un certain renoncement au sentiment d'omnipotence, se trouve perturbé ou
empêché. La recherche des limites, qui est un mode d'expression aussi remarqué que
remarquable par son caractère incessant chez certains jeunes, peut être décodée comme une
tentative de structuration qui n'aboutit pas. Ces tentatives ont notamment pour particularité une
mise à l'épreuve systématique et parfois douloureuse du fonctionnement institutionnel et des
pratiques des professionnels. »
• une intolérance à la frustration
« Recherche insatiable de plaisir immédiat, négation de l'autre comme personne,
empêchement ou refus des apprentissages, difficultés d'inscription dans un groupe social. Ces
ensembles de difficultés interfèrent, oscillent, se conjuguent ou alternent, se succèdent,
s'occultent pour exprimer en quelque sorte la façon d'être au monde d'un enfant ou d'un
adolescent aux prises avec des questions envahissantes dont il ne peut ou ne veut pour
l'instant rien savoir. Ces manifestations ne sont pas des caprices, des petits maux passagers,
elles ne cèdent pas au rappel et à l'injonction, au changement de milieu, de méthode ou
d'interlocuteur, parfois même elles s'y renforcent. Il s'agit là d'expression de difficultés
psychiques qui apparaissent insurmontables sans aide extérieure consentie, tant que
l'excitation et l'angoisse perdurent. Colères, violences, intimidations, transgressions, questions
répétitives, bouderies, séductions, mutisme, replis, troubles du corps, instabilité, inattention,
sentiment d'étrangeté, phobies, obsessions… sont autant de troubles, c'est à dire l'expression
d'un conflit interne enfoui, occulté, qui ne peut être mis en mots. »
5
1.3.
Se résoudre à ne pas expliquer les causes des troubles observés
Les questions les plus fréquentes concernant les enfants orientés en Institut Thérapeutique
Educatif et Pédagogique concernent les causes de leur état. Elles s’accompagnent rapidement
d’idées largement répandues comme : « si les parents faisaient leur travail ! » ou « c’est la
faute de la société dans laquelle on vit » ou encore « maintenant il n’y a plus d’autorité ! » sans
oublier « il n’y a plus le respect des anciens, des professeurs ! ». Pour finir, il n’est pas rare que
nous soit rapportée une anecdote ou un souvenir d’enfance mettant en scène un parent, un
instituteur ou une autre personne « qu’on ne risquait pas de contredire ! ».
En fait de question, il y a plutôt l’exposé d’une vision du monde et d’un modèle explicatif. Il
s’agit surtout de tenter de se rassurer presque explicitement sur deux aspects : d’une part
« dites-moi que je n’étais pas comme ça ! » d’autre part « dites-moi que mes enfants et mes
proches ne pourront pas devenir comme ça ! ».
Nous verrons que ces interrogations, pour naïves qu’elles soient, ont quelques fondements,
elles sont donc présentes dans la série des causes plausibles ou envisageables que nous
allons évoquer ici.
• La piste génétique
Certaines maladies mentales comme la psychose maniaco-dépressive et la schizophrénie ont
fait l’objet de recherches approfondies à propos de leurs mécanismes de transmission.
1
L’influence génétique y semble plus que probable , mais il s’agit de pathologies mentales
déclarées. Les troubles du caractère et du comportement, quant à eux, ne figurent pas au
nombre des maladies génétiques. Compte tenu des progrès rapides et des perspectives
immenses en ce domaine, nous pouvons nous attendre à des révélations concernant quelques
cas particuliers. Personne ne recherche véritablement le gène du vol à l’étalage ou le
chromosome de l’insulte, cependant, les études souvent assez médiatisées concernant les
criminels commencent à s’installer dans les esprits. Il est vrai que l’observation au microscope
électronique couplée à l’outil statistique permet de faire des recoupements et de dégager des
tendances. Les conclusions qui en découlent ont souvent un caractère idéologique. Cette
approche présente un caractère à la fois inquiétant quant à la restriction de notre libre arbitre,
mais aussi rassurant quant à une possible réduction ou disparition de la responsabilité pour
certains de nos actes. Pour le moment, les raisons motivant l’orientation en Institut
Thérapeutique Educatif et Pédagogique n’ont pas ce type de fondement. Pourtant, au delà de
la possibilité d’une prédétermination génétique, envisagée comme une erreur ou une
défaillance éventuellement réparable à terme, il faut prendre en compte l’aspect héréditaire de
certains caractères. Il y a un peu plus d’un siècle le moine Grégor Mendel a apporté une
nouvelle vision des êtres sexués. Les fameuses « lois de Mendel » ont défini des degrés
d’apparentement qui tiennent compte d’une information généalogique, nécessairement
partielle, et d’une combinatoire qui ne peut s’exprimer qu’en terme de probabilités. Il y a donc
une transmission qui est aussi une création.
Les ressemblances jouent souvent un rôle important dans les explications que donnent les
parents. Dans l’un des pires cas que nous avons rencontré, le père dit de son fils et en sa
présence : « Il est comme l’oncle L. qui est devenu un assassin », l’enfermant ainsi dans un
destin tragique. D’autres fois cela semble moins dramatique mais tout aussi inéluctable : le
jeune N. H. cause encore une altercation, son père nous révèle « il tient de moi, il a trop de
sang ! », parlant de sa fille un autre père explique « elle ne peut pas être bonne en maths, moi
je n’y ai jamais rien compris ! ». Ces deux exemples présentent l’avantage d’exprimer plus un
lien qu’un rejet. Malheureusement, dans la plupart des cas, il s’agit plutôt de mettre l’enfant
« dans le même sac » que l’autre, dans les situations conflictuelles de couple « il a ça dans le
sang, c’est un violent comme son père ! », ou « c’est une traînée comme sa mère !» ou encore
le fameux « les chiens ne font pas des chats !». Dans un langage familier, on entend souvent
dire d’une personne dont le comportement paraît déplacé, qu’elle est « tarée », terme qui
renvoie, involontairement peut-être mais pourtant très clairement, à une tare génétique
supposée. Bien entendu, la génétique est souvent invoquée de façon abusive là où il y a aussi
mimétisme, apprentissage ou phénomène psychologique.
1
Albert Jacquard, Qu’est ce que l’hérédité, Jacques Grancher, 1993
6
• La thèse organique
Sans doute y a-t-il un déterminisme génétique, la neurobiologie démontre pourtant qu’il faut se
garder de certains de ses excès. Selon Alain Prochiantz, il y a aussi un déterminisme
1
génétique de la liberté vis-à-vis du génétique . L’élaboration d’un individu par l’actualisation de
son génotype s’effectue en interaction permanente avec son environnement. Tout n’est pas
programmé, l’expérience engendre une complexité croissante des synapses voire une création
de neurones si bien qu’on peut dire que « ce n’est pas le cerveau qui génère la pensée mais
2
c’est bien la pensée qui génère le cerveau » . Par ailleurs, certaines maladies ou certaines
lésions cérébrales ont révélé des modifications comportementales voire des changements
3
profonds de la personnalité des patients qui en étaient frappés . Antonio Damasio fait une large
place aux émotions, jusqu’à affirmer qu’elles sont biologiquement indispensables à la mise en
4
5
œuvre de la pensée rationnelle . Jean Didier Vincent traite de la biologie des passions .
Joseph Ledoux essaie de nous transmettre le message selon lequel « vous êtes vos
6
synapses », « elles sont aussi ce que vous êtes » , c’est nous qui façonnons notre cerveau,
nous qui fabriquons notre personnalité. Les neurosciences sont parfois considérées avec
méfiance, alors que les plus récentes recherches en ce domaine réaffirment la place de nos
expériences de vie. Il peut en effet y avoir une menace si les découvertes en cours aboutissent
à des solutions purement médicamenteuses, voire chirurgicales comme réponses à un trouble
du comportement. Tel n’est pas l’esprit des chercheurs qui réaffirment voire qui amplifient au
contraire notre libre arbitre au point de nous transformer en architectes non seulement de nos
pensées mais de notre cerveau lui même, au sens biologique.
Cette approche organique est fréquente dans la présentation que font les parents du moment à
partir duquel ils ont constaté des anomalies dans le développement de leur enfant. Pour les
uns, tout a commencé par « une forte fièvre » ou par des « convulsions », pour d’autre il s’agit
d’un « choc sur la tête » ou d’une « chute », parfois, il s’agit d’une « émotion forte ». Bien
entendu, nous parlons en général de reconstructions a posteriori, qui tiennent plus d’une
rationalisation que d’une recherche rigoureuse. Le travail montre la plupart du temps que des
troubles existaient avant l’événement supposé fondateur. Il n’en demeure pas moins qu’une
telle cause est possible et même qu’elle se révèle indirectement réelle, dans la mesure où
l’enfant va se construire en interaction avec des parents qui pensent qu’il existe un événement
à l’origine de ses comportements. Selon la thèse exposée ici, si telle est son expérience, son
cerveau peut donc se développer physiologiquement en conséquence.
Les enfants entre eux sont souvent assez impitoyables mais finalement assez précis. Lorsqu’ils
se traitent « d’abruti », nous sommes bien là dans une définition organique car c’est bien un
agent extérieur qui diminue temporairement ou durablement les facultés intellectuelles et rend
l’homme semblable à la brute.
• L’aspect cognitif
La connaissance tue. C’est ce qu’affirme la Genèse. « De tous les fruits du jardin tu peux
manger, dit Dieu à l’homme, mais de l’arbre de la science du bien et du mal tu n’en mangeras
pas, car du jour où tu en mangerais tu mourrais » (Gn II, 17). Voici donc le programme ! Le
refus d’apprendre relève donc peut être d’une prudence élémentaire. Rester ignorant, c’est
peut être s’efforcer de devenir immortel. C’est un peu ce que nous évoquent les enfants dont
nous nous occupons. Leur sentiment de toute puissance infantile, leurs prises de risques et
leurs défis quasi permanents, couplés avec un refus persistant d’apprendre, évoquent ce
sentiment d’immortalité. Mais, puisque nous savons que nous sommes mortels, nous pouvons
poursuivre notre recherche sur la cognition. C’est un domaine qui mobilise de nombreuses
disciplines : l’informatique, la neurobiologie, la linguistique et la psychologie regroupées sous
l’appellation de « sciences cognitives ». Elles posent la question de savoir si nos états
mentaux, croyances, désirs, intentions, se réduisent à de simples états neuronaux ? S’agit-il
d’états fonctionnels de l’organisme susceptibles d’être réalisés, éventuellement par des
machines ? Le mathématicien John von Neumann a entrepris de montrer que le cerveau
7
fonctionne comme une machine digitale , une « machine neuromimétique ». L’esprit
1
Alain Prochiantz, Les Anatomies de la pensée, Odile Jacob, Paris, 1995
Alain Prochiantz, Machine esprit, Odile Jacob, Paris, 2000
3
Antonio Damasio, L’erreur de Descartes, Odile Jacob, Paris, 2001
4
Antonio Damasio, Spinoza avait raison, Odile Jacob, Paris, 2003
5
Jean Didier Vincent, Biologie des passions, Odile Jacob, Paris, 1999
6
Joseph Ledoux, Neurobiologie de la personnalité, Odile Jacob, Paris, 2002
7
John von Neumann, L’ordinateur et le cerveau, Champs Flammarion, Paris 1996
et La théorie générale et logique des automates, 1948
2
7
correspondrait à un logiciel informatique. Connaître, ce serait connecter entre elles des unités
fonctionnelles permettant de donner une réponse pertinente à un état du monde. La robotique
et les recherches sur l’intelligence artificielle trouvent ici leur origine. Mais ce modèle
« connectiviste » se heurte à d’autres recherches qui vont en sens inverse. En effet, à la suite
de Noam Chomsky, la linguistique montre qu’apprendre, ce n’est pas acquérir de nouveaux
savoirs, ou de nouvelles compétences, c’est au contraire perdre des structures innées ainsi
1
que les dispositions qui y étaient attachées . L’enfant développe son aptitude au langage en
perdant la faculté de discriminer certains sons qui seraient parasitaires dans sa langue
maternelle. Nous retrouvons ici Platon qui assurait « qu’on n’apprend jamais que ce que l’on
2
sait déjà » . On n’apprend que parce qu’on est déjà « câblé » pour cela. L’apprentissage
consisterait à sélectionner les « câbles » utiles dans le contexte du sujet. La connaissance
résulterait d’une grande opération de réduction d’un vaste répertoire initial. Par ailleurs, pour
Francisco Varéla et Humberto Maturana, la cognition fait émerger un monde, elle fait co-naître
celui qui sait et ce qui est su. Il s’agit d’un couplage structurel par lequel co-émergent le
3
système formé par l’être vivant et celui qui caractérise l’environnement .
Le détour par ces recherches nous montre qu’il n’est pas simple de parler d’apprentissage. La
famille, l’environnement et bien entendu l’école, mettent en œuvre une pédagogie destinée aux
enfants/élèves. Pourtant, certains enfants sont dans une impasse cognitive, alors même qu’ils
ne présentent pas de déficience intellectuelle. Il peut s’agir de connexions qui n’arrivent pas à
s’établir, de « câbles » qui ne veulent pas lâcher prise ou encore de l’impossibilité d’une
quelconque émergence. En fait, nous aurions affaire à des « malappris », ce terme, un peu
tombé en désuétude, mériterait alors d’être remis à l’honneur.
• L’interprétation psychologique
Les textes ont d’emblée placé les Instituts de Rééducation sous le signe d’une « rééducation
psychothérapeutique sous contrôle médical » (Annexe XXIV, 1956), puis de « moyens médicoéducatifs » (Annexe XXIV, 1989). Il est donc question de médecine, de psychothérapie et
d’éducation. Les établissements sont dotés de médecins psychiatres, de psychologues,
d’éducateurs et souvent d’enseignants. L’accent est mis sur une psychopathologie à traiter et
sur une éducation à faire ou refaire. Il s’agit de prendre en compte une structure de
personnalité et des états réactionnels. Les apports de la psychanalyse ont conduit à une
approche qui vise à placer l’enfant en position de sujet, à comprendre l’origine de ses troubles
ainsi qu’à en rechercher le sens. Le lien est fait entre l’enfant et son entourage qui n’a pas pu
ou pas su apporter de réponse adaptée à des situations suscitant des affects anxieux,
dépressifs ou toute autre souffrance psychique. Les enjeux psychologiques sont constants
durant le développement de l’enfant. Certains troubles se rencontrent chez beaucoup
d’enfants, ils peuvent être simplement liés à des étapes du développement et n’ont pas à être
considérés comme une pathologie ou un handicap. Les dysharmonies de développement sont
dites « sur le versant psychotique » ou « sur le versant névrotique » selon un tableau clinique
qui peut se modifier au cours de l’évolution d’un même enfant. Certaines pathologies mentales
ont un caractère réversible d’autres s’organisent sur un mode socialisé et stabilisé. Les
médecins psychiatres et les psychologues, chacun selon leurs approches cliniques sont
chargés de ces aspects et habilités à énoncer un éventuel diagnostic. La presse et la télévision
utilisent largement des concepts psychanalytiques ou psychothérapeutiques avec plus ou
moins de bonheur. L’intérêt intellectuel suscité par ces idées est parfois utile pour repérer
certaines situations ou amorcer un dialogue. Il convient toutefois de se montrer très vigilant. Il
est en effet dangereux de procéder de façon « sauvage » sur la base d’intuitions ou d’éléments
de vulgarisation plus ou moins bien assimilés.
Concernant les troubles invalidant gravement la scolarité, le docteur Nicole Catheline a fait un
travail allant de la maternelle à l’université permettant de nous repérer dans l’ensemble des
4
difficultés rencontrées . Elle évoque les troubles réactionnels, l’angoisse de séparation,
l’anxiété de séparation pathologique, les comportements transitoires d’opposition, l’agressivité
en famille liée à un problème éducatif d’absence de limites ou d’attitudes incohérentes ou
contradictoires, le Trouble Hyperactivité Avec Déficit Attentionnel (THADA) ou instabilité
psychomotrice pathologique – instabilité comme réponse à une situation comportant des
affects anxio dépressifs, instabilité par carence éducative, instabilité comme manifestation d’un
1
Jacques Mehler et Emmanuel Duproux, Naître humain, Odile Jacob, Paris, 1990
Platon, Phédon 72c-77a, Ménon 81 e d, Phèdre 249 c, Garnier Flammarion, Paris, 1998
3
F. Varéla et H. Maturana, L’arbre de la connaissance, Reading, Mass, Addison-Wesley, 1995
4
Nicole Catheline, Psychopathologie de la scolarité, Masson, Paris, 2003
2
8
trouble de la personnalité, instabilité comme conséquence d’un trouble de l’audition, instabilité
par surstimulation familiale, instabilité comme signe d’un déficit intellectuel. L’inhibition se
1
présenterait comme la trace d’un conflit psychique (risque de détruire le corps de la mère ou
2
d’accéder à la sexualité des parents ) ou comme marque d’une insécurité fondamentale
(maman sera-t-elle encore en vie à mon retour ?). L’agressivité serait à mettre en lien avec des
pratiques éducatives dures, incohérentes, négligentes, surtout s’il y a eu des discontinuités, un
conflit conjugal grave ou une mère déprimée. La phobie scolaire plus fréquente chez les
garçons, témoignerait d’un effondrement des possibilités d’identification au père. La dépression
surviendrait volontiers au cours d’un événement ayant valeur de perte ou de deuil, mais reste
assez énigmatique.
Ce bref tour d’horizon ne fait qu’évoquer certaines approches psychologiques possibles. Nous
voyons qu’il existe une grande complexité aussi bien des causes que des manifestations qui
leurs sont liées.
• L’origine sociale
La cause qui vient la plus rapidement à l’esprit, est liée à l’environnement de l’enfant. Formulée
sur le mode d’une recherche de responsabilité, voire de culpabilité, on entend couramment
dire : c’est la faute des parents ! C’est la faute du milieu ! Nous savons que les problématiques
sociales difficiles ne suffisent pas, à elles seules, à expliquer les troubles. Nous ne pouvons
pourtant méconnaître plusieurs types de difficultés sociales.
La pauvreté matérielle peut centrer toutes les préoccupations d’un parent vers le souci du
lendemain. Les problèmes de logement, le manque de confort de base, la promiscuité, peuvent
envahir tout le temps disponible.
La pauvreté du langage peut altérer gravement la communication. Dans certains milieux
défavorisés, le langage n’a qu’un niveau informatif, les mots n’ont qu’un seul sens, certains
objets n’ont pas de nom, ils sont simplement décrits par leur usage. Les enfants ont peu de
mots pour exprimer une pensée ou plutôt ne peuvent construire une pensée sans mots.
Dans certaines familles en difficulté sur le plan économique l’enfant a pour rôle de réparer
l’injustice sociale et se trouve fortement investi et sollicité. S’il ne répond pas à cette attente, il
peut alors avoir l’impression de trahir les espoirs que ses parents avaient placés en lui. Se
montrer rebelle est alors une solution pour ne pas avouer une incompétence.
Dans certaines situations, la famille est « multi-recomposée », les fratries sont vécues comme
confuses, des liens enchevêtrés et des générations mal repérées.
Les difficultés personnelles d’un ou plusieurs membres de la famille peuvent se révéler
envahissantes, par exemple : la dépression passagère ou chronique, la maladie mentale, ou la
déficience intellectuelle d’un parent, mais aussi l’alcoolisme, la toxicomanie.
La délinquance est aussi un problème. Soit, elle constitue un moyen d’existence mais doit
demeurer secrète : l’enfant doit donc veiller à ne rien révéler, soit le délinquant fait l’objet d’une
mesure de justice, voire d’une incarcération et il faut aussi masquer la vérité. Dans un cas
comme dans l’autre l’enfant a du mal à se montrer spontané ou authentique.
De la même façon, les secrets de famille, les mensonges a propos d’un événement familial,
décès, « déshonneur », accident, qui ne sont pas révélés à l’enfant ont aussi un effet qui a un
fort impact sur son développement.
Les problèmes culturels liés à une immigration ont deux versants : soit un déracinement,
comportant des conflits de valeurs avec la société dominante soit au contraire un espoir
démesuré et un risque de déception important. Parfois il y a une composante administrative
complexe, des irrégularités voire une clandestinité.
La pauvreté des apports éducatifs peut être liée à un milieu socioculturel déficient ou
défavorisé. Elle peut être aussi constituée, du fait de parents ne sachant pas poser de limites.
C’est le cas lorsque l’adulte renonce à son rôle d’éducateur et soigne sa propre culpabilité en
ne causant aucune frustration à son enfant. La « surprotection » est l’un des avatars de cette
attitude.
La maltraitance enfin, sous toutes ses formes : incapacité de protéger, délaissement, défaut de
soins, carence affective, violence, est d’abord traitée au plan des dispositifs chargés des
missions de protection de l’enfance.
Dans bien des cas, aucune de ces situations n’est apparente dans les familles d’enfants
présentant pourtant des troubles du comportement. Il n’est donc pas possible de réduire
l’explication à ces causes sociales, d’autant qu’un grand nombre d’enfants se développent
convenablement bien qu’issus de milieux très défavorisés.
1
2
Mélanie Klein, Essai de psychanalyse, Payot, Paris, 1968
Sigmund Freud, Inhibition, symptôme, Angoisse (1926) PUF, Paris, 1981
9
Il faut rappeler le fait que les Institut Thérapeutiques, Educatifs et Pédagogiques agissent dans
le champ du handicap. A l’instar d’autres handicaps le contexte familial et social a une
importance qu’il ne faut ni surévaluer ni sous estimer. Il existe aussi une influence du milieu
social qui s’exerce plutôt dans un sens inverse. En effet, il est moins stigmatisant pour des
parents d’accepter d’orienter son enfant en Institut, sur le versant de la Thérapie, pour
« soigner » ses troubles que d’être convoqué par un Juge et le voir éventuellement placé par
mesure autoritaire.
• La dimension relationnelle
Cette vision repose sur l’idée que rien, dans le règne du vivant n’existe à l’état isolé. Ici, la
cause n’est pas située dans le passé mais dans les relations présentes. C’est la qualité de la
communication qui est en jeu, en famille, à l’école, dans la vie sociale. Parfois, tout le monde
fait un effort et souhaite que les choses s’arrangent, mais les problèmes se maintiennent voire
s’aggravent. L’enfer est pavé de bonnes intentions. Les difficultés se situent davantage au
niveau de l’organisation des relations humaines et sociales. Il ne s’agit pas des personnes mais
1
de ce qui se passe entre elles. Yves Winkin a retracé l’histoire de la naissance de cette
pensée dite « systémique ». Elle repose sur la similitude des observations de l’anthropologue
2
3
Grégory Bateson et des spéculations du mathématicien Norbert Wiener fondateur de la
cybernétique et de la notion de « feed back ». Avec eux, la causalité devient circulaire puisque
la conséquence agit rétroactivement sur la cause. Ainsi, comme un appareil autoguidé,
l’homme évalue les effets de ses actions et corrige son comportement futur en utilisant les
informations passées. L’intérêt se porte alors sur l’analyse de la structure de ce processus
4
d’interaction circulaire. De son côté, le biologiste Ludwig von Bertallanffy se préoccupe de
rechercher des principes communs sans se préoccuper de leur nature, physique, biologique ou
sociologique. La cybernétique et la théorie générale des systèmes vont donner naissance à
5
une théorie de la communication. Cette communication malade, nous la voyons effectivement
à l’oeuvre dans les familles en crise que nous recevons. Nous ne pouvons parler ici que de
processus et non de causes considérées comme réductrices et devenant un obstacle au
changement.
• L’explication familiale
Les familles transmettent les expériences du passé aux générations futures. Elles retiennent
certains événements, en oublient d’autres, les modifient volontairement ou non. L’histoire
familiale se trouve ainsi construite. Lorsqu’une difficulté survient avec un enfant, la famille
s’organise pour faire face au problème. La plupart du temps, des solutions sont trouvées, elles
satisfont plus ou moins tout le monde. Parfois les choses se compliquent et il faut une
intervention extérieure. Bien que les parents affirment ne pas comprendre et s’avouent
dépassés par les troubles de leur enfant, ils se sont fait une représentation de leur origine.
Dans un premier temps, cette explication en vaut bien une autre. Elle est la recherche
estimable d’un sens à ce qui arrive, et rien ne dit qu’elle ne soit pas la plus plausible. S’il faut
rechercher des causes, les parents sont bien placés pour énoncer leur perception.
• Les raisons personnelles
Les enfants et adolescents présentant des troubles du comportement font aussi preuve d’une
intelligence proche de la normale et ont souvent développé une sorte d’expertise en relations
humaines. Nous ne pouvons pas exclure que certains mettent en œuvre une stratégie qui les
conduit à maintenir ou à renforcer leurs troubles parce que les bénéfices qu’ils en retirent leurs
semblent satisfaisants. Ils ont appris que l’on s’occupait mieux d’eux s’ils avaient des troubles.
Ils risquent donc qu’on les délaisse si ces troubles venaient à disparaître. C’est rendre
hommage à une certaine forme de leur intelligence que de considérer qu’ils peuvent manipuler
aussi bien leurs familles que les institutions. Mais au fond, ce désir de manipulation doit aussi
être réintégré dans un tableau personnel préoccupant.
1
Yves Winkin, La nouvelle communication, Point Seuil, Paris, 1984
Grégory Bateson, Vers une écologie de l’esprit, Seuil, Paris, 1977
3
Norbert Wiener, Cybernetics, or control and communication (…) , Hermann, Paris, 1948
4
Ludwig von Bertalanffy, Théorie générale des systèmes, Dunod, Paris, 1973
5
Watzlawick, Weakland, Beavin, Jackson, Une logique de la communication, Seuil, Paris, 1972
2
10
• L’irrationnel
L’examen de l’ensemble des causes à prendre en compte ne peut ignorer le rôle de l’irrationnel
1
qui peut s’exprimer dans le cadre de croyances ou de religions . Ainsi, tel enfant peut être : soit
béni, soit maudit. Plus simplement, la fatalité est souvent invoquée pour nous dire : « pourquoi
faites vous tant d’efforts, puisque c’est le destin ! ». Parfois l’irrationnel n’est pas
immédiatement perceptible comme chez cette mère qui nous dit « qu’elle n’est pas seule au
monde », ce que nous avons compris comme des ressources dans son entourage s’est révélé
2
3
signifier « qu’il y a aussi un monde invisible » . Le docteur Saïd Ibrahim nous invite à être
attentif à cette dimension culturelle.
• Pour en finir avec les causes
Nous avons connu l’époque où tout s’expliquait par la race ou par la grâce. On nous apprenait
qu’il y avait des races supérieures et des races inférieures. Puis la race est devenue l'ethnie, la
grâce est devenue le don, on était doué ou pas doué. Il fallait accepter son lot au départ, le
destin était joué à la naissance, tout était inné. Puis les choses se sont inversées, tout est
devenu acquis. Les explications sont passées du côté de la pédagogie, de l’éducation, des
causes sociales ou culturelles. Cette époque n’est pas si lointaine, finalement, pour une large
part, c’est à ce niveau que s’établissait une ligne de partage en terme politique entre la
« droite » et la « gauche ». Peut être n’avons nous pas dépassé cette antique disposition
même si ceux là même qui insistent sur des causes liées aux différences sociales sont les
mêmes qui plaidaient pour une supériorité du sang et de la naissance.
Il nous suffit pourtant de prendre en compte le fait que lorsque les causes sont multiples, elles
génèrent de l’indétermination. Les mathématiques, la physique, la chimie et bien entendu la
météorologie ont montré depuis longtemps les limites de la recherche de causes dans les
situations complexes. Le recours à la statistique montre que l’on ne peut parler parfois qu’en
terme de tendance, la physique quantique complique la donne, Werner Heisenberg a formulé
son « Principe d’Incertitude » en 1927 qui a laissé des traces jusque dans les nouveaux modes
4
de pensée de la philosophie moderne. Plus près de nous Ilya Prigogine a exposé son modèle
5
de thermodynamique du non équilibre. Henri Atlan a montré que les êtres vivants
appartenaient à une classe particulière où la logique de l’aléatoire et du hasard contribuait à
6
l’organisation du système. Nous pouvons aussi évoquer la « Théorie du Chaos » , regroupant
un ensemble de thèses qui démontrent combien il est vain de rechercher une seule explication
dès lors que le niveau de complexité devient important.
7
Comme pour beaucoup d’adolescents considérés comme difficiles, le Docteur Bronsard
insiste sur le tableau global de ces situations. Les troubles que nous examinons ici sont donc
plutôt à considérer comme des syndromes. Ils présentent une dimension organique, une
dimension dans l’ordre du développement de l’enfant, une dimension psychopathologique et
une dimension socioculturelle.
1
Tobie Nathan, La folie des autres, traité d’ethnopsychiatrie clinique, Dunod, Paris,1986
« Les morts ne sont pas des absents, ils sont des invisibles » : Saint Augustin
3
Diplôme Universitaire, Adolescents difficiles, Marseille, intervention du 18 novembre 2004
4
Ilya Prigogine, Isabelle Stengers, La nouvelle alliance, Folio Gallimard, Paris, 1986
5
Henri Atlan, Le cristal et la fumée, Point Seuil, Paris, 1986
6
James Gleik, La théorie du chaos, Champs Flammarion, Paris, 1989
7
Diplôme Universitaire, Adolescents difficiles, Marseille, intervention du 22 octobre 2004
2
11
1.4. L’exemple de « l’I.T.E.P. 77 » à Avignon
Historique
L’association « l’Olivier » fondée le 12/03/1963 a créé le « Foyer 77 » en 1971 à partir de
quelques priorités : une implantation urbaine (centre ville d’Avignon), un faible effectif (22
places), la mixité, un personnel qualifié et une volonté d’intégration des personnes accueillies.
Cet établissement a connu trois grandes époques.
- La création
L’établissement est agrée le 05/05/1971 pour « recevoir 22 garçons et filles de 16 à 20 ans
débiles moyens ». Il entre dans la catégorie des I.M.Pro. (Instituts Médico Professionnels) il
n’existe souvent aucune autre possibilité d'accueil, d'où l'appellation "Foyer". Il y avait en
moyenne, 18 résidents à temps plein, avec une fonction d’hébergement social permanente. Le
Foyer fonctionnait donc dans une fourchette de 15 à 22 personnes accueillies. En plus de la
fonction d’internat, il comportait un atelier interne et un dispositif de mise en stages adaptés.
- La reconversion
L’établissement bénéficie d’une nouvelle autorisation le 06/01/1995 : « mise en place d’un
Institut de Rééducation de 22 places, (internat) pour adolescents âgés de 12 à 18 ans
présentant des troubles du caractère et du comportement ». Depuis cette date, et y compris
dans la fonction d’internat, se développe une pratique suivant deux axes principaux : une
alternative à la scolarité ordinaire et un travail auprès des familles. L’expérience acquise durant
presque dix ans déjà a montré que la souplesse, la modulation et la personnalisation des
modes de prise en charge de l’établissement étaient adaptées aux enfants et adolescents
accueillis.
- Le redéploiement
Le 03/09/2004, un nouveau projet d’établissement a été approuvé par les autorités
compétentes (services de l’Etat, Direction Départementale des Affaires Sanitaires et Sociales).
Ce projet permet de valider l’évolution de l’établissement et de poursuivre dans la même voie :
favoriser les projets d’intégration scolaire à temps partiel ainsi que des séquences d’internat
correspondant à une prise en compte des temps familiaux difficiles dans le cadre de projets
individualisés. Les partenariats multiples confirment l’établissement au carrefour de demandes,
de réponses, d’institutions et d’autorités : services de pédopsychiatrie, services sociaux et
médico-sociaux, magistrats.
Projet d’établissement
L’établissement propose une prise en charge qui s’exerce dans 2 dimensions :
dans le cadre d’une collectivité puisqu’il s’agit de permettre l’acquisition de comportements
adaptés à la vie en société. L’un des supports est donc le groupe, la « classe », l’équipe.
dans le cadre d’un suivi individualisé en direction des familles et régulièrement avec le
concours d’intervenants du secteur social, médical, judiciaire…
Selon la nouvelle Classification des Handicaps (C.I.F.), il s’agit de prendre en compte d’une
part l’axe des « fonctions organiques et structures anatomiques » et d’autre part l’axe « activité
et participation ». C’est sur ce dernier plan que les Troubles du Caractère et du Comportement
se révèlent toujours invalidants.
1.4.1.
Des dimensions thérapeutiques de l’établissement
Beaucoup de jeunes accueillis s’avèrent présenter des psychopathologies variées allant
de troubles réactionnels en contexte familial et scolaire à des difficultés ayant nécessité
des soins psychiatriques. Souvent le symptôme témoigne d’une souffrance psychique
entraînant un risque réel d’installation d’une pathologie au long cours.
•
Un cadre institutionnel soignant
L’établissement privilégie une synergie institutionnelle plutôt qu’une prise en compte
stigmatisante des troubles sur le mode diagnostic / traitement. Les dimensions
pédagogiques et éducatives ainsi que le travail de l’Assistante de Service Social sont
utilisés pour médiatiser la fonction du soin. Les services généraux et administratifs n’ont
pas de fonction directement éducative ou thérapeutique mais participent, de façon
importante, à la cohérence du dispositif. Le cadre institutionnel et le travail sur ce cadre
produisent des effets thérapeutiques.
•
Des soins individualisés
Le symptôme de chaque enfant est aussi pris en compte dans le dispositif institutionnel
par le biais de soins personnalisés (entretiens individuels, investissement du psychiatre
12
et du psychologue dans des activités de groupes restreints). Les entretiens avec les
familles et les enfants offrent l’opportunité de positionner l’institution comme co-acteur du
changement et non comme rivale. Ils permettent aussi d’obtenir des gains sur la
communication intra familiale et d’élaborer la recherche d’un équilibrage des places au
sein de l’économie psychique familiale.
La surveillance générale de l’état de santé de l’enfant est assurée par le personnel
qualifié de l’institution en collaboration étroite avec les parents. La prise en charge vise
également à promouvoir une éducation à la santé et une responsabilisation des
adolescents quant à la prise en compte de leur corps.
•
Des relations avec les professionnels de santé
Le contact avec les équipes qui ont assuré le suivi en amont est maintenu. Au cours de la
prise en charge, les indications de rééducations ou de soins (médecine générale,
dentiste, orthophonie, psychomotricité ...) sont posées et mises en place en garantissant
ou en tentant de restaurer un exercice normal de la fonction parentale. Pour les prises en
charges de jeunes en grande difficulté, un travail en alternance ou conjoint avec l’inter
secteur de pédopsychiatrie est mis en place.
1.4.2.
Une organisation des activités pédagogiques
Mises en place par une équipe constituée d’éducateurs spécialisés, les activités
pédagogiques n’ont pas d’objectif à visée d’enseignement. Les acquisitions souvent
notables sont obtenues de surcroît, sans doute en partie justement parce qu’il n’y a plus
d’enjeu dans ce domaine. Il s’agit d’une part de maintenir les acquis antérieurs, d’autre
part de permettre un travail éducatif destiné à trouver ou retrouver des conduites sociales
adaptées rendant possible, par étapes, une intégration à temps partiel au plan scolaire
ou pré professionnel.
Ces activités sont offertes en remplacement d’une scolarité ou d’un processus
d’apprentissage et se poursuivent hors des temps scolaires, avec un effectif réduit selon
le rythme des retours en famille et les projets individualisés.
L’encadrement prévu correspond à des enfants présentant des troubles du caractère et
du comportement compatibles avec une vie de groupe. Les enfants ne pouvant tolérer
que la relation individuelle, lorsqu’elle est possible, ne relèvent pas de l’Institut
Thérapeutique, Educatif et Pédagogique.
•
La Section d’Education et d’Enseignement Spécialisé
La section d'éducation et d'enseignement spécialisé (S.E.E.S.) prend en charge les
enfants jusqu'à leur seizième année. Elle propose une pédagogie active et individualisée
déployée en petits groupes souvent nommés « classes » par les enfants eux-mêmes.
Elle a pour objectif de dédramatiser le rapport au savoir, de réconcilier les enfants avec
l’envie d’apprendre et de contenir les manifestations comportementales inadaptées. Les
acquisitions nouvelles ne s'effectuent pas au prix d'un acharnement pédagogique dont ils
auraient déjà pu souffrir. Il faut donc retrouver et consolider les acquis scolaires
fréquemment sous-évalués du fait d'un rapport souvent douloureux avec l'école ou le
collège. Une large place est faite aux disciplines de base, aux activités d'éveil, aux
travaux manuels ainsi qu'à l'éducation physique et sportive.
L’implantation urbaine de l’établissement et les facilités de transport permettent que la
part d’enseignement proprement dite soit effectuée dans des établissements scolaires
adaptés. La mise en œuvre des projets d’intégration scolaire à temps partiel ainsi que les
retours en famille correspondant aux projets individuels réduisent le temps de présence
effective dans les groupes.
Les activités sont offertes en alternance avec la scolarité, elles se déroulent selon le
calendrier scolaire qui constitue une norme sociale fondamentale.
•
La Section d’Initiation et de Première Formation Professionnelle
La section d'initiation et de première formation professionnelle s'adresse aux adolescents
à partir de leur seizième année. Elle est prévue comme une continuité de la S.E.E.S. il ne
s'agit plus seulement de retrouver des compétences purement scolaires mais de
développer des possibilités plus concrètes orientées vers le monde de l'apprentissage et
du travail. La mise en place de stages en entreprise permet cette confrontation et fait
émerger une nouvelle vision de l'avenir qui est un support important dans le projet
éducatif personnalisé. Ce travail se poursuit par le partenariat avec les divers organismes
d’aide et de formation existants : Mission locale, Gréta, C.F.A. et aussi C.O.T.O.R.E.P.,
13
A.G.E.F.I.P.H., A.N.P.E., etc. Il vise à la conclusion de contrats de droit commun
permettant l’accès à un statut normalisé au regard du travail ou de la formation. Il veille à
ce qu’une solution officielle et durable soit mise en place à la majorité. Dans la dimension
thérapeutique éducative et pédagogique de l’établissement, il s’agit d’un travail axé sur le
traitement des troubles par la formation, l’insertion professionnelle et la médiation dans le
milieu ordinaire. La mise en œuvre des formations et des stages ainsi que les retours en
famille correspondant aux projets individuels réduisent le temps de présence effective
dans les groupes.
Les activités sont offertes en alternance avec les temps de classe, de formation ou de
stage, en lien avec les entreprises et leurs règles qui constituent une autre norme sociale
fondamentale, soit parfois 365 jours d’ouverture par an avec des horaires variables.
Compte tenu des projets d’intégration scolaire, des formations alternées et des stages,
un total de 7 (Equivalents Temps Plein) d’Educateurs Spécialisés pour 28 enfants et
adolescents permet le fonctionnement de l’Unité de Jour dans la dimension de ses
activités éducatives, pédagogiques et du suivi individualisé des situations.
1.4.3.
Des modalités d’hébergement diversifiées
La demande des enfants et des familles est systématiquement dirigée vers une prise en
charge durant les temps scolaires ou de travail. La problématique du lieu et du mode de
résidence de leur enfant comme une composante à traiter dans le cadre d’une réponse
institutionnelle en direction des familles.
Comme pour l’Unité de Jour, l’encadrement prévu correspond à des enfants présentant
des troubles du caractère et du comportement compatibles avec une vie de groupe. Les
enfants nécessitant une surveillance permanente ou ne pouvant tolérer que la relation
individuelle doivent pouvoir bénéficier d’autres dispositifs permettant une prise en charge
adaptée à leur état.
•
L’internat
L’internat est un des outils dont s’est doté l’établissement pour répondre à un besoin de
l’enfant et de sa famille. Il doit faire l’objet d’une indication dans le cadre d’un projet
individualisé. Il peut viser un retour en famille dans de meilleures conditions pour tous ou
à qualifier une rupture en suivant dès lors une procédure dans son caractère social ainsi
que dans l’ordre de l’autorité judiciaire. L’internat ne saurait être une fin en soi et l’époque
des internats massifs, permanents et parfois définitifs est révolue. C’est une pratique qui
tenait davantage de la relégation que de la rééducation. Les modalités de la prise en
charge à l’internat sont donc personnalisées. Elles sont aussi liées aux exigences des
stages dont les horaires sont souvent atypiques : en soirée, les week-end et jours fériés
pour l’hôtellerie et la restauration, de très bonne heure le matin pour les livraisons et
certains chantiers du bâtiment, etc. L’internat doit donc pouvoir proposer une solution
adaptée à ces situations. Même lorsqu’il ne concerne qu’un petit nombre de jeunes, il est
un atout indispensable à la poursuite du projet professionnel. L‘internat est bien autre
chose qu’une réponse à des problèmes d’hébergement tels qu’on les rencontre, par
exemple, dans les internats scolaires ou de loisir. Il est à la foi un lieu d’observation et un
lieu de traitement des troubles. La mise à distance du milieu d’origine, l’inscription dans
un petit collectif bénéficiant d’un cadre éducatif structuré, l’organisation d’activités
favorisant des relations sociales et affectives sécurisantes, la possibilité de prise
d’autonomie voire de prise de risques propres à l’adolescence dans un climat de
confiance sont des éléments susceptibles de révéler des compétences, puis de les
transférer dans le milieu familial. Les séquences d’internat sont le pendant du temps de
présence au domicile. La mesure de l’efficience de la prise en charge est la fréquence et
l’amplitude des retours en famille. L’heure des retours est parfois retardée pour minimiser
les risques de difficultés dans la famille ou son environnement. La place réelle et
symbolique est aussi maintenue pour l’enfant dans l’internat et représente une garantie.
Un effectif théorique de 10 enfants peut constituer un groupe d’internat. En réalité, il sera
réduit du fait des retours en famille alternant avec les séquences d’internat en fonction de
l’évolution du projet individuel et des relations en famille. Un enfant peut être considéré
comme interne s’il dort sur place, en moyenne, au moins deux nuits par semaine.
En terme d’encadrement, un total de 6 Equivalents Temps Plein pour 10 enfants et
adolescents permet le fonctionnement de l’Internat et du suivi individualisé des enfants et
de leurs familles. 5 (Equivalents Temps Plein) d’Educateurs Spécialisés permettent
d’assure les temps familiaux, dont un exerçant une fonction de maître(sse) de maison et
1 poste de surveillant de nuit en plus de l’éducateur de service lorsque le plus grand
14
nombre d’enfants est présent. Les soirées et nuits de week-end ou de vacances
scolaires, le service est adapté au nombre réduit d’enfants et peut parfois faire seulement
l’objet d’une permanence téléphonique si toutes les familles accueillent leur enfant.
1.4.4.
Le semi internat
Les enfants et leur famille sont souvent demandeurs d’une aide au maintien ou au retour
en famille et sauf situation juridiquement qualifiée, l’objectif est bien de permettre la
présence des enfants en famille dans les meilleures conditions. Il s’agit « d’assurer le
respect du droit à une vie familiale (…) rechercher une solution évitant la séparation de
ces personnes (…) un projet propre à permettre leur réunion dans les plus brefs délais »
article 13 loi 2002-2 du 2 janvier 2002. Ce travail est l’un des axes fondamentaux de
l’établissement. Il requiert beaucoup de temps et de disponibilité car il s’agit d’un travail
très individualisé effectué en grande partie par le référent éducatif.
Il convient aussi d’autoriser un hébergement ponctuel permettant de faire face à une
période difficile et laissant le temps d’intervenir de façon adaptée. Un enfant peut être
considéré comme semi interne, même s’il dort sur place, par exemple : deux fois par
mois. Une chambre de passage est prévue à cet effet dans l’internat.
1.4.5.
1.4.6.
L’hébergement spécifique
• L’hospitalisation de nuit
Le travail effectué en collaboration avec les services de pédopsychiatrie nous
amène à mettre en œuvre diverses solutions pouvant aller de la simple consultation
ponctuelle ou régulière à une véritable alternance. Il peut s’agir alors d’un ou
plusieurs jours par semaine ou d’un projet comprenant Unité de Jour en I.T.E.P. et
Hospitalisation de Nuit. Ces formules sont préconisées par la circulaire
DGS/DGAS/DMOS/DPJJ 2002/2825 du 3 mai 2002 relative à la prise en charge
concertée des troubles psychiques des enfants et adolescents en grande difficulté.
(préoccupation pluri-sectorielle, approche pluridisciplinaire et partenariale,
décloisonner les logiques institutionnelles…) Pour leur mise en œuvre, il convient de
rendre les dispositifs compatibles : par exemple en considérant comme semiinternes des enfants relevant d’une hospitalisation de nuit.
•
L’hébergement social
La circulaire 8917 du 30 octobre 1989, précise : « Il importe de noter que l’objet des
établissements et services relevant de l’annexe XXIV n’est pas d’accueillir des
enfants en difficulté sociale (…) ». Sur le nombre de situations traitées en partenariat
avec un service social (A.S.E., A.E.M.O., etc.) et un Juge pour Enfants, il en est qui
nécessitent une réponse sociale lorsque la famille n’est plus en mesure ou n’a plus
le droit de recevoir son enfant. Le recours à une famille d’accueil, a un lieu de vie ou
a une M.E.C.S. (Maison d’Enfant à Caractère Social) est alors adapté et peut se
faire sur un mode séquentiel ou permanent.
Les enfants entrant dans ces dispositifs relèvent le plus souvent du semi internat.
•
Une chambre en ville
C’est avant l’approche des 18 ans qu’il faut construire un projet d’avenir avec les
grands adolescents. Lorsqu’un parcours de formation ou de travail est en place, les
retours en famille à la majorité sont souvent possibles et signent une forme de
réconciliation familiale. Cependant ce n’est pas toujours le cas. Parfois les obstacles
sont simplement matériels, taille du logement, distance, problèmes de transport, etc.
Parfois la rupture familiale est clairement établie. Il faut alors mettre en place un
hébergement autonome ou semi-autonome avec l’accord des parents ou du
magistrat, afin qu’à la date de la majorité, la continuité du projet professionnel soit
assurée le cas échéant avec l’appui d’un service d’aide aux jeunes majeurs. Cette
forme de prise en charge correspond à un lit d’internat « externalisé » ayant la
capacité d’offrir une réponse éducative tout au long de l’année.
Des projets individualisés
Le projet individualisé s’élabore en équipe pluridisciplinaire dans un souci de soins à
apporter à des enfants présentant des troubles parfois graves. Leur histoire et le
processus qui a conduit à leur orientation en Institut Thérapeutique, Educatif et
Pédagogique, attestent qu’il ne faut en aucun cas sous estimer le handicap reconnu par
15
la C.D.E.S. (Commission Départementale d’Education Spéciale). Souvent ce handicap
se trouve amplifié par le fait qu’il est peu visible. Toute exigence faisant appel à une
incapacité réelle risque alors de générer un redoublement des troubles. Le référent
éducatif est le garant de l’ajustement de la réponse institutionnelle à la personnalité de
l’enfant et à son contexte familial.
• au plan de l’organisation des activités pédagogiques, il est l’interlocuteur de l’équipe de
l’unité de jour et des parents.
• au plan des modalités de l’hébergement, il est l’interlocuteur de l’équipe d’internat et
des parents.
• au plan des soins, le médecin psychiatre, le psychologue et l’infirmière coordonnent
leur action et contribuent avec le référent éducatif et l’ensemble de l’équipe à la mise
en œuvre du projet thérapeutique : entretiens individuels ou familiaux, rééducations…
• au plan social, l’assistante du service social participe à ce projet notamment du côté
des situations familiales et de la mise en place de réponses devant conduire à
l’autonomisation des plus âgés.
• au plan des relations avec les intervenants extérieurs (Juge, A.S.E., A.E.M.O, etc.) Le
référent éducatif est le porte-parole de la mission collective de l’institution qui s’adresse
à ses usagers.
• au plan pré professionnel et de la formation, le référent éducatif est principalement
associé à la section d'initiation et de première formation professionnelle pour aboutir à
la solution présentant la plus grande sécurité et la plus grande autonomie pour les
jeunes au moment de leur majorité.
Après la sortie de l’établissement, et en cas de besoin, les membres de l’équipe
peuvent intervenir, chacun à son niveau et selon sa qualification dans le cadre du
service de suite afin d’assurer un soutien et le cas échéant de trouver les relais
adaptés.
Prix à payer
L’établissement dispose d’un projet très récent, élaboré collectivement et conforme aux textes
les plus actuels. Son financement est stable et ses moyens sont conséquents. La population
accueillie est administrativement circonscrite et le personnel est qualifié. Les informations
concernant l’origine et le devenir des enfants et adolescents reçus montrent une réelle
efficacité du dispositif à moyen et long terme.
Malgré tout cela, les moments de forte inquiétude sont nombreux, l’équipe pluridisciplinaire est
mise à mal. Les adultes sont fréquemment déstabilisés et pour tout dire, le recrutement de
personnels est très difficile. Les éducateurs spécialisés diplômés sont peu nombreux à choisir
de travailler dans ce type d’établissement, le taux de départ volontaire (« turn over ») dans les
deux premières années d’exercice est élevé et les départs à l’âge normal de la retraite sont
rares. Heureusement, une fois passées les premières expériences parfois fatidiques, l’intérêt
voire l’enthousiasme est palpable, il doit lui aussi être régulé au risque d’alimenter à son tour
l’excitation des enfants et adolescents.
Dans ce contexte, la question de ces « adolescents difficiles » est à mettre en rapport avec la
capacité des adultes à accomplir leur mission. Or, si les adolescents s’acquittent d’un parcours
qui leur est très généralement bénéfique, les adultes semblent le payer d’un prix exorbitant.
Du point de vue de ma fonction de direction d’établissement, si la mission est bien de veiller à
la « qualité de la prise en charge » comme il est dit dans les textes, celle-ci inclut la prise en
compte des moyens matériels et surtout humains. Ceci me conduit à me demander :
« Comment la souffrance de certains adolescents interroge la fragilité des adultes. »
Pour l’exprimer autrement, les adolescents sont l’objet de la prise en charge, on ne peut leur
reprocher leur état puisque c’est lui qui motive l’orientation et que l’établissement est le
traitement. Autant reprocher à un aveugle de ne pas voir ! Les adultes chargés des missions
thérapeutiques, éducatives et pédagogiques doivent donc mieux comprendre leurs propres
fragilités, les utiliser éventuellement comme des atouts, développer des outils institutionnels et
personnels leur permettant de s’épanouir plutôt que de fuir ou de simplement survivre tout en
accomplissant leur mission.
16
2. « Qui s’y frotte s’y pique »
2.1. Les adolescents difficiles mettent à mal tous les dispositifs
Le jeune L.Q. se rend au collège, en chemin il trouve une brindille carbonisée. Sitôt dans la cour,
il fait mine d’avoir « quelque chose à vendre ». Les enseignants remarquent le manège. Dès le
lendemain, « panique à bord ! » Certains parents se plaignent qu’il y aurait « de la drogue » en
circulation au collège. Appels téléphoniques, relations avec l’Inspection Académique, le service
de santé scolaire et bien sûr l’Institut de Rééducation. Il aura suffi de simuler un trafic avec un
morceau de bois noirci pour « compromettre » la réputation d’un collège et surtout perturber la
vie scolaire pendant plusieurs jours.
N.K. commence une première demi journée à l’essai en S.E.G.P.A., plus de la moitié des élèves
est d’origine gitane. N.K. tient des propos obscènes accompagnés de gestes explicites en
direction de certaines filles. Le jour même, les grands frères rencontrent la direction de
l’établissement et, très loyalement, préviennent qu’il s’agit là d’une transgression majeure, ils
n’ont pas réagi immédiatement parce qu’ils respectent le collège, mais l’avertissement est clair.
« Panique à bord ! » Appel téléphonique à l’Institut de Rééducation, il faut une autre solution car
sinon il y a un risque de retrouver l’élève « dans un fossé, le ventre à l’air ».
A.A. est hospitalisé pour des traces de sang dans les urines. Il effectue des analyses sans
difficultés. Il faut qu’il dorme sur place pour les analyses complémentaires du lendemain et pour
rencontrer le médecin. Dans la soirée, appel téléphonique à l’Institut de Rééducation, « panique
à bord ! » A.A. a disparu. En fait il est déjà de retour à l’Institut. L’hôpital proteste que leur
procédure n’est pas respectée.
La jeune B.S. est victime d’un grave accident de la route durant le Week End. Les deux jambes
sont brisées, et en plus elle n’a pas attendu les secours. Complications. Opérations.
Cicatrisation. Plusieurs mois après, appel du Centre de Rééducation Fonctionnelle à l’Institut de
Rééducation. « Panique à bord ! » Les infirmières du service se sont disputées entre elles à son
sujet, au point qu’il a fallu en changer une de service. Ensuite B.S. a fugué avec les broches, les
plaques et tout l’appareillage.
K.U. se plaint d’une agression dans les transports en communs. Les parents l’accompagnent
pour porter plainte. Dans la journée, appel téléphonique à l’Institut de Rééducation, pas de
« panique à bord » de la part de la police qui ne cache toute fois pas son agacement. « Hors de
ma vue » « enlevez le moi d’ici » « je pers mon temps avec lui alors que j’ai des affaires graves
qui m’attendent. Il se contredit sans cesse, invente au fur et à mesure, ce qu’il avance est
impossible »…
C.S. dit avoir été victime d’une agression sexuelle de la part de son ancien petit ami. Il est
interrogé par la brigade des mineurs, nie tout en bloc, nie même connaître C.S. ce qui peut
facilement être démenti. Incarcération préventive. Intervention du service départemental chargé
des mineurs agressés, désignation d’un administrateur ad hoc et d’un avocat. « Panique à
bord ! » On téléphone à l’Institut de Rééducation, où est-elle passée ? C.S., oublie ou refuse de
voir les personnes chargées de préparer l’affaire en justice. Elle ne semble pas du tout se
préoccuper de l’affaire, comme s’il ne s’agissait pas d’elle.
B.A. est en stage, il se montre travailleur et volontaire, le patron est satisfait, jusqu’au jour où,
sur un chantier, il dévisse le boulon de vidange du compresseur en fonctionnement. Un jet
d’huile brûlante traverse le local, et la machine manque d’exploser. « Panique à bord ! » rendezvous compte du risque ! Le stage ne peut continuer.
F.A. s’empare des clefs du médecin psychiatre de l’Institut de Rééducation. Provoque tout le
monde fait intrusion dans des classes, interrompant les activités en cours, pénètre où il ne
devrait pas, se montre incontrôlable. Dans son agitation, il en vient même à frapper une
éducatrice. « Panique à bord ! » Il ne respecte pas les règles, il y a des franchissements tels
qu’on se demande si la prise en charge doit se poursuivre ?
Les exemples pourraient se multiplier, pris individuellement ils ont un caractère anecdotique et la
gravité des faits n’a rien de spectaculaire. Certains services sont confrontés à des crimes et
délits ou des transgressions bien plus importantes, dans certains cas il s’agit de véritables
drames. Il ne s’agit pas de comparer et il n’est pas nécessaire de faire de la surenchère pour
constater que ce sont tous les types d’institutions qui sont mises à mal par de tels
comportements, comme si aucune règle n’avait cours. Qu’il s’agisse de l’école, de l’hôpital, de la
police, de la justice, de l’entreprise, de l’I.T.E.P. lui-même, les mêmes termes reviennent à
chaque fois : « ce n’est pas normal que … ». Lorsque l’inquiétude est trop forte, il y a
régulièrement recherche d’un responsable avec une inversion fréquente du raisonnement. Ce
serait la faute de l’I.T.E.P. si les adolescents font ce qu’ils font. Comme si le traitement était la
17
cause de la maladie. C’est ainsi que naissent les conflits entre les institutions ou dans
l’établissement lui-même. Si l’étonnement et la capacité d’indignation sont compréhensibles
dans certains cas, il est surprenant de constater que cette attitude est si fréquente chez de
nombreux professionnels, comme si ce qui est affirmé était vrai, à la lettre : « c’est
inadmissible », d’ailleurs ce n’est même pas mentalisé – non admis au sens propre. C’est ainsi
que la prochaine fois, l’émotion sera intacte, il y aura à nouveau « panique à bord ! » et à
nouveau : « ce n’est quand même pas normal que … », à moins qu’au contraire cela n’aboutisse
à l’inverse, une saturation, un laisser aller, une usure, une démission dans les faits quand elle
n’est pas réelle, administrative. Ce qui est mis à mal, ce sont les institutions, les relations entre
les institutions, les individus eux-mêmes.
D’un certain point de vue, le conflit peut être une tentative pour continuer malgré tout. Au jeu de
cette recherche, tous les niveaux peuvent être convoqués, du plus politique (on n’a pas les
moyens ou c’est le système qui veut ça) à l’administratif [c’est la C.D.E.S., le Juge des enfants
qui nous orientent n’importe qui (quoi !)] ou la rivalité extérieure (le collège, le service A.S.E. qui
ne font pas leur travail) au niveau interne à l’Institut, par catégorie socioprofessionnelle (les
éducateurs techniques, les enseignants, les moniteurs éducateurs, les éducateurs spécialisés,
assistante sociale …), par fonction (internat, semi internat, suivi individuel), par responsabilité
technique ou hiérarchique (le psychologue, le psychiatre, le directeur). Le talent de certains
adolescents, et parfois de leur famille, pour activer ces conflits est parfois une véritable
compétence, pour eux aussi, il y va de leur survie.
C’est tout cela qu’il nous faut traiter pour pouvoir travailler sans nous entredéchirer.
2.2. Les adultes sont fragilisés
Nous allons tenter de voir ici comment les adultes n’ont pas forcément une bonne représentation
d’eux-mêmes et en quoi la population des « adolescents difficiles » interroge précisément ce
point sensible.
2.2.1.« Le crépuscule du devoir »
1
Cette expression empruntée à Gilles Lipovetsky vise à prendre en compte le moment
contemporain qui se traduit par une fragilisation des adultes.
2
3
Gérard Mendel revisite le concept d’autorité après Hannah Harendt et souligne qu’il faut
la distinguer du pouvoir ou de la domination. L’appel si fréquent aujourd’hui à
« l’autorité » avec un contresens quasi constant, montre la fatigue d’avoir à vivre le conflit
en permanence, sans disposer des outils capables de le réguler. « L’autorité exclut
l’usage de moyens extérieurs de coercition ; là ou la force est employée, l’autorité
3
proprement dite a échoué » , ce n’est pas tout, « là où on a recours à des arguments,
3
l’autorité est laissée de côté » . L’autorité aurait donc un caractère d’évidence un peu
mystérieuse qui suppose des liens avec la confiance, l’influence, la légitimité mais aussi
avec la légalité et la démocratie. Il s’agit, par exemple, pour les adultes, d’accepter de ne
pas recourir à l’arbitraire, la violence, la démesure ou à l’irrationnel. Ceci est souvent
vécu comme une perte.
4
René Girard pose que l’homme est une créature mimétique. Cette faculté d’imitation lui
permet l’apprentissage mais aussi la rivalité. Il définit même le désir comme l’envie de ce
que convoite ou possède l’autre. Ce mécanisme mimétique, qui rend le rapport à l’autre
extrêmement problématique est, à ses yeux, la véritable cause de la blessure
narcissique. Pour lui, l’âge démocratique ne conduit pas à l’harmonie, au contraire, plus
on supprime les barrières, plus la rivalité fondamentale peut s’affirmer. La concurrence
qui se généralise est source de dynamisme, mais en même temps, une chose de plus en
plus difficile à vivre. Pour lui, l’univers de la démocratie est, par conséquent, celui du
mécontentement.
1
Gilles Lipovetsky, Le crépuscule du devoir, Gallimard, Paris, 1992
Gérard Mendel, Une histoire de l’autorité, La découverte, Paris, 2002
3
Hannah Harendt, La crise de la culture, Gallimard, Paris, 1972
4
René Girard, La violence et le sacré, Grasset, Paris, 1972
2
18
1
Alain Ehrenberg voit un tournant dans les années quatre-vingt, au moment où les
sociétés occidentales encore régies par la discipline et l’obéissance ont basculé dans
une valorisation de l’accomplissement personnel et de l’initiative individuelle. La nouvelle
norme qui s’établit est que chacun soit responsable de tout et doit avoir confiance en soi.
Il y voit la source d’une souffrance psychique car chaque individu est amené à se
considérer comme responsable de ses réussites comme de ses échecs et peut plus
difficilement les imputer à un contexte puisqu’il se vit comme une société autonome à lui
tout seul. Ceci se traduit par l’expression d’une plainte quasi généralisée et par ce qu’il
appelle « l’âge de la vulnérabilité individuelle de masse ».
2
Marcel Gauchet regrette que le personnel éducatif soit trop enclin à une attitude
compassionnelle et passe un temps excessif consacré à la vie démocratique au
détriment des acquisitions. Il relève le dilemme qui oppose l’individualisme qui met
l’accent sur l’accomplissement de chacun et la démocratie qui privilégie l’action collective.
Il reproche qu’une trop grande passion pour l’égalité entre adulte et enfants dénie aux
éducateurs la capacité de mener à bien leur mission. Le malaise de l’école serait dû au
fait que les conditions de transmissions ne seraient plus assurées, pas davantage qu’il
n’y aurait d’acquis de socialisation. Nous aurions en fait perdu sur les deux tableaux, ce
qui expliquerait le désarroi actuel et la démission des adultes.
3
Alain Renaut souligne que les relations au monde de l’enfance n’ont sans doute jamais
été aussi complexes. Le dressage étant exclu de l’éducation, les difficultés sont sans
commune mesure avec celles des générations antérieures et un retour en arrière n’est ni
possible, ni souhaitable. Il semble qu’il y ait aujourd’hui, une composante contractuelle
dans toute relation à l’enfant. Ceci fragilise les adultes, car il est difficile de se représenter
jusqu’à quel point un enfant peut être un partenaire dans un contrat. Les parents sont de
plus en plus en demande d’assistance, en recherche d’experts. Les média se saisissent
de cette clientèle, ne faisant ainsi qu’amplifier le sentiment de disqualification des parents
liée à la libération des enfants.
4
Gilles Lipovetsky montre que nous vivons une mutation inédite de l’individualisme dans
laquelle les plaisirs et les bonheurs individuels sont devenus des messages et des
valeurs de masse. Après une ère où la morale se définissait comme la science du devoir
obligatoire et l’abnégation de soi même, nous sommes entrés dans une époque ou
chacun se sent libre d’adhérer à toutes sortes de valeurs, mais à la carte. Ceci se ressent
dans la mode ou chacun peut chercher son « look » en dehors de courants standardisés.
Ceci est aussi vrai au plan religieux, par exemple, chacun se croit autorisé à être en
désaccord avec tel ou tel point du dogme (l’avortement, le préservatif) sans pour autant
renoncer à se dire catholique. Ceci est encore vrai au plan politique ou syndical où le fait
d’adhérer est de plus en plus vécu comme une perte de libre arbitre. Cette
autonomisation des individus est loin d’être euphorique, elle s’accompagne d’inquiétude,
de difficulté à vivre et d’une fragilisation des sujets qui se matérialise par une
augmentation de la toxicomanie, de la consommation de remèdes liés au stress ou à la
dépression. Le taux de suicide est aussi en nette progression. Cette fragilisation des
personnalités semble tenir à l’affaiblissement des anciens systèmes de défense et
d’encadrement. L’individu autonome est seul, il n’est plus adossé à des dispositifs
collectifs qui avaient la puissance organisationnelle capable de lui assurer une certaine
sérénité.
D’une certaine façon, ce qui relie ces points de vue, c’est le passage d’une verticalité de
l’organisation sociale et du pouvoir à une l’horizontalité de la responsabilisation qui fait
que davantage de poids repose désormais sur le sujet.
1
Alain Ehrenberg, La fatigue d’être soi, dépression et société, Odile Jacob, Paris 1998
Marcel Gauchet, Marie-Claude Blais, Dominique Ottavi,
Pour une philosophie politique de l’éducation, Hachette Pluriel, Paris, 2002
3
Alain Renaut, La libération des enfants, Hachette Pluriel, Paris, 2002
4
Gilles Lipovetsky, Le crépuscule du devoir, Gallimard, Paris, 1992
2
19
2.2.2.« L’onde de choc » traumatique
1
Cette formule reprise de Murray Bowen suppose de prendre la peine de nous intéresser
à la notion de traumatisme. En effet, ce terme est actuellement si galvaudé qu’il finit par
2
ne plus avoir de sens précis. Boris Cyrulnik a largement contribué dans notre pays à une
3
meilleure compréhension des phénomènes liés au traumatisme. Michel Delage insiste
quant à lui, sur la dimension contextuelle, relationnelle des effets du traumatisme.
Il nous faut d’abord rappeler que le traumatisme psychique n’est pas le stress. Le stress
suppose que l’on soit en mesure de mettre en œuvre des mécanismes d’adaptation à
une situation stressante. Il en existe de grands et de petits. Ils sont indispensables à la
vie, sans le stress de la faim, nous ne prendrions pas la peine de rechercher de la
nourriture.
Le traumatisme psychique suppose qu’il n’y a pas de mécanisme d’adaptation possible
ou que ces mécanismes sont débordés. Il peut s’agir d’évènements violents et soudains,
mais aussi de situations de stress répété, d’accumulation de situations pénibles ou
humiliantes. Cela veut dire que quelqu’un est placé dans une situation où il ne peut pas
penser. La situation qui est vécue produit une suspension des capacités à penser, la
personne est sidérée, la pensée lui manque.
Une situation peut être potentiellement traumatique, elle est traumatogène, mais elle ne
frappera pas de façon systématique, certaines personnes seront épargnées. Le
traumatisme est un vécu subjectif il se traduit par des troubles post traumatiques, par une
altération des capacités relationnelles et par une diffusion dans son milieu de vie.
La question qui se pose au professionnel, avant de prétendre aider l’autre, est d’être en
mesure de ne pas être gagné par l’émotion, voire l’effroi d’une situation. Il n’est donc pas
inutile de revenir sur les différents types de traumatismes et sur leur évolution dans le
temps.
Nous pouvons classer les traumatismes en cinq catégories et en trois moments distincts.
Les traumatismes de type 1, sont ceux qui correspondent à des altérations quantitatives
d’excitation. L’exemple de l’excès serait l’abus sexuel, l’exemple du défaut, la carence
affective grave, l’enfant délaissé. Il y a dans les deux cas incapacité de penser par excès
ou par manque total d’apport affectif.
Les traumatismes de type 2, sont ceux qui surgissent par perte de sens. Ce qui se
produit ne peut être pensé parce que c’est insensé. L’exemple serait le récent tsunami
en Asie. C’est un évènement inimaginable, incroyable, tout à coup, tout bascule dans
l’incompréhensible.
Les traumatismes de type 3, sont les traumatismes par rupture de contexte. C’est ce qui
se produit notamment dans certaines situations d’émigration. La personne perd
brusquement ses attaches, ses appartenances, elle est plongée dans une société
étrangère et soumise à l’acculturation.
Le traumatisme de type 4, est le traumatisme par perte d’humanité. C’est le type de
traumatisme qu’ont pu vivre les victimes de camps d’extermination. Ils ne sont plus
traités comme des êtres humains. C’est le cas de tous les génocides.
Les traumatismes de type 5 concernent les personnes qui sont à la fois bourreaux et
victimes. C’est le cas des soldats, des combattants ou de quiconque, sous la pression
des ordres, sous la pression du groupe sont amenés à commettre des exactions qui
finalement les débordent et dont ils se retrouvent finalement victimes et coupables.
1
Murray Bowen, La différentiation du soi, ESF, Paris, 1984
Boris Cyrulnik, Un merveilleux malheur, Odile Jacob, Paris, 1999
3
Michel Delage, revue Thérapie familiale, vol 25 n°3, éditions Médecine & Hygiène, Genève 2004
2
20
Pour chacun de ces traumatismes il y une évolution en trois temps, mais il faut distinguer
le plan individuel et le plan relationnel, dans la famille et le milieu.
Au plan individuel nous avons :
La phase 1, immédiate ou post immédiate pour la personne qui vient de subir quelque
chose de terrible et qui développe un certain nombre de troubles variés qui vont de la
stupeur à la confusion, de l’hébétude à la déambulation, etc.
La phase 2, après les premiers troubles du début, c’est une apparence de retour à la
normale, mais à y regarder de plus près, ce n’est pas tout à fait vrai. En particulier, existe
le sentiment de ne pouvoir être ni compris ni aidé.
La phase 3 correspond à une résurgence, c’est ce que nous appelons en France la
névrose traumatique. Plusieurs semaines, plusieurs mois voire plusieurs années après,
la situation traumatique resurgit d’une manière envahissante. Nous avons quelqu’un qui
fait des cauchemars où il revit la scène, quelqu’un qui présente des réactions de sursaut,
dans la journée qui est en permanence dans un état d’extrême vigilance, en état d’alerte
permanent, c’est quelqu’un qui vit des choses douloureuses et handicapantes dans son
existence.
Au plan relationnel, dans la famille et le milieu de vie nous avons :
La première étape concerne les suites immédiates. Elle est calquée sur ce qui se passe
au plan individuel. C’est un état de choc.
La deuxième étape est la phase de crise. Il va y avoir des effets dans la famille pour
chaque personne prise individuellement et dans la famille comme système, comme
ensemble. C’est une période qui va de quelques semaines à deux ou trois ans : durée
qui correspond souvent avec le temps du traitement social de l’événement, mise en jeu
des assurances, procès, etc. Tant que ce traitement social n’aboutit pas, la crise n’est
pas terminée non plus.
1
La troisième étape met en jeu les conséquences à long terme . Il est alors question de la
2
3
transmission du traumatisme aux générations suivantes . Pascal Roman parle de « lieu
de souffrance traumatique » pour désigner certaines situations d’adoption et de
migration. Une personne qui a été traumatisée, ne peut pas parler et a le sentiment de
ne pas pouvoir être comprise, parfois avec le sentiment de protéger son entourage,
notamment les enfants. Ce silence est alors source de transmission « en creux ».
Comme on ne parle pas, il y a une blessure au fond de soi qui est encryptée, comme on
dépose un cercueil dans une crypte. Mais forcément, dans l’entourage et en particulier
chez les enfants, on perçoit bien qu’il y a certaines choses certaines zones qu’il ne faut
pas approcher. Les enfants qui sont sensibles aux aspects « non verbaux » de la
communication, les gestes, les attitudes, les mimiques etc. perçoivent très bien qu’il y a
certaines choses qui déclenchent des malaises chez un des parents victime, des choses
dont il ne faut pas parler, des zones taboues, ou il ne faut pas aller.
Ce qui est finalement transmis à ces enfants, c’est du négatif, il y a un trou dans
l’histoire, il y a certains événements dont on ne leur dit rien donc l’enfant va grandir avec
cette transmission là.
Le résultat de la crypte chez le traumatisé c’est la transmission d’un fantôme à la
génération d’après. En quelque sorte la crypte correspond à l’indicible, ce qui ne peut
pas se dire, le fantôme correspond à l’innommable.
On ne peut pas nommer parce qu’on n’en n’a pas connaissance. On peut ainsi expliquer
certains troubles qui sont susceptibles d’apparaître chez les enfants à la deuxième
génération. Troubles de diverses natures, anxiété, troubles du sommeil …
À la troisième génération, on passe à l’impensable. C’est un vide qui a été transmis.
Certains troubles majeurs à la troisième génération peuvent trouver ainsi leur origine.
1
Nathalie Zajde, Enfants de survivants, Odile Jacob, Paris, 1995
Anne Ancelin Schützenberger, Aie, mes aïeux ! Desclée de Brouwer, Paris, 1993
3
Diplôme Universitaire, Adolescents difficiles, Marseille, intervention du 20 janvier 2005
2
21
Lors d’un traumatisme psychique, il y a toujours quelque chose qui concerne une attaque
des liens. Il se produit une onde de choc traumatique. C’est comme un tremblement de
terre, la diffusion se fait autour de l’épicentre, la personne qui est directement concernée.
On peut même parler dans certains cas de syndrome par procuration, de traumatisme
indirect. Celui-ci peut envahir certains membres de la famille, des proches mais aussi
des professionnels chargés du suivi de la situation. Il y a un impact sur l’environnement,
c’est l’aspect contextuel du traumatisme.
Cette onde de choc qui perturbe les individus peut faire dysfonctionner les familles
comme les institutions des trois façons suivantes :
Premièrement, par un climat de surprotection. On ne permet pas à la personne de sortir
de son statut de victime. « Le pauvre » ou « la pauvre », avec ce qu’il (ou elle) a subi …
à tel point qu’au lieu d’aider cette personne à surmonter ses éventuelles difficultés, on va
au contraire l’encourager d’une certaine façon dans ses handicaps. Le traumatisme
devient un organisateur de la relation.
Deuxièmement, par mise à distance. C’est l’inverse, on dira « d’accord c’est arrivé, mais
ça aurait pu être pire et de toute façon, ça suffit, on ne va pas en reparler
éternellement ». Dans ces situations, chacun vaque à ses affaires et essaie de mettre un
peu à distance tout ce qui peut rappeler de près ou de loin le traumatisme et ses
conséquences. Ceci peut aller jusqu’à un effort particulier pour ne pas voir qu’il se passe
quelque chose de grave pour l’autre. C’est ainsi que se trouve confortée l’idée selon
laquelle personne ne peut comprendre et qu’on ne peut exprimer à personne ce qu’on a
vécu. Cela peut correspondre à un second traumatisme, un sentiment d’être non
reconnu.
Troisièmement, par rupture des liens. Il peut s’agir d’une sorte d’explosion, chacun pour
soi, on ne s’intéresse plus aux autres, chacun développe des conduites de survie. Il peut
s’agir aussi d’implosion ou de gel, plus rien ne bouge, on ne se parle plus, les
interactions sont rigidifiées, l’ensemble est comme mort.
Ce développement concernant la notion de traumatisme nous est utile à deux niveaux.
D’abord parce qu’un certain nombre d’enfants entrent clairement dans ce cadre. Ainsi
C.L. très agité et rebelle a connu une petite enfance marquée par des scènes de quasi
torture, brûlures de cigarettes, immersion dans la baignoire … F.A. enfant arrogant et se
disant plus fort que tout le monde est le fils d’une maman mariée de force à 13 ans,
arrachée de son pays sans explications et battue par un mari beaucoup plus âgé auquel
elle a réussi à échapper. Ni l’un ni l’autre ne peuvent se concentrer, la pensée leur
échappe. Les difficultés rencontrées par les professionnels dans la prise en charge de
ces telles situations peuvent induire un sentiment d’incompétence particulièrement
difficile à vivre.
Ensuite parce que l’établissement qui a pour vocation de recevoir des adolescents
difficiles connaît des épisodes où la violence des enfants est difficilement contenue.
Cette violence peut alors être vécue comme traumatique. En interne, le phénomène de
diffusion est en général contenu grâce au travail institutionnel, au prix parfois d’une
certaine souffrance des personnels. A l’extérieur, les effets sont plus aléatoires, il y a
parfois des flambées qui s’apaisent rapidement, ainsi cette pétition du voisinage pour
quelques incivilités où il était demandé de « rouvrir la prison désaffectée d’Avignon pour
y mettre tous ces enfants insupportables ». Ou encore cette inquiétude de salariés d’un
autre établissement de notre association interpellant le conseil d’administration sur la
base de rumeurs infondées et non vérifiées, pour venir en aide à leurs collègues de
l’I.T.E.P. qui n’ont rien demandé et dont beaucoup se sentent de ce fait disqualifiés par
une bonne intention qui tombe à plat.
A chaque fois, ce qui apparaît, c’est la sidération, la difficulté de penser, c’est
l’emballement émotionnel voire le passage à l’acte d’adultes qui se rendent compte
après coup que leur réaction était disproportionnée voire absurde.
22
2.3. « Un homme averti en vaut deux »
Nous voici donc prévenus deux fois, d’une part que notre statut d’adulte n’est plus aussi solide
qu’autrefois, d’autre part que les adolescents dont nous nous occupons diffusent une onde de
choc propre à leur situation. Je ne sais pas si nous pouvons appliquer une règle arithmétique
selon laquelle un homme averti deux fois en vaudrait quatre ! En fait cela nous serait bien utile.
Devant ces constats, nous pourrions croire qu’il n’y a qu’une alternative : soit on désespère,
estimant qu’on nous en demande décidément beaucoup trop, soit c’est la crispation autoritaire
sous la forme d’une nostalgie d’un pseudo bon vieux temps, mais qui oserait ouvertement
regretter les mesures radicales d’antan, comme la « croisade des enfants » (1212) ou la
« croisade des pastoureaux » (1251 puis 1320) où il s’agissait de se débarrasser d’une jeunesse
dérangeante en allant les noyer dans les marécages de Camargue ou de les embarquer au Grau
du Roi pour les vendre comme esclaves aux barbaresques ? On n’entend plus dire non plus, qu’il
leur faudrait une « bonne guerre » !
Loin de nous lamenter sur la disparition d’une époque qui n’était pas bonne pour tout le monde,
nous devons considérer comme un privilège le fait de nous trouver aux avant-postes de
changements qui se révèleront peut être comme une mutation anthropologique. Un seul
exemple : jadis, les enfants avaient peur que leur parents ne les aiment pas assez, à présent ce
sont les parents qui sont inquiets de l’amour que leur portent leurs enfants.
1
Marcel Gauchet propose une redéfinition des âges de la vie, conséquence de l’augmentation de
la longévité et du redécoupage de la séquence enfance, adolescence, jeunesse dans une
perspective de vie longue. Il décline aussi les implications à long terme de la généralisation de la
contraception, du désir d’enfant, de l’enfant choisi et des renversements qui en découlent.
2
Gilles Lipovetski développe les effets de la mutation de l’individualisme, de l’accélération du
temps, produite par les progrès technologiques et de la consommation de masse. C’est ce qu’il
appelle les « temps hypermodernes » présentés comme une sorte de chaos organisateur d’où
émergent déjà de nouvelles formes d’éthique individuelle et de responsabilité collective.
3
Alain Renaut souligne l’avènement de nouvelles formes de démocratie, démocratie de régime,
démocratie élective, bien sûr, mais aussi démocratie privée, démocratie de culture, démocratie
de participation, démocratie de considération. C’est donc sur les bases de l’égalité qu’il faut
repenser toutes les formes de pouvoir.
Cette situation est particulièrement stimulante et les adolescents difficiles dont nous nous
occupons ne manquent pas, à leur façon, de poser les questions auxquelles nous ne savons pas
4
encore répondre . C’est en cela qu’à leur tour, ils font leur métier d’adolescents.
Pour ceux qui sont reçus dans notre établissement, nous avons une indication qui se situe dans
5
la formule « processus handicapant » . C’est à partir de ce point que nous pouvons construire
une hypothèse qui s’appuie sur la notion de traumatisme. Nous n’envisageons pas de tout
réduire à cette idée, mais plutôt de l’utiliser comme un levier. Elle nous est utile pour ses vertus
pédagogiques et sa valeur métaphorique.
Si nous revenons au premier temps du traumatisme, nous savons que nous avons pour le sujet
une disparition de la faculté de penser. Ce sont les mécanismes de base qui continuent de
fonctionner, soit pour la survie immédiate, soit même sans aucune fin. L’illustration de cet état est
la déambulation au milieu des ruines, au milieu des cadavres ou au milieu de la foule, au milieu
des siens. Tout se passe comme si un pilotage automatique était activé. Ce que nous savons de
cet état, c’est qu’il est inutile de demander à la personne comment elle va ou de quoi elle a
1
Marcel Gauchet, L’enfant du désir, Le débat n°132, Gallimard, Paris nov. dec. 2004
Gilles Lipovetsky, Les temps hypermodernes, Grasset, Paris, 2004
3
Alain Renaut, La libération des enfants, Hachette Pluriel, Paris, 2002
4
Marine Zecca, Instituts de Rééducation et troubles du caractère et du comportement comme symptôme
du vacillement des repères anthropologiques et politiques, Rapport d’Etude CTNERHI, Paris, mars 2001
5
Décret 2005-11 du 6 janvier 2005 fixant les conditions techniques d’organisation et de fonctionnement
des instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques, article 1
2
23
besoin, elle n’est pas là, elle est absente, elle n’en sait rien, il n’y a rien à attendre d’elle. Tout
revient à celui qui va tenter de lui venir en aide.
Il s’agit d’abord de ne pas être envahi soi même par l’émotion suscitée par la situation au point
de se trouver invalidé par la contagion. Rappelons nous que nous sommes fragiles et qu’il en faut
parfois peu pour être déstabilisé. Rappelons nous aussi que les phénomènes de groupe, en
équipe donnent parfois lieu à des amplifications caractéristiques.
Il s’agit ensuite de commencer par des gestes d’une très grande simplicité, tenir la main, essuyer
la bouche ou le front, avoir des attentions mettant en jeu de discrets contacts corporels comme
pour signifier à la personne qu’elle fait encore partie du monde des vivants, car ce qui est vécu
est du côté de la mort ou de la déshumanisation.
Il s’agit encore de mettre en place des activités simples, même si elles sont effectuées à la
manière d’un automate, une participation à la vie quotidienne même si le sens échappe encore.
Ceci constitue la base d’un retour possible à un redémarrage de l’activité psychique.
Il s’agit enfin de solliciter la narration pour tenter de restaurer la capacité de penser. De permettre
de raconter quelque chose, des moments ordinaires, puis de formuler une explication à ce qui est
arrivé, trouver une forme de rationalité, même si elle n’est pas plausible, éventuellement
construire un mythe. L’explication magique est une ressource à ce niveau de redémarrage de la
pensée.
Toutes proportions gardées et sans présager des causes, nous avons là les bases des activités
éducatives et pédagogiques proposées par l’I.T.E.P. à des adolescents dont nous avons vus
qu’ils sont dans l’impossibilité d’utiliser leur « appareil à penser » alors même qu’ils en sont
équipés. Il s’agit de les déclarer humains alors qu’eux-mêmes n’en sont pas forcément
convaincus. Nombre de comportements gênants peuvent ainsi être mis sur le compte de certains
automatismes, sans intentions, qui disparaissent aussi soudainement qu’ils sont apparus. Ce qui
compte, c’est la capacité de l’adulte, dans sa fonction soignante de tenir le cap de propositions
d’activité et de parole, simples et adaptées, en tant qu’elles sont un accompagnement dans une
humaine condition partagée.
Dans la perspective que nous abordons, le temps est très important. Il ne s’écoule pas de la
même façon pour le sujet qui peut aller jusqu’à faire une sorte « d’arrêt sur image », ou bien
fonctionner par saccades, oublier par moments, puis rester figé sans motif apparent. Pour
l’intervenant extérieur, il existe une montre, un calendrier, un planning de service, un programme.
Ces deux temporalités peuvent mener à une incompréhension, voire à un affrontement. Il faut
aussi considérer la très grande durée, plusieurs mois, plusieurs années pour rendre perceptible
une évolution, cela suppose un effort particulier à une époque où tout est placé sous le signe de
la vitesse. N’oublions pas la dimension « agricole » des interventions, si l’on plante un arbre, il
faut lui laisser le temps de s’établir et ce n’est pas en tirant sur l’herbe qu’on la fait pousser.
L’approche chronologique apportée par la notion de traumatisme peut nous aider à mieux
prendre en considération certaines situations.
Comment interpréter l’attitude de B.R. qui garde son anorak et sa capuche à l’intérieur comme à
l’extérieur, il ne peut rester dans une pièce plus d’un quart d’heure, il ne s’assied pas pour le
repas mais se tient dans un coin de la salle à manger avec un sandwich. Pas vraiment absent,
pas vraiment présent, il regarde les autres comme s’il était un spectateur. Heureusement, il n’est
pas toujours ainsi, mais dans ces moments là, il donne l’impression d’être en mode automatique.
Il peut être violent si on le sort brutalement de cet état.
Comment comprendre l’engouement récent d’un groupe d’enfants pour une activité aussi simple
que du pliage ? Une association voisine avait reçu un stock de pochettes en plastique, livrées par
plaques, qu’il fallait rapidement plier pour les transformer en pochettes à rabat. Nous avons
proposé notre aide tout en craignant que les adolescents ne refusent ce travail. Ce fut l’inverse,
la perspective d’une tache aussi simple a suscité leur enthousiasme, ils s’y sont tenus de façon
surprenante et ont été déçus qu’il n’y en ait pas davantage. Passer du temps sans penser, sans
qu’on leur « prenne la tête », était un soulagement. Non seulement leurs mains étaient occupées,
mais encore leur parole s’est libérée en travaillant, créant une ambiance de convivialité.
24
Comment considérer A.N. qui se prend pour « Tony Montana » – Vérification faite, il s’agit du
héros du film « Scarface » incarné par Al Pacino dans le film de 1983 de Brian De Palma,
remake du « Scarface » de Howard Hawks de 1932, joué par Paul Muni et représentant la vie
d’Al Capone « comme s’il s’agissait de celle des Borgia venus s’installer à Chicago ». –
Deuxième vérification faite, chaque collège ou lycée compte au moins une bonne dizaine de
« Tony Montana ». Naissance d’un mythe de quartier. Il y est question de délinquance et
d’impunité, de prestance et de violence. Pour A.N. c’est au moins une façon de parler de quelque
chose.
Ces trois exemples montrent des similitudes troublantes avec effets du traumatisme, d’abord
l’état de choc, l’arrêt du temps et de la capacité de penser, ensuite l’activité mécanique, enfin la
reprise d’une narration.
Du côté des adultes nous retrouvons des perceptions souvent sources de tensions. Pour les uns,
la souffrance est visible et ils sont conduits à la compassion, l’excuse des troubles, c’est l’aspect
surprotecteur. Pour d’autres le reproche est fait de la perte de temps, « il (ou elle) prend du
retard » à l’école ! Il y a aussi les exigences de la norme, d’un cadre éducatif structuré, nous
sommes là du côté de la mise à distance.
S’il est permis une telle extrapolation, le débat constant concernant l’étiologie des troubles du
comportement, que nous avons développé plus haut, a lui aussi une fonction sociale, on en
parle, chacun peut donner un avis, il prend sa part dans une réflexion collective, alors même que
1
la position scientifique a déjà tranché en faveur d’un aspect multifactoriel . Pas de semaine sans
une émission de télévision ou un magazine à grand tirage qui ne mette au travail cette question
de l’inquiétante étrangeté de « spécimen » de notre jeunesse. Comment ne pas voir là de ces
constructions mentales sans doute préférables à un désespoir généralisé.
De la même façon, je ne sais s’il est permis de compter au nombre des effets du traumatisme la
fascination de certains professionnels pour les adolescents, non seulement difficiles, mais les
plus difficiles, avec une surenchère parfois inquiétante, comme s’il y avait davantage de mérite à
s’occuper d’un cas exceptionnel. La course au sensationnel reléguant au second plan l’humble
travailleur social s’occupant d’un adolescent difficile ordinaire.
Associée à la notion de traumatisme, nous avons l’idée de la résilience. A l’instar du
traumatisme, la résilience est victime de son succès et ce terme est aussi très galvaudé. La
première définition formulée par Mickaël Rutter est la suivante : « La résilience est un
phénomène manifesté par des sujets jeunes qui évoluent favorablement bien qu’ayant éprouvé
une forme de stress qui dans la population en général est connue comme comportant un risque
sérieux de conséquences défavorables ».
La définition actuelle, initiée sous l’impulsion de Boris Cyrulnik en France est plus précise : « La
résilience est un processus dynamique susceptible de se mettre en place chez certaines
personnes qui ont été victimes de traumatismes psychiques. Ces personnes sont capables de
reprendre leur développement de continuer de progresser dans leur vie, d’évoluer positivement
malgré les événements traumatiques qu’elles ont pu vivre ».
Ceci s’applique aux enfants et adolescents de l’institution, encore que nous ne sachions que
rarement s’il y a réellement eu traumatisme. Ceci s’applique plus généralement aux familles en
2
difficulté, mais aussi, ainsi que Michel Delage le précise, aux intervenants qui ont besoin de
3
développer leurs capacités de résilience. Thémis Apostolidis nous demande de prendre en
considération le fait que « nous sommes des personnels exposés, qui doivent savoir se protéger
et se décontaminer ».
X, jeune professionnel, faisant sa première soirée, se trouve en difficulté avec un jeune, sachant
que le psychologue est présent dans son bureau, il s’y rend et après un moment de travail avec
lui, préfère quitter l’établissement sur le champ, en passant par la fenêtre, heureusement situé au
rez-de-chaussée. Nous ne l’avons jamais revu.
1
Roger Misès, Troubles instrumentaux et psychopathologie,
Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence, Elsevier, 03-2004
2
Michel Delage, Lien familial, lien social, Presses universitaires de Grenoble, 2003
3
Diplôme Universitaire, Adolescents difficiles, Marseille, intervention du 21 janvier 2005
25
Y, éducatrice après sa première journée, préfère renoncer au poste proposé, car elle a perçu
qu’elle n’était pas prête à faire face à de telles situations. Son analyse est plus fine, plus intime
aussi.
Pour les personnels en poste, dans la variété de leurs qualifications, il n’y a pas que des
moments marqués par la violence et les débordements. Parfois cela se passe presque trop bien,
au sens où un accrochage affectif se produit.
1
Le Docteur Pierre Giordano nous prévient : « l’enfant abandonnique charme et déçoit, tout
investissement affectif réactive des blessures précoces et ravive une angoisse d’abandon ». « Il
existe une lourdeur de l’engagement éducatif lié à une étrangeté, des volte-face, une demande
d’attention permanente et jalouse, une façon de revendiquer l’attention de façon agressive, à la
limite du tolérable ». C’est le lien qui est mis à l’épreuve.
2
Pour Boris Cyrulnik , c’est à partir du moment où quelqu’un est capable de tisser des liens de
qualité suffisante avec une personne de son entourage ou même des personnes de rencontre,
qu’il peut mettre en jeu des ressources personnelles. Il introduit ainsi la notion de tuteur de
résilience ou tuteur de développement en précisant que la résilience ne se prévoit pas, ne se
décide pas, ne s’impose pas mais aussi qu’on ne peut pas être résilient tout seul.
Tout un chacun peut devenir tuteur de résilience sans l’avoir voulu, sans même le savoir. C’est la
force d’un établissement de compter une variété suffisante de professionnels, de tous ages, avec
des personnalités et des modes d’intervention différents. Cela multiplie les occasions pour les
enfants et adolescents de trouver une passerelle unique et singulière avec l’un ou l’autre. Il
convient de veiller à ce que le légitime souhait de cohérence institutionnelle, n’annule pas cette
indispensable variété des interventions humaines.
Cette situation représente une charge morale, une responsabilité débordant largement les
prévisions initiales de personnes non prévenues se présentant avec leur seule bonne volonté.
C’est la dimension professionnelle qui doit être mise en avant et faire l’objet d’une juste
reconnaissance.
Nous devons savoir que nous sommes soumis à des stress fréquents, parfois à des actes
choquants, qu’ils émanent des enfants ou de leurs familles, de confrères professionnels dans
l’institution ou parmi les partenaires, de l’environnement de l’établissement ou des usagers. Il me
parait utile d’être prévenu de ces phénomènes, car si nous avons un avantage c’est bien celui
d’avoir quelques outils pour penser : un accès à de la formation, une dimension institutionnelle et
une possibilité de ne pas être seul.
Nous n’avons pas besoin d’établir qu’il existe bien un traumatisme à l’origine des troubles que
nous rencontrons chez tous les enfants confiés à l’établissement. A défaut de certitudes ou de
preuves rationnelles, il est pourtant possible de choisir entre plusieurs hypothèses différentes ou
contradictoires. Cette méthode consiste à agir en fonction des conséquences que ce choix
implique. Que nous en coûte-t-il de faire comme s’il existait bien un traumatisme ? Si ce n’est pas
le cas, quel risque ou quel dommage cela peut il engendrer pour l’enfant, l’adolescent ou sa
famille ? Il s’agit d’une idée fondée sur le bon sens, « qui peut le plus peut le moins », que nous
appelons actuellement en termes plus technocratiques « principe de précaution ». Ceci nous
3
renvoie à la théorie du « minimax » du mathématicien John von Neumann et finalement aux
« Pensées » de Blaise Pascal. S’il nous est possible d’oser un rapprochement avec le « Pari de
4
Pascal » , nous nommerons notre proposition, avec beaucoup de respect et un peu de fantaisie :
« l’Hypothèse de Boris ».
1
Diplôme Universitaire, Adolescents difficiles, Marseille, intervention du 20 janvier 2005
Boris Cyrulnik, Les vilains petits canards, Odile Jacob, Paris, 2001
3
John von Neumann, Oskar Morgenstern, La Théorie des jeux et du comportement économique, 1940,
« stratégie et calcul de probabilité visant minimiser les pertes et maximaliser les gains. »
4
Blaise Pascal, Pensées [233], 1711. Le livre de poche, Paris, 1972
« (…) si vous gagnez, vous gagnez tout, si vous perdez, vous ne perdez rien (…) »
2
26
3. La dimension institutionnelle est une garantie
3.1. La formation permet de survivre
Dans beaucoup d’esprits, le travail éducatif n’est pas vraiment une profession, tout le monde
n’est-il pas un peu éducateur avec ses enfants ou ceux de ses proches ? Pour avoir un emploi,
ne suffit-il pas d’aimer les enfants ? Et pour s’occuper d’adolescents difficiles ne faut-il pas
simplement avoir du caractère, être de bonne constitution, avoir une autorité naturelle, de ne pas
s’en laisser conter, être ferme mais juste ?
Pour d’autres, il s’agit d’accumuler des savoirs, non seulement sur l’homme dans toutes ses
dimensions, de son anatomie à sa psychologie en passant par toutes les pathologies
répertoriées, mais aussi de la société et de son fonctionnement, englobant la sociologie,
l’économie, la politique, le champ des relations humaines … mais encore, celui de la religion et
de la philosophie
Nous sommes soit du côté de la nature, de l’inné, du don naturel, soit du côté de la culture, de la
connaissance, des apprentissages cognitifs, du fonctionnement de l’être humain.
Bien entendu il s’agit d’une caricature, les autorités administratives et les centres de formation de
travailleurs sociaux l’ont bien compris. Les cursus proposés font une large place aux stages de
professionnalisation et placent les établissements en situation de devenir entreprise qualifiante.
La posture proposée aux étudiants les place en situation de recherche et c’est de bon augure
pour la suite de leur carrière.
1
Cela ne suffit pas. Pour Marcel Gauchet , il faut revisiter le terme de formation pour le dégager
de son sens étroit, trop professionnalisant. Il faut lui redonner une signification large,
fondamentale, englobante, celle de la « Bildung » allemande, celle des années de formation qui
décident de l’orientation d’une vie. Cette proposition semble particulièrement adaptée à notre
propos tant il est vrai que la confrontation à des situation psychologiquement éprouvantes
nécessite une capacité personnelle à se protéger et à se décontaminer.
La formation initiale permet de survivre, elle offre une compréhension minimale des phénomènes
en jeu. Elle doit se poursuivre par une transmission de pratiques et de postures professionnelles
des confrères plus anciens et par un enrichissement lié à la dimension interdisciplinaire des
équipes. Elle doit aussi s’entretenir au plan personnel par un intérêt porté autant aux évolutions
du monde contemporain qu’à des thématiques plus spécifiques.
La formation permanente est, elle aussi, indispensable. Elle peut se présenter sous la forme de
conférences ponctuelles, par le biais des travaux de l’Association des Instituts Thérapeutiques
Educatifs et Pédagogiques (AIRe) et de ses journées d’études ou dans le cadre du plan annuel
de formation continue.
Nous avons vu que le fait de rester actif au plan de la réflexion est un bon antidote face aux
attaques psychiques dont nous sommes l’objet. Nous devons cependant rester vigilants quant
aux types de formations dispensées et à leurs modalités pédagogiques. S’il est vrai, par
2
exemple, que le très brillant exposé du professeur Jean Louis Terra concernant la conduite
d’entretien, à la fois mis en scène et bénéficiant du support informatique de type « power point »
a enthousiasmé les spectateurs, il faut garder à l’esprit que les apports ainsi proposés sont dans
le registre du savoir. La connaissance de cette modélisation de la conduite d’entretien, ne doit
pas nous faire oublier qu’elle ne peut remplacer l’expérience.
Ici se profile à nouveau la tentation qui consiste à favoriser l’axe cognitif. Je ne conteste pas
l’importance du travail de la recherche et de la théorie. Nous avons besoin de pratiques
professionnelles qui bénéficient de techniques pertinentes et nous souffrons encore beaucoup
d’approximations dans un domaine où la marge de tolérance à l’erreur est faible, compte tenu de
l’explosibilité de certaines situations. Pour autant, il faut parvenir à une appropriation réelle de
ces apports, faute de quoi nous passerons à une sorte de « technologisation » des rapports
humains que nos usagers ne manqueront pas de percevoir et de nous reprocher à bon droit.
1
2
Marcel Gauchet, La redéfinition des âges de la vie, Le débat n°132, Gallimard, Paris nov. dec. 2004
Diplôme Universitaire, Adolescents difficiles, Marseille, intervention du 17 mars 2005
27
3.2. L’institution protège les acteurs
Nous avons parfois l’impression que les institutions sont soumises à une avalanche d’écrits qui
vont de la loi 2002-2 sur les institutions sociales et médico-sociales à la loi 2005-102 pour
l’Egalité des Droits et des Chances, la participation et la Citoyenneté des Personnes
Handicapées en passant par le dernier décret budgétaire, le décret 2005-11 instituant les I.T.E.P.
à la constitution européenne, la loi de décentralisation, de cohésion sociale, sur l’assurance
maladie, la loi « Fillon », les lois « Perben ». Espérons que cette frénésie actuelle d’écriture de
textes parfois effectuée dans le désordre, correspond à la mise en forme d’un projet politique
plutôt qu’à une situation d’anomie.
S’il s’agit de renforcer les institutions, ces textes sont les bienvenus. Ils sont parfois mal perçus
car ils instaurent un certain nombre de contraintes et exigent un travail important d’élaboration et
de réflexion. Il ne s’agit pas simplement de formalités consistant à se mettre en conformité avec
des textes. Ce qui est initié, c’est plutôt une tentative permettant de donner un poids nouveau à
la dynamique des institutions, une nouvelle légitimation du travail placé clairement au nom de la
collectivité dans une dimension de service public ou d’intérêt général.
L’élaboration et la mise en application d’un nombre important de règles et de normes nouvelles a
pour qualité essentielle d’offrir un cadre à des professionnels afin qu’ils ne sombrent pas euxmêmes dans la précarité et la souffrance de l’individu autonome dépourvu de soutien
1
institutionnel . Cette impulsion nouvelle leur permettra peut être de se sentir moins fragiles, car
participant à une action collective reconnue et valorisée.
Il faut pourtant garder à l’esprit qu’il existe deux risques :
D’un côté la démotivation liée à un fossé trop grand entre les obligations et le champ du
réalisable ainsi que la mauvaise perception par les acteurs d’une uniformité exigée de leur travail
dans un contexte social de glorification de l’individualisme. Les effets cumulatifs de stress
répétés et d’injonctions paradoxales peuvent engendrer les comportements irrationnels, des
passages à l’acte ou au contraire un effort particulier pour ne pas voir des situations qui
pourraient se révéler traumatisantes. Il existe de multiples façons de se protéger, pour les
personnes comme pour les sociétés, l’aveuglement en fait partie.
D’un autre côté l’augmentation du nombre de laissés pour compte et de zones de non droit ainsi
que l’amplification du délaissement de populations ne pouvant en aucune manière satisfaire à
certaines normes minimales exigées par les dispositifs pour ne pas être eux-mêmes, à leur tour,
2
dans l’illégalité. Joëlle Bordet nous prévient, elle note une balkanisation du territoire socio
politique ainsi que sa « désinstitutionnalisation ». Il se pourrait que la vie dans certains quartiers
qualifiés de difficiles soit tout simplement en avance sur ce qui risque de se généraliser : une
précarisation accrue, un libéralisme sauvage et une fragilisation grandissante. En effet,
l’économie souterraine se développe, l’enfermement dans des microsociétés de survie se
multiplie.
Dans ma fonction de direction d’établissement médico-social institué sur une base associative, je
mesure l’assise que procure le fait d’œuvrer dans un champ clairement défini, dans un cadre
législatif et réglementaire renouvelé et pertinent avec une pérennité reconnue et un financement
stable. Dans ces conditions, les contrôles administratifs et financiers importants apparaissent
clairement comme des garanties.
Dans ma fonction d’administrateur de la Caisse d’Allocations Familiales, je ne peux qu’être
sensible aux arguments de Joëlle Bordet lorsque je constate la fragilité de nombreux centres
sociaux et leurs crises répétées. Crise de la gouvernance associative, de la gestion mais aussi
crise émotionnelle voire passionnelle pour les personnels et pour les populations.
Les dispositifs innovants destinés aux jeunes se multiplient et sont souvent très intéressants, ils
visent des actions ciblées comme « l’écoute », « la santé », « les drogues », etc. ou tentent
d’élargir leur action comme les diverses versions des « maisons de l’adolescent ». Ils n’entrent
généralement pas dans le cadre légal des institutions sociales et médico-sociales.
1
2
Alain Ehrenberg, L’individu incertain, Hachette, Pluriel, Paris, 1995
Diplôme Universitaire, Adolescents difficiles, Marseille, intervention du 18 novembre 2004
28
Il est à souhaiter qu’ils parviennent à ancrer leur existence dans une dimension institutionnelle
suffisante pour leur permettre de résister d’une part, aux difficultés inhérentes aux populations
auxquelles ils s’adressent et d’autre part, de se préserver éthiquement des aléas financiers et
administratifs des politiques locales.
La loi de 1901 ne suffit pas à elle seule pour offrir une pertinence et l’assurance d’une évolution
dans le temps. L’engagement des politiques publiques doit être réel et durable, il n’est pas
satisfaisant que des missions aussi difficiles soient sous traitées par des dispositifs qu’il sera trop
facile de désavouer le cas échéant, à moins qu’il s’agisse simplement d’effets de mode et de
façade ou encore d’une forme de marchandisation libérale de l’action sociale. Les adolescents,
même difficiles, méritent mieux que cela, les professionnels eux-mêmes risquent aussi d’en
payer le prix fort en terme de stress et d’épuisement personnel.
Les grandes institutions, comme l’Education Nationale, la Justice, l’Hôpital, les services des
Conseils Généraux conservent une importance de premier plan. Celles issus du monde associatif
doivent conquérir et maintenir une reconnaissance administrative et financière leur permettant
d’être considérées comme des partenaires à part entière dans un paysage institutionnel orienté
vers la complémentarité des actions.
3.3. Le travail à plusieurs : une nécessité pour qui ?
Depuis toujours peut être, les dispositifs d’éducation, de soins, de socialisation supposent, pour
l’enfant et l’adolescent, un parcours, une succession de rencontres. Le plus souvent, il s’agissait,
il s’agit encore d’un filtrage permettant une sélection. C’est une forme de travail à plusieurs dans
une dynamique de passages de relais. Le cursus scolaire d’un élève ordinaire en est l’illustration
la plus simple.
La simultanéité ou la circularité d’interventions émanant de champs très variés, correspond à des
pratiques plus récentes. Elle est liée à la difficulté de certaines situations et par conséquent à la
spécialisation des réponses. Ce travail simultané à plusieurs s’est développé dans le travail
1
social vers les années 1980 et s’est fait connaître sous le nom de « pratiques de réseaux » .
2
Joël de Rosnay , définit les réseaux en terme de système intégré de communication entre des
éléments interconnectés. Le réseau est constitué de nœuds et de liens, il est à la fois fragile et
adaptatif, certaines de ses parties pouvant être détruites sans que, pour autant, la
communication cesse.
3
Dès cette époque, la conceptualisation développée en partie par Marine Zecca et David Cooper
permet de distinguer le réseau primaire et le réseau secondaire. Le réseau primaire étant
constitué d’un ensemble de personnes qui communiquent entre elles hors du contexte
institutionnalisé, le réseau secondaire étant l’ensemble des personnels exerçant une fonction
dans un cadre institutionnel.
Les interactions entre réseau primaire et réseau secondaire deviennent un axe du travail social.
C’est ainsi que la Caisse d’Allocations Familiales de Vaucluse a mis fin au travail social direct
auprès de ses allocataires depuis plus de quinze ans au profit d’un travail de développement
local. L’idée est que lorsque les réseaux primaires fonctionnent, ils génèrent un mieux être social.
Lorsqu’ils sont inexistants, « souffrants », « brûlés » voire déviants, l’intervenant aidera à leur
constitution, leur reconstruction ou leur assainissement.
Le réseau secondaire peut se substituer momentanément au réseau primaire mais l’objectif
demeure le développement des ressources des personnes et de leur groupe social. Il s’agit
d’éviter l’assistance permanente induisant une aliénation et finissant par augmenter le degré
d’incompétence des personnes « prises en charges ».
1
Sous la direction de Mony Elkaïm, Thérapies familiales et pratiques de réseaux,
congrès international Bruxelles 26-28 mars 1981, n°4/5 Editions Universitaires, Paris, 1981
2
Joël de Rosnay, Les chemins de la Vie, Point Seuil, Paris, 1986
3
Marine Zecca, David Cooper, Informations Sociales, Réseaux et Champ Social
Revue de la CNAF, Caisse Nationale d’Allocations Familiales, Paris, Février 1988
29
Le réseau secondaire a pour fonction de fournir des moyens au niveau primaire sans se
1
substituer à lui et de l’aider à développer ses potentialités . Il permet l’objectivation de difficultés
réelles et le soutien mutuel des intervenants lors des échecs malheureusement inévitables. Il
permet aussi d’affronter le ressac normal de tout projet collectif et de lutter contre le marasme.
Un réseau primaire n’est pas forcément matérialisé, il a une dimension d’auto organisation. Son
absence de formalisation ne signifie pas nécessairement qu’il n’existe pas. Il peut en outre rester
en sommeil et ne s’animer qu’en certaines occasions. L’intervenant a donc une fonction de
catalyseur et les ressources matérielles et financières qu’il fournit, ne sont que la redistribution
normale des recettes issues des citoyens eux-mêmes.
Nous devons cependant attirer l’attention sur deux limites :
Premièrement, l’application de l’idée de réseau suppose une vigilance concernant le niveau des
difficultés rencontrées. Pour ce qui est de quartiers ou d’adolescents difficiles, il y a une certaine
facilité à invoquer l’autonomie, les ressources des personnes, la liberté de choix, les solutions de
proximité, là où il s’agit plutôt d’un transfert de charges, voire d’un glissement d’objet permettant
aux autorités et aux professionnels eux mêmes de s’en tirer provisoirement à bon compte.
C’est ici une facette de la désinstitutionalisation.
Deuxièmement, la notion de réseau a tendance à être dévoyée et finit par recouvrir un désir
ancestral de contrôle des populations renvoyant au maillage visant, comme le disait Michel
Foucault, à mettre en oeuvre « la gestion d’une police qui assure l’hygiène silencieuse d’une
2
société ordonnée » . Il s’agit alors seulement de repérer, calmer et contenir des personnes
potentiellement déviantes.
C’est là une forme nouvelle du contrôle social.
Actuellement, le travail à plusieurs se résume trop souvent en une recherche de collaborations, il
devient seulement le corollaire de la dispersion des actions éducatives sociales et médicosociales. En effet, la promotion actuelle de solutions ambulatoires, de milieu ouvert ou à domicile
signe un renoncement à la mise en œuvre de solutions plus massives. Cette orientation ne vise
pas simplement des économies budgétaires, elle prend en compte le malaise des établissements
qui prennent en charge les enfants et adolescents les plus perturbés.
C’est ainsi que le projet de notre établissement a évolué dans le sens d’une plus grande
souplesse, l’instauration d’internat séquentiel, l’intégration scolaire à temps partiel, le suivi
individualisé. Si nous pouvons être satisfaits d’avoir pu effectuer ce travail sans crise
institutionnelle grave, nous pouvons aussi être inquiets, car nous voyons dès à présent que cela
ne suffit pas. Certains adolescents se révèlent inaptes à la vie en groupe et épuisent les
personnels. Pour ceux-là, nous avons désormais le choix entre l’exclusion ou un suivi individuel
tenant davantage d’un S.E.S.S.A.D. (Service d’Education Spécialisée et de Soins A Domicile).
Nous voyons que nous suivons aussi cette tendance au désengagement des situations les plus
lourdes. La fragilisation des adultes en général et des professionnels en particulier, n’est pas
étrangère à ce repli. De ce point de vue, l’invocation du travail en réseau donne bonne
conscience et permet d’agir, encore un peu, là où personne n’accepte plus de faire davantage.
Les établissements ne peuvent plus tolérer le spectacle de la brutalité physique et verbale des
enfants et adolescents entre eux, vécu comme trop pénible. Ils ne peuvent pas tolérer les risques
et mises en danger inhérents à leurs troubles. Ils n’acceptent pas non plus de cautionner le fait
que les enfants et adolescents malmènent un personnel trop rudement mis à l’épreuve. C’est
alors, dans le milieu d’origine que se déploient, hors de notre vue et de notre champ
d’intervention, des souffrances individuelles et familiales ainsi que des comportements
inacceptables, entre une visite de l’éducateur, un entretien à visée de soin et une séquence de
scolarité.
Dans les situations difficiles, c’est donc à défaut de mieux que le travail à plusieurs a une utilité.
Pour les usagers c’est parfois tout ce qu’ils peuvent accepter. Pour leurs familles c’est mieux que
rien du tout. Pour les professionnels, ce n’est pas plus qu’ils peuvent supporter.
1
2
Guy Ausloos, La compétence des familles, Erès, Toulouse, 2000
Michel Foucault, Il faut défendre la société, Cours au Collège de France du 28/01/76, Gallimard, 1997
30
Glossaire des sigles et abréviations
AEMO
Action Educative en Milieu Ouvert
AGEFIPH
Association de Gestion du Fonds pour l’Insertion Professionnelle des Personnes Handicapées
ANPE
Agence Nationale Pour l’Emploi
ASE
Aide Sociale à l’Enfance
CAF
Caisse d’Allocations Familiales
CFA
Centre de Formation d’Apprentis
CDES
Commission Départementale de l’Education Spéciale
CFTMEA
Classification Française des Troubles Mentaux de l’Enfant et de l’Adolescent
CIF
Classification Internationale du Fonctionnement du Handicap et de la Santé
CIM 10
Classification Internationale des Maladies, version 10
COTOREP
Commission Technique d’Orientation et de Reclassement Professionnel
CTNERHI
Centre Technique National d’Etudes et de Recherches sur les Handicaps et les Inadaptations
DSM IV
Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders version 4
Gréta
Groupement d’établissements
IMPro
Institut Médico Professionnel
IR
Institut de Rééducation
ITEP
Institut Thérapeutique Educatif et Pédagogique
MECS
Maison d’Enfants à Caractère Social
OMS
Organisation Mondiale de la Santé
SEES
Section d’Education et d’Enseignement Spécialisé
SESSAD
Service d’Education Spécialisée et de Soins A Domicile
THADA
Trouble de l’Hyperactivité Avec Déficit de l’Attention
31
Introduction
p 2
1. L’Institut Thérapeutique Educatif et Pédagogique, un dispositif méconnu
p 3
1.1. Les Instituts Thérapeutiques Educatifs et Pédagogiques sont dans le champ du handicap
1.2. Se contenter de décrire la population concernée
o un contrôle extrêmement difficile des émotions.
o une très faible estime de soi.
o une détresse existentielle et une forte quête affective.
o des difficultés relationnelles où l'affrontement défensif domine.
o des difficultés relationnelles où le repli défensif est privilégié.
o un rapport perturbé à la temporalité.
o une perturbation des liens intergénérationnels.
o une intolérance à la frustration
p 4
1.3. Se résoudre à ne pas expliquer les causes des troubles observés
o La piste génétique
o La thèse organique
o L’aspect cognitif
o L’interprétation psychologique
o L’origine sociale
o La dimension relationnelle
o L’explication familiale
o Les raisons personnelles
o L’irrationnel
o Pour en finir avec les causes
p 6
1.4. L’exemple de « l’I.T.E.P. 77 » à Avignon
p 5
p 7
p 8
p 9
p 10
p 11
p 12
Historique
p 12
Projet d’établissement
1.4.1. Des dimensions thérapeutiques de l’établissement
1.4.2. Une organisation des activités pédagogiques
1.4.3. Des modalités d’hébergement diversifiées
1.4.4. Le semi internat
1.4.5. L’hébergement spécifique
1.4.6. Des projets individualisés
p 13
p 14
p 15
p 16
Prix à payer
2. « Qui s’y frotte s’y pique »
p 17
2.1. Les adolescents difficiles mettent à mal tous les dispositifs
p 17
2.2. Les adultes sont fragilisés
p 18
2.2.1.
« Le crépuscule du devoir »
p 18
2.2.2.
« L’onde de choc traumatique »
p 20
2.3. « Un homme averti en vaut deux »
p 23
3. La dimension institutionnelle est une garantie
p 27
3.1. La formation permet de survivre
p 27
3.2. L’institution protège les acteurs
p 28
3.3. Le travail à plusieurs : une nécessité pour qui ?
p 29
32
Bibliographie
Anne Ancelin Schützenberger, Aie, mes aïeux ! Desclée de Brouwer, Paris, 1993
Henri Atlan, Le cristal et la fumée, Point Seuil, Paris, 1986
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33
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