SUR L’ÉVOLUTION DU PROBLÈME DE LA VITESSE DE LA LUMIÈRE DANS LES THÉORIES CORPUSCULAIRE ET ONDULATOIRE AVANT FRESNEL Partie I Anne Sinquin 3 et 10 mai 2016 Au XVIIème siècle existent deux théories de la lumière. Nous allons voir que deux modes de pensée, bien que chacun parfaitement construits et cohérents, ne se concilient pas et conduisent à deux résultats contradictoires : une théorie corpusculaire conclut que la lumière se propage plus vite dans un milieu plus dense que dans un milieu moins dense tandis qu’une théorie ondulatoire conclut que la lumière se propage moins vite dans un milieu plus dense que dans un milieu moins dense. Ces deux résultats sont dus à Descartes (1596-1650) pour le premier et à Huygens (1629-1695) pour le second. Ils s’inscrivent dans une longue évolution de la pensée depuis l’Antiquité jusqu’à la Renaissance où le débat ne s’est jamais éteint. D’un côté, la pensée suivant Démocrite (≈460 -≈370 avant J. C.) prônait un univers vide dans lequel se meuvent des particules de matière et de l’autre côté, la pensée suivant Aristote (384-322 avant J. C.) voyait un univers plein d’une substance susceptible de conduire et d’accompagner le mouvement des corps y étant plongés à la manière d’une vague se déplaçant dans l’eau ou d’une perturbation se propageant dans l’air. Jusqu’à l’époque de Galilée (1564-1642) que l’on considère comme celle de l’avènement de la physique moderne, ce débat évolue essentiellement sur un plan philosophique. Il prend une autre tournure au XVIIème siècle sur un plan théorique en se concentrant sur l’optique. En l’absence d’une mesure expérimentale de la vitesse de la lumière alors hors d’atteinte à l’époque et qui seule aurait permis de trancher entre Descartes/Newton et Huygens, nous tenterons de comprendre comment évolue cette contradiction sur la vitesse qui oppose ondes et corpuscules, espace plein et espace vide. Cette mesure expérimentale est enfin réalisée en 1849 par Foucault et en 1850 par Fizeau : le résultat obtenu est que la lumière se propage moins vite dans l’eau que dans l’air et la théorie ondulatoire sort triomphante de ce long débat. La théorie corpusculaire est abandonnée au profit de la théorie ondulatoire qui s’était déjà bien consolidée entre-temps grâce aux travaux de Fresnel (1788-1827). La théorie ondulatoire connaît alors un succès éclatant. Mais un 1 problème extrêmement grave qui sous-tend cette théorie ondulatoire subsiste : quel est ce mystérieux milieu "éther" beaucoup trop complexe qui emplit l’espace et qui doit être à la fois subtile et visqueux pour rendre compte du mouvement des planètes? Cet éther constitue tout de même un argument fort et incompréhensible contre la théorie ondulatoire. Les astronomes n’acceptent la théorie ondulatoire qu’à cause des résultats incontestables de l’optique et tentent malgré eux d’adopter l’existence de l’éther. Mécanique et lumière, corpuscules et ondes répondent désormais de théories complètement séparées, les premiers évoluant dans le vide, les autres dans l’éther. Théorie corpuscula ire et théorie ondula toire ― Dans une théorie corpusculaire, la lumière est composée de particules qui se meuvent dans le vide indépendamment les unes des autres. Elles possèdent leur mouvement propre. Les théories corpusculaires comme celles d’Alhazen (entre 1015 et 1021), de Descartes (1637), du moins pour ce qui est de la réflexion et de la réfraction, de Boyle (1627-1691), puis de Newton (1687 et 1721) sont appelées théories d’émission. ― Dans une théorie ondulatoire, comme pour le son dans l’air et les vagues sur l’eau, la lumière se propage dans un milieu au sein duquel des vibrations induisent sa propagation. L’eau et l’air ont la faculté de transmettre le mouvement ou plus précisément la quantité de mouvement. C’est cette analogie des processus qui est utilisée en théorie ondulatoire de la lumière. Contrairement à ce qu’on peut observer dans une théorie corpusculaire, il n’y a pas de transport de matière dans une théorie ondulatoire : il n’y a que transmission d’énergie. Les théories ondulatoires ont été développées par Grossetête (1168 ? ≈1175-1253)1, Roger Bacon (1214-1292)2, Thomas Hobbes (15881679), Francesco Maria Grimaldi (1618-1663) dans son traité Physico mathesis de Lumine publié en 1665, Robert Hooke (1635-1703) dans Micrographia de 1665, Isaac Barrow (1630-1677), par Pardies (1636-1674) dans un manuscrit perdu écrit vers 16703, enfin par Huygens (1629-1695) dans son Traité de la lumière (présenté en 1678 et publié en 1690). Ces théories sont appelées théories des milieux. Plus tard, Euler (1707-1783) a été un fervent défenseur de la théorie ondulatoire. Enfin, plus d’un siècle après Huygens, Young (1773-1829) publie deux notes en 1802 et 1804 dans la revue Philosophical Transactions traitant de phénomènes caractéristiques de la théorie ondulatoire comme la diffraction et 1 Une histoire de la lumière, B. Maitte, Editions du Seuil (2015) p. 44. Op. cit., p.55. 3 A History of Optics, from Greek Antiquity to the Nineteenth Century, O. Darrigol, Oxford UP (2012), p. 60. 2 2 les interférences4. Puis Fresnel (1788-1827) présente sa théorie ondulatoire de la lumière en 1818, théorie fondatrice de l’optique ondulatoire moderne. La théorie corpuscula ire de Desca rtes La Dio p triq ue, 1637. L’attitude de Descartes est ambiguë. Le fait que la lumière soit formée « d’une matière fort subtile et fort fluide qui s’étend sans interruption depuis les astres jusqu’à nous » et l’utilisation du bâton pour servir d’intermédiaire à la perception des objets relève effectivement d’une théorie ondulatoire5. Mais en ce qui concerne les aspects quantitatifs de la lumière, Descartes adopte bien une description corpusculaire inspirée de la théorie d’Alhazen : la réflexion et la réfraction sont modélisées grâce à une balle frappée par une raquette dans un jeu de paume. Descartes procède donc par une analogie mécanique 6: les lois du mouvement de la balle sont comparées au trajet de la lumière. Cependant, il y a abstraction de la gravitation, le mouvement de la balle n’obéit pas aux lois des corps pesants, mais à une "inclination à se mouvoir". Intéressons-nous à la réfraction. Une balle lancée en A pénètre en B dans de l’eau dans laquelle elle est ralentie. Sa vitesse est décomposée selon deux directions7 horizontale et verticale. Le problème est de décrire la trajectoire de la balle dans l’eau. Pour être concret, Descartes prend comme exemple le cas où cette dernière va deux fois moins vite dans l’eau que dans l’air, ce qui se traduit par une composante verticale deux fois plus petite dans l’eau que dans l’air comme on peut le voir sur la figure de droite cidessous8. Quant à la composante horizontale du mouvement représentant la vitesse horizontale, elle demeure inchangée pour les mêmes raisons que pour la réflexion : la terre n’influe pas sur le mouvement horizontal car elle n’est pas rencontrée par la balle. 4 Histoire de la lumière, V. Ronchi, Éditions Jacques Gabay, 1956, p. 239. Cité par B. Maitte, Une histoire de la lumière, 2015, Éditions du Seuil, p. 104. R. Descartes, La diotrique, 1637, discours premier. La Dioptrique est disponible sur la toile. L’utilisation d’un bâton par un aveugle y est également expliqué. 6 "Histoire du principe de moindre action" de F. MARTIN-Robine, Vuibert, 2006, p.28. 7 La décomposition du trajet de la lumière en deux composantes horizontale et verticale a été effectuée pour la première fois par Alhazen. "Kepler’s near discovery of the sine law: A qualitative computational model”, Claudio Delrieux & Javier Legris, (eds.) Computer Modeling of Scientific Reasoning, Universidad Nacional Del Sur. EDIUNS, Bahia Blanca, Argentinia, 2003, pp. 93-102. 8 Fig. p. 108 de B. Maitte, op. cité. 5 3 Figure 6 du discours second De la réfraction de La Dioptrique. Dans sa figure 6, Descartes considère le point I de la trajectoire réfractée tel que AB=BI. Ce point I définit complètement la trajectoire réfractée et le problème consiste à déterminer ce point I. On a 𝑡𝐵𝐼 = 2𝑡𝐴𝐵 où 𝑡𝐴𝐵 et 𝑡𝐵𝐼 sont les temps respectifs de parcours de la balle pour aller de 𝐴 en 𝐵 et de 𝐵 en 𝐼; B est le centre du cercle de rayon AB. Descartes place le point F correspondant au mouvement horizontal : on a HF=2AH car la balle ne rencontre pas la terre lors de ce mouvement et dans l’air la balle parcourt deux fois plus de distance que dans l’eau puisque la composante horizontale de la vitesse est inchangée. On trace les composantes verticales. L’intersection du cercle et de la verticale passant par F donne le point I cherché. Enfin, puisque HF=BE et AH=CB, on a BE=2 CB. Regardons maintenant le problème optique. La lumière est "action" ou "inclination à se mouvoir". L’analogue de la vitesse de la balle devient la "facilité" avec laquelle la lumière se déplace et traverse un milieu. Appelons 𝑓𝑖 et 𝑓𝑟 les facilités respectives dans les milieux incidents et émergents. A l’instar de la mécanique, on écrit (cas général, on remplace le 2 𝑓 par 𝑓𝑖) 𝑟 𝑓𝑖 𝐵𝐸 = 𝑓𝑟 𝐶𝐵 Avec 𝐵𝐸 = 𝐵𝐼 sin 𝑟 et 𝐶𝐵 = 𝐴𝐵 sin 𝑖, on obtient bien la loi usuelle de la réfraction. 𝑓𝑖 sin 𝑖 = 𝑓𝑟 sin 𝑟 4 Cependant, Descartes ne manque pas de remarquer un problème important : comme la balle ralentit dans l’eau, 𝑓𝑟 < 𝑓𝑖 , donc sin 𝑖 < sin 𝑟 , la trajectoire réfractée de la balle s’écarte de la normale. Or, c’est exactement le contraire qui est observé puisque le rayon lumineux réfracté se rapproche de la normale lorsqu’il passe de l’air dans l’eau. Si Descartes utilise une idée de conservation de quantité de mouvement 𝑚𝑣 pour son mouvement de balle, les historiens mentionnent que, de toute façon, toutes les règles sur les chocs énoncées par Descartes ne concordent pas avec les expériences, ce qui ne posait absolument aucun problème à Descartes9 qui tente d’expliquer le phénomène. Avec des métaphores sur les lois des chocs à cause desquels la balle subit frottements et résistances sur son trajet, Descartes trouve des arguments justifiant que la lumière subit elle aussi frottements et résistances, mais qui agissent de telle sorte que la lumière va plus vite dans les milieux denses, tels le passage de l’eau des rivières entre des rochers. Le raisonnement de Descartes est jugé cohérent par les historiens des sciences. C’est l’idée de rigidité qui guide Descartes, un milieu rigide laissant passer plus facilement le son par exemple. Descartes en conclut naturellement que l’eau ou le verre laissent plus facilement passer la lumière que l’air10. Descartes a des partisans, Leibniz (1646-1716) n’en est pas le moindre. Dans un milieu dense, les obstacles successifs sont la cause d’une grande résistance au cheminement des rayons lumineux ce qui entrave fortement leur diffusion. Par conséquent, ceux-ci se resserrent tout en acquérant une plus grande vitesse. Ainsi, pour expliquer l’écart à la normale prédit et non observé, Descartes développe un raisonnement se rapprochant de la mécanique des fluides qui sera repris ensuite par d’autres. Le débat historique entre les penseurs selon Démocrite et les penseurs selon Aristote se poursuit donc avec Huygens qui soutient pratiquement à la même époque, que la théorie des ondes établit bien le rapprochement de la normale du rayon réfracté. 9 Histoire de la mécanique, R. Dugas, Éditions Gabay(1996), p. 155 & 156. Rappelons qu’Alhazen avait prouvé que la vitesse de la lumière est plus lente dans les corps les plus denses que dans les corps les plus rares. 10 5 La théorie ondula toire d’Huygens Tra ité d e la lum ière, lu en 1678, p ub lié en 1690 Parmi les pères de la théorie ondulatoire, Grimaldi, qui a découvert la diffraction, était connu de Huygens. Pourtant, Huygens n’a jamais mentionné les travaux de Grimaldi sur ce thème important de l’aspect ondulatoire de la lumière, peut-être parce que les observations à ce sujet étaient extrêmement difficiles à cette époque11. Un autre savant de l’époque, Pardies avait construit une théorie optique sur les bases d’une analogie avec les ondes sonores et avec les ondes se propageant dans l’eau, une théorie qu’Huygens connaissait très bien et à laquelle il devait beaucoup12. Pardies qui était un correspondant de Newton, ne partageait pas les idées de la théorie corpusculaire du grand Maître. Un autre contemporain de Newton, Hooke a également inspiré Huygens. En effet, dans la continuité des travaux de Hooke, Huygens a réalisé des expériences plus complètes que celles de Hooke sur les études de couleurs observées à la sortie de lames minces13 traversées par la lumière, phénomène aujourd’hui connu sous le nom d’interférences. Cependant, Huygens n’en parle pas dans son Traité de la lumière, c’est Newton qui reprendra ce travail, mais sous un aspect corpusculaire. Huygens a donc opté pour une théorie ondulatoire. Son argument le plus fort est que les rayons lumineux se croisent sans être déviés, ni affaiblis. Cela semble impossible pour des particules dotées de grandes vitesses, il faudrait qu’elles ne se heurtent jamais. Le mouvement rectiligne de telles particules serait impossible. Mais il y a un autre argument. Huygens est bien au courant des résultats récents de 1676 de Römer qui démontrent que la lumière se propage à une vitesse finie14 ce qui invalide la théorie corpusculaire de Descartes, jugée incohérente, s’appuyant tantôt sur une propagation instantanée de la lumière, tantôt sur une propagation avec une vitesse finie comme dans les études de la réflexion et de la réfraction. Huygens prend la peine de reproduire une bonne partie de l’article de Römer au début de son Traité de la lumière. Ainsi en toute logique, si le mouvement ne peut pas transporter de matière, il est dû à un mécanisme ondulatoire. Comme pour les ondes à la surface de l’eau ou pour le son qui se propage dans l’air, il ne fait pas de doute pour Huygens que la lumière doit se propager dans un milieu, « l’éther ». 11 P. 14, Christiaan Huygens, Traité de la lumière, présenté par M. Blay, Dunod, édition de 2015. Aux origines de la Théorie des Vibrations Harmoniques : Le Père Ignace Gaston Pardies, A. Ziggelaar, p. 150. 13 P. 17, Christiaan Huygens, Traité de la lumière, présenté par M. Blay, Dunod, édition de 2015. 12 14 La vitesse de la lumière estimée à cette époque est d’environ 215 000 km /s. 6 Mécanisme de propagation des ondes dans l’éther Pour expliquer comment l’onde lumineuse se propage, Huygens reprend l’idée des sphères dures de Descartes qu’il modifie. Il considère une rangée de petites « boules de matière dure » toutes en contact les unes avec les autres et il lance la boule 𝐴 sur la première de la rangée. Alors la dernière boule de la rangée s’élance en avant sans que toutes les autres boules de la rangée ne bougent. L’impulsion se propage, accompagnée de petites vibrations longitudinales. Le physicien moderne comprend qu’il s’agit de collisions élastiques, la vitesse de la boule 𝐴 étant égale à celle de la boule 𝐵. Transposée dans le plan, le choc de la boule tirée sur un ensemble de boules placées dans le plan provoque l’écartement des boules équidistantes. Il s’ensuit la propagation d’une onde longitudinale circulaire15. Huygens applique son mécanisme à la flamme d’une chandelle. 15 Ch.1 Des rayons directement étendus, p. 14 et 15 du traité de la lumière, Disponible sur la toile, édition préfacée par W. Burckhardt, Lipsiae, Gressner & Shramm : http://iris.univ-lille1.fr/bitstream/handle/1908/3089/79657.pdf?sequence=1 ou bien http://iris.univlille1.fr/handle/1908/3089, et p. 138 Une histoire de la lumière, B. Maitte, Éditions du Seuil, 2015. 7 Les nombreuses particules vibrantes qui composent la source communiquent leurs vibrations aux particules d’éther adjacentes. Ainsi, comme pour le son, en chaque point de la source est émise une onde qui se propage selon des cercles concentriques ayant pour centre ce point lumineux et chaque point d’une onde est aussi un point d’émission d’une autre onde secondaire. L’ébranlement qui est émis à partir de sa source se renforce en s’additionnant avec les ondes secondaires, mais l’effet de l’ébranlement ne prend une valeur notable que sur l’enveloppe commune qui constitue l’onde principale16. L’enveloppe est une surface d’onde qui se propage à l’infini. Vitesse de la lumière dans les milieux matériels, nouvelle démonstration de la loi de Descartes Huygens explique que la lumière va moins vite dans un milieu dense que dans un milieu moins dense. Pour cela, il doit faire des hypothèses sur la structure de la matière et ses constituants. On conçoit facilement que les gaz et les liquides sont formés de particules non jointives et permettent la vibration des particules d’éther se faufilant partout autour d’elles. Qu’en est-il des solides ? Fort de la théorie des chocs de l’époque, Huygens remarque que les solides laissent passer la gravité, l’aimantation, et pour certains la lumière. Ils possèdent donc aussi une structure discontinue, et de plus cette structure permet la libre circulation de l’éther autour de leurs constituants. Dans ces conditions, les particules de solide vibrent ou ne vibrent pas conjointement à l’éther, mais dans les deux cas elles gênent la propagation de l’onde, elle est ralentie. La vitesse de la lumière est donc plus faible dans un milieu dense que dans un milieu moins dense17. 16 P. 68, O. Darrigol, A history of Optics, Oxord University Press, 2012. P. 145 Une histoire de la lumière, B. Maitte, Éditions du Seuil, 2015. Une justification de la libre circulation de l’éther entre les constituants d’un solide est donnée grâce à l’observation d’un tube barométrique empli de mercure. 17 8 Fig. p.28 chapitre III de Huygens18 Fig. commentée précédente Une onde plane 𝐴𝐶 arrive sur la surface de séparation 𝐴𝐵 entre deux milieux. Elle est perpendiculaire aux rayons incidents 𝐷𝐴 et 𝐻𝑀. Au cours du temps ; l’onde arrive en 𝐴𝐶, puis en 𝐾𝐿 et enfin en 𝐵𝐺. Chaque point 𝐾 de la surface de séparation est point d’émission d’ondes secondaires dont l’enveloppe commune, le plan 𝑁𝐵 constitue l’onde réfractée, le rayon réfracté est 𝐴𝑁 qui lui est perpendiculaire. Huygens commence par traiter le cas pour lequel le deuxième milieu est plus dense que le premier. Soit 𝑣1 la vitesse de la lumière dans le premier milieu et 𝑣2 dans le deuxième milieu, 𝑣1 > 𝑣2 . On a 𝑎𝑛𝑔𝑙𝑒 𝐵𝐴𝐶 = 𝑖 = 𝑎𝑛𝑔𝑙𝑒 𝐷𝐴𝐸 𝑒𝑡 sin 𝑖 = 𝐵𝐶 𝑎𝑛𝑔𝑙𝑒 𝐴𝐵𝑁 = 𝑟 = 𝑎𝑛𝑔𝑙𝑒 𝑁𝐴𝐹 𝑒𝑡 sin 𝑟 = 𝐴𝑁 Donc sin 𝑖 𝐵𝐶 = sin 𝑟 𝐴𝑁 Or 𝐵𝐶 = 𝐴𝐺 est le chemin parcouru par la lumière s’il n’y avait pas eu le deuxième milieu, donc les deux longueurs 𝐵𝐶 et 𝐴𝑁 sont dans le même rapport que les vitesses de la lumière dans ces deux milieux, soit 18 Dans Le traité de la lumière, édition préfacée par W. Burckhardt, Lipsiae, Gressner & Shramm, disponible sur le Web : http://iris.univ-lille1.fr/bitstream/handle/1908/3089/79657.pdf?sequence=1 ou bien http://iris.univlille1.fr/handle/1908/3089. 9 𝐵𝐶 𝑣1 = 𝐴𝑁 𝑣2 Et Huygens a redémontré la loi de Descartes dans le cadre de sa théorie ondulatoire19 sin 𝑖 𝑣1 = sin 𝑟 𝑣2 Ensuite, Huygens traite le cas inverse, le premier milieu est plus dense que le deuxième. Outre l’interprétation physique reposant sur des collisions élastiques donné par Huygens pour justifier le fait que 𝑣2 < 𝑣1 , Huygens conforte ce résultat en redémontrant le principe de Fermat (1660-1662) par sa théorie ondulatoire, ce qu’il obtient dans une démonstration courte et élégante. Bref résumé sur le problème des deux résulta ts contra dictoires 1637 : Descartes affirme que la lumière est constituée de petites "boules" dures parfaitement rigides obéissant aux lois du mouvement de la mécanique des chocs qu’il décompose en deux composantes horizontale et verticale. La théorie repose sur une conception inélastique des interactions. A cause de la très grande rigidité des "boules", la lumière suit la direction unique prise par la boule. 1660-1662 : Fermat avait choisi d’affirmer que la lumière va moins vite dans les milieux denses que dans les milieux moins denses, car cela suivait le bon sens. Avec cette hypothèse, son principe repose sur la démonstration rigoureuse et mathématique de l’affirmation que la lumière suit le chemin le plus court en temps parmi tous ceux qui sont susceptibles d’être parcourus par la lumière. 1678-1690 : Huygens, comme Descartes utilise des "boules", mais elles n’ont pas de mouvement propre comme en mécanique, ce sont des "boules" d’éther dont les ébranlements se propagent couplés à la nature physique discontinue de la matière. Ces "boules" sont dotées d’une élasticité assurant la diffusion de la lumière : la théorie repose sur une conception élastique des interactions. Les ébranlements se propagent dans les trois directions de l’espace. Ces deux théories, corpusculaire de Descartes et ondulatoire de Huygens appuyée par le principe de Fermat, sont parfaitement logiques, bien que la notion de mouvement n’en est encore qu’à ses grands débuts. Aux yeux des physiciens modernes, puisqu’on a parlé de non-élasticité chez Descartes et d’élasticité chez Huygens, on serait tenté d’associer une 19 La méthode de construction graphique du rayon réfracté enseignée aujourd’hui dans les cours élémentaires d’optique géométrique suit exactement la démonstration de Huygens. 10 notion d’énergie à chacune de ces deux théories, mais l’énergie était loin d’être comprise et précisée à l’époque20. Ce serait hautement anachronique. Il est donc remarquable que ces deux théories expliquent chacune un même fait expérimental (la réfraction de la lumière) avec des résultats pleinement contradictoires : 𝑣𝑚𝑖𝑙𝑖𝑒𝑢 𝑑𝑒𝑛𝑠𝑒 > 𝑣𝑚𝑖𝑙𝑖𝑒𝑢 𝑚𝑜𝑖𝑛𝑠 𝑑𝑒𝑛𝑠𝑒 𝑣𝑚𝑖𝑙𝑖𝑒𝑢 𝑑𝑒𝑛𝑠𝑒 < 𝑣𝑚𝑖𝑙𝑖𝑒𝑢 𝑚𝑜𝑖𝑛𝑠 𝑑𝑒𝑛𝑠𝑒 dans une théorie corpusculaire. dans une théorie ondulatoire. Le problème étant théorique, et en vertu de sa gravité, de son caractère fondamental et de son enjeu, le physicien moderne pourrait penser qu’il aurait été idéal d’approfondir les deux aspects corpusculaire et ondulatoire sur un pied d’égalité, mais encore une fois, c’est anachronique et cela ne pouvait pas se passer ainsi. Une telle contradiction suggèrait l’élimination sans concession d’une des deux théories de la lumière. Laquelle ? Sur quels critères ? Le choix s’imposa d’emblée, c’est la théorie ondulatoire qui s’est vue évincée. En Angleterre, tous les physiciens sauf Hooke ou quelques savants isolés ont adopté la théorie corpusculaire que Newton (1643-1727) a développée après Descartes. La complexité structurelle de l’éther qui de surcroît emplissait l’univers, s’opposait au vide requis dans la théorie gravitationnelle newtonienne, même si le vide gênait Newton sur un plan philosophique. L’éther constituait un argument fort contre la théorie ondulatoire et semblait rappeler les mouvements antiques d’Aristote bien révolus au vu des mouvements de chute des corps étudiés par Galilée et des planètes étudiés par Newton. Ce dernier, scientifique puissant, auteur de la théorie gravitationnelle, imposa la théorie corpusculaire de la lumière qui pourtant connut aussi de bien grandes difficultés. Mais les doutes grandissant sur la théorie corpusculaire ont été lents. Les beaux résultats de la théorie ondulatoire ont beaucoup peiné à faire surface. L’histoire fut privée du développement de l’optique ondulatoire après Huygens et ce jusqu’au début du XXème siècle. Fresnel réussit à imposer la théorie ondulatoire grâce à des développements mathématiques relevant de techniques calculatoires très poussées dont les résultats irréfutables furent validés par l’expérience (point de Poisson). Mais revenons aux XVIIe et XVIIIe siècles pour reprendre la théorie corpusculaire que Newton a reprise après Descartes. 20 1638 : Galilée remarque l’échange entre hauteur et vitesse (au carré ?) dans le mouvement d’un pendule. 1676 : Leibniz formalise mathématiquement la vis viva, notre énergie cinétique. 11 La théorie corpuscula ire de Newton Philo so p hic a l Tra nsa c tio ns,1672, Op tiq ue, 170421, à la fin des Princ ip ia , 1687. Pour Newton, la lumière ne peut pas être de nature ondulatoire car les ondes contournent les obstacles, ce que ne fait pas la lumière. Celle-ci, comme tout mouvement doit obéir aux lois de la mécanique. L’univers newtonien est vide et la matière n’est présente que dans des espaces très réduits. Un rayon lumineux tel qu’on le voit est constitué de corpuscules qui se suivent les uns derrière les autres le long d’une ligne droite, ils ne sont soumis à aucune force dans le vide, dans l’air ou quand ils traversent un matériau, leur mouvement est dû à leur propre inertie. Mais, à la surface séparant deux matériaux, il en va autrement, le corpuscule subit une interaction qui le fait dévier. Comme nous l’avons vu, cette interaction était un choc subi par le corpuscule dans l’interprétation de Descartes. Pour Newton, un choc n’est pas possible pour les raisons suivantes. Considérons par exemple les corpuscules de lumière dans un rayon qui est réfléchi. Si ceux-ci rebondissaient sur la surface de séparation, la rugosité de la surface devrait influer sur l’aspect du rayon réfléchi, parce que les dimensions des imperfections granulaires des surfaces aussi méticuleusement polies soient elles, sont toujours de dimensions très supérieures à celle du rayon lumineux. Or il n’en est rien : le rayon réfléchi garde son aspect finement rectiligne quelle que soit la rugosité de la surface. Mais il a une autre raison. Comme Grimaldi, Newton observe, dans le cas de la réflexion pour prendre un exemple simple, que l’intensité lumineuse varie avec l’angle d’incidence et le matériau choisi. Sur les figures ci-dessous22, nous illustrons le cas d’un même faisceau incident sur des matériaux différents. 21 22 Isaac Newton, Optique, édition de 2015 présenté par M. Blay, Dunod. P.182 dans Une histoire de la lumière, B. Maitte, Éditions du Seuil, 2015. 12 S’il y a choc avec effet de rebondissement sur les particules de matériau, alors le nombre de chocs est d’autant plus important qu’il y a de particules dans le matériau responsable de la réflexion et l’intensité lumineuse réfléchie en est d’autant plus importante. Dans ces cas choisis, pour un même faisceau incident, on a 𝐼1 > 𝐼2 et 𝐼2 > 𝐼3 . On en déduit qu’il y a plus de particules dans le vide que dans l’air et plus dans l’air que dans le verre. Ceci n’est évidemment pas possible et la modélisation par des chocs ne tient pas. Par conséquent, compte tenu de la régularité parfaite de la réflexion et de l’impossibilité qu’un corpuscule subisse un choc, le corpuscule lumineux, selon Newton, ne peut que subir une force à distance au niveau de la surface de séparation. Newton propose une force qui agit juste avant et juste après la surface sur une très faible épaisseur. Cette force inspirée directement de sa théorie de la gravitation explique la réflexion, la réfraction et la diffraction. La réfraction Pour ce qui est de la réfraction, une force 𝐹⃗ perpendiculaire à la surface et ne dépendant que de la distance à cette surface agit sur les corpuscules de lumière. La composante parallèle est conservée. 13 Nous pourrions à nouveau tracer ici un schéma géométrique donnant les composantes du mouvement et nous verrions que la décomposition est analogue à celle que nous avons déjà rencontrée dans l’étude de la réfraction de Descartes. Newton obtient donc aussi la loi des sinus pour la réfraction 𝑠𝑖𝑛 𝑖 = 𝑛 sin 𝑟 où 𝑛 donne une valeur quantitative de la force entre corpuscules qui se traduit dans le cas de la lumière par le rapport des indices de réfraction. Or comme conséquence de sa théorie à vérifier, Newton pose que l’indice de 𝑣 réfraction est proportionnel à la vitesse de la lumière, 𝑛 = 𝑣2 où 𝑣1 est la vitesse de la 1 lumière dans le premier milieu et 𝑣2 dans de second. 𝒔𝒊𝒏 𝒊 = 𝒗𝟐 𝐬𝐢𝐧 𝒓 𝒗𝟏 La force 𝐹⃗ s’oppose au mouvement lorsqu’on passe du verre dans l’air, elle ralentit le mouvement dans l’air comme on peut le voir sur la figure ci-dessous. Newton justifie ceci en disant que "les corps transparents [ont] assez de pores libres pour transmettre la lumière" 23. Et, sous l’action de cette force de ralentissement, la trajectoire des corpuscules est parabolique sur la faible épaisseur où la force agit. Il correspond à un mouvement - à l’envers- de chute libre des corps avec conservation de la quantité de mouvement sur l’axe horizontal. En dehors de cette action, la trajectoire est rectiligne. Newton explique que les détails infinitésimaux au niveau de la surface ne se voient pas et ce qu’on n’observe est une ligne brisée entrante puis sortante. Le corpuscule lumineux de Newton est identifié au corpuscule de matière qui subit effectivement la force due à la surface tandis que Descartes ne pouvait pas identifier le corpuscule lumineux à la balle à cause de la différence de comportement par rapport à la normale. Dans le cas du passage du verre dans l’air, le corpuscule comme la lumière s’écarte de la normale, ce qui est bien observé en optique. La lumière va moins vite dans l’air que dans le verre. Si maintenant on passe de l’air dans le verre, la particule ou le rayon est accéléré, la force est dirigée vers le verre. 23 Cité par B. Maitte, Une histoire de la lumière, Éditions de Seuil (2015), p. 185. La loi des sinus reposant sur la trajectoire parabolique due à une force constante est donnée dans les Principia (1987). 14 Dans le cas du passage de l’air dans le verre, le corpuscule comme la lumière se rapproche de la normale, ce qui est bien observé en optique. La lumière va moins vite dans l’air que dans le verre24. Mais la situation est plus complexe, il faut aussi expliquer les autres phénomènes lumineux comme la dispersion de la lumière par un prisme. La dispersion de la lumière Pour convaincre ses adversaires, Newton effectua de très nombreuses expériences afin de prouver que la lumière blanche n’est pas homogène, mais composée de plusieurs couleurs25. Il prouve que les couleurs sont le fait de propriétés intrinsèques à la lumière et non produites par les matériaux. Par réfraction, le prisme sépare la lumière blanche provenant du point 𝐹en cinq couleurs. La lentille a pour rôle de focaliser le faisceau. Le point 𝐼 est le point de focalisation de la lumière lorsqu’il n’y a pas de prisme. 24 Ce paragraphe et les figures sont repris d’après B. Maitte, Op. cité, p. 182. Elles sont décrites dans le livre premier, p. 115 de l’édition de 2015 de l’Optique déjà citée. Nous reprenons la figure 24 citée p. 95 par O. Darrigol dans A history of Optics, Oxford (2012). 25 15 Donnons une image actuelle en couleurs pour plus de précision. À chaque couleur correspond une déviation particulière. Selon le principe de Newton 𝐹⃗ = 𝑚𝑎⃗, pour une même force agissant sur un corps, sa déviation est d’autant plus importante que sa masse est faible. Il existe donc des corpuscules de masse différente, et il y une relation biunivoque entre les couleurs et les masses26. La dispersion de la lumière par un prisme s’explique alors : la déviation de la lumière rouge est moins importante que celle de la lumière bleue parce que le rouge possède une masse plus importante que le bleu. Mais aussi le rouge est moins dévié parce que le rouge est plus rapide. Donc à chaque couleur correspond une vitesse. En final, Newton joue avec des corps pesants et des particules supposées être des particules lumineuses qui se meuvent dans différents milieux. La dispersion s’interprète comme autant de diffractions qu’il y a de couleurs dans le faisceau incident de lumière blanche. Newton a tenté de relier l’indice de réfraction aux caractéristiques physiques des corpuscules de couleur et d’en tirer une description mécanique. Il a aussi donné une démonstration de la « loi de conservation de l’énergie »27 1 2 𝑚(𝑣 ′ − 𝑣 2 ) = ∫ 𝐹(𝑥)𝑑𝑥 2 𝒫 où 𝑣 est la vitesse initiale, 𝑣′ est la vitesse finale, la force 𝐹 = 𝑚𝑓 est exprimée par la force réfringente 𝑓 par unité de masse. Δ = ∫ 𝐹(𝑥) 𝑑𝑥 est le travail28 de la force sur le parcours 𝒫 où elle agit. 𝑓 est supposée constante sur le parcours 𝒫. De sin 𝑖 = 𝑣′ 𝑣 sin 𝑟 = 𝑛 sin 𝑟 , on obtient 𝑛2 − 1 = 2 1 𝑣 ′ −𝑣 2 introduisant 𝜌 la densité du milieu, 𝜌 ( 𝑣2 )= 2∆ 𝑚𝑣 2 , ce qu’on peut aussi écrire en 𝑛2 −1 𝜌 . Newton a ainsi obtenu une relation très intéressante entre l’accroissement du carré des vitesses et la quantité ∆ « proportionnelle à l’intensité des forces attractives » qui représente le « pouvoir réfringent des corps »29. Mais la description de l’interaction lumière-matière à partir de là pose 26 Les corpuscules pourraient aussi avoir des tailles différentes. Entre guillemets, car elle n’était pas encore correctement formalisée à l’époque. 28 La notion de travail n’existait pas au temps de Newton, nous modernisons ici le raisonnement de Newton. 29 Histoire de l’optique ondulatoire, André Chappert, p.17. 27 16 beaucoup de problèmes à Newton30. Il élabore des raisonnements très compliqués dans lesquels lui-même parvient difficilement au bout. En particulier, comment dans un tel contexte, expliquer la réflexion partielle ? On sait bien qu’un rayon incident donne à la fois un rayon réfléchi et un rayon transmis par réfraction d’intensité différente. On ne peut que constater que l’expression des forces en jeu n’est pas modélisable sous forme mathématique, en particulier il faut que certaines soient attractives et d’autres répulsives. Newton pensait que les lois de la nature étaient analogues sur différentes échelles de grandeur et différents types de phénomènes physiques, il appliquait donc les lois de la mécanique macroscopique à des corpuscules de lumière. Mais alors, puisqu’il était si proche d’appliquer un effet gravitationnel à la lumière, pourquoi n’a-t-il pas pensé et calculé la déviation de la lumière dans un champ gravitationnel31 ? Cette idée était bien présente à l’esprit de Newton dans l’explication de la réflexion et de la réfraction de la lumière et il a bien écrit dans son Optique « Do not Bodies act upon Light at a distance, and by their action bend its Rays ; and is not this action (caeteris paribus) strongest at the least distance ? »32. Il aurait été naturel pour Newton qui avait débattu de problèmes de mécanique céleste autrement plus compliqués, d’attaquer cette question. Il ne l’a pas fait. Cette question fut reprise environ 80 ans plus tard, probablement vers 1784 par Cavendish (1731-1810) qui n’a publié qu’une petite partie de ses résultats. Plus de cent ans plus tard, en 1801, von Soldner (1776-1833) a fait également le calcul de la déviation de la lumière dans le cadre de la mécanique newtonienne qui concorde au premier ordre avec celui de Cavendish33. Pour rester dans le thème de la dispersion de la lumière par un prisme qui, nous allons le voir, peut être utilisé comme un outil de mesure de la vitesse de la lumière, nous présentons maintenant la réfraction corpusculaire formalisée dans cet objectif et nous présentons juste après sur le calcul de von Soldner. 30 p. 96 dans A history of Optics, Oxford (2012) de O. Darrigol. Johann Georg von Soldner and the Gravitational Bending of Light, with an English Translation of His Essay on It Published in 1801, Stanley L. Laki, Foundations of Physics, Vol. 8, Nos 11, Dec 1978, pp. 927-950 (Springer). 32 Cité p. 930 dans l’article de Stanley L. Laki cité ci-dessus. 33 Henry Cavendish, Johann von Soldner and the deflection of light, Clifford M. Will, Am. J. Phys 56(5), May 1988, pp.413-415. 31 17 La vitesse de la lumière peut-elle être mesurée pa r un prisme ? La théorie corpusculaire a eu encore une longue vie après Newton, malgré de nombreuses incohérences. Elle a été affinée dans le début des années 1800 par Laplace, Malus et Biot entre autres dans l’étude da la trajectoire d’un rayon lumineux traversant l’atmosphère. Déjà en 1786, Robert Blair (1748-1828), suivant Michell (1724-1793), proposa de mesurer la vitesse de la lumière à l’aide d’un prisme34. Le principe Reprenons la loi de conservation de l’énergie de Newton35 (𝑣𝑟2 − 𝑣𝑖2 ) = 2 ∫ 𝑓(𝑥)𝑑𝑥 𝒫 On suppose ∫𝒫 𝑓(𝑥)𝑑𝑥 = 𝑘 2 constante, 𝑣𝑟2 − 𝑣𝑖2 = 𝑘 2 . De 𝑠𝑖𝑛 𝑖 = 𝑣𝑟 𝑣𝑖 sin 𝑟, on obtient 𝑘2 𝑠𝑖𝑛 𝑖 = √1 + 𝑣2 sin 𝑟 . 𝑖 L’angle de réfraction d’un corpuscule de lumière est fonction de sa vitesse incidente 𝑣𝑖 . Pour un angle d’incidence 𝑖 donné, lorsque 𝑣𝑖 augmente, sin 𝑟 augmente, C’est-à-dire plus la vitesse du corpuscule lumineux incident est importante, moins la déviation est grande. 34 Nous suivons ici l’article de J. Eisenstaedt et M. Combes Arago et la vitesse de la lumière (1806-1810), un manuscrit inédit, une nouvelle analyse, Revue d’histoire des sciences 64 (2011), pp. 59-120, p.69. 35 Ce sont en fait les termes de Clairaut dans son article de 1741, comme le mentionnent J. Eisenstaedt et M. Combes dans leur article cité ci-dessus. 18 L’expérience36 Un corpuscule lumineux arrive perpendiculairement sur un prisme d’ouverture 𝛼 avec une vitesse 𝑉1. Non dévié, il est simplement accéléré par la force 𝑓 réfringente, puis il attaque la seconde face du prisme sous l’angle d’incidence 𝛼 avec la vitesse 𝑉2 ; 𝑉2 > 𝑉1. Sur cette seconde face, le corpuscule est dévié par réfraction sous un angle 𝑟 avec la vitesse 𝑉3. On a 𝑉22 − 𝑉12 = 𝑘 2 et 𝑉22 − 𝑉32 = 𝑘 2 puisque 𝑉3 < 𝑉2 . Alors 𝑉1 = 𝑉3 = 𝑉 Comme 𝑠𝑖𝑛 𝑟 = 𝑛 sin 𝛼 avec 𝑛 = 𝑉2 𝑉 et 𝑉22 − 𝑉 2 = 𝑘 2 𝑠𝑖𝑛 𝑟 = √1 + 𝑘2 sin 𝛼 𝑉2 Conclusion : Une mesure de 𝑟 donne la valeur de la vitesse 𝑉 de la lumière. Pour des raisons de calibration, il convient de mesurer non pas la vitesse de la lumière provenant d’une seule étoile, mais celle provenant de deux étoiles différentes frappant le même prisme sous le même angle d’incidence. On suppose que les valeurs des deux vitesses sont différentes et on mesurera a priori deux réfractions différentes. Il s’agit donc de différencier la formule que nous venons d’obtenir. Entre 1806 et 1810, Arago effectua de nombreuses expériences avec des prismes différents, simples ou non, et d’angles différents ; il mesura la réfraction de la lumière provenant d’étoiles dotées de mouvements très divers par rapport à la terre. Mais les résultats obtenus furent négatifs : les écarts entre les déviations ne dépassent pas 5’’, elles sont donc presque constantes pour un prisme donné. Cela signifie que la vitesse de la lumière ne varie pas plus de 2. 10−4 , elle peut être donc considérée comme constante. En réalité ces expériences mesuraient notre effet Doppler actuel qui ne sera formulé par Doppler qu’en 1842. On sait aujourd’hui expliquer pourquoi Arago ne pouvait observer un tel effet (entre autres, il faut un prisme dispersif pour séparer les raies), mais Arago ne put expliquer ses résultats dans le cadre d’une théorie corpusculaire. Comment est-il possible que la vitesse de la lumière soit constante ? Les résultats d’Arago montrent le manque de moyens de l’époque pour mesurer l’effet Doppler, Biot se doute bien qu’il y a quelque chose qui leur échappe, mais il pense 36 Nous suivons toujours l’article de J. Eisenstaedt et M. Combes. 19 que cela ne nécessite pas de remettre en cause la théorie corpusculaire : « l’expérience faite au moyen du prisme, prouve que la déviation apparente est encore insensible par des causes qui, à la vérité, ne nous pas jusqu’à présent bien connues »37. La théorie corpusculaire va encore être appuyée pendant quelques années par Biot, Laplace et Poisson notamment. Mais les expériences d’Arago constituent une étape de la plus haute importance conceptuelle pour nous physiciens modernes dans la compréhension de la relativité galiléenne. 37 Citation extraite du même article ci-dessus d’Eisenstaedt et Combes déjà cité. 20