Vitesse de

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SUR L’ÉVOLUTION DE LA CONTRADICTION DE LA VITESSE DE LA LUMIÈRE
DANS LES THÉORIES CORPUSCULAIRE ET ONDULATOIRE
Séminaire des 11 et 18 octobre 2016
Anne Sinquin
Théorie corpusculaire et ondulatoire
3
La théorie corpusculaire de Descartes
4
La théorie ondulatoire d’Huygens
7
La théorie corpusculaire de Newton
11
Bref tableau comparatif des théories corpusculaire et ondulatoire
17
La vitesse de la lumière peut-elle être mesurée par un prisme (Arago) ?
18
La déviation de la lumière par un corps céleste selon von Soldner
23
avec une explication moderne
25
La vitesse de la lumière avec Fresnel et après Fresnel
31
Conclusion
33
1
Au XVIIème siècle existent deux théories de la lumière. Nous allons voir que deux modes
de pensée, bien que chacun parfaitement construits et cohérents, ne se concilient pas et
conduisent à deux résultats contradictoires : une théorie corpusculaire conclut que la
lumière se propage plus vite dans un milieu plus dense que dans un milieu moins dense
tandis qu’une théorie ondulatoire conclut que la lumière se propage moins vite dans un
milieu plus dense que dans un milieu moins dense.
Le premier résultat est dû à Descartes (1596-1650) et le second à Huygens (16291695). Ils s’inscrivent dans une longue évolution de la pensée depuis l’Antiquité jusqu’à la
Renaissance où le débat ne s’est jamais éteint. D’un côté, la pensée suivant Leucippe (≈460 ≈370 avant J. C.) et son élève Démocrite (≈460 -≈370 avant J. C.) prônait un univers
vide dans lequel se meuvent différentes particules éternelles de matière pleine. Et de l’autre
côté, la pensée suivant Aristote (384-322 avant J. C.) voyait un univers plein d’une substance
susceptible de conduire et d’accompagner le mouvement des corps y étant plongés à la
manière d’une vague se déplaçant dans l’eau ou d’une perturbation se propageant dans l’air.
Jusqu’à l’époque de Galilée (1564-1642) que l’on considère comme celle de l’avènement de
la physique moderne, ce débat évolue essentiellement sur un plan philosophique. Il prend
une autre tournure scientifique et théorique au XVIIème siècle en se concentrant sur
l’optique.
Nous nous proposons ici de revoir les théories corpusculaire et ondulatoire pour tenter
de comprendre au moins succinctement comment on a pu obtenir cette apparente
contradiction et comment évolue cette contradiction sur la vitesse qui oppose ondes et
corpuscules, espace plein et espace vide. En l’absence d’une mesure expérimentale de la
vitesse de la lumière alors hors d’atteinte à l’époque et qui seule aurait permis de trancher
entre Descartes/Newton et Huygens, les deux théories ont mal cohabité puisque la théorie
de Newton a longtemps dominé. La mesure expérimentale cruciale tant attendue fut enfin
réalisée en 1849 par Foucault et en 1850 par Fizeau : le résultat montre que la lumière se
propage moins vite dans l’eau que dans l’air et la théorie ondulatoire est sortie triomphante
de ce long débat et a fait tomber les derniers partisans tenaces de la théorie corpusculaire.
La théorie ondulatoire s’était déjà bien consolidée entre-temps grâce aux travaux de Fresnel
(1788-1827) avec des résultats mathématiques techniques solides. La théorie ondulatoire
connut alors un succès éclatant. Mais un problème extrêmement grave qui la sous-tend
subsistait : quel est ce mystérieux milieu "éther" beaucoup trop complexe qui emplit
l’espace et qui doit être à la fois subtile et visqueux pour rendre compte du mouvement des
planètes? Cet éther constitue tout de même un achoppement incompréhensible de cette
théorie ondulatoire. Les astronomes ne l’ont acceptée qu’à cause des résultats
incontestables de l’optique et ont tenté malgré eux d’adopter l’existence de l’éther.
2
Mécanique et lumière, corpuscules et ondes répondent désormais de théories
complètement séparées, les premiers évoluant dans le vide1, les seconds dans l’éther.
Théorie corpusculaire et théorie ondulatoire
― Dans une théorie corpusculaire, la lumière est composée de particules qui se meuvent
dans le vide indépendamment les unes des autres. Elles possèdent leur mouvement
propre. Les théories corpusculaires comme celles d’Alhazen (entre 1015 et 1021), de
Descartes (1637), du moins pour ce qui est de la réflexion et de la réfraction, de Boyle
(1627-1691), puis de Newton (1687 et 1721) sont appelées théories d’émission.
― Dans une théorie ondulatoire, la lumière se propage dans un milieu au sein duquel des
vibrations induisent sa propagation. L’eau et l’air ont la faculté de transmettre le
mouvement ou plus précisément la quantité de mouvement. Contrairement à ce qu’on
peut observer dans une théorie corpusculaire, il n’y a pas de transport de matière dans
une théorie ondulatoire : il n’y a que transmission d’énergie. Les théories ondulatoires
ont été développées par Grossetête (1168 ? ≈1175-1253)2, Roger Bacon (1214-1292)3,
Thomas Hobbes (1588-1679), Francesco Maria Grimaldi (1618-1663) dans son traité
Physico mathesis de Lumine publié en 1665, Robert Hooke (1635-1703) dans
Micrographia de 1665, Isaac Barrow (1630-1677), par Pardies (1636-1674) dans un
manuscrit perdu écrit vers 16704, enfin par Huygens (1629-1695) dans son Traité de la
lumière (présenté en 1678 et publié en 1690). Ces théories sont appelées théories des
milieux. Plus tardivement, Euler (1707-1783) fut un fervent défenseur de la théorie
ondulatoire. Enfin, plus d’un siècle plus tard après Huygens, Young (1773-1829) publia
deux notes en 1802 et 1804 dans la revue Philosophical Transactions traitant de
phénomènes caractéristiques de la théorie ondulatoire comme la diffraction et les
interférences5. Puis Fresnel (1788-1827) présenta sa théorie ondulatoire de la lumière en
1818, théorie fondatrice de l’optique ondulatoire moderne.
1
Le vide sera au XIXe siècle aussi un élément essentiel de l’hypothèse atomiste nécessaire à la théorie cinétique
des gaz établie par Boltzmann. Les atomes (le plein) évoluent dans l’espace (le vide). Leurs trajectoires ne sont
pas encore observées, mais au début du XXe siècle, le modèle des gaz inspirera Einstein dans l’interprétation du
mouvement brownien. En 1906, Perrin observa l’absence d’échelle dans la géométrie des trajectoires des
particules browniennes et l’impossibilité de dessiner une courbe sur de telles trajectoires. Ces idées ne furent
reprises qu’en 1960 par Mandelbrot qui développa une nouvelle géométrie : la géométrie fractale. Celle-ci
semble donc aussi s’appuyer sur l’opposition entre le vide et le plein.
2
Une histoire de la lumière, B. Maitte, Editions du Seuil (2015) p. 44.
3
Op. cit., p.55.
4
A History of Optics, from Greek Antiquity to the Nineteenth Century, O. Darrigol, Oxford UP (2012), p. 60.
5
Histoire de la lumière, V. Ronchi, Éditions Jacques Gabay, 1956, p. 239.
3
La théorie corpusculaire de Descartes
La Dioptrique, 1637.
L’attitude de Descartes est ambiguë. Le fait que la lumière soit formée « d’une matière
fort subtile et fort fluide qui s’étend sans interruption depuis les astres jusqu’à nous »6 et
l’utilisation du bâton pour servir d’intermédiaire à la perception des objets relève
effectivement d’une théorie ondulatoire. Mais en ce qui concerne les aspects quantitatifs de
la lumière, Descartes adopte bien une description corpusculaire inspirée de la théorie
d’Alhazen : la réflexion et la réfraction sont modélisées grâce à une balle frappée par une
raquette dans un jeu de paume. Descartes procède donc par une analogie mécanique7 : les
lois du mouvement de la balle sont comparées au trajet de la lumière. Cependant, il y a
abstraction de la gravitation, le mouvement de la balle n’obéit pas aux lois des corps
pesants, mais à une "inclination à se mouvoir".
Intéressons-nous à la réfraction.
Une balle lancée en A pénètre en B dans de l’eau dans laquelle elle est ralentie. Sa
vitesse est décomposée selon deux directions8, horizontale et verticale. Le problème est de
décrire la trajectoire de la balle dans l’eau.
Pour être concret, Descartes prend comme exemple le cas où cette dernière va deux
fois moins vite dans l’eau que dans l’air, ce qui se traduit par une composante verticale deux
fois plus petite dans l’eau que dans l’air comme on peut le voir sur la figure de droite cidessous9. Quant à la composante horizontale représentant la vitesse horizontale, elle
demeure inchangée pour les mêmes raisons que pour la réflexion : la terre n’influe pas sur le
mouvement horizontal car elle n’est pas rencontrée par la balle.
6
Cité par B. Maitte, Une histoire de la lumière, 2015, Éditions du Seuil, p. 104. R. Descartes, La diotrique, 1637,
discours premier. La Dioptrique est disponible sur la toile.
7
"Histoire du principe de moindre action" de F. MARTIN-Robine, Vuibert, 2006, p.28.
8
La décomposition du trajet de la lumière en deux composantes horizontale et verticale a été effectuée pour la
première fois par Alhazen. "Kepler’s near discovery of the sine law: A qualitative computational model”, Claudio
Delrieux & Javier Legris, (eds.) Computer Modeling of Scientific Reasoning, Universidad Nacional Del Sur.
EDIUNS, Bahia Blanca, Argentinia, 2003, pp. 93-102.
9
Fig. p. 108 de B. Maitte, op. cité.
4
Figure 6 du discours second
De la réfraction de La Dioptrique.
Dans sa figure 6, Descartes considère le point I de la trajectoire réfractée tel que
AB=BI. Ce point I définit complètement la trajectoire réfractée et le problème consiste à
déterminer ce point I.
On a
de en
2
et de
où
en ;
et
sont les temps respectifs de parcours de la balle pour aller
est le centre du cercle de rayon
.
Descartes place le point correspondant au mouvement horizontal : on a
2
car la
balle ne rencontre pas la terre lors de ce mouvement et dans l’air la balle parcourt deux fois
plus de distance que dans l’eau puisque la composante horizontale de la vitesse est
inchangée. On trace les composantes verticales. L’intersection du cercle et de la verticale
passant par donne le point cherché.
Enfin, puisque
et
2
, on a
.
Regardons maintenant le problème optique. La lumière est "action" ou "inclination à
se mouvoir". L’analogue de la vitesse de la balle devient la "facilité" avec laquelle la lumière
se déplace et traverse un milieu. Appelons et les facilités respectives dans les milieux
incidents et émergents. A l’instar de la mécanique, on écrit (cas général, on remplace le 2
par )
Avec
sin
et
sin , on obtient bien la loi usuelle de la réfraction.
sin
5
sin Cependant, Descartes ne manque pas de remarquer un problème important : comme
la balle ralentit dans l’eau, < , donc sin < sin , la trajectoire réfractée de la balle
s’écarte de la normale. Or, c’est exactement le contraire qui est observé puisque le rayon
lumineux réfracté se rapproche de la normale lorsqu’il passe de l’air dans l’eau. Il faut donc
pour Descartes que la lumière se propage plus vite dans l’eau que dans l’air.
Si Descartes utilise une idée de conservation de quantité de mouvement
pour son
mouvement de balle, les historiens mentionnent que, de toute façon, toutes les règles sur
les chocs énoncées par Descartes ne concordent pas avec les expériences, ce qui ne posait
absolument aucun problème à Descartes10 qui tente d’expliquer le phénomène.
Avec des métaphores sur les lois des chocs à cause desquels la balle subit frottements
et résistances sur son trajet, Descartes trouve des arguments justifiant que la lumière subit
elle aussi frottements et résistances, mais qui agissent de telle sorte que la lumière va plus
vite dans les milieux denses, tels le passage de l’eau des rivières entre des rochers. Le
raisonnement de Descartes est jugé cohérent par les historiens des sciences. C’est l’idée de
rigidité qui guide Descartes, un milieu rigide laissant passer plus facilement le son par
exemple. Descartes en conclut naturellement que l’eau ou le verre laissent plus facilement
passer la lumière que l’air11.
Descartes a des partisans, Leibniz (1646-1716) n’en est pas le moindre. Dans un milieu
dense, les obstacles successifs sont la cause d’une grande résistance au cheminement des
rayons lumineux ce qui entrave fortement leur diffusion. Par conséquent, ceux-ci se
resserrent tout en acquérant une plus grande vitesse.
Ainsi, pour expliquer le rapprochement à la normale de la lumière, Descartes
développe un raisonnement se rapprochant de la mécanique des fluides qui sera repris
ensuite par d’autres. Le débat historique entre les penseurs selon Démocrite et les penseurs
selon Aristote se poursuit donc avec Huygens qui soutient pratiquement à la même époque,
que la théorie des ondes établit bien le rapprochement de la normale du rayon réfracté.
10
Histoire de la mécanique, R. Dugas, Éditions Gabay(1996), p. 155 & 156.
Rappelons qu’Alhazen avait prouvé que la vitesse de la lumière est plus lente dans les corps les plus denses
que dans les corps les plus rares.
11
6
La théorie ondulatoire d’Huygens
Traité de la lumière, lu en 1678, publié en 1690
Parmi les pères de la théorie ondulatoire, Grimaldi, qui a découvert la diffraction, était
connu de Huygens. Pourtant, Huygens n’a jamais mentionné les travaux de Grimaldi sur ce
thème important de l’aspect ondulatoire de la lumière, peut-être parce que les observations
à ce sujet étaient alors extrêmement difficiles12. Un autre savant de l’époque, Pardies avait
construit une théorie optique sur les bases d’une analogie avec les ondes sonores et avec les
ondes se propageant dans l’eau, une théorie qu’Huygens connaissait très bien et à laquelle il
devait beaucoup13. Pardies, qui était un correspondant de Newton, ne partageait pas les
idées de la théorie corpusculaire du grand Maître. Un autre contemporain de Newton,
Hooke a également inspiré Huygens. En effet, dans la continuité des travaux de Hooke,
Huygens a réalisé des expériences plus complètes que celles de Hooke sur les études de
couleurs observées à la sortie de lames minces14 traversées par la lumière, phénomène
aujourd’hui connu sous le nom d’interférences. Cependant, Huygens n’en parle pas dans son
Traité de la lumière, c’est Newton qui reprendra ce travail, mais sous un aspect
corpusculaire.
Huygens a donc opté pour une théorie ondulatoire. Son argument le plus fort est que
les rayons lumineux se croisent sans être déviés, ni affaiblis. Cela semble impossible pour des
particules dotées de grandes vitesses, car il faudrait qu’elles ne se heurtent jamais. Le
mouvement rectiligne de telles particules serait impossible. Mais il y a un autre argument.
Huygens est bien au courant des résultats récents de 1676 de Römer qui démontrent que la
lumière se propage à une vitesse finie15, ce qui invalide la théorie corpusculaire de
Descartes, jugée incohérente puisqu’elle s’appuie tantôt sur une propagation instantanée de
la lumière, tantôt sur une propagation avec une vitesse finie comme dans les études de la
réflexion et de la réfraction. Huygens prend la peine de reproduire une bonne partie de
l’article de Römer au début de son Traité de la lumière.
Ainsi en toute logique, si le mouvement ne peut pas transporter de matière, il est dû à
un mécanisme ondulatoire. Comme pour les ondes à la surface de l’eau ou pour le son qui se
propage dans l’air, il ne fait pas de doute pour Huygens que la lumière doit se propager dans
un milieu, « l’éther ».
12
P. 14, Christiaan Huygens, Traité de la lumière, présenté par M. Blay, Dunod, édition de 2015.
Aux origines de la Théorie des Vibrations Harmoniques : Le Père Ignace Gaston Pardies, A. Ziggelaar, p. 150.
14
P. 17, Christiaan Huygens, Traité de la lumière, présenté par M. Blay, Dunod, édition de 2015.
13
15
La vitesse de la lumière estimée à cette époque est d’environ 215 000 km /s.
7
Mécanisme de propagation des ondes dans l’éther
Pour expliquer comment l’onde lumineuse se propage, Huygens reprend l’idée des
sphères dures de Descartes qu’il modifie. Il considère une rangée de petites « boules de
matière dure » toutes en contact les unes avec les autres et il tire une autre boule sur la
première de cette rangée. Alors la dernière boule de la rangée s’élance en avant sans que
toutes les boules de la rangée ne bougent.
L’impulsion se propage, accompagnée de petites vibrations longitudinales. Le physicien
moderne comprend qu’il s’agit de collisions élastiques, la vitesse de la boule étant égale à
celle de la boule .
Transposée dans le plan, le choc de la boule tirée sur un ensemble de boules placées
dans le plan provoque l’écartement des boules équidistantes. Il s’ensuit la propagation d’une
onde longitudinale circulaire16.
Huygens applique son mécanisme à la flamme d’une chandelle.
16
Ch.1 Des rayons directement étendus, p. 14 et 15 du traité de la lumière, Disponible sur la toile, édition
préfacée par W. Burckhardt, Lipsiae, Gressner & Shramm :
http://iris.univ-lille1.fr/bitstream/handle/1908/3089/79657.pdf?sequence=1
ou
bien
http://iris.univlille1.fr/handle/1908/3089, et p. 138 Une histoire de la lumière, B. Maitte, Éditions du Seuil, 2015.
8
Les nombreuses particules vibrantes qui composent la source communiquent leurs
vibrations aux particules d’éther adjacentes. Ainsi, comme pour le son, en chaque point de la
source est émise une onde qui se propage selon des cercles concentriques ayant pour centre
ce point lumineux et chaque point d’une onde est aussi un point d’émission d’une autre
onde secondaire. L’ébranlement qui est émis à partir de sa source se renforce en
s’additionnant avec les ondes secondaires, mais l’effet de l’ébranlement ne prend une valeur
notable que sur l’enveloppe commune qui constitue l’onde principale17. L’enveloppe est une
surface d’onde qui se propage à l’infini.
Vitesse de la lumière dans les milieux matériels, nouvelle démonstration de la loi de
Descartes
Huygens explique que la lumière va moins vite dans un milieu dense que dans un
milieu moins dense. Pour cela, il doit faire des hypothèses sur la structure de la matière et
ses constituants. On conçoit facilement que les gaz et les liquides sont formés de particules
non jointives et permettent la vibration des particules d’éther se faufilant partout autour
d’elles. Qu’en est-il des solides ? Fort de la théorie des chocs de l’époque, Huygens
remarque que les solides laissent passer la gravité, l’aimantation, et pour certains la lumière.
Ils possèdent donc aussi une structure discontinue, et de plus cette structure permet la libre
circulation de l’éther autour de leurs constituants. Dans ces conditions, les particules de
solide vibrent ou ne vibrent pas conjointement à l’éther, mais dans les deux cas elles gênent
la propagation de l’onde, elle est ralentie. La vitesse de la lumière est donc plus faible dans
un milieu dense que dans un milieu moins dense18.
17
P. 68, O. Darrigol, A history of Optics, Oxord University Press, 2012.
P. 145 Une histoire de la lumière, B. Maitte, Éditions du Seuil, 2015. Une justification de la libre circulation de
l’éther entre les constituants d’un solide est donnée grâce à l’observation d’un tube barométrique empli de
mercure.
18
9
Fig. p.28 chapitre III de Huygens19
Fig.
commentée
précédente
Une onde plane
arrive sur la surface de séparation
entre deux milieux. Elle est
perpendiculaire aux rayons incidents
et
. Au cours du temps ; l’onde arrive en
,
puis en ! et enfin en ". Chaque point de la surface de séparation est point d’émission
d’ondes secondaires dont l’enveloppe commune, le plan # constitue l’onde réfractée, le
rayon réfracté est # qui lui est perpendiculaire.
Huygens commence par traiter le cas pour lequel le deuxième milieu est plus dense
que le premier. Soit $ la vitesse de la lumière dans le premier milieu et % dans le deuxième
milieu, $ & % .
On a
'()*+
'()*+
Donc
#
'()*+
'()*+#
+ sin
+ sin
sin
sin
#
#
Or
" est le chemin parcouru par la lumière s’il n’y avait pas eu le deuxième milieu,
donc les deux longueurs
et # sont dans le même rapport que les vitesses de la lumière
dans ces deux milieux, soit
19
Dans Le traité de la lumière, édition préfacée par W. Burckhardt, Lipsiae, Gressner & Shramm, disponible sur
le Web : http://iris.univ-lille1.fr/bitstream/handle/1908/3089/79657.pdf?sequence=1 ou bien http://iris.univlille1.fr/handle/1908/3089.
10
$
#
%
Et Huygens a redémontré la loi de Descartes dans le cadre de sa théorie ondulatoire20
sin
sin
$
%
Ensuite, Huygens traite le cas inverse, le premier milieu est plus dense que le deuxième.
Outre l’interprétation physique reposant sur des collisions élastiques donnée par
Huygens pour justifier le fait que % < $ , Huygens conforte ce résultat en redémontrant le
principe de Fermat (1660-1662) dans sa théorie ondulatoire par une démonstration courte
que nous ne reproduisons pas ici21.
La théorie corpusculaire de Newton
Philosophical Transactions,1672, Optique, 170422, à la fin des Principia, 1687.
Pour Newton, la lumière ne peut pas être de nature ondulatoire car les ondes
contournent les obstacles, ce qu’à l’époque il était très difficile d’observer pour la lumière.
Celle-ci, comme tout mouvement doit obéir aux lois de la mécanique. L’univers newtonien
est vide et la matière n’est présente que dans des espaces très réduits. Un rayon lumineux
tel qu’on le voit est constitué de corpuscules qui se suivent les uns derrière les autres le long
d’une ligne droite, ils ne sont soumis à aucune force dans le vide, dans l’air ou quand ils
traversent un matériau, leur mouvement est dû à leur propre inertie.
Mais, à la surface séparant deux matériaux, il en va autrement, le corpuscule subit une
interaction qui le fait dévier. Comme nous l’avons vu, cette interaction était un choc subi par
le corpuscule dans l’interprétation de Descartes. Pour Newton, un choc n’est pas possible
pour les raisons suivantes. Considérons par exemple les corpuscules de lumière dans un
rayon qui est réfléchi. Si ceux-ci rebondissaient sur la surface de séparation, la rugosité de la
surface devrait influer sur l’aspect du rayon réfléchi, parce que les dimensions des
imperfections granulaires des surfaces aussi méticuleusement polies soient elles, sont
toujours de dimensions très supérieures à celle du rayon lumineux.
20
La méthode de construction graphique du rayon réfracté enseignée aujourd’hui dans les cours élémentaires
d’optique géométrique suit exactement la démonstration de Huygens.
21
Voir le séminaire sur l’évolution du principe de moindre action pour les physiciens et les mathématiciens.
22
Isaac Newton, Optique, édition de 2015 présenté par M. Blay, Dunod.
11
Or il n’en est rien : Newton constate bien que le rayon réfléchi garde son aspect
finement rectiligne quelle que soit la rugosité de la surface.
Mais il y a une autre raison contre la théorie des chocs. Newton observe, dans le cas de
la réflexion pour prendre un exemple simple, que l’intensité lumineuse varie avec l’angle
d’incidence et le matériau choisi. Sur les figures ci-dessous23, nous illustrons le cas d’un
même faisceau incident sur des matériaux différents.
S’il y a choc avec effet de rebondissement sur les particules de matériau, alors le
nombre de chocs est d’autant plus important qu’il y a de particules dans le matériau
responsable de la réflexion et l’intensité lumineuse réfléchie en est d’autant plus
importante. Dans ces cas choisis, pour un même faisceau incident, Newton note que $ & % et % & , . On en déduit qu’il y a plus de particules dans le vide que dans l’air et plus dans
l’air que dans le verre. Ceci est évidemment absurde et la modélisation par des chocs ne
tient pas. Par conséquent, compte tenu de la régularité parfaite de la réflexion et de
l’impossibilité qu’un corpuscule subisse un choc, le corpuscule lumineux, selon Newton, ne
peut que subir une force à distance au niveau de la surface de séparation.
Newton propose une force qui agit juste avant et juste après la surface sur une très
faible épaisseur. Cette force inspirée directement de sa théorie de la gravitation va lui
permettre d’explique la réflexion, la réfraction et la diffraction.
23
Tirées p.182 dans Une histoire de la lumière, B. Maitte, Éditions du Seuil, 2015.
12
La réfraction
Pour ce qui est de la réfraction, une force - perpendiculaire à la surface et ne
dépendant que de la distance à cette surface agit sur les corpuscules de lumière. La
composante parallèle à la surface est conservée (voir figure ci-dessous24).
Nous pourrions à nouveau tracer ici un schéma géométrique donnant les composantes
du mouvement et nous verrions que la décomposition est analogue à celle que nous avons
déjà rencontrée dans l’étude de la réfraction de Descartes. Newton obtient donc aussi la loi
des sinus pour la réfraction . (
( sin où ( donne une valeur quantitative de la force
entre corpuscules qui se traduit dans le cas de la lumière par le rapport des indices de
réfraction. Or comme conséquence de sa théorie à vérifier, Newton pose que l’indice de
réfraction est proportionnel à la vitesse de la lumière, (
lumière dans le premier milieu et
% dans
de second.
2343
/0
/1
où
$
est la vitesse de la
56
89: ;
57
La force - s’oppose au mouvement lorsqu’on passe du verre dans l’air, elle ralentit le
mouvement dans l’air comme on peut le voir sur les figures. Newton justifie ceci en disant
que "les corps transparents [ont] assez de pores libres pour transmettre la lumière"25. Et,
sous l’action de cette force de ralentissement, la trajectoire des corpuscules est parabolique
sur la faible épaisseur où la force agit. Il correspond à un mouvement - à l’envers- de chute
libre des corps avec conservation de la quantité de mouvement sur l’axe horizontal. En
dehors de cette action, la trajectoire est rectiligne. Newton explique que les détails
infinitésimaux au niveau de la surface ne se voient pas et ce qu’on n’observe est une ligne
brisée entrante puis sortante. Le corpuscule lumineux de Newton est identifié au corpuscule
de matière qui subit effectivement la force due à la surface tandis que Descartes ne pouvait
pas identifier le corpuscule lumineux à la balle à cause de la différence de comportement par
rapport à la normale.
24
Tirée de p. 183 du livre de B. Maitte déjà cité.
Cité par B. Maitte, Une histoire de la lumière, Éditions de Seuil (2015), p. 185. La loi des sinus reposant sur la
trajectoire parabolique due à une force constante est donnée dans les Principia (1987).
25
13
Conclusion newtonienne :
• Dans le cas du passage du verre dans l’air, le corpuscule comme la lumière s’écarte
de la normale, ce qui est bien observé en optique. La lumière va moins vite dans l’air
que dans le verre.
Si maintenant on passe de l’air dans le verre, la particule ou le rayon est accéléré, la force est
dirigée vers le verre.
• Dans le cas du passage de l’air dans le verre, le corpuscule comme la lumière se
rapproche de la normale, ce qui est bien observé en optique. La lumière va moins
vite dans l’air que dans le verre26.
Mais la situation est plus complexe, il faut aussi expliquer les autres phénomènes
lumineux comme la dispersion de la lumière par un prisme.
La dispersion de la lumière
Pour convaincre ses adversaires, Newton effectua de très nombreuses expériences afin
de prouver que la lumière blanche n’est pas homogène, mais composée de plusieurs
couleurs27. Il prouve que les couleurs sont le fait de propriétés intrinsèques à la lumière et
non produites par les matériaux.
26
Ce paragraphe et les figures sont repris d’après B. Maitte, Op. cité, p. 182.
Elles sont décrites dans le livre premier, p. 115 de l’édition de 2015 de l’Optique déjà citée. Nous reprenons
la figure citée p. 95 par O. Darrigol dans A history of Optics, Oxford (2012).
27
14
Par réfraction, le prisme sépare la lumière blanche provenant du point en cinq
couleurs. La lentille a pour rôle de focaliser le faisceau. Le point est le point de focalisation
de la lumière lorsqu’il n’y a pas de prisme.
Donnons une image actuelle en couleurs pour plus de précision (et qui montre six
couleurs principales)
À chaque couleur correspond une déviation particulière. Selon le principe de Newton
'-, pour une même force agissant sur un corps, sa déviation est d’autant plus
importante que sa masse est faible. Il existe donc des corpuscules de masse différente, et il y
une relation biunivoque entre les couleurs et les masses28. La dispersion de la lumière par un
prisme s’explique alors : la déviation de la lumière rouge est moins importante que celle de
la lumière bleue parce que le rouge possède une masse plus importante que le bleu. D’autre
part, le rouge est moins dévié parce que le rouge est plus rapide. Donc à chaque couleur
correspond une vitesse. En final, Newton joue avec des corps pesants et des particules
supposées être des particules lumineuses qui se meuvent dans différents milieux.
La dispersion s’interprète comme autant de diffractions qu’il y a de couleurs dans le
faisceau incident de lumière blanche. Newton a tenté de relier l’indice de réfraction aux
caractéristiques physiques des corpuscules de couleur et d’en tirer une description
mécanique. Il a aussi donné une démonstration de la « loi de conservation de l’énergie »29
$
%
28
29
<
=%
>
%
?
@E
ABCDB
Les corpuscules pourraient aussi avoir des tailles différentes.
Entre guillemets, car elle n’était pas encore correctement formalisée à l’époque.
15
A'C
où
est la vitesse initiale, ′ est la vitesse finale,
est la force réfringente.
@E @ ABC DB est le travail30 de la force sur le parcours E où elle agit.
constante sur le parcours E.
Δ
De sin
/I
/
sin ( sin , on obtient (% > 1
%∆
L/ 0
est supposée
, Newton a ainsi obtenu une relation
très intéressante entre l’accroissement du carré des vitesses et la quantité ∆
« proportionnelle à l’intensité des forces attractives » qui représente le « pouvoir réfringent
des corps »31. Mais la description de l’interaction lumière-matière à partir de là pose
beaucoup de problèmes à Newton32. Il élabore des raisonnements très compliqués dans
lesquels lui-même parvient difficilement au bout. En particulier, comment dans un tel
contexte, expliquer la réflexion partielle ? On sait bien qu’un rayon incident donne à la fois
un rayon réfléchi et un rayon transmis par réfraction d’intensité différente. On ne peut que
constater que l’expression des forces en jeu n’est pas modélisable sous forme
mathématique, en particulier il faut que certaines soient attractives et d’autres répulsives.
Newton pensait que les lois de la nature étaient analogues sur différentes échelles de
grandeur et différents types de phénomènes physiques, il appliquait donc les lois de la
mécanique macroscopique à des corpuscules de lumière. Mais alors, puisqu’il était si proche
d’appliquer un effet gravitationnel à la lumière, pourquoi n’a-t-il pas pensé et calculé la
déviation de la lumière dans un champ gravitationnel33 ? Cette idée était bien présente à
l’esprit de Newton dans l’explication de la réflexion et de la réfraction de la lumière et il a
bien écrit dans son Optique « Do not Bodies act upon Light at a distance, and by their action
bend its Rays ; and is not this action (caeteris paribus) strongest at the least distance ? »34. Il
aurait été naturel pour Newton qui avait débattu de problèmes de mécanique céleste
autrement plus compliqués, d’attaquer cette question. Il ne l’a pas fait.
30
La notion de travail n’existait pas au temps de Newton, nous modernisons ici le raisonnement de Newton.
Histoire de l’optique ondulatoire, André Chappert, p.17.
32
p. 96 dans A history of Optics, Oxford (2012) de O. Darrigol.
33
Johann Georg von Soldner and the Gravitational Bending of Light, with an English Translation of His Essay on
It Published in 1801, Stanley L. Laki, Foundations of Physics, Vol. 8, Nos 11, Dec 1978, pp. 927-950 (Springer).
34
Cité p. 930 dans l’article de Stanley L. Laki cité ci-dessus.
31
16
Bref tableau comparatif des théories corpusculaire et ondulatoire
Théorie corpusculaire
• Vitesse de la lumière = vitesse d'un
Théorie ondulatoire
• Vitesse de la lumière = vitesse d'une onde
corpuscule
• Le milieu dense attire le corpuscule de
• Le milieu dense gêne la propagation : il
lumière
favorise les petites longueurs d'onde, donc
les faibles vitesses
• Image de l'eau entre les rochers,
• Image de la vague qui se propage sur l'eau
conservation du flux de corpuscules
• Transport de matière
• Pas de transport de matière
• Vide
• Éther
• Force à distance dans le vide
• Transmission de proche en proche dans
l'éther
• Boules de lumière rigides :
• Boules d'éther sans mouvement propre :
chocs inélastiques ⇒ direction unique
prise par la boule rigide
•
L N OPQORSO
&
L N OPLT RSQORSO
Descartes ( milieu dense) :
sin
sin
avec & ⟹ sin & sin
pour la lumière,
et
sont les facilités.
interactions élastiques ⇒ diffusion
dans les trois dimensions de l'espace
•
L N OPQORSO
<
L N OPLT RSQORSO
Huygens ( milieu dense) :
sin
sin
avec
< ⟹ sin & sin
Newton ( milieu dense) :
sin
sin
&
• Principe de moindre action de Maupertuis • Principe de Fermat
17
La complexité structurelle de l’éther qui de surcroît emplissait l’univers était difficile à
admettre et elle s’opposait au vide requis dans la théorie gravitationnelle newtonienne35.
L’éther constituait un argument fort contre la théorie ondulatoire et semblait rappeler les
mouvements antiques d’Aristote bien révolus au vu des mouvements de chute des corps
étudiés par Galilée et des planètes étudiés par Newton.
Dans le monde microscopique, la théorie corpusculaire de Newton contenait de
nombreuses incohérences et piétinait, on ne parvenait pas à rendre compte de l’interaction
de la matière et de la lumière sur les petites distances. Cependant elle persistait face à la
théorie ondulatoire. Le résultat A'C de Newton de la page 15, qui toute réflexion faite,
n’exige pas d’hypothèse particulière sur la force, mais se présente comme un bilan
d’énergie, a été formulé astucieusement pour le prisme. Cela a permis d’utiliser celui-ci
comme outil de mesure de la vitesse de la lumière venant de loin comme nous
l’expliquerons dans le paragraphe suivant. C’était une application de la théorie corpusculaire
qui murissait dans les esprits d’alors, et dont on espérait en tirer une compréhension des
processus physiques intervenant entre la matière (le verre du prisme) et la lumière.
La vitesse de la lumière peut-elle être mesurée par un prisme ?
La théorie corpusculaire a été affinée dans le début des années 1800 par Laplace,
Malus et Biot entre autres dans l’étude da la trajectoire d’un rayon lumineux traversant
l’atmosphère.
Si la lumière est constituée de particules matérielles, alors selon les lois de Newton, sa
vitesse soumise à l’influence gravitationnelle, doit être fonction de chaque étoile émettrice.
Déjà en 1786, Robert Blair (1748-1828), suivant Michell (1724-1793), suggéra de mesurer la
vitesse de la lumière provenant des étoiles à l’aide d’un prisme36. Ce phénomène intéressa
Arago dans le début des années 1800.
Le principe
La réfraction newtonienne soutient que la déviation dans un matériau dépend du
rapport des vitesses de la lumière dans l’air et dans ce matériau. Plus précisément, en
35
Pourtant, Newton était gêné par le vide nécessaire à la notion d’action à distance. En effet, comment une
force pouvait-elle agir entre deux points éloignés sans transmission par les petites portions intermédiaires de
l’espace entre ces deux points ? C’était pour Newton philosophiquement inconcevable. Néanmoins, c’est bien
sa théorie muni de vide qui a été jugée préférable à la théorie ondulatoire.
36
Nous suivons ici l’article de J. Eisenstaedt et M. Combes Arago et la vitesse de la lumière (1806-1810), un
manuscrit inédit, une nouvelle analyse, Revue d’histoire des sciences 64 (2011), pp. 59-120, p.69.
18
utilisant la loi de conservation de l’énergie issue de la réfraction qu’a écrite Newton37, on
peut se servir d’un matériau comme le verre pour mesurer la vitesse de la lumière provenant
des étoiles.
Reprenons la loi de conservation A'C en posant ABC
On suppose @E
De . (
/
/
ABCDB
A
%
>
Y % constante,
sin , on obtient
. (
%
C
%
>
2X
%
Z1 [
E
VAWC
L
ABCDB
Y%.
Y%
% sin
L’angle de réfraction d’un corpuscule de lumière est fonction de sa vitesse incidente
.
L’expérience38
Un corpuscule lumineux arrive perpendiculairement sur un prisme d’ouverture \ avec
une vitesse ]$. Non dévié, il est simplement accéléré par la force réfringente conçue par
Newton, puis il attaque la seconde face du prisme sous l’angle d’incidence \ avec la vitesse
]% ; ]% & ]$. Sur cette seconde face, le corpuscule est dévié par réfraction sous un angle
avec la vitesse ],. On a
]%% > ]$%
Y % et ]%% > ],%
Comme . (
Y % puisque ], < ]% . Alors ]$
( sin \ avec (
^0
^
et ]%% > ] %
37
Y % et (
],
_1 [
]
`0
^0
Ce sont en fait les termes de Clairaut dans son article de 1741, comme le mentionnent J. Eisenstaedt et M.
Combes dans leur article cité ci-dessus.
38
Nous suivons toujours l’article de J. Eisenstaedt et M. Combes.
19
sin
Z1 [
Y%
sin \
]%
En dérivant cette expression (Y et \ sont des constantes)
cos D
et
D
)
sin
Y%
>
D]
Y% ],
1[ %
]
>
1
1[
Y
]%
> c1 >
$
\ étant faible, ) ≈ (\ et D ≈ > e( > f \
R
% Q^
Y%
D]
],
1
D]
d %
(
]
^
Conclusion : Une mesure de donne la variation relative de la vitesse ] de la lumière.
Dans les expériences, on mesure la vitesse de la lumière provenant de deux étoiles
différentes frappant le même prisme sous le même angle d’incidence. On suppose que les
valeurs des deux vitesses sont différentes et on est censé mesurer deux réfractions
différentes.
Entre 1806 et 1810, Arago effectua de nombreuses expériences avec des prismes différents,
simples ou non, et d’angles différents ; il mesura la réfraction de la lumière provenant
d’étoiles dotées de mouvements très divers par rapport à la terre. Mais les résultats obtenus
furent négatifs : les écarts entre les déviations ne dépassent pas 5’’, elles sont donc presque
constantes pour un prisme donné. Cela signifie que la vitesse de la lumière ne varie pas plus
de 2. 10hi , elle peut être donc considérée comme constante. En réalité ces expériences
mesuraient notre effet Doppler actuel qui ne sera formulé par Doppler qu’en 1842. On sait
aujourd’hui expliquer pourquoi Arago ne pouvait observer un tel effet (entre autres raisons,
il faut un prisme dispersif pour séparer les raies), mais il ne put expliquer ses résultats dans
le cadre d’une théorie corpusculaire. Comment est-il possible que la vitesse de la lumière
soit constante ? Les résultats d’Arago montrent le manque de moyens de l’époque pour
mesurer l’effet Doppler, Biot se doute bien qu’il y a quelque chose qui leur échappe, mais il
pense que cela ne nécessite pas de remettre en cause la théorie corpusculaire :
« l’expérience faite au moyen du prisme, prouve que la déviation apparente est encore
insensible par des causes qui, à la vérité, ne nous sont pas jusqu’à présent bien connues »39.
39
Citation extraite du même article ci-dessus d’Eisenstaedt et Combes déjà cité.
20
Ainsi, malgré cet échec, la théorie corpusculaire va encore être appuyée pendant quelques
années par Biot, Laplace et Poisson notamment. Mais les expériences d’Arago, au lieu de
donner une explication sur la physique du passage de la lumière dans le prisme et de sa
vitesse, nous orientent différemment et constituent en fait une étape de la plus haute
importance conceptuelle pour nous physiciens modernes dans la compréhension de la
relativité galiléenne.
Arago commençait à se poser des questions sur la théorie corpusculaire. Le problème
de cette vitesse de la lumière provenant des étoiles était bien sûr étroitement lié à celui de
l’éther, un problème qui intéressait aussi Fresnel. Arago appelle donc Fresnel à la rescousse
qui étudie la question en 1818. La théorie ondulatoire de Fresnel était construite sur une
vision mécaniste, elle ne s’était pas encore dégagée de toute idée newtonienne qui se
repositionne dans une théorie ondulatoire. Ainsi, l’éther similaire à l’eau portant les vagues
baigne tous les corps, mais aussi le vide puisque la lumière s’y propage. Avec cela il faut
expliquer que le mouvement des planètes n’est pas freiné par cet éther qui doit donc avoir
une résistance mécanique extrêmement faible. Il s’apparenterait donc à un gaz diffus, siège
d’ondes longitudinales. Mais l’éther doit tout de même avoir une résistance mécanique
puisque que l’aberration de la lumière existe bien. Mais surtout, on comprit entre-temps que
la lumière était une onde transversale, seule explication de la polarisation. Or un gaz ne
transporte que des ondes longitudinales, il faut un solide élastique ou une pâte très
gélatineuse pour pouvoir transporter des ondes transversales. En final, l’éther doit posséder
des propriétés physiques vraiment très complexes, voire contradictoires. Alors Fresnel
propose une interprétation que les historiens prennent plutôt comme un alibi pour rejeter la
théorie de l’émission corpusculaire et non comme une explication plausible des résultats
négatifs d’Arago. Pour Fresnel, il y a trois possibilités :
l’entraînement total de l’éther,
l’entraînement partiel,
ou pas d’entraînement du tout, c’est-à-dire l’immobilité de l’éther.
Fresnel opte en 1822 pour l’entraînement partiel, qui pourrait expliquer à la fois l’aberration
de la lumière et le mouvement des planètes. La terre par exemple serait poreuse, elle serait
traversée par un courant d’éther.
D’après une idée de Young selon laquelle la densité de l’éther dans la matière est
exprimée dans l’indice de réfraction (, Fresnel écrit plus précisément
j$
jk (%
où jk est la densité de l’éther dans le vide et j$ dans le milieu transparent d’indice (. Pour
Fresnel, seul l’excès d’éther Aj$ > jk C est entraîné, la vitesse du centre de gravité de l’éther
est
21
l
j$ > jk
j$
c1 >
1
d
(%
où
est la vitesse du corps transparent par rapport à l’éther.
\
e1 > R0 f est le coefficient d’entraînement de Fresnel 40; dans le vide , (
$
l’éther n’est pas entraîné par les corps en mouvement.
1,\
0 et
m
R
La vitesse de la lumière dans le milieu transparent au repos étant , la loi classique de
composition des vitesses donne
n′
n
1
± c1 > % d
(
(
selon le sens de l’entraînement de l’éther supposé parallèle à la vitesse du milieu
transparent ; n′ est la vitesse de la lumière par rapport à l’éther immobile. Fresnel postule
donc une loi non additive composition des vitesses et donne un coefficient d’entraînement
de l’éther par un corps en mouvement compatible avec seulement la deuxième des
possibilités énoncées ci-dessus. Ce résultat sera interprété plus tard en 1907 par von Laue
comme l’expression de la composition einsteinienne des vitesses au premier ordre.
C’est pour confirmer le résultat de Fresnel que Foucault et Fizeau effectueront leurs
célèbres expériences dans de l’eau en mouvement en 1849-1850.
Arago finira par se tourner définitivement vers la théorie ondulatoire.
Pendant que la théorie corpusculaire peinait à expliquer l’interaction lumière-matière
dans le domaine microscopique, l’aspect à plus grande échelle, mentionné, mais non traité
par Newton, est repris par Cavendish (1731-1810) environ 80 ans plus tard, probablement
vers 1784. Il s’agit de la déviation de la lumière par un champ gravitationnel.
Malheureusement Cavendish n’a publié qu’une petite partie de ses résultats. Plus tard, en
1801, von Soldner (1776-1833) a fait également le calcul de la déviation de la lumière dans le
cadre de la mécanique newtonienne qui concorde au premier ordre avec celui de Cavendish
comme nous allons le voir41.
40
De l’éther de Fresnel à la relativité restreinte, J. Reignier, Annales de la fondation Louis de Broglie, Vol. 29, n°s
1-2 (2004).
41
Henry Cavendish, Johann von Soldner and the deflection of light, Clifford M. Will, Am. J. Phys 56(5), May
1988, pp.413-415.
22
La déviation de la lumière par un corps céleste selon von Soldner42
On the Deviation of a Light Ray from its Motion along a straight line trough the
attraction of a Celestial Body which it passes close by, Berlin, mach 1801,
Berliner Astronomisches Jahrbuch, 1801-1804, p. 161–172.
Dans une théorie corpusculaire, le corps lumineux subit la gravitation au même titre et
de manière identique que les planètes ou autres corps de l’univers, il est assimilé à une
particule matérielle dont l’accélération est indépendante de sa masse et de sa structure. En
optique newtonienne, l’accélération du corpuscule lumineux est donné par
Q0 W-
>
Qp 0
qL
r
B-
A1C
‖B-‖ est la distance du corpuscule
où B- est le vecteur position du corpuscule lumineux,
au centre du corps pesant –l’étoile- de masse
responsable du champ gravitationnel
attractif agissant sur le corpuscule lumineux. " est la constante gravitationnelle et le
temps. Le système n’est pas lié car la vitesse de la lumière est très grande.
Figure de l’article de C. M. Will
Figure 3 de l’article de von Soldner,
reproduite par Stanley L. Jaki.
42
Nous suivons ici l’article de C.M. Will cité ci-dessus, p. 414. L’article original de von Soldner reprend les
calculs détaillés des trois types de trajectoire, elliptique, hyperbolique et parabolique, comme on peut le voir
dans sa traduction anglaise reproduite dans Foundations of physics, pp. 927-950 vol. 8, 11/12, dec 1978, Johann
Georg von Soldner and the Gravitational Bending of Light, with an English Translation of His Essay on It
Published in 1081, S. L. Laki. En suivant C.M. Will, nous en donnons une lecture simplifiée proche de nos
habitudes actuelles.
23
La résolution de ces équations du mouvement indique que le corpuscule suit donc une
trajectoire hyperbolique d’excentricité + & 1 dont l’expression paramétrique est43
A2C
tA$uOC
pour un choix judicieux de l’origine de w.
$uOmTSv
La conservation du moment cinétique s’écrit
1
x" yA1 [ +Cz0
% Qv
Qp
A3C
La trajectoire, plane, se situe dans le plan AB, }C. On l’a exprimée en fonction de la distance
y d’approche minimale (distance du centre de l’étoile au périhélie), w est l’angle entre l’axe
B et la trajectoire, + est l’excentricité. On a
B-
A4C
<cos w +-W [ sin w+-~ ?
-
1
0
etA$uOCf €> sin w+-W [ Acos w [ +C+-~ •
QW-
qL
Qp
A5C
La vitesse de la lumière est donc variable le long de son orbite.
A6C
"
<1 [ 2+ cos w [ +2 ?
yA1[+C
%
→ ∞, la trajectoire devient parallèle aux asymptotes et on note w† leur angle avec
Pour
l’axe des B; ‡ est l’angle avec l’axe des }, la déviation est 2‡.
D’après A2C, pour → ∞, cos w†
sin ‡
$
$
> O , et puisque w†
O
Pour obtenir la déviation ‡, il faut calculer +.
ˆ
%
[ ‡,
A7C
• Von Soldner a fait l’hypothèse d’un corpuscule de lumière émis en à la vitesse de la
lumière n perpendiculairement à l’axe des B et se propageant vers l’infini. Alors A6C donne
n%
d’où +
%|
tm 0
v‹k
qL > 1 et
" A1 [ +C
y
89: Œ
43
•
7h•
On peut trouver ces équations dans tout livre de mécanique classique, comme Classical Mechanics d’Herbert
Goldstein, Third edition (2002) Ch. 3 ou A modern Approach to Classical Mechanics (2016), H. Iro.
24
avec Ž
•
qL
tm 0
.
Cavendish quant à lui, fait l’hypothèse que la vitesse de la lumière est n à l’infini.
D’après A6C avec cos w†
$
> O, on obtient n %
89: Œ
%|
v‹v•
•
7[•
qLAOh$C
t
et +
tm 0
qL [ 1, d’où
Le résultat de Cavendish coïncide avec celui de von Soldner au deuxième ordre près. Comme
en mécanique newtonienne la vitesse du corpuscule n’est pas constante le long de l’orbite
parcourue, prendre la vitesse du corpuscule lumineux égale à n en A ou à l’infini ne revient
pas exactement au même. On trouve pour sin 2‡ ≈ 2‡ ≈ 2Ž ≈ 4,2. 10h• 'D ≈
0,87seconde d’arc44.
Puisque ce calcul de déviation de la lumière a nécessité des approximations, des
théoriciens ont vérifié que les termes d’ordre supérieur sont effectivement négligeables45.
On peut donc écrire en conclusion que
‡’O“pTR
2"
2" %
[
”
c
d
yn %
yn %
C’est aussi le résultat d’Einstein en 1911 qui a également calculé cette déviation dans le
cadre newtonien.
En relativité générale (1915), la courbure de l’espace aura pour effet de doubler cette
déviation, ce qui ne manquera pas de réjouir les expérimentateurs.
‡tq
4"
2" %
[”c % d
yn %
yn
Explication moderne de ces deux résultats
Il est étonnant que la déviation newtonienne soit exactement égale à ‡tq > ‡’O“pTR
c’est-à-dire à la déviation purement einsteinienne, effet additionnel dû uniquement à la
relativité générale. Pour voir ce qu’il en est, rappelons quelques idées fondamentales de la
relativité générale46.
" 6,67. 10h$$ # ∙ % ∙ Y)h% ,
2. 10,k Y), y 6,96. 10— et n 3. 10— . . h$ .
45
Pour cela, voir l’article de C.M. Will cité ci-dessus, p. 415. Voir aussi Newtonian gravitational deflection of
light revisited, D. S.L. Soares, arXiv :physics/0508030v4 [physics.gen-ph] 2009.
46
D’après Am. J. Phys., Vol. 84, N° 8, August 2016 : Spatial curvature, spacetime curvature, and Gravity, Richard
H. Price.
44
25
Les courbures de l’espace-temps
Plaçons-nous dans un espace-temps muni des coordonnées de Gauss généralisées
< , B ? où est l’indice spatial variant de 1 à 3 . La distance s’y exprime par47
D. %
>)pp D
%
[ ) ˜ DB DB ˜
où )pp et les ) ˜ sont fonction de , B$ , B % , B , . La dépendance en décrit une géométrie
dynamique qui change par elle-même. Elle ne nous intéresse pas car nous cherchons l’effet
de la gravité sur les particules et ce mélange de mouvement constitue un obstacle inutile à
notre raisonnement. On ne perd pas en généralité en considérant un espace-temps statique
dans lequel )pp et les ) ˜ ne dépendent pas de . Écrivons )pp sous la forme :
Et ) ˜ sous la forme
)pp
) ˜
> en % [ 2™<B ˜ ?f avec•
˜ <B
˜
?
1, 2, 3.
™<B ˜ ? 0 , l’espace-temps n’est pas muni d’une courbure temporelle,
mais seulement d’une courbure spatiale.
Dans cet espace-temps
• 1er cas
et
ž
)pp >n % ) ˜ fonctiondeB $ , B % , B , D. %
>n % D
%
[ ) ˜ DB DB ˜
les équations des géodésiques (que nous n’écrivons pas ici) montrent qu’une particule au
repos reste au repos : ¢ étant le temps propre, si les
QW £
Q¤
sont nuls initialement, ils le
resteront, ceci quelle que soit la courbure spatiale, qu’elle soit violente ou non. C’est un fait
en accord avec l’affirmation usuelle de l’absence de gravité dans notre espace-temps.
Considérons maintenant dans cet espace-temps une particule en chute libre avec une
vitesse initiale non nulle,
QW £
Q¤
≠ 0. En vertu de ce que nous venons de voir, on s’attend à ce
qu’elle suive une trajectoire indépendante de la gravité. Effectivement, sur les mêmes
équations des géodésiques, on peut montrer que ces particules en chute libre suivent les
géodésiques spatiales avec une vitesse constante48.
47
Les coordonnées de Gauss sont définies p. 552 et 717 dans Gravitation de C. W. Misner, K.S. Thorne & J. A.
Wheeler.
48
C’est fait p.591 dans l’article de Price cité en note 44.
26
™<B ˜ ? ≠ 0, l’espace-temps est muni d’une courbure temporelle, mais
non d’une courbure spatiale
• 2ème cas
¦
et
)pp
) ˜
D.
%
> en % [ 2™<B ˜ ?f
‡ ˜ symboledeKronecker
>An % [ 2™CD
%
[ ‡ ˜ DB DB ˜
où pour alléger la notation, nous ne reportons pas les B ˜ dans la fonction ™.
Nous allons voir que les équations des géodésiques dans lesquelles on reporte les valeurs
des symboles de Christoffel pour notre métrique permettent de retrouver la loi de
mouvement de Newton avec le potentiel gravitationnel ™ pour des particules non
relativistes.
Pour cela, écrivons l’équation générale des géodésiques
D % B ˜ DB DB ` ˜
[
Γ
D. %
D. D. `
0
D % B ˜ DB DB ` ˜
[
Γ
D¢ %
D¢ D¢ `
0
La particule suit une géodésique qui est une ligne d’univers, ¢ est le temps propre,
Pour
Y
D%B ˜ D D ˜
[
Γ
D¢ % D¢ D¢ pp
Grâce aux relations donnant les symboles de Christoffel par la métrique
Γ `
˜
1
) ˜N A¯ )`N [ ¯` )N > ¯N ) ` C
2
on obtient (beaucoup de termes sont nuls puisque ) `
¯™<B ˜ ?
¯B ˜
Γpp
˜
d’où
or D
°D¢ avec °
D%B ˜
D¢ %
1
³±1 > ² % et ²
Qp
Pour des particules non relativistes, Q¤
‡ `)
D % ¯™<B ˜ ?
>c d
D¢
¯B ˜
/
m
1, et on retrouve bien la loi de Newton.
27
Analyse qualitative
Au premier abord, on pourrait dire qu’une courbure spatiale n’a aucun rapport avec la
gravité. Pourtant les particules libres se mouvant dans un espace-temps muni d’une
courbure spatiale suivent des trajectoires ayant une déviation par rapport à la géométrie
euclidienne. Si l’on considère que cette déviation par rapport à la géométrie euclidienne est
de la gravitation, on peut effectivement additionner les deux effets des 1er et 2ème cas
précédents. Voyons l’ordre de grandeur de l’un par rapport à l’autre.
Si les )pp et les ) ˜ étaient constants, on pourrait se débarrasser de la courbure en
effectuant des changements d’échelle et des rotations. C’est donc la variation des )pp et des
) ˜ qui est importante. L’effet de courbure spatiale est décrit par les ) ˜ et mesure l’espace
∆* exploré par une ligne d’univers. L’effet de la courbure de l’espace-temps est décrit par les
)pp et mesure le temps ∆ exploré. Mais le temps et les longueurs sont liées par le facteur n,
vitesse de la lumière, ce qui rend temps et espace de même nature. Le rapport
∆N
m∆p
/
m
donne la contribution de la courbure spatiale comparé à celle de la courbure de l’espace/
temps au temps n∆ pour une particule évoluant dans cet espace. Il est en m , la contribution
à la déviation dont la cause est la courbure spatiale n’a pas d’effet sur une particule au
repos, elle a un effet négligeable pour des particules non relativistes, enfin la courbure
spatiale a un effet de l’ordre de )pp pour des particules de vitesse ≈ n, comme les
photons.
Cette interprétation de la courbure spatiale s’applique directement à la déviation de la
lumière rasant le soleil. Notre déviation ‡tq > ‡’O“pTR purement einsteinienne due à la
courbure spatiale aurait dû être tout au plus de l’ordre de la déviation newtonienne et non
pas exactement égal. Pour voir ce qu’il en est, effectuons le calcul de cette déviation spatiale
de la lumière rasant le soleil.
Application à la lumière rasant le soleil49
Nous revenons au 1er cas ()pp
D´ % telle que
D. %
D´ %
0) dans lequel nous considérons la courbure spatiale
D %
[
2"
1>
n%
% ADµ %
[ . (% µDw % C
C’est la métrique de Schwarzschild de l’espace-temps réduite au sous-espace spatial A , µ, wC
en coordonnées sphériques. Une particule en chute libre se meut selon les géodésiques de
49
The deflection of light by the Sun due to three-space curvature, J. G. Ellingson, Am. J. Phys., Vol. 55, N° 8,
August 1987, cité dans l’article de Price dans la réf ci-dessus.
28
cet espace contenant une courbure purement spatiale représentant le voisinage d’une
masse .
Pour un calcul concret, le choix n’est pas d’utiliser les calculs des symboles de Christoffel et
d’exprimer les géodésiques, mais de revenir plus en amont en écrivant le problème
variationnel que doit satisfaire la courbure
‡ X D´
0
et de reprendre les équations d’Euler-Lagrange.
Le résultat du calcul donne une équation de mouvement dont le terme de potentiel
équivalent à la courbure spatiale est50
où
%
Qv
e Qp f est une constante.
]A C
"
>
"
%
,n%
La force due à la courbure spatiale s’exerçant sur une particule de masse ¶ est
>¶
D]
D
¶·
"
%
>
3"
in%
%
¸
qui donne une direction pour le mouvement et la quantité de mouvement, qui prise aux
directions asymptotiques, permet de calculer l’angle ‡ ‡tq > ‡’O“pTR de déviation de la
lumière.
Rayon de lumière rasant le bord du soleil51
ˆ
ˆ
‡ est petit devant w, la lumière va de gauche à droite avec w variant à peu près de > % à % le
long d’un axe ¹B. Elle est défléchie vers le soleil selon une quantité de mouvement ∆º donnée par la force.
‡
50
51
Ƽ
º
Le détail est donné dans l’article d’Ellingson de la note 47.
Figure reprise p. 760 dans l’article d’Ellingson de la note 47.
29
yn et ¶
Pour la lumière,
»
m0
, d’où la force
n
·>
%
"
y%
[
3" y %
¸
in%
En inversant le signe pour aller vers le soleil.
Alors
avec
1
Ƽ
X n”.w
Ay % [ B % C0
DB
n
L’intégration élémentaire donne
Ƽ
et
‡
X·
1
>
%
3y % y
¸ DB
i
2 "
yn ,
‡tq > ‡’O“pTR
2"
yn %
qui est exactement égal au ‡’O“pTR précédent. Cette égalité exacte est une pure coïncidence
due à notre situation particulière.
La déflection totale est la somme de ces deux effets : 2 ∙
%qL
m0
2 ∙ 0,87"d’arc.
Dans tous les manuels, les calculs de déviation se font directement dans un espacetemps muni de la métrique de Schwarzschild complète dans un espace-temps à 4
dimensions52 où les deux effets sont pris en compte simultanément.
Revenons à notre exposé historique. L’hypothèse corpusculaire de la lumière a permis
de supposer que la lumière était déviée au voisinage d’un corps massif car les corpuscules
sont semblables à des planètes. Mais il y a d’autres conséquences très importantes déjà
comprises par les savants du XVIIème siècle. Ils en ont déduit qu’il pouvait exister des objets
qui captent la lumière, c’est-à-dire pour lesquels l’attraction gravitationnelle est si intense
qu’elle ne peut s’en échapper. Michell en 1784 et Laplace en 1796 ont imaginé de telles
situations.
52
Un tel calcul est effectué dans tous les manuels de Relativité générale, voir par exemple p. 162 dans
Introduction to general relativity de Lewis Ryder, Cambridge.
30
Même si on est encore loin des théories einsteiniennes, la théorie corpusculaire de la
lumière serait-elle une théorie pré-relativiste ?
Abandonnons maintenant la lumière sous l’aspect de son interaction avec la matière et
abordons la propagation la lumière.
La vitesse de la lumière avec Fresnel et après Fresnel
Entre 1815 et 1821 dans ses Mémoires, Fresnel (1788-1827) précise les idées
d’Huygens et établit des liens entre onde et vibration. Une particule de lumière oscille
autour d’une position d’équilibre sous l’action de forces encore inconnues, la durée
d’oscillation étant liée à la "longueur des ondulations" dans l’éther53. Les mouvements sont
petits par rapport à ces longueurs d’oscillations et obéissent ainsi comme en mécanique à
l’équation différentielle sans terme autre que celui du premier degré
où
D
D
> B
est une constante représentant la force et qui a pour solution
' sin 2¾
' est "l’intensité du mouvement vibratoire"54. Puis, une particule pouvant être considérée
comme une source, l’ondulation atteint un point éloigné d’une distance B de cette source
après un temps . Alors
¿
B
' sin ·2¾ e > f¸
À
où À est la longueur de l’ondulation lumineuse que Fresnel suppose monochromatique. Ceci
pose les bases de sa théorie ondulatoire et va lui permettre de formuler la diffraction, les
interférences, la réflexion et la réfraction, soit l’ensemble des phénomènes optiques alors
connus.
Alors que pour Huygens, les ondes sont indépendantes, pour Fresnel les ondes doivent
nécessairement se succéder pour produire les phénomènes de superposition, et en
particulier les interférences. Il y a donc une "succession indéfinie d’ondulations semblables".
Mais les ondes de Fresnel sont toutes monochromatiques, elles ont la même vitesse et
des propriétés identiques dans l’espace et le temps. C’est une situation idéale qui ne
53
54
P. 66 & suivantes dans Histoire de l’optique ondulatoire, De Fresnel à Maxwell, André Chappert, Belin (2007).
Toujours cité par A. Chappert, voir note ci-dessus.
31
correspond pas à la réalité : Lord Rayleigh (1842-1919) a observé que la vitesse d’un groupe
d’ondes dans l’eau est plus petite que la vitesse des ondes prises individuellement et il a
transposé cette observation à la lumière55 : dans un milieu dispersif où la vitesse de
propagation dépend de la longueur d’onde, la succession d’ondes parfaitement identiques
de Fresnel est remplacée par un groupe d’ondes de fréquences différentes, mais proches qui
$
$
se superposent. Il définit la vitesse de groupe : c’est la dérivée de par rapport à , ¢ étant
¤
Á
la période de la fonction représentant les ondes lumineuses et À leur longueur d’onde. On
distingue donc vitesse de phase pour une onde monochromatique qui est la vitesse des
plans de même phase et vitesse de groupe pour des ondes se propageant dans un milieu
dispersif.
55
En 1881 : la théorie de Maxwell avait déjà établi auparavant (Mémoire en 1864) que la lumière était une
onde électromagnétique.
32
Conclusion
Le problème de la vitesse de la lumière est né de l’étude des mouvements des corps
dans le vide et dans le plein. Il donne deux théories différentes reposant sur les deux
concepts de corpuscule et d’onde donnant chacune son résultat, ces deux résultats
apparaissant comme contradictoires.
Dans le domaine microscopique, la théorie corpusculaire tente d’expliquer l’interaction
de la lumière avec le milieu qu’elle traverse et n’aboutit pas. Mais elle permet de constater
que la vitesse de la lumière dans l’espace serait peut-être constante, une question qu’on se
posait déjà depuis quelques temps. Dans le domaine macroscopique, l’interaction de la
lumière avec des masses conséquentes donne la partie newtonienne de la déviation de la
lumière au voisinage d’un corps pesant. Mais le débat entre théorie corpusculaire n’est pas
encore tranché. La théorie ondulatoire se développe solidement avec Fresnel dans les
années 1820. Elle traite essentiellement de la propagation de la lumière et non de
l’interaction de la lumière avec la matière. Elle connait un grand succès, surtout après les
résultats expérimentaux de Foucault en 1849 et de Fizeau en 1850 avec lesquels seule la
théorie ondulatoire est compatible. Fresnel est le premier à donner une expression
mathématique de la vitesse de la lumière, en l’occurrence une loi sinusoïdale dont l’origine
microscopique demeure inconnue. Cette vitesse se complexifie très vite puisqu’elle doit faire
appel dans la réalité du monde physique à une vitesse de groupe qui fait intervenir des
vitesses de phase, lesquelles interviennent dans les ondes monochromatiques qui ne sont
que des versions idéales des ondes réelles. On sait aujourd’hui qu’au niveau microscopique,
la notion de vitesse n’existe plus puisqu’on traite les phénomènes physiques par la
mécanique quantique dans laquelle la notion de trajectoire disparaît, donc a fortiori la
notion de vitesse aussi. Ainsi ce débat séculaire sur la vitesse de la lumière ne se conclut pas
simplement en tranchant en faveur du corpusculaire ou de l’ondulatoire en affirmant que la
lumière va moins vite dans un milieu moins dense, mais évolue à grande échelle vers la
relativité einsteinienne où la vitesse, qui est une longueur divisée par un temps, perd son
sens habituel lorsque espace et temps pris séparément ne sont plus absolus. À de très
petites échelles, la vitesse de la lumière comme celui de corpuscule sont des concepts
caducs qui ne peuvent pas expliquer les processus d’interaction de la lumière avec la
matière. Ce sera plus tard, en 1900, que Planck, un thermodynamicien à la recherche d’une
origine plus rigoureuse et plus fondamentale de la notion d’entropie, verra les prémisses de
la mécanique quantique dans la célébrissime expérience du corps noir en suivant une toute
autre voie.
33
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