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dépense de santé remboursée par l’assurance maladie est déconnectée de la dépense de santé totale,
ce qui accroît la charge supportée par le patient.
Les individus supposés rationnels et intéressés sont censés calculer les gains (bonus) ou les pertes
(malus) des différentes opportunités qui s’offrent à eux : se conformer au parcours de soins,
consommer du médicament à « service médical rendu faible »,…pour les patients, prescrire des
médicaments génériques, respecter les protocoles standardisés, …pour les médecins. Dans cette
perspective, le droit de l’assurance maladie a pour mission d’élaborer les bonnes règles, celles qui
amèneront les acteurs à adopter les comportements qui leur offrent une plus grande espérance de
gains. L’analyse de l’évolution du droit de l’assurance maladie montre l’émergence d’une vision
instrumentale de la règle. L’accent mis sur la figure de l’homo œconomicus conduit à inscrire le
calcul dans la règle de droit et à diffuser une normativité marchande.
Le développement d’une normativité marchande : une analyse textuelle des conventions
médicales
L’analyse lexicale des textes des conventions médicales sur plusieurs années (encadré 1) confirme
le développement d’une normativité marchande qui vient concurrencer les autres logiques. Le
travail réalisé avec le logiciel Prospero met en évidence trois espaces discursifs distincts
construisant le « monde commun » que représentent les conventions médicales. Ces trois espaces
discursifs (libéral, gestionnaire et marchand) s’agencent de façon différente selon les conventions.
Le discours libéral se scinde en deux sous-ensembles : l’un « traditionnel » et l’autre « renouvelé ».
Le premier reprend les thèmes porteurs de la profession (liberté du praticien, autonomie du
jugement, indépendance, …). Il est qualifié de traditionnel dans la mesure où il favorise la cohésion
de la profession depuis le XIX
e
siècle. Le discours libéral renouvelé apparaît beaucoup plus
tardivement (vers le milieu des années 1980) et prend appui essentiellement sur des revendications
propres aux généralistes. Il défend une autre interprétation de l’éthique médicale, non associée à la
médecine libérale, valorisant des formes collectives d’exercice et une réforme des modes de
rémunérations.
Encadré 1 : L’analyse textuelle
L’analyse textuelle a été réalisée à l’aide des deux logiciels Alceste et Prospero. Le premier permet d’effectuer de
manière automatique l’analyse d’entretiens, de questions ouvertes d’enquêtes socio-économiques, de recueils de textes
divers (œuvres littéraires, article de revues, essais, …). L’objectif est de quantifier un texte pour en extraire les
structures signifiantes les plus fortes. L’intervention de l’utilisateur est limitée à des « formalités » purement utilitaires,
et à une utilisation des fonctions de base. Il est toutefois possible, par la suite d’affiner l’analyse, de vérifier ou
d’essayer de nouvelles hypothèses interprétatives en modifiant les paramètres.
Le logiciel Alceste segmente le corpus en unités de contexte élémentaires (u.c.e.) de taille équivalente, il filtre le
corpus pour ne retenir que les mots dits pleins, qu’il lemmatise, et construit un “Tableau Lexical Entier” (T.L.E.)
croisant les segments (u.c.e.) et les mots. Puis, par une méthode itérative de classification (Classification Descendante
Hiérarchique, CDH), il calcule une partition disjonctive de classes d’u.c.e. en faisant apparaître des classes homogènes
de mots. Enfin, une Analyse Factorielle des Correspondances permet de représenter les classes (ainsi que les mots
qu’elles contiennent) les unes par rapport aux autres. On obtient ainsi une cartographie des mondes lexicaux mis en
évidence. On analyse ensuite les spécificités de chaque classe. Prospero est considéré, quant à lui, comme un logiciel
d'analyse linguistique. Cependant, Prospero dispose aussi de tous les outils propres à l'analyse thématique. Il propose
des outils permettant la création ex nihilo de catégories discursives et des outils de décontextualisation des textes, c'est-
à-dire de découpage en fragments de textes (mots, expressions ou unités non linguistiques) et d'affectation aux
différentes catégories. Le logiciel propose enfin des outils de recontextualisation orientée, c'est-à-dire de regroupement
des fragments pour en faire un tout porteur de sens.
Les deux types d'analyse, linguistique et thématique, reposent sur une catégorisation initiale du discours. Dans
Prospero, les catégories sont définies comme des univers cohérents représentant le contexte conceptuel et les relations
entre ces univers. Le logiciel effectue alors un découpage du corpus en propositions catégorisables permettant de mettre
en évidence la cohérence référentielle du texte. In fine, l'analyse linguistique repère les intentions du discours par la
modalisation et l'analyse des enchaînements.
L’espace discursif gestionnaire se structure à la fin des années 1980 et au début des années 1990 sur
la base d’une évaluation de l’activité médicale. L’objectif est, dans une situation d’asymétrie
d’informations, de détecter les éventuels comportements de risque moral en les comparant à la