9-3 MODES DE REMUNERATION DES MEDECINS GENERALISTES : ELEMENENTS DE COMPARAISON INTERNATIONALE Cette fiche présente les principaux modes de rémunération des médecins existant en France et à l’étranger, puis elle expose de manière détaillée l’évolution des composantes de la rémunération50 des médecins généralistes en Allemagne et en Angleterre. En France, le coût des honoraires de la médecine générale libérale pour le régime général d’assurance maladie s’est élevé à 4,9 Md€ en 2007, soit 8,9% de la dépense de soins de ville. Trois modes de rémunération dominants susceptibles d’être complétés La diversité des modes de rémunération illustre le fait qu’aucun ne prévaut sur l’autre La rémunération des médecins s’opère selon trois modes principaux non mutuellement exclusifs : la rémunération à la capitation ou rémunération forfaitaire des praticiens en fonction des caractéristiques de leur patientèle (effectif, âge, état de santé), le paiement à l’acte et le salariat. La capitation est le mode dominant dans les systèmes de protection sociale centralisés qui reposent sur le principe de l’universalité et la gratuité des soins financés par l’impôt pour l’ensemble du territoire (Royaume-Uni, Espagne, Italie) (cf. tableau 1). Le paiement à l’acte prédomine dans les systèmes d’assurance sociale (Allemagne, France). Enfin, le salariat est prépondérant dans les systèmes nordiques, notamment en Suède. Des modes de rémunération complémentaires apparaissent en réponse à des objectifs spécifiques En complément de ces trois modes de rémunération, des dispositifs complémentaires apparaissent dans tous les pays pour la médecine de ville, le plus souvent liés à des objectifs de qualité des soins et de prévention sous différentes formes. Des rémunérations forfaitaires ont été mises en place, comme en France par exemple, où en plus de la rémunération à l’acte, ont été créés des forfaits pour la permanence des soins (astreinte), le suivi des malades chroniques et la rémunération du médecin traitant (cf. tableau 1). Ces rémunérations forfaitaires représentent 6% (cf. graphique 1) de la rémunération des médecins omnipraticiens (généralistes et médecins à exercice particulier). Dans certain pays, des rémunérations à la performance ont été instaurées comme au Royaume-Uni où le système de rémunération à la performance est fondé sur la réalisation d’objectifs destinés à inciter les médecins à améliorer la qualité des soins et leur productivité. Parallèlement, des incitations financières à l’exercice en groupe se sont développées. Leur mise en place correspond à la volonté de transférer en ville certains soins dispensés à l’hôpital et de développer les collaborations entre professionnels de santé. Ces incitations s’accompagnent d’obligations sur la qualité des soins et sur les aspects organisationnels et économiques. Par exemple, en Allemagne, le « Polikum »51, centre de santé pluridisciplinaire créé par la réforme de 2004, prévoit l’attribution de primes en cas de réduction des dépenses de santé et de médicaments ou de suivi exclusif du patient par le centre de santé. 50 La comparaison des données internationales sur le niveau de rémunération des médecins pose des difficultés notamment en matière de mesure des charges, de distinction entre médecins salariés et libéraux (problème des activités conjointes) et de durée de travail (temps partiel ou complet). 51 Source : Rapport Cemka-Eval (2008), Comparaisons internationales sur l’organisation de la prise en charge des patients, réalisé pour la DHOS, Ministère de la santé, fév., 87 p. 143 ECLAIRAGES MALADIE Tableau 1 : Modes de rémunération des médecins en Europe (Situation au 1er juillet 2007) Pays Allemagne France Italie Royaume-Uni Suède Modes de rémunération dominants Rémunération à l'acte avec plafond individuel par capitation. L'association des médecins de Caisse reçoit un budget global d'honoraires dont le montant est calculé en fonction de la patientèle du médecin. La rémunération globale est ensuite répartie entre les médecins sous contrat (cf. encadré 1). Rémunération à l'acte (médecine de ville) et salariat (hôpital). Le montant des honoraires est fixé par des échelles conventionnelles. Si le paiement à l’acte est largement prédominant en ville (cf. graphique 1), il existe une possibilité de dépassement pour les médecins qui exercent dans le secteur dit « à honoraires libres » ou qui avaient acquis une qualification particulière avant 1980. Il existe parallèlement des systèmes de forfaits : système de rémunération médecin traitant, rémunération des astreintes dans le cadre de la permanence des soins, forfait pour patients en ALD. Les médecins hospitaliers sont salariés, mais ils ont la possibilité d'exercer une activité libérale en parallèle. Capitation et salariat. Les médecins généralistes et les pédiatres de libre choix (médecins de famille) ainsi que les spécialistes agréés par le système de santé national perçoivent un montant par capitation. A ce forfait, peut s'ajouter une part variable liée à la réalisation d'objectifs en matière d'organisation et d'objectifs régionaux (Source: Conseiller social en Italie, 25 janv. 2008). Les médecins fonctionnaires et les médecins des hôpitaux sont salariés. Capitation. La rémunération des médecins généralistes se fait majoritairement par capitation (cf. encadré 2). Les généralistes perçoivent également des honoraires supplémentaires pour des prestations spécifiques non couvertes par ce système (paiement à l’acte et rémunération à la performance selon le type de service). Tous les médecins spécialistes exercent uniquement à l'hôpital et sont salariés du système national de santé. Salariat. Les médecins employés par le secteur public sont salariés. Les honoraires des médecins privés affiliés sont négociés entre les autorités régionales (landsting) et l'association des médecins. Source : DSS/6B. Repris et adapté de la base de données MISSOC, Communautés européennes 2007. Graphique 1 : Décomposition de la rémunération des médecins ommipraticiens en France (ville) Permanence des soins 2% Médecin traitant 3% Autres 1% Graphique 2 : Décomposition du coût de la médecine générale en Angleterre Autres 8% Dispensation médicaments 10% Immobilier 5% Permanence des soins 4% Services améliorés 9% Actes 94% Paiement à la performance 13% Contrats de base 51% 3 Note de lecture : La catégorie « autres » rassemble les forfaits particuliers : contrats de bonne pratique, contrats de santé publique, médecin référent, contrats de surveillance thermale. Source : CNAMTS, omnipraticiens, régime général, données en date de soins, 2007. Note de lecture: Les contrats de base comprennent les services essentiels (consultations) et les services additionnels (cf. infra). Source: National audit Office, NHS Pay Modernisation: new contracts for general practice services in England, fev. 2008. 144 COMMISSION DES COMPTES DE LA SECURITE SOCIALE - SEPTEMBRE 2008 La réforme des modes de rémunération des médecins généralistes en Allemagne et en Angleterre Principes et évolution du système de rémunération des médecins allemands La rémunération des médecins généralistes allemands est régie par un système appelé « Praxisbudget » mis en place en 1996 (cf. encadré 1)52. Une enveloppe globale est définie au niveau national puis répartie au niveau régional et son respect est assuré par un ajustement unitaire du prix des actes. Il s’agit d’une rémunération à l’acte plafonnée en fonction d’un nombre moyen d’actes par patient et dont la valeur de l’acte peut être modifiée a posteriori. A ces revenus conventionnés s’ajoutent les honoraires perçus de la part des assurés relevant d’une assurance privée et les honoraires issus des actes non remboursés. La rémunération des médecins allemands se compose en moyenne de 60% de revenus conventionnés provenant des caisses publiques, 30% de revenus issus des caisses privées et 10% d’actes non remboursés53. L’avantage de ce mode de rémunération est lié au paiement à l’acte qui permet une meilleure adaptation à une augmentation de la demande même en situation de démographie médicale déclinante. Les faiblesses potentielles de ce système sont doubles : d’une part, le médecin peut chercher à augmenter le nombre de ses consultations pour atteindre le plafond de ses droits de tirage par patient ; d’autre part, il peut être incité à augmenter le nombre de ses patients en privilégiant ceux en meilleure santé -qui consultent moins- pour obtenir des droits de tirage supplémentaires. L’évolution du système de rémunération des médecins anglais La rémunération des médecins généralistes anglais définie dans le cadre du General Medical Services Contract se compose de trois éléments54 : une rémunération à la capitation pour les « services essentiels » (consultations) et les « services additionnels » (vaccination, suivi de la contraception, frottis vaginal) ; un paiement à l’acte pour les « services avancés » qui concernent le suivi, la prévention et la qualité de prise en charge des patients (disponibilité..) ; et une rémunération à la performance (Pay for Performance) en vue d’améliorer la qualité des soins (cf. encadré 2). La capitation reste le mode de rémunération majoritaire (51%) en 2006/2007 (cf. graphique 2). La rémunération supplémentaire à la performance représente 13% de l’ensemble des ressources des cabinets mais elle peut atteindre jusqu’à 30 % de la rémunération de certains médecins55. La mise en place de rémunérations pour les services avancés et la qualité des soins correspond au besoin d’augmenter la productivité dans certains domaines que ne favorise pas la capitation (visites de nuit, vaccinations, petites chirurgies…). Cependant, le système de rémunération à la performance s’est révélé coûteux (cf. encadré 2) et les effets à court terme en termes d’amélioration des pratiques semblent modestes selon les premières études56. Ces exemples étrangers montrent qu’une diversité de modes de rémunération est envisageable. Leur efficacité semble toutefois liée à une réflexion préalable sur le contexte et les objectifs de leur mise en place : organisation des soins, démographie des professionnels de santé, évolution de la prise en charge des pathologies chroniques, évaluation de la qualité, etc. En France, la LFSS 2008 (art. 44) s’inscrit dans cette voie avec la possibilité d’expérimenter des rémunérations alternatives au paiement à l’acte. 52 Source : Rapport HCAAM (2004), Les modes de rémunération en médecine de ville, expériences françaises et étrangères, Annexe 41, p. 187-194. 53 Source : http://www.gesundheit-heute.de/gh/ebene3.html?id=2429#35s70 54 Source : D. Bernstein (2008), « Les réformes dans l’organisation des soins primaires en Angleterre », Points de repère, n° 17, Cnamts, juil. 55 Conseiller social à Londres, « La maîtrise des coûts en médecine de ville », Note du 9 août 2007. 56 Source : Rapport IGAS (2008), Rémunérer les médecins selon leurs performances : les enseignements des expériences étrangères, juin, 65 p. ECLAIRAGES MALADIE 145 Encadré 1 Allemagne -Présentation détaillée du mode de rémunération des médecins généralistes Les revenus conventionnés Le « Praxisbudget »57 (budget fondé sur la pratique médicale) est un système de « points flottants » encadré par des enveloppes variables d’une région à l’autre avec un paiement à l’acte soumis à un plafonnement individuel de l’activité. Ce système permet une régulation du nombre d’actes pris en charge par un mécanisme de droits de tirage. Les caisses d’assurance maladie versent aux unions régionales de médecins des enveloppes d’honoraires déterminées par capitation (le montant dépend du nombre de patients traités par les médecins de la région). Chaque médecin reçoit un « droit de tirage » exprimé en points de nomenclature, pour tout patient vu au moins une fois dans le trimestre. Cela revient à établir un quota d’actes moyen par patient. Le droit de tirage correspond au coût moyen (régional) de traitement d’un patient sur une période de 3 mois, modulé suivant l’âge des patients. Une modulation du nombre de points par cas est prévu suivant la taille du cabinet (incitation à pratiquer en groupe) et le niveau d’activité du médecin. La valeur du point est déterminée en fin de trimestre en rapportant le montant de l’enveloppe au nombre total de points facturé au cours du trimestre. Le prix des actes n’est connu par les médecins qu’a posteriori. La variation de prix s’applique à l’ensemble des professionnels. L’union régionale des médecins (qui gère l’enveloppe d’honoraires déléguée par l’assurance maladie au niveau régional) rembourse trimestriellement le médecin en points de nomenclature jusqu’à ce que le total des droits de tirage correspondant à la clientèle du médecin soit atteint. Le médecin n’est pas rémunéré pour les actes réalisés au-delà de ses droits de tirage. Inversement si le plafond n’est pas atteint, le médecin n’est rémunéré qu’à hauteur du volume d’activité effectif. L’application d’un prix défini en fin de période est facilitée par le système de tiers payant en vigueur en Allemagne. Les patients versent seulement une franchise de 10 € par trimestre lors de la première consultation chez un généraliste (depuis le 1er janvier 2004). Les revenus privés A ces revenus conventionnés s’ajoutent des revenus privés58, à savoir les honoraires perçus de la part des assurés privés (10% de la population allemande est couverte par une assurance privée) et les actes non inscrits à la nomenclature (actes appelés « IGeL » (Individueller Gesundheitleistungen) ou actes individuels de santé) tels que les thérapies ou les massages. L’activité privée représente en moyenne 15% des revenus des médecins, cette proportion pouvant varier de 5% dans les régions rurales à 30% dans certaines grandes villes. Le secteur « IGeL » est en pleine expansion. Encadré 2 Angleterre – Eléments sur le mode de rémunération des médecins généralistes La nouvelle convention médicale dite « General Medical Services Contract » de 2004 a introduit un raffinement de la méthode de calcul de la rémunération à la capitation perçue par chaque cabinet de médecine générale (CMG) pour la rémunération de son personnel et de ses missions de médecine générale. La détermination de la dotation globale calculée trimestriellement et versée mensuellement sur la base du nombre de patients listés dans le cabinet prend en compte un plus grand nombre de paramètres de l’activité du CMG pour rendre son montant mieux adapté aux besoins des patients59 : nombre plus élevé de tranches d’âge des patients, indicateurs de santé locaux (morbidité, mortalité), indicateur d’activité en zone sous-dense… Le système de la rémunération à la performance dit « Quality and Outcome Framework (QOF) », mis en place conjointement dans le cadre de cette convention, est un système par points composé d’indicateurs qui fixent des cibles de réalisation d’objectifs dans 4 domaines : qualité des soins (suivi des malades chroniques…), organisation du cabinet, attention accordée au patient, services additionnels (dépistage cancer col utérus, surveillance santé des enfants, contraception…). Le QOF est optionnel mais pratiquement tous les CMG y ont adhéré (98%60). Ce système lors de sa première année d’entrée en vigueur en 2005/2006 a coûté 1,3 Md€, soit 200 M€ de plus qu’estimé61. Les seuils de réalisation de certains indicateurs ont été relevés pour éviter des rémunérations trop élevées. Malgré cela, les praticiens anglais ont obtenu en moyenne 95,5% du maximum des points en 2006/2007. 57 Source : Présentation établie à partir du rapport HCAAM (2004), « Les modes de rémunération en médecine de ville, expériences françaises et étrangères », Annexe 41, p. 187-194. 58 Source : U. Descamps (2007), « Honoraires des médecins libéraux en Allemagne », Cnamts, août. 59 Source : CNAMTS (2008), op. cit. 60 Source : Conseiller social à Londres, op. cit.. 61 Source : NAO (2008), NHS Pay Modernisation : New Contracts for General Practice Services, fév.