SUR L’ÉVOLUTION DE LA CONTRADICTION DE LA VITESSE DE LA LUMIÈRE
DANS LES THÉORIES CORPUSCULAIRE ET ONDULATOIRE
Séminaire des 11 et 18 octobre 2016
Anne Sinquin
1
Théorie corpusculaire et ondulatoire 3
La théorie corpusculaire de Descartes 4
La théorie ondulatoire d’Huygens 7
La théorie corpusculaire de Newton 11
Bref tableau comparatif des théories corpusculaire et ondulatoire 17
La vitesse de la lumière peut-elle être mesurée par un prisme (Arago) ? 18
La déviation de la lumière par un corps céleste selon von Soldner 23
avec une explication moderne 25
La vitesse de la lumière avec Fresnel et après Fresnel 31
Conclusion 33
2
Au XVII
ème
siècle existent deux théories de la lumière. Nous allons voir que deux modes
de pensée, bien que chacun parfaitement construits et cohérents, ne se concilient pas et
conduisent à deux résultats contradictoires : une théorie corpusculaire conclut que la
lumière se propage plus vite dans un milieu plus dense que dans un milieu moins dense
tandis qu’une théorie ondulatoire conclut que la lumière se propage moins vite dans un
milieu plus dense que dans un milieu moins dense.
Le premier résultat est dû à Descartes (1596-1650) et le second à Huygens (1629-
1695). Ils s’inscrivent dans une longue évolution de la pensée depuis l’Antiquité jusqu’à la
Renaissance où le débat ne s’est jamais éteint. D’un côté, la pensée suivant Leucippe (460 -
370 avant J. C.) et son élève Démocrite (460 -370 avant J. C.) prônait un univers
vide dans lequel se meuvent différentes particules éternelles de matière pleine. Et de l’autre
côté, la pensée suivant Aristote (384-322 avant J. C.) voyait un univers plein d’une substance
susceptible de conduire et d’accompagner le mouvement des corps y étant plongés à la
manière d’une vague se déplaçant dans l’eau ou d’une perturbation se propageant dans l’air.
Jusqu’à l’époque de Galilée (1564-1642) que l’on considère comme celle de l’avènement de
la physique moderne, ce débat évolue essentiellement sur un plan philosophique. Il prend
une autre tournure scientifique et théorique au XVII
ème
siècle en se concentrant sur
l’optique.
Nous nous proposons ici de revoir les théories corpusculaire et ondulatoire pour tenter
de comprendre au moins succinctement comment on a pu obtenir cette apparente
contradiction et comment évolue cette contradiction sur la vitesse qui oppose ondes et
corpuscules, espace plein et espace vide. En l’absence d’une mesure expérimentale de la
vitesse de la lumière alors hors d’atteinte à l’époque et qui seule aurait permis de trancher
entre Descartes/Newton et Huygens, les deux théories ont mal cohabité puisque la théorie
de Newton a longtemps dominé. La mesure expérimentale cruciale tant attendue fut enfin
réalisée en 1849 par Foucault et en 1850 par Fizeau : le résultat montre que la lumière se
propage moins vite dans l’eau que dans l’air et la théorie ondulatoire est sortie triomphante
de ce long débat et a fait tomber les derniers partisans tenaces de la théorie corpusculaire.
La théorie ondulatoire s’était déjà bien consolidée entre-temps grâce aux travaux de Fresnel
(1788-1827) avec des résultats mathématiques techniques solides. La théorie ondulatoire
connut alors un succès éclatant. Mais un problème extrêmement grave qui la sous-tend
subsistait : quel est ce mystérieux milieu "éther" beaucoup trop complexe qui emplit
l’espace et qui doit être à la fois subtile et visqueux pour rendre compte du mouvement des
planètes? Cet éther constitue tout de même un achoppement incompréhensible de cette
théorie ondulatoire. Les astronomes ne l’ont acceptée qu’à cause des résultats
incontestables de l’optique et ont tenté malgré eux d’adopter l’existence de l’éther.
3
Mécanique et lumière, corpuscules et ondes répondent désormais de théories
complètement séparées, les premiers évoluant dans le vide
1
, les seconds dans l’éther.
Théorie corpusculaire et théorie ondulatoire
Dans une théorie corpusculaire, la lumière est composée de particules qui se meuvent
dans le vide indépendamment les unes des autres. Elles possèdent leur mouvement
propre. Les théories corpusculaires comme celles d’Alhazen (entre 1015 et 1021), de
Descartes (1637), du moins pour ce qui est de la flexion et de la réfraction, de Boyle
(1627-1691), puis de Newton (1687 et 1721) sont appelées théories d’émission.
Dans une théorie ondulatoire, la lumière se propage dans un milieu au sein duquel des
vibrations induisent sa propagation. L’eau et l’air ont la faculté de transmettre le
mouvement ou plus précisément la quantité de mouvement. Contrairement à ce qu’on
peut observer dans une théorie corpusculaire, il n’y a pas de transport de matière dans
une théorie ondulatoire : il n’y a que transmission d’énergie. Les théories ondulatoires
ont été développées par Grossetête (1168 ? 1175-1253)
2
, Roger Bacon (1214-1292)
3
,
Thomas Hobbes (1588-1679), Francesco Maria Grimaldi (1618-1663) dans son traité
Physico mathesis de Lumine publié en 1665, Robert Hooke (1635-1703) dans
Micrographia de 1665, Isaac Barrow (1630-1677), par Pardies (1636-1674) dans un
manuscrit perdu écrit vers 1670
4
, enfin par Huygens (1629-1695) dans son Traité de la
lumière (présenté en 1678 et publié en 1690). Ces théories sont appelées théories des
milieux. Plus tardivement, Euler (1707-1783) fut un fervent défenseur de la théorie
ondulatoire. Enfin, plus d’un siècle plus tard après Huygens, Young (1773-1829) publia
deux notes en 1802 et 1804 dans la revue Philosophical Transactions traitant de
phénomènes caractéristiques de la théorie ondulatoire comme la diffraction et les
interférences
5
. Puis Fresnel (1788-1827) présenta sa théorie ondulatoire de la lumière en
1818, théorie fondatrice de l’optique ondulatoire moderne.
1
Le vide sera au XIX
e
siècle aussi un élément essentiel de l’hypothèse atomiste nécessaire à la théorie cinétique
des gaz établie par Boltzmann. Les atomes (le plein) évoluent dans l’espace (le vide). Leurs trajectoires ne sont
pas encore observées, mais au début du XX
e
siècle, le modèle des gaz inspirera Einstein dans l’interprétation du
mouvement brownien. En 1906, Perrin observa l’absence d’échelle dans la géométrie des trajectoires des
particules browniennes et l’impossibilité de dessiner une courbe sur de telles trajectoires. Ces idées ne furent
reprises qu’en 1960 par Mandelbrot qui développa une nouvelle géométrie : la géométrie fractale. Celle-ci
semble donc aussi s’appuyer sur l’opposition entre le vide et le plein.
2
Une histoire de la lumière, B. Maitte, Editions du Seuil (2015) p. 44.
3
Op. cit., p.55.
4
A History of Optics, from Greek Antiquity to the Nineteenth Century, O. Darrigol, Oxford UP (2012), p. 60.
5
Histoire de la lumière, V. Ronchi, Éditions Jacques Gabay, 1956, p. 239.
4
La théorie corpusculaire de Descartes
La Dioptrique, 1637.
L’attitude de Descartes est ambiguë. Le fait que la lumière soit formée « d’une matière
fort subtile et fort fluide qui s’étend sans interruption depuis les astres jusqu’à nous »
6
et
l’utilisation du bâton pour servir d’intermédiaire à la perception des objets relève
effectivement d’une théorie ondulatoire. Mais en ce qui concerne les aspects quantitatifs de
la lumière, Descartes adopte bien une description corpusculaire inspirée de la théorie
d’Alhazen : la réflexion et la réfraction sont modélisées grâce à une balle frappée par une
raquette dans un jeu de paume. Descartes procède donc par une analogie mécanique
7
: les
lois du mouvement de la balle sont comparées au trajet de la lumière. Cependant, il y a
abstraction de la gravitation, le mouvement de la balle n’obéit pas aux lois des corps
pesants, mais à une "inclination à se mouvoir".
Intéressons-nous à la réfraction.
Une balle lancée en A pénètre en B dans de l’eau dans laquelle elle est ralentie. Sa
vitesse est décomposée selon deux directions
8
, horizontale et verticale. Le problème est de
décrire la trajectoire de la balle dans l’eau.
Pour être concret, Descartes prend comme exemple le cas cette dernière va deux
fois moins vite dans l’eau que dans l’air, ce qui se traduit par une composante verticale deux
fois plus petite dans l’eau que dans l’air comme on peut le voir sur la figure de droite ci-
dessous
9
. Quant à la composante horizontale représentant la vitesse horizontale, elle
demeure inchangée pour les mêmes raisons que pour la réflexion : la terre n’influe pas sur le
mouvement horizontal car elle n’est pas rencontrée par la balle.
6
Cité par B. Maitte, Une histoire de la lumière, 2015, Éditions du Seuil, p. 104. R. Descartes, La diotrique, 1637,
discours premier. La Dioptrique est disponible sur la toile.
7
"Histoire du principe de moindre action" de F. MARTIN-Robine, Vuibert, 2006, p.28.
8
La décomposition du trajet de la lumière en deux composantes horizontale et verticale a été effectuée pour la
première fois par Alhazen. "Kepler’s near discovery of the sine law: A qualitative computational model”, Claudio
Delrieux & Javier Legris, (eds.) Computer Modeling of Scientific Reasoning, Universidad Nacional Del Sur.
EDIUNS, Bahia Blanca, Argentinia, 2003, pp. 93-102.
9
Fig. p. 108 de B. Maitte, op. cité.
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