ALLEZ SAVOIR! / N°27 OCTOBRE 200348
MÉDECINE
La fertilité humaine et
animale est menacée
Certains produits chimiques contiennent des
molécules, dites «perturbateurs endocriniens», qui
sont soupçonnées de provoquer des troubles du déve-
loppement et de la fertilité. Les êtres humains et les
animaux sont concernés. Explications.
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ALLEZ SAVOIR! / N°27 OCTOBRE 2003 49
T
out commence avec la découverte
de l’atrophie du pénis chez l’alli-
gator de Floride. Et peu à peu, partout
dans le monde développé, les observa-
tions se multiplient: malformations des
organes reproducteurs chez les pois-
sons, féminisation des mâles et mas-
culinisation des femelles, hermaphro-
disme, baisse de fertilité chez diverses
espèces animales, réduction notable des
populations de grenouilles, disparition
de la loutre en Suisse. Les faits sont sur-
tout marqués chez les habitants du
milieu aquatique. Mais aucune espèce
n’est épargnée, ni les chez les vertébrés,
ni chez les invertébrés: du mollusque
au béluga en passant par les oiseaux,
tout le monde est touché.
L’homme n’est pas à l’abri
Ensuite vient cette constatation: la
quantité de spermatozoïdes chez le
mâle humain se réduit, laissant imagi-
ner que l’Homme lui-même serait
atteint! Bien sûr, on commence à se
poser des questions sur l’origine de
cette situation... Car ce récit qui res-
semble à une histoire de science-fiction
est bien une réalité. Toutes les espèces
voient leur système reproducteur
affecté, d’une manière ou d’une autre.
D’où le soupçon qui pèse sur le sys-
tème hormonal, qui serait la cause de
ces perturbations. Mais pourquoi?
Comment? La quantité de questions
encore ouvertes dans le domaine
dépasse de loin les certitudes.
Au plan international, on se soucie
de ces phénomènes depuis une dizaine
d’années seulement. En Suisse, un pro-
gramme de recherche du Fonds natio-
nal suisse (FNS) est en cours. Car si
les certitudes absolues sont rares, la
préoccupation est réelle: «Des produits
chimiques analogues aux hormones,
que l’on appelle des perturbateurs
De l'alligator à la loutre, tous les habitants
du milieu aquatique souffrent de difficultés à se reproduire.
Même l'être humain est menacé
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ALLEZ SAVOIR! / N°27 OCTOBRE 200350
MÉDECINE
La fertilité humaine et animale est menacée
endocriniens, sont soupçonnés d’être
responsables de l’incidence croissante
de certaines maladies et de troubles du
développement chez les êtres humains
et les animaux», écrit Felix Althaus, le
président du comité de direction du
programme et professeur à l’Institut de
pharmacologie et toxicologie de l’Uni-
versité de Zurich.
Peinture,
médicaments, emballages
plastiques, etc...
Reste à étayer ces soupçons. De
nombreux scientifiques y travaillent
actuellement: dix-sept équipes sont
réunies dans un programme inter-
disciplinaire. L’une d’elles est celle du
professeur Walter Wahli, biologiste
et généticien de l’Institut de biologie
animale de l’Université de Lausanne,
récemment nommé vice-président de
la division Biologie et médecine du
Conseil national de la recherche (lire
en page 55 quelques explications à
propos de cette recherche pointue,
qui concerne les mécanismes molé-
culaires).
Les perturbateurs endocriniens sont
présents dans des objets et matières
aussi hétéroclites que les boues des sta-
tions d’épuration, les pesticides agri-
coles, les peintures employées sur la
coque des bateaux, les résidus de médi-
caments rejetés dans l’eau. Ou encore
les sacs utilisés pour les perfusions, les
gants en PVC, l’emballage plastique de
produits alimentaires, entre autres. La
fabrication de ces derniers, par
exemple, implique «une catégorie de
ces perturbateurs qui appartiennent à
la famille chimique des phtalates. Ils
sont utilisés comme assouplisseurs de
plastique», note Walter Wahli.
Faut-il se méfier des
crèmes solaires?
Pas très rassurant non plus, on
soupçonne certaines crèmes solaires
de contenir de ces molécules agissant
au niveau hormonal. S’enduire la
peau de crème pendant vingt ans
peut-il conduire à une baisse de fer-
tilité? «Une des études du programme
s’intéresse à cette problématique en
particulier. Nous sommes là devant
la question des effets à long terme,
très mal connus, relève le généticien.
Si, par analogie, on pense à des mala-
dies du métabolisme comme l’obésité,
par exemple, on voit que des pertur-
bations relativement faibles au départ
Les perturbateurs endocriniens, présents notamment sous la coque des bateaux,
pourraient être à l’origine de ces troubles de la fertilité
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ALLEZ SAVOIR! / N°27 OCTOBRE 2003 51
conduisent avec le temps à des pro-
blèmes importants.»
D’autant que ces molécules per-
turbatrices ont tendance à s’accu-
muler dans les graisses (on les appelle
«lipophiles») et sont relativement
stables, c’est-à-dire qu’elles ne se
dégradent pas rapidement. Une fois
qu’elles se sont introduites dans
l’organisme, par le biais de la chaîne
alimentaire ou autrement, elles s’y
incrustent pour longtemps.
Quant à savoir si elles agissent déjà
à doses infinitésimales, voire n’agissent
qu’à ces doses, c’est ce que les
recherches doivent établir, parmi
beaucoup d’autres faits. Car outre cet
effet dose, qui reste à éclaircir, l’effet
de combinaisons doit lui aussi être élu-
cidé. Si deux ou trois de ces perturba-
teurs agissent simultanément, la per-
turbation est-elle nettement plus forte?
Y a-t-il des synergies? Mystère, pour
le moment.
Le «bon» et
le «mauvais » moment
Autre problème avec ces fameux
perturbateurs endocriniens: ce sont des
molécules d’autant plus difficiles à tra-
quer que leur action peut s’exercer au
«bon» ou au «mauvais» moment. «Nos
glandes produisent les hormones d’une
manière contrôlée, ce qui fait que nous
avons normalement un développement
et un fonctionnement coordonné et
harmonieux de notre organisme.
L’exposition à un polluant, en plus
d’effets perturbateurs comme le blo-
cage du mécanisme moléculaire de
l’action hormonale, par exemple, peut
éventuellement activer ce mécanisme
au mauvais moment, explique Walter
Wahli. Dans le cas de la puberté, par
exemple, elle peut induire la mise en
route de tout le système de maturation
sexuelle prématurément. La même
action à un moment qui ne serait pas
inadéquat n’aurait aucun effet. Car
certaines de ces molécules polluantes
miment totalement l’action de l’hor-
mone produite par l’organisme.» Cette
affaire de mimétisme est au cœur du
problème (lire en page 55).
Et maintenant, que faire?
Et, pour couronner le tout, la nature
n’est pas aussi innocente qu’elle en a
l’air: des molécules naturelles, exerçant
leur action au mauvais moment, peu-
vent fonctionner comme des pertur-
bateurs endocriniens. En concentration
trop élevée, les phytœustrogènes pro-
duites par des plantes comme le soja,
par exemple, peuvent dérégler toute la
machine. Chez l’adulte souffrant
d’ostéoporose, leur effet positif est
quasi assuré. Mais administrées en
excès à un nourrisson, elles perturbe-
ront son développement.
Reste à espérer, comme le souhaite
la direction du programme du FNS, la
création «d’une plateforme de consen-
sus pour l’industrie et le législateur sur
la manière d’éviter l’impact négatif de
ces perturbateurs endocriniens». Et
que soient définies «des recommanda-
tions ayant trait au développement de
nouvelles substances».
Elisabeth Gilles
Certaines crèmes solaires contiennent des molécules qui agissent au niveau hormonal.
Elles sont également suspectées
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ALLEZ SAVOIR! / N°27 OCTOBRE 200352
MÉDECINE
La fertilité humaine et animale est menacée
D
ans le rôle de la serrure, une pro-
téine, appelée récepteur. Dans
celui de la clé, une hormone. L’hormone
circule dans l’organisme et le récepteur
est «tapi» dans la cellule. Lorsque l’hor-
mone rencontre et s’insère dans le ré-
cepteur (telle une clé dans une serrure),
le récepteur provoque une cascade de
réactions consistant en la modification
du programme génétique de la cellule
et aboutissant à la réalisation, par la cel-
lule, de nouvelles tâches.
Toutefois, il arrive que ce nouveau
programme soit déclenché de manière
inopinée ou bloqué par un «usurpa-
teur», une molécule qui ressemble for-
tement à l’hormone et qui peut se glis-
ser dans le récepteur, comme un
passe-partout dans une serrure. Il s’en-
suit une perturbation générale du sys-
tème de régulation du programme gé-
nétique des cellules qui ne fonctionne
plus de manière adéquate.
Dans le rôle de l’usurpateur
De récentes recherches ont montré
que ces usurpateurs étaient nombreux
et présents en grandes quantités dans
notre environnement. Ce sont des mo-
lécules qui proviennent de l’industrie
ou de l’agriculture. On les trouve dans
les sols, parfois dans les plantes, mais
aussi dans de nombreux produits plas-
tiques, et nous en ingérons dans la vie
de tous les jours de plus ou moins
grandes quantités. Ces usurpateurs qui
Sur la piste du perturbateur!
C’est une intrigante affaire de trousseaux de clés à laquelle se trouvent
mêlées des grenouilles. Pour tenter de comprendre le but des recherches
de Walter Wahli et Béatrice Desvergne, professeure elle aussi à l’Ins-
titut de biologie animale, il faut d’abord se cramponner à une image :
la serrure et sa clé.
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