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© Université de Liège - http://reflexions.ulg.ac.be/ - 21 April 2017
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cancéreuses, etc. » Très au fait, Diderot se faisait en réalité l'écho de ce qui agitait alors le monde médical :
un libellus latin publié à Vienne, aussitôt traduit en français sous le titre « Dissertation sur l'usage de la ciguë.
Dans laquelle on prouve qu'on peut non seulement la prendre avec sûreté, mais encore qu'elle est un remède
très-utile dans plusieurs maladies dont la guérison a paru jusqu'à présent impossible ». Signé par un jeune et
brillant médecin viennois, Anton Störck - qui allait bientôt être attaché au service des Habsbourg -, ce « petit
livre » attira d'abord l'attention du Journal de médecine, qui en publia un compte rendu en juin 1760, avant
que la Gazette salutaire, autre périodique médical en vue, ne publie à son tour un article sur cette étrange
découverte.
Le corps souffrant de l'anonyme
C'est par l'entremise de ce journal que Daniel Droixhe, professeur émérite de l'Université de Bruxelles, chargé
de cours honoraire de l'Université de Liège, enseignant en philologie romane et spécialiste de la littérature
wallonne, devait s'aventurer dans ce domaine de recherche a priori fort éloigné de ses champs d'intérêt.
« Je m'intéresse depuis longtemps à l'édition clandestine liégeoise. Il faut savoir que beaucoup d'éditions
d'origine liégeoise sont aujourd'hui dispersées dans le monde. C'est un travail de police et de collectionneur
pour lequel nous avons créé un programme, Môriåne (ndlr : « moricaud » en wallon liégeois), du nom de
l'enseigne de l'un des plus grands imprimeurs de Liège, Jean-François Bassompierre. Grâce à ce travail, nous
sommes aujourd'hui considérés comme figurant parmi les meilleurs au monde dans ce domaine. C'est donc
par l'intermédiaire de mes travaux sur l'édition que je me suis intéressé à la Gazette salutaire, imprimée à
Bouillon, dans le sud de la Belgique, et qui était alors le plus important périodique médical francophone après
le Journal de médecine », explique-t-il.
La source principale de l'enquête de Daniel Droixhe, intitulée « Soigner le cancer au XVIIIe siècle. Triomphe
et déclin de la thérapie par la ciguë dans le Journal de médecine », est en effet constituée des périodiques
spécialisés de l'époque et, en particulier, des témoignages recueillis par le Journal de médecine : suite à
l'engouement autour du libellus de Störck, le directeur de cette revue, Charles-Augustin Vandermonde, lance
en effet un appel à ses lecteurs, afin qu'ils lui communiquent leurs essais de traitements avec la ciguë. Les
témoignages abondent alors, non exempts d'une certaine atrocité. « Les gens de l'époque étaient en général
beaucoup plus durs que nous ne le sommes », commente Daniel Droixhe qui s'est confronté pendant trois
ans à ces récits de souffrance. Accoutumés à des douleurs physiques fréquentes et intenses, confrontés en
permanence à la menace de la mort - l'âge d'adulte n'étant réservé « qu'à un enfant sur deux » -, les patients
et médecins du XVIIIe siècle entretenaient certainement un rapport à la maladie bien différent du nôtre. Et
l'auteur de citer l'historienne française Arlette Farge qui mobilise, dans ses travaux, la « sourde puissance
physique et corporelle de l'anonyme ». « Je voulais rendre la parole à ceux qui, sans cela, ne l'auraient pas
eue. L'histoire de la médecine parle principalement des traitements dont bénéficiaient les aristocrates. Il y a,
à mon sens, un devoir de mémoire à accomplir sur la souffrance de ces gens simples », estime encore Daniel
Droixhe. Selon le philologue, rien n'indique d'ailleurs que les publications médicales de l'époque aient été lues
par les seuls médecins. « Une évaluation de la technicité du discours proprement médical permettrait sans
doute d'apprécier un angle de visée. Cette technicité prend parfois la forme d'un exposé de l'affection maladive
qui heurte à tel point la « bienséance » traditionnelle qu'il paraît plus spécialement réservé à la lecture du
praticien. Dans le cas du cancer, descriptions et relations de leur évolution défient souvent une reproduction
moderne. Mais est-ce là la marque incontestable d'un discours réservé ? On n'en sait pas assez sur l'étendue
du goût contemporain de l'atroce, de l'insupportable, pour mettre à l'écart de celui-ci un public empreint de
"sensibilité" », écrit-il.