Observatoire du Management Alternatif Alternative Management Observatory __ Fiche de lecture Vers un nouveau capitalisme Muhammad Yunus 2007 Camille Portejoie – Novembre 2010 Majeure Alternative Management – HEC Paris – 2010-2011 Portejoie C – Fiche de lecture : «Vers un nouveau capitalisme » – Novembre 2010 1 Vers un nouveau capitalisme Cette fiche de lecture a été réalisée dans le cadre du cours « Histoire de la critique » donné par Eve Chiapello et Ludovic François au sein de la Majeure Alternative Management, spécialité de troisième année du programme Grande Ecole d’HEC Paris. JC Lattès, Paris, 2009 Première date de parution de l’ouvrage : 2007 Résumé : nous faisons face à de nombreux enjeux: changement climatique, développement des inégalités dans le monde, croissance démographique, mondialisation. Est-il possible de résoudre ces problèmes dans le système économique et politique actuel ? Quelles institutions, quelles entreprises seront capables de relever ces défis ? Le professeur Yunus propose une solution avec le développement d’une nouvelle forme d’entreprise, les social business, pour pallier les dysfonctionnements de l’économie de marché et changer en profondeur le capitalisme. Mots-clés : Capitalisme, Modèle d’entreprise, Pauvreté, Sens du travail. Creating a world without poverty This review was presented in the “Histoire de la critique” course of Eve Chiapello and Ludovic François. This course is part of the “Alternative Management” specialization of the third-year HEC Paris business school program. JC Lattès, Paris, 2009 Date of first publication 2007 Abstract: The challenges of the twenty-first century are significant: climate change, gap widening between the rich and the poor, demographical growth, globalization. Is it possible to solve these problems in our economical and political system? Which institutions, which businesses would be able to face theses challenges? Professor Yunus suggests creating social businesses to correct the dysfunctions of the market economy and to transform capitalism. Key words: Capitalism, Business model, Poverty Charte Ethique de l'Observatoire du Management Alternatif Les documents de l'Observatoire du Management Alternatif sont publiés sous licence Creative Commons http://creativecommons.org/licenses/by/2.0/fr/ pour promouvoir l'égalité de partage des ressources intellectuelles et le libre accès aux connaissances. L'exactitude, la fiabilité et la validité des renseignements ou opinions diffusés par l'Observatoire du Management Alternatif relèvent de la responsabilité exclusive de leurs auteurs. Portejoie C – Fiche de lecture : «Vers un nouveau capitalisme » – Novembre 2010 2 Table des matières 1. L’auteur et son oeuvre ......................................................................................................... 4 1.1. 1.2. Brève biographie ........................................................................................................ 4 Place de l’ouvrage dans la vie de l’auteur .................................................................. 5 2. Résumé de l’ouvrage ............................................................................................................ 6 2.1 2.2 Plan de l’ouvrage ........................................................................................................ 6 Principales étapes du raisonnement et principales conclusions ............................... 7 3. Commentaires critiques ..................................................................................................... 14 3.1 3.2 Avis d’autres auteurs sur l’ouvrage .......................................................................... 14 Avis de l’auteur de la fiche ...................................................................................... 15 4. Bibliographie de l’auteur ................................................................................................... 17 5. Références ........................................................................................................................... 18 Portejoie C – Fiche de lecture : «Vers un nouveau capitalisme » – Novembre 2010 3 1. L’auteur et son œuvre 1. 1. Brève biographie Muhammad Yunus est né le 28 juin 1940 dans le village de Bathua (province de Chittagong) dans ce qui était alors la province du Bengale des Indes Britanniques. Sa famille, comprenant ses parents et ses huit frères et sœurs, déménage en 1947 dans la ville de Chittagong, où son père possède une entreprise de bijouterie. Yunus grandit et fait toutes ses études à l'université de Chittagong, il les achève en 1961 après l'obtention d'un master en économie. Il devient alors assistant chercheur au Bureau National de recherche sur l’économie puis professeur à l'université de Chittagong. On lui offre une bourse pour partir étudier aux Etats-Unis en 1965. Il reçoit ensuite une nouvelle bourse de l'université Vanderbuilt qui lui permet d'obtenir son doctorat d'économie en 1971. Pendant cette période, il enseigne aussi à l'université de MTSU (Middle Tennessee State University) de 1969 à 1972. Il retourne au Bengladesh en 1972 pour prendre la tête du département d’économie de l’université de Chittagong. C’est là qu’il commence à se sentir frustré par son métier de professeur et d’économiste: de son propre aveu, il a de plus en plus de difficultés à enseigner de belles théories économiques à l’abri des murs de son université quand les villageois d’à coté souffrent d’une pauvreté extrême. Il lance donc un programme de «recherche-action» dans le village de Jobra pour aider les paysans à améliorer le rendement des terres agricoles. Il approfondit ce travail pendant la grande famine qui touche le Bengladesh en 1973-1974 en cherchant à comprendre pourquoi de nombreux pauvres n’ont pas les moyens de s’acheter à manger. Il découvre alors que ces derniers n’auraient besoin que d’une très petite somme d’argent pour pouvoir créer une activité génératrice de revenus, mais qu’ils ne peuvent le faire car ils sont sous la coupe d’usuriers, qui leur prêtent de l’argent à des taux extraordinairement élevés. Il réalise alors son premier microcrédit d’un montant de vingt-sept dollars auprès des femmes du village de Jobra en 1976. Convaincu d’avoir trouvé là un moyen efficace de lutter contre la pauvreté, Yunus cherche à institutionnaliser le microcrédit. Il crée un projet pilote en collaboration avec le gouvernement et la banque de Jobra pour réaliser des micro-prêts. A la suite de ce projet, la Grameen Bank est fondée en 1983. A partir de la fin des années 1980, Yunus et la banque Grameen développent d’autres entreprises, la plupart sous la forme de social business, et créé Portejoie C. – Fiche de lecture : «Vers un nouveau capitalisme» – Novembre 2010 4 ainsi la famille d’entreprises Grameen. Le succès de l’initiative attire l’attention de la communauté internationale sur le professeur Yunus et la Grameen Bank. Dans les années 1990 et 2000, il reçoit plus d’une soixantaine de prix nationaux et internationaux dont le Prix Nobel de la paix en 2006 avec la Grameen Bank, il est aussi invité régulièrement par les grandes universités mondiales pour faire des conférences. Yunus s’emploie à promouvoir les social business à travers le monde. 1. 2. Place de l’ouvrage dans la vie de l’auteur Vers un nouveau capitalisme est le deuxième ouvrage écrit par Yunus après le livre Banker to the Poors (Vers un monde sans pauvreté). Yunus a écrit cet essai, un an après avoir reçu conjointement avec les sociétaires de la Grameen Bank le Prix Nobel de la paix. Il est donc déjà connu dans le monde entier pour son travail et a déjà eu l’occasion de rencontrer nombre de grands décideurs (Bill Clinton, Antoine Riboud Président Directeur Général de Danone...). Il s’agit d’un essai de trois cent soixante-douze pages dans lequel Yunus propose une nouvelle forme d'entreprise, au service de la résolution des problèmes sociaux, pour rendre le capitalisme plus juste et plus humain. Dans cet ouvrage, Yunus structure sa réflexion en trois parties: il met d’abord en lumière les échecs du capitalisme pour montrer l’importance d’une nouvelle forme d’entreprise, le social business, il démontre ensuite la faisabilité et l’efficacité de son concept en prenant l’exemple de la Grameen Bank et de la galaxie d’entreprises qui lui sont associées enfin il analyse les bénéfices que l’on peut attendre du développement des social business à la lumière des grandes tendances sociétales. Yunus s'attache à décrire précisément le mode de fonctionnement de ces social business et écrit une véritable profession de foi concernant l'avenir de l'humanité. Il insiste sur l'importance de l'initiative individuelle, sur l'imagination mais aussi sur l'importance de solutions pragmatiques combinant l'engagement des ONG (Organisations Non Gouvernementales) avec l'efficacité de l'entreprise, pour répondre aux grands défis du vingt-et-unième siècle. Il propose ainsi un grand nombre de solutions pratiques pour faire vivre les social business dans le marché et transformer ainsi le fonctionnement de l'économie mondiale pas à pas. Portejoie C. – Fiche de lecture : «Vers un nouveau capitalisme» – Novembre 2010 5 2. Résumé de l’ouvrage 2. 1. Plan de l’ouvrage Prologue: tout a commencé par une poignée de main Partie 1: LA PROMESSE DU SOCIAL-BUSINESS Un business d'un genre nouveau Ce qu'est le social business et ce qu'il n'est pas Partie 2: L'EXPERIENCE GRAMEEN La révolution du microcrédit Du microcrédit au social business La bataille contre la pauvreté: au Bengladesh et ailleurs Dieu est dans les détails Un pot de yaourt après l'autre Partie 3: UN MONDE SANS PAUVRETE Diversifier le marché Technologies de l'information, mondialisation et transformation du monde Les dangers de la prospérité Mettre la pauvreté au musée Discours de réception du Prix Nobel: « La pauvreté est une menace pour la paix » Pour prendre contact avec le professeur Yunus Portejoie C. – Fiche de lecture : «Vers un nouveau capitalisme» – Novembre 2010 6 2. 2. Principales étapes du raisonnement et principales conclusions Le capitalisme ne tient pas ses promesses Le professeur Yunus part d'un constat : le développement du capitalisme et son expansion à l'ensemble de l'économie mondiale n'ont pas tenu leur promesse. S'il est vrai que la capitalisme a permis à un grand nombre d'êtres humains d'atteindre un confort matériel sans précédent, la répartition du revenu mondial est encore plus inégalitaire: 40% de la population se partage 96% du revenu mondial, ce qui ne laisse que 4% pour les 60% de la population restant. Il faut en effet bien distinguer croissance économique et résolution des problèmes sociaux: les deux phénomènes ne vont pas toujours de pair. Deux exemples le prouvent. Le premier est celui de la Chine, qui a connu une croissance économique sans précédent mais dont l'indice de Gini (indice utilisé pour mesurer l’inégalité des revenus dans une zone géographique) est supérieur à celui de l'Inde. Le second est celui des Etats-Unis, « qui ont la réputation d'être le pays le plus riche de la planète » mais dont un sixième de la population ne bénéficie pas d'assurance maladie. Muhammad Yunus fournit une explication à ce phénomène: le marché libre n’est pas conçu pour résoudre les problèmes sociaux, il favorise au contraire leur aggravation « s'il est mis exclusivement et sans relâche au service des objectifs financiers de ses participants les plus riches ». Pourtant le marché libre pourrait soutenir un dynamisme, une créativité essentielle à la résolution des problèmes sociaux. Yunus est favorable à la mondialisation qui peut participer à la redistribution égale des revenus si un « code de la route » équitable, une régulation mondiale est créée et mise en place. Face à cet échec, les solutions existantes sont inefficaces Yunus dresse la typologie de ces solutions mises en place pour pallier les effets pervers du capitalisme et montre qu'elles manquent d'efficacité et ne pourront jamais à elles seules accomplir la mission qu'elles se sont fixées. En premier lieu, les gouvernements, malgré de nombreux avantages (taille, légitimité dans certains cas, pouvoir), sont le plus souvent ralentis par la bureaucratie, les considérations politiques et parfois entachés par la corruption. Ensuite, la nature des ONG les empêche Portejoie C. – Fiche de lecture : «Vers un nouveau capitalisme» – Novembre 2010 7 d'apporter une réponse adéquate à l'ampleur des défis qu'elles doivent relever. Les organisations sont dépendantes des dons et utilisent la moitié de leur énergie disponible à rassembler des ressources. La portée de leur action est donc limitée par la générosité des donateurs. Les institutions multilatérales, quant à elles, combinent les désavantages des gouvernements et des ONG. Elles sont le plus souvent lentes, bureaucratiques, conservatrices et en manque de fonds chroniques, ce qui les conduit à conduire des politiques incohérentes. Yunus propose de réformer leur fonctionnement notamment celui de la Banque Mondiale (développement d’antennes locales, coopération avec tous les acteurs de l’économie pas seulement les gouvernements, meilleure évaluation des politiques). Concernant le concept de RSE (Responsabilité Sociale des Entreprises), Yunus reconnaît l'intention louable derrière ce concept et s’en réjouit. Cependant cette démarche atteint très vite ses limites dans le cadre d'une entreprise traditionnelle. Lorsque les objectifs sociaux entrent en concurrence avec l'objectif premier de l'entreprise de maximiser le profit, les dirigeants qui ne sont évalués que sur leur réussite de ce dernier, choisiront toujours de maximiser le profit plutôt que les objectifs sociaux. L’erreur première des théories du capitalisme et la nécessité de réinventer l’entreprise Pour le professeur Yunus, les théories qui ont conceptualisé le capitalisme tel que nous le connaissons reposent sur un postulat erroné: les hommes ne seraient que des êtres unidimensionnels motivés par un seul et unique objectif: maximiser leur profit. Cet objectif unique dirigerait toutes leurs décisions, tous leurs comportements et les hommes trouveraient donc satisfaction en travaillant dans une entreprise classique tournée uniquement vers le profit. Yunus met au contraire en avant le fait que l'homme est multidimensionnel, animé par un ensemble de désirs, de capacités, de priorités très varié. Il devrait pouvoir exploiter toutes les facettes de sa personnalité dans une entreprise tournée vers la résolution de problèmes sociaux plutôt que la simple maximisation du profit: un social business. Qu’est ce qu’un social business ? Un social-business est une entreprise dont l'objectif est d'apporter des solutions à un problème social. Un social-business peut prendre deux formes différentes. Un social-business fonctionne comme une entreprise privée: il fournit un produit ou un service à d'autres acteurs du marché qui est facturé, il emploie des employés payés au prix du marché et suit les règles de gestion d'une entreprise classique. Son capital social en revanche n'est pas composé de parts de l'entreprise mais d'argent fourni par des investisseurs sociaux sans contrepartie. Ces Portejoie C. – Fiche de lecture : «Vers un nouveau capitalisme» – Novembre 2010 8 derniers peuvent récupérer leur mise de départ une fois que le social-business a atteint l'autonomie économique. D'un point de vue financier, le social-business devra atteindre l'équilibre financier à minima et réinvestir tous ses profits dans le développement de son activité. Sous cette forme, le succès de l'entreprise sera évalué sur l'efficacité des solutions apportées pour résoudre le problème social auquel elle avait décidé de s'attaquer. Le deuxième type de social-business fonctionnerait comme une entreprise privée traditionnelle dont l'objectif serait de maximiser le profit, cependant son capital social serait détenu par des pauvres ou des personnes défavorisées. Cette entreprise aiderait donc les pauvres à sortir de la pauvreté en leur fournissant un revenu supplémentaire avec le versement de dividendes et la valorisation de leurs actions. Pour Yunus, le social-business (notamment de premier type) a plusieurs avantages: il permet de diversifier le monde des affaires en apportant une nouvelle concurrence aux entreprises classiques, en fournissant un débouché aux investisseurs potentiels et en instaurant une nouvelle dynamique de concurrence entre les entreprises. D'autres avantages des socialbusiness sont mis en avant par Yunus: ils permettent de faire circuler l'argent de la générosité: les investisseurs ne font pas des dons mais d'une certaine manière des prêts à taux zéro. A un moment ou à un autre ils récupèrent leur mise et peuvent la réinjecter dans le système économique. Enfin, le social-business correspond à la pensée d'un homme multidimensionnel: il permet aux individus de concilier leur recherche du profit et leur volonté de faire quelque chose qui a du sens. La preuve par l'exemple: le succès du microcrédit Pour appuyer son argumentation en faveur du concept de social-business, Muhammad Yunus relate son aventure avec la Grameen Bank et ses entreprises sœurs. Professeur d'économie à l'université de Chittagong, Muhammad Yunus est témoin des terribles ravages de la famine de 1974-1975 dans un village voisin du campus Jobra. Il découvre avec effarement que les pauvres ne peuvent s'acheter correctement à manger, non pas faute de travail mais faute de capital disponible suffisant, pour leur permettre de sortir du cercle infernal dette-travail pour rembourser la dette-contraction d'une nouvelle dette pour faire face aux dépenses quotidiennes.... dans lequel ils sont enfermés par des prêteurs peu scrupuleux. Yunus réalise alors son premier microcrédit d'un montant de vingt-sept dollars. Convaincu d'avoir trouver là un moyen efficace de lutter contre la pauvreté (permettre aux pauvres d'emprunter à un taux très faible pour financer une activité génératrice de revenus), Yunus, après avoir en vain tenter de convaincre les banques traditionnelles, crée en 1984 la Grameen Portejoie C. – Fiche de lecture : «Vers un nouveau capitalisme» – Novembre 2010 9 Bank. Les chiffres montrent clairement le succès de la Grameen Bank : la banque est financièrement autonome depuis 1995, le taux de remboursement est de 98,6% et surtout elle a contribué à sortir de la pauvreté 64% de ses emprunteurs durant au moins cinq ans depuis sa création Yunus a développé son concept à l'encontre de la doxa économique traditionnelle, en exploitant avec créativité les angles morts des théories économiques et en renversant des hypothèses communément admises telles que: la non solvabilité des pauvres, la vision des hommes comme objets économiques et non comme des sujets (i.e. des entrepreneurs) et enfin la simplicité du monde économique et de l'être humain. Au contraire la Grameen Bank s'est attachée à s'adapter à tous les besoins de ses emprunteurs et à favoriser leurs initiatives personnelles. Elle a aussi tenu compte de l'environnement de l'emprunteur en créant des groupes d'emprunteurs pour favoriser l'entraide et la cohésion sociale. Par ailleurs, la Grameen Bank s'est développée autour de ses membres en n'hésitant pas à se reformuler complètement et à proposer des nouveaux services d'épargne de fonds d'urgence etc. ... Grâce au succès de l’expérience Grameen, le micro crédit s’est diffusé dans d’autres pays et d’autres continents (Asie du Sud Est, Afrique, Proche Orient). En 2006, le Sommet Mondial du Microcrédit a reconnu que cent millions de familles dans le monde bénéficiaient alors du microcrédit contre sept millions six cent mille de familles seulement en 1997. La naissance du concept social business Le social business ne se cantonne pas au microcrédit. En témoignent la famille d’entreprises Grameen qui a grandi depuis la création de la Grameen Bank. En adoptant toujours le même pragmatisme et le même procédé: identification d’un problème, invention d’une solution, expérimentation, corrections éventuelles, l’équipe Grameen a développé un tissu d’entreprises traditionnelles et à but non lucratif pour répondre aux besoins des pauvres. Les activités de ces entreprises vont de la promotion de l’artisanat traditionnel, aux soins de santé et à la téléphonie mobile. Certaines ont plus de succès que d’autres ainsi Grameen Phone, entreprise de téléphonie mobile, qui est en 2007 la première entreprise du pays. Yunus entreprend ensuite de narrer les principales étapes de la création de la première multinationale sous la forme d’un social business: le projet Grameen Danone. De sa rencontre avec Frank Riboud, PDG (Président Directeur Général) de Danone en novembre 2005 aux premières ventes du Shoki Doi au printemps 2007, Yunus s’attache à expliquer le fonctionnement de cette multinationale d’un nouveau genre. Par l’exemple d’une expérience réussie, il démontre la pertinence d’un tel business et les avantages de la Portejoie C. – Fiche de lecture : «Vers un nouveau capitalisme» – Novembre 2010 10 collaboration entre Danone et Grameen : apport de Danone avec ses moyens financiers, son expertise dans le domaine alimentaire, ses contacts et apport de Grameen avec leur approche innovante, leur connaissance des problèmes locaux et leurs expériences dans le domaine du social business. Grameen Danone est un social business, qui s’est fixé pour mission de «réduire la pauvreté grâce à un modèle économique de proximité permettant d’apporter quotidiennement des éléments nutritifs aux pauvres ». L’entreprise a choisi pour cible les consommateurs à bas revenus du Bengladesh et plus particulièrement les enfants et a développé une gamme d’aliments adaptés à leurs besoins nutritionnels et économiques. Le premier produit vendu par Grameen Danone est le yaourt Shokti Doi dont les qualités nutritionnelles, le goût, le nom ont été spécialement choisis pour plaire à la population bangladaise et particulièrement aux enfants avec des carences alimentaires. Le modèle de production et de vente adopté doit permettre de créer de l’activité économique au Bengladesh: la première usine conçue est de petite taille et pensée pour fournir le marché local, d’autres usines devront ensuite voir le jour. Les matières premières sont fournies par les fournisseurs locaux et les produits vendus par les femmes des villages voisins. Yunus tire les conclusions suivantes de ce succès: le concept de social business est viable et peut s’incarner dans la réalité pour un grand nombre d’activités. Surtout, il permet de redonner du sens au monde des affaires et de bénéficie ainsi à la fois aux pauvres mais aussi aux employés de l’entreprise. Le développement du social business dans un nouveau contexte réglementaire Yunus ne se contente pas de penser le concept de social-business à l’échelle de l’entreprise, il imagine aussi le fonctionnement complet d’une économie de social business. Il commence par détailler le fonctionnement d’institutions financières spécialisées dans l’investissement social. Pour lui il peut s’agir de donneurs traditionnels tels que les grands mécènes et les fondations d’entreprise mais aussi de filiales de grandes institutions internationales dédiés aux financements de social-business. Yunus imagine même que des entreprises de financement traditionnelles pourraient investir dans des social business puisqu’elles pourraient récupérer leurs investissements. Yunus prend pour exemple le fonds d’investissement créé par Danone pour financer leur participation au projet Grameen Danone. Il s’agit d’un fond d’investissement social dans lequel les actionnaires de Danone peuvent choisir d’investir et dont 90% des actifs sont investis sur le marché monétaire et dégagent des revenus prévisibles. Les 10% restants des actifs servent à financer des projets de social Portejoie C. – Fiche de lecture : «Vers un nouveau capitalisme» – Novembre 2010 11 business. L’ensemble de ces actifs permet de dégager un rendement de 2 ou 3 % à destination des actionnaires. Pour Yunus, le fonds Danone Communities n’est pas parfait (l’idéal pour lui étant la création d’un fond dont les bénéfices sont intégralement reversés dans des activités de financement) mais il illustre les possibilités d’existence de fonds sociaux parce qu’il a non seulement été accepté par les autorités des marchés financiers mais aussi par les actionnaires et les employés de Danone. Au delà de l’investissement, Yunus propose de créer des nouvelles règles et acteurs pour permettre aux social business d’exister dans le marché: de nouveaux investisseurs dont nous avons déjà parlé, de nouvelles évaluations de l’activité des entreprises, de manière à informer objectivement investisseurs et clients sur la façon dont les entreprises avec lesquelles ils interagissent remplissent leurs objectifs financiers et sociaux mais aussi des régulations adaptées aux activités des social business (avantages fiscaux, définitions gouvernementales...). Un avenir radieux est possible Yunus imagine alors un avenir radieux où les social business auront tout à fait leur place à côté des business traditionnels et où le capitalisme aura à nouveau un sens pour ces acteurs. Yunus achève sa démonstration de l’importance du social business en s’éloignant un peu de l’aspect pragmatique de ces propositions pour considérer les tendances de fond de la société. Il voit ainsi dans l’essor des nouvelles technologies une formidable opportunité pour accélérer le développement des pays les plus pauvres. Parce que les TIC (Technologies de l’Information et de la Communication) permettent de relier les gens, de partager les connaissances, il voit en elles un moyen de faire participer les pauvres à la mondialisation (possibilité d’offrir des services à des prix concurrentiels dans un marché beaucoup plus étendu) et de leur apporter les éléments de formation qui leur manquent. Cependant cela ne peut se faire que si les créateurs et producteurs de TIC développent des produits spécifiquement adaptés aux besoins des plus pauvres. Yunus propose alors la création d’une organisation internationale destinée à promouvoir de nouvelles solutions technologiques pour les pauvres. Pour finir, Yunus souligne l’aspect politique des TIC en en faisant l’instrument principal de la démocratie. Pour conclure son argumentation, Yunus se fait l’avocat d’un modèle de croissance durable. Il rappelle que nos modes de consommation actuels sont beaucoup trop énergivores et destructeurs pour notre planète. Il insiste sur le danger qu’un tel mode de vie fait courir à certains pays, notamment le Bengladesh. Après avoir rappelé les principaux défis que posent Portejoie C. – Fiche de lecture : «Vers un nouveau capitalisme» – Novembre 2010 12 le dilemme d’une croissance durable (réduction des inégalités, préservation de l’environnement), Yunus rappelle l’importance d’une concertation internationale et d’un changement de mode de pensée au sein des entreprises. Il termine son ouvrage par un appel à l’imagination des entrepreneurs du monde entier pour «mettre la pauvreté au musée». Portejoie C. – Fiche de lecture : «Vers un nouveau capitalisme» – Novembre 2010 13 3. Commentaires critiques 3. 1. Avis d’autres auteurs sur le travail du professeur Yunus. Le travail de Yunus et ses idées sont, de manière générale, acclamées par les grandes instances politiques et économiques. Le professeur Yunus a ainsi reçu plus de cent deux distinctions honorifiques pour son travail Médaille Présidentielle au Bengladesh pour son travail auprès des agriculteurs de Jobra en 1978, World Food Price au Etats-Unis en 1994, Prix Nobel de la paix en 2006, Médaille Présidentielle de la Liberté aux Etats Unis en 2009... La notoriété de Yunus s’accompagne d’actions concrètes en partenariat avec de nombreuses institutions politiques et économiques qui démontrent la force de conviction du professeur et l’attrait de ces idées auprès de la communauté internationale. Convaincus par la vision du professeur Yunus, de grandes entreprises se sont associés à la Grameen Bank pour mettre en place des social business dans leur domaine d’expertise: Danone pour la création d’un yaourt pour les pauvres, Veolia pour mettre en place des accès à l’eau potable dans les villages les plus pauvres et les plus reculés du Bengladesh, BASF pour développer des produits économiques qui permettent aux pauvres de limiter les risques de contraction de la malaria, Intel pour développer des produits informatiques adaptés aux pauvres ... Cependant quelques voix s’élèvent pour modérer le discours enthousiaste du professeur Yunus notamment concernant le microcrédit. Sans contester les bienfaits potentiels du microcrédit ces auteurs appellent à ne pas attendre de ce dernier qu’il résolve la pauvreté dans le monde et à ne pas le considérer comme l’unique solution aux problèmes de développement. Ainsi Raghuram Rajan, ancien économiste du FMI (Fonds Monétaire International), rappelle dans son article «Le microcrédit, un bien … ou un mal» publié sur Le Cercle – Les Echos1 qu’il ne faut pas surestimer les bienfaits du microcrédit : s’il permet aux familles pauvres d’économiser, d’avoir une consommation plus régulière, de faire face aux urgences et d’étendre l’activité d’entreprises existantes, rien ne prouve encore qu’il permette aux pauvres de devenir riches. Esther Duflo, professeur au Massachusetts Institute of Technology (MIT) et titulaire en 2009 de la Chaire Savoirs contre pauvreté au Collège de France, a récemment 1 Rajan R. 2010, « Le microcrédit, un bien … ou un mal », Le Cercle Les Echos, http://lecercle.lesechos.fr/leseconomistes/autres-auteurs/221132299/le-microcredit-un-bien-ou-un-mal, consulté en novembre 2010. Portejoie C. – Fiche de lecture : «Vers un nouveau capitalisme» – Novembre 2010 14 réalisé avec un groupe de chercheurs, une étude auprès de quatre grandes institutions de la microfinance Spandana en Inde, Al Amana au Maroc, First Macro Bank aux Philippines, Compartamos au Mexique. Les résultats de cette étude sont présentés dans son dernier ouvrage La Politique de l'autonomie2. Esther Duflo a commenté ces résultats dans un article « Microcrédit, miracle ou désastre ? », paru dans Le Monde3. Pour elle, le microcrédit est un instrument financier d’un grand intérêt pour les ménages les plus pauvres qui sont souvent à leur compte (au Pakistan entre 47 % et 52 % des ménages urbains sont à leur compte) et très endettés (93% des ménages urbains au Pakistan). Duflo identifie les mêmes avantages au microcrédit que Rajan (consommation plus durable, achats plus importants que les familles n’auraient pas pu se permettre autrement) mais souligne que son étude a montré qu’après dix-huit mois de microcrédit, le niveau de vie des familles emprunteuses n’a pas changé en profondeur et bien souvent leur microcrédit leur permet de financer de petites activités pour vivoter et non pas pour se lancer dans des entreprises plus ambitieuses. Selon Esther Duflo, il faut savoir reconnaître les bénéfices du microcrédit mais garder une distance critique (en se fondant sur des études d’efficacité) et ne pas attendre du microcrédit qu’il constitue la solution miracle pour lutter contre la pauvreté. Si elle reconnait que le discours de Yunus sur les social business est séduisant elle le trouve trop optimiste et réaffirme la nécessité de développer un véritable secteur salarial dans les pays pauvres pour une politique de développement efficace. 3. 2. Avis de l’auteur de la fiche La démarche présentée par Yunus apparait très séduisante pour deux raisons: Yunus se présente comme quelqu’un de très pragmatique et non pas comme un théoricien qui se contente de calquer des actions pratiques sur une théorie tout droit sortie des livres. Sa démarche est très convaincante à la fois par son succès mais aussi parce qu’il part des besoins réels des pauvres, qu’il fait la preuve de sa vision par l’exemple. Au delà de son pragmatisme, le livre de Yunus est porteur d’une vision optimiste et inspirante: le modèle d’entreprise qu’il décrit, répondant à un besoin social tout en étant rentable correspond aux aspirations de beaucoup de gens. L’influence la plus notable du livre de Muhammad Yunus pourrait bien être au delà des succès de ses initiatives, le changement de comportement et de mode de 2 Duflo E.2009. La politique de l’autonomie. Paris, La République des Idées, Seuil, 103 pages. Duflo E. 2010. « Microcrédit : miracle ou désastre ? », Le Monde, http://www.lemonde.fr/idees/article/2010/01/11/microcredit-miracle-ou-desastre-par-estherduflo_1290110_3232.html, consulté en novembre 2010 3 Portejoie C. – Fiche de lecture : «Vers un nouveau capitalisme» – Novembre 2010 15 pensée des gens (et de décideurs de demain). Yunus encourage à penser hors des cadres préconçus, à être ambitieux et rechercher son confort personnel tout en participant à son échelle à créer le monde de demain. Il démontre qu’il est possible de travailler au sein d’un système plus humain et de tirer le meilleur parti de l’économie de marché. Il propose des solutions pour des entreprises durables et a déjà convaincu beaucoup de décideurs. Juste après la crise, son livre propose une voie de sortie et des solutions innovantes pour répondre aux enjeux actuels. C’est peut être la plus grande force de son essai : inspirer et encourager les lecteurs à participer activement au changement. Portejoie C. – Fiche de lecture : «Vers un nouveau capitalisme» – Novembre 2010 16 4. Bibliographie de l’auteur 1974 - Three Farmers of Jobra, Chittagong, Department of Economics, Chittagong University. 1976 - Planning in Bangladesh: Format, Technique, and Priority, and Other Essays; Rural Studies Project, Chittagong, Department of Economics, Chittagong University. 1991 - Jorimon and Others: Faces of Poverty (co-authors: Saiyada Manajurula Isalama, Arifa Rahman); Grameen Bank. 1994 - Grameen Bank, as I See it; Grameen Bank. 2003 - Banker to the Poor: Micro-Lending and the Battle Against World Poverty; Public Affairs. 2008 - A World Without Poverty: Social Business and the Future of Capitalism; Public Affairs. 2009 - Essential Message Of Islam: (co-author: Ashfaque Ullah Syed); Amana Publications. 2010 - Building Social Business; Public Affairs. Portejoie C. – Fiche de lecture : «Vers un nouveau capitalisme» – Novembre 2010 17 5. Références • Duflo E.2009. La politique de l’autonomie. Paris, La République des Idées, Seuil, 103 pages. • Duflo E. 2010. « Microcrédit : miracle ou désastre ? », Le Monde, http://www.lemonde.fr/idees/article/2010/01/11/microcredit-miracle-ou-desastre-paresther-duflo_1290110_3232.html, consulté en novembre 2010 • Rajan R. 2010, « Le microcrédit, un bien … ou un mal », Le Cercle Les Echos, http://lecercle.lesechos.fr/les-economistes/autres-auteurs/221132299/le-microcredit-unbien-ou-un-mal, consulté en novembre 2010. Portejoie C. – Fiche de lecture : «Vers un nouveau capitalisme» – Novembre 2010 18