CONSEIL DE L'EUROPE COMITÉ DES MINISTRES RÉSOLUTION (76) 34 RELATIVE À LA CHARTE ÉCOLOGIQUE DES RÉGIONS DE MONTAGNE EN EUROPE (adoptée par le Comité des Ministres le 21 mai 1976, lors de la 258e réunion des Délégués des Ministres) Le Comité des Ministres, Se référant à la Recommandation 6. i de la Résolution n°1 de la Conférence ministérielle européenne sur l'environnement (Vienne) qui préconise d'entreprendre une étude «des problèmes écologiques spécifiques de certaines zones montagneuses et rurales en liaison avec l'abandon des activités agricoles, pastorales et forestières et le développement du tourisme, éventuellement dans un cadre régional plus restreint~~~~; Se félicitant des initiatives prises par le Conseil de l'Europe pour les régions de montagne, et notamment de l'étude sur les régions menacées des Alpes et les mesures de prévention, et celle sur les problèmes économiques et sociaux des régions de montagne; Entendant par régions de montagne les Alpes et les autres chaînes montagneuses en Europe; Conscient de la valeur que présente l'héritage des régions de montagne des points de vue naturel, historique, culturel et social; Constatant que la fragilité et la vulnérabilité de ces régions découlent de leurs particularités propres; Constatant que les pressions résultant des activités humaines qui s'exercent sur ces régions compromettent leurs fonctions vitales de réservoirs hydrologiques, zones agricoles, sylvicoles, pastorales, zones de récréation et de vie sauvage; Estimant que le milieu de vie et l'équilibre biologique des régions de montagne sont menacés; Considérant qu'une action concertée au niveau européen est nécessaire à l'amélioration de la situation actuelle, et que la Charte écologique des régions de montagne et le plan d'action adopté lors du Symposium international sur l'avenir des Alpes constituent des moyens appropriés pour réaliser un tel objectif, Adopte et proclame les principes de la présente charte préparée par le Comité européen pour la sauvegarde de la nature et des ressources naturelles du Conseil de l'Europe, ci-dessous libellés. Conception de base 1. Les régions de montagne en Europe constituent un patrimoine naturel commun dont la valeur doit être reconnue par tous. Chacun a le devoir de veiller à sa conservation. Les régions montagneuses assument différentes fonctions, notamment celles de réservoirs hydrologiques, zones agricoles, sylvicoles, pastorales, zones de récréation et de vie sauvage. - 1 - Les activités humaines et notamment l'évolution démographique ainsi que le développement économique du vingtième siècle affectent les régions montagneuses qui font partie de notre patrimoine naturel. L'accroissement de la pollution de l'eau et de l'air, la destruction du sol, la dégradation du paysage et la raréfaction ou extinction des espèces animales et végétales détruisent l'équilibre des différents systèmes biologiques vitaux, indispensables à toute vie humaine. Dégrader les régions de montagne équivaut à une utilisation abusive du patrimoine naturel. Chaque individu et chaque collectivité (locale, régionale ou nationale) devrait à ce titre se sentir solidaire à l'égard des autres, et veiller à la conservation de ce milieu. Situation écologique 2. Les milieux montagneux constituent des écosystèmes fragiles et figurent parmi les sytèmes biologiques les plus menacés en Europe. En raison des précipitations élevées, du rôle de la neige, de la glace, des pentes plus ou moins abruptes, des fortes radiations, des températures extrêmes, des vents violents, la situation des écosystèmes montagneux est différente de celle des autres régions d'Europe. Les effets des activités humaines sur ces écosystèmes conduisent rapidement à des situations critiques. Ces écosystèmes sont gravement menacés: - d'une part, par l'érosion du sol, les glissements de terrain, les avalanches, les crues torrentielles, les inondations, - etc.; d'autre part, par la dégradation et la destruction des paysages, notamment de la forêt, dans certains cas par la construction de barrages pour le stockage de l'eau, le transport de l'énergie, les pollutions de l'eau et de l'air, par les pesticides, etc.; 3. Les régions de montagne doivent garder leur fonction de milieu de vie. L'impact des activités humaines sur les écosystèmes de montagne varie suivant les zones climatiques, les conditions socio-économiques locales et l'héritage culturel. Les diverses formes de besoin, l'exploitation forestière, pastorale et agricole, transport, doivent être satisfaites de façon la chasse, le tourisme, l'industrie, le à maintenir les écosystèmes dans un équilibre biologique. Les régions de montagne ne doivent devenir ni un musée, ni un parc d'attraction. Leur fonction comme milieu de vie doit être affirmée. 4. Les biotopes montagneux et leurs écosystèmes doivent bénéficier d'une protection générale de principe. La restauration des biotopes de montagne étant difficile et longue à réaliser, les écosystèmes doivent par conséquent être protégés efficacement, traités avec précaution et, dans la mesure du possible, reconstitués selon les critères écologiques. Toutes les interventions nouvelles, qu'il s'agisse de lotissements, remonte-pentes, routes, pylônes et lignes électriques aériennes, industries, aménagements récréatifs, etc., affectant le milieu naturel doivent faire l'objet d'une autorisation après avis des spécialistes compétents, et consultation préalable des collectivités locales et des populations concernées. Planification 5. Toute région de montagne doit faire l'objet d'une véritable politique de planification et d'aménagement et de promotion des populations montagnardes. Dans le passé, l'économie des montagnes était basée presque exclusivement sur l'agriculture, l'élevage, la sylviculture et l'artisanat. La plupart des régions de montagne subissent des modifications quant à leur utilisation. Elles sont détournées de leur vocation première et les montagnes sont de plus en plus destinées au tourisme, aux activités récréatives et industrielles. Il en résulte une dégradation du paysage, une destruction des terres agricoles, des dommages à la végétation et à la faune, dans certains cas au bilan hydrique, une pollution accrue de l'eau et de l'air, une augmentation du nombre des avalanches, etc., - 2 - donc une perturbation de la nature. Les populations de montagne doivent être encouragées et aidées à lutter contre la dégradation de leur milieu de vie. Toute région montagneuse doit par conséquent faire l'objet d'un véritable plan d'aménagement et de développement en tenant compte de l'avis des spécialistes compétents après consultation des collectivités locales concernées. A cette fin, un équilibre judicieux devrait être recherché à partir des diverses formes d'activités traditionnelles et nouvelles. Dans ce contexte, il faut reconnaître que chaque région de montagne forme une entité biologique et humaine qui doit être considérée dans son ensemble, tout en respectant les particularités régionales et locales. 6. Le développement du tourisme, des transports et de l'industrie doit être basé sur une gestion rationnelle des ressources naturelles. Le développement du tourisme et des installations annexes en relation avec le tourisme, les répercussions directes et indirectes de la technique moderne, comme la construction de stations de ski, de pistes de ski, de remonte-pentes, de routes, la construction de lignes électriques, la construction des digues et des barrages pour l'énergie électrique, etc., ont pris de telles proportions que les atteintes portées au milieu naturel, en général, et à certains écosystèmes en particulier ont quelquefois atteint un seuil critique. Eu égard à la vulnérabilité des écosystèmes aux activités humaines, il existe des incompatibilités entre ces activités et la protection du patrimoine naturel. De ce fait, des mesures efficaces doivent être prises; elles doivent tenir compte des critères écologiques, et s'intégrer harmonieusement dans les principes d'un aménagement et d'un développement rationnels. 7. Des mesures efficaces de prévention doivent être prises contre les risques naturels tels que les avalanches, crues torrentielles, glissements de terrain, chutes de pierres. Les sinistres naturels en nombre toujours croissant qui affectent annuellement les régions de montagne ont des répercussions complexes et multiples sur l'homme et son environnement. La protection contre ces risques doit être préventive et doit viser à sauvegarder la vie humaine et le milieu naturel. A cette fin, elle peut comporter des mesures telles que des constructions pareavalanches, la correction des torrents, le boisement ou reboisement, l'assainissement, l'éducation et l'information des touristes et de la population indigène, ainsi que toute mesure législative ou réglementaire appropriée. En particulier dans le cadre des mesures d'aménagement du territoire, il sera nécessaire de déterminer avec précision à côté des zones en danger, celles qui sont dangereuses pour l'homme, et d'y interdire pour des raisons de sécurité toute implantation humaine. Protection 8. Les paysages et les milieux naturels, semi-naturels et culturels doivent être préservés. Les paysages et les milieux naturels, semi-naturels et culturels de montagne sont très fragiles et vulnérables. Le développement des loisirs et de la technique est souvent responsable d'une dégradation importante de ces zones. La capacité écologique de charge atteint fréquemment son niveau maximal. Dans ces conditions la plupart, voire la totalité des paysages et des milieux laissés encore intacts par l'homme risquent de disparaître. La fonction biologique des paysages et des milieux doit être maintenue. Il faut donc les préserver et dans la mesure du possible les reconstituer. 9. Un réseau montagneux de réserves biogénétiques doit être établi. Le système actuel des zones protégées en montagne ne tient pas suffisamment compte des différents biotopes et habitats représentatifs et typiques qu'il faut préserver, afin de conserver la diversité et l'intégrité des communautés biotiques de plantes et d'animaux dans des écosystèmes naturels. Il y a donc lieu de créer un réseau montagneux de réserves biogénétiques en collaboration avec le projet 8 du Programme MAB de l'Unesco (réserves de la biosphère). - 3 - Gestion 10. La vie rurale montagnarde est indispensable au maintien du milieu de vie montagnard; les mesures efficaces visant à préserver son originalité seront prises. Les aspects négatifs des transformations de la vocation originaire des régions montagneuses se font sentir, et provoqueront à la longue la destruction de la région de montagne comme zone rurale et aire récréative. Même si le rendement économique des exploitations montagnardes peut paraître faible dans l'immédiat, il convient de ne pas perdre de vue la rentabilité économique à long terme des régions montagneuses. C'est pourquoi les conditions de vie et de revenu doivent être satisfaisantes pour les montagnards, ce qui implique une politique concertée (soutien économique, financier et technique) en faveur de ces populations. 11. Le surpâturage aussi bien que l'abandon des pâtures doivent faire place à un pâturage optimal. Les conséquences néfastes du surpâturage aussi bien que l'abandon des pâtures se font sentir dans certaines régions de montagne; en général, les zones marginales sont les plus menacées. Il en résulte un appauvrissement et parfois une uniformisation de la végétation naturelle, une dégradation du sol déjà sensible à l'érosion, parfois une suppression de la régénération de la forêt, une augmentation sensible du risque d'avalanches, des glissements de terrain, etc. Le parcours du bétail en forêt doit être progressivement supprimé; d'autre part, l'abandon des pâturages est également néfaste car il provoque un appauvrissement des paysages. Un pâturage optimal permettant le maintien de l'équilibre biologique doit remplacer le surpâturage; là où elle a été abandonnée, la réintroduction du pâturage peut être recommandée. 12. L'usage du feu pour l'aménagement des terres dans les régions de montagne doit être strictement interdit. La forêt est très sensible au feu et les écosystèmes se dégradent facilement en cas de destruction du couvert végétal. Les incendies sont très souvent à l'origine du déboisement. En raison de la fréquence croissante des incendies de forêt, la forêt climax en région méditerranéenne a été remplacée par le maquis et la garrigue. Il suffit de quelques années pour détruire le couvert végétal et par conséquent les écosystèmes, mais il faut un siècle et parfois plus pour les reconstituer. 13. Le maintien et/ou le reboisement du couvert forestier doit être effectué en utilisant des espèces indigènes. La forêt naturelle est le résultat d'une évolution qui a duré des siècles et des millénaires. Les espèces forestières indigènes sont les mieux adaptées aux conditions naturelles existantes. La forêt naturelle assure la meilleure protection: - d'une part, contre l'érosion du sol, les avalanches, les glissements de terrain, les inondations; - d'autre part, pour la préservation des écosystèmes originaux et le maintien de la physionomie du paysage et du régime hydrique. Le remplacement des espèces forestières indigènes par des espèces exotiques et par des monocultures est à interdire; des perturbations pour l'environnement montagnard peuvent en découler. La forêt naturelle présente des avantages non seulement sur le plan écologique mais aussi économique. Une rénovation du couvert végétal selon des critères écologiques s'avère donc indispensable. Dans certains cas au-dessus de la limite des forêts, les prairies assurent aussi des fonctions importantes et doivent donc bénéficier d'une protection adequate. 14. La faune et la flore doivent être protégées sauf dérogation, les espèces indigènes disparues doivent être réintroduites là où c'est possible. De nombreuses espèces végétales et animales ont disparu de certaines régions de l'Europe et quelques-unes même de tout le continent. De nombreuses espèces sont menacées d'extinction. Les ruptures de l'équilibre écologique qui en - 4 découlent - sont graves et encore largement méconnues. Pour arrêter cette évolution la flore et la faune doivent être protégées efficacement sauf dérogation spéciale. Une réintroduction des espèces indigènes s'avère opportune. L'aménagement et la gestion de la flore et de la faune naturelles doivent tenir compte de la nécessité de préserver le matériel génétique des espèces de montagne menacées. Une réglementation stricte et applicable en Europe concernant la cueillette et la récolte doit être édictée. 15. Une gestion écologique adéquate du gibier s'impose. Dans quelques pays le cheptel du gros gibier a augmenté trop rapidement et cause des dommages considérables aux forêts et à la végétation. Le rejeunissement de la forêt naturelle, à l'exception de l'épicéa, est compromis. Le gibier et l'exploitation forestière contribuent au vieillissement des forêts. Une gestion écologique, notamment par régulation adéquate de la densité du gibier, est le moyen adéquat pour parvenir à la préservation des ressources génétiques de la faune. Coopération internationale 16. La sauvegarde du patrimoine naturel des montagnes et de leurs écosystèmes nécessite une coopération scientifique à tous les niveaux. Une connaissance approfondie de l'écologie et des activités humaines en montagne est la condition essentielle à l'amélioration de la situation. Toutes les organisations et institutions compétentes sont invitées à contribuer efficacement et à collaborer activement, en élaborant notamment des programmes de recherches interdisciplinaires. Une coordination étroite doit être engagée avec les organismes de décision. Les moyens de la recherche concernant la montagne doivent être renforcés. Le cas échéant, la création d'organismes spécialisés doit être envisagée. La recherche doit être menée sur le plan international ou interrégional. 17. L'information et l'éducation du public de même que la formation de spécialistes doivent faire l'objet de programmes appropriés. Il importe d'informer et d'éduquer le public et en particulier les enseignants des dangers menaçant les régions de montagne. Des programmes pédagogiques particuliers devraient être inclus dans les cycles d'enseignement; ces programmes permettront une participation effective des citoyens à une gestion rationnelle des régions de montagne et de leurs ressources. 18. Les problèmes humains, écologiques et économiques qui se posent pour les diverses régions montagneuses présentent des caractéristiques fondamentalement analogues quel que soit le pays. Aussi est-il important que les règles législatives destinées à les résoudre soient harmonisées sur le plan européen. Malgré l'unité fondamentale de la matière, les Etats intéressés risquent d'adopter des règles législatives divergentes pour la sauvegarde de la nature et des ressources naturelles dans les régions montagneuses. En outre, les législations nationales risquent de se développer selon des rythmes différents. Aussi serait-il nécessaire d'harmoniser ces législations afin d'éviter les distorsions sociales et économiques qui pourraient résulter de leur divergence. 19. Les régions de montagne de l'Europe peuvent former des unités naturelles mais divisées par des frontières. Elles doivent être, dans toute la mesure du possible, gérées en commun par les pays intéressés selon les principes écologiques. Certaines zones montagneuses constituent un ensemble naturel englobant des territoires qui relèvent de plusieurs Etats ou provinces. L'unité fondamentale de telles régions impose une recherche et une gestion communes, quels que soient les Etats ou les subdivisions administratives dont relèvent leurs parties. De même, toute mesure de planification concernant ces zones devrait être élaborée en commun ou, du moins, après concertation entre les autorités territorialement compétentes. Toute initiative allant dans le sens d'une plus grande coopération et coordination dans ce domaine entre organisations internationales et institutions non gouvernementales ainsi qu'entre personnalités scientifiques, instituts de recherche ou administrations de différents pays doit être encouragée, à quelque niveau qu'elle se situe. - I 14 957 5 -