C. Plaussu L’Encéphale, 2006 ;
32 :
553-6, cahier 2
S 554
Le motif de la consultation le plus fréquent :
la dépression
80 % des dépressions sont diagnostiquées et traitées
en médecine générale. La difficulté majeure est de faire
la distinction entre dépression unipolaire et dépression
bipolaire.
La bipolarité est rarement évoquée lors d’un épisode
dépressif. Le diagnostic de dépression bipolaire est sous-
diagnostiqué lors d’un épisode dépressif et 1/3 des dia-
gnostics de dépressions unipolaires seraient erronés et
correspondraient à celui de dépression bipolaire. De nom-
breux patients atteints de troubles bipolaires sont ainsi
traités comme des unipolaires. Ceci concerne particuliè-
rement les bipolaires de types II car l’hypomanie est fré-
quemment ignorée et confondue avec la phase de réso-
lution d’un état dépressif. Une autre difficulté est
représentée par l’épisode dépressif inaugural. La moitié
des troubles bipolaires est inaugurée par un épisode
dépressif, sans notion d’épisode maniaque ou hypoma-
niaque antérieur. Le principal motif de consultation est
donc de nature dépressive.
Les conséquences de cette mauvaise évaluation dia-
gnostique peuvent être graves et mettre en jeu le pronos-
tic. La prescription incontrôlée d’antidépresseurs peut pro-
voquer une instabilité thymique, induire des épisodes
maniaques et hypomaniaques, être à l’origine d’une accé-
lération des cycles, voire chez certaines personnes aug-
menter l’irritabilité, l’agressivité et favoriser un passage à
l’acte suicidaire.
Devant la fréquence des troubles bipolaires et l’impor-
tance de l’enjeu pronostique, la recherche de signes de
bipolarité devrait être systématique devant tout épisode
dépressif. Elle devrait répondre à une codification afin de
faciliter la démarche diagnostique :
– Prise en compte des antécédents familiaux qui ne se
limitent pas simplement à rechercher des troubles de
l’humeur chez les ascendants et collatéraux. L’existence
ou non d’un alcoolisme, de troubles du comportement,
d’une originalité, de suicides ou de tentatives de suicides,
de troubles anxieux, de troubles des conduites alimen-
taires, de troubles obsessionnels doivent être recherchés.
– Parmi les antécédents personnels, les manifesta-
tions pouvant témoigner d’un trouble de l’humeur pourront
orienter le diagnostic vers un trouble bipolaire : période
d’euphorie et d’excitation, de dépenses excessives, com-
portements originaux, tentatives de suicide, problèmes
avec la justice, alcoolisme, conduites à risque ou exces-
sive, crises de violence ou d’agressivité, la notion d’une
cassure par rapport à l’état antérieur, d’un changement,
d’une modification du caractère, la notion d’un virage de
l’humeur lors d’une prescription préalable d’antidépres-
seurs…
– Chez la femme, des troubles de l’humeur survenant
dans les suites de l’accouchement et avant le retour de
couches peuvent faire évoquer une bipolarité.
– Un âge de début précoce au moment de l’adoles-
cence ou au début de l’âge adulte est un indice à prendre
en compte, le trouble unipolaire ayant un début plus tardif.
– Un tempérament de base de type hyperthymique
caractérisé par une hyperactivité, une hypersyntonie, des
projets multiples, une sociabilité excessive peuvent orien-
ter aussi le diagnostic. D’autres traits de personnalité sont
fréquemment retrouvés chez les patients bipolaires :
hypersensibilité, dépendance affective, recherche de sen-
sations fortes…
– La symptomatologie dépressive évoquant une bipo-
larité peut présenter une ou plusieurs particularités :
symptômes psychotiques, altération du rythme circadien
avec inhibition psychomotrice majeure le matin et atté-
nuation en fin de journée, hypersomnie, hyperphagie, inhi-
bition psychomotrice pouvant aller jusqu’à un blocage de
la pensée, labilité de l’humeur. Le ralentissement psycho-
moteur et l’anhédonie sont au centre de la symptomato-
logie.
– D’autres symptômes n’ont pas de spécificité propre
mais sont fréquemment observés : irritabilité, agressivité,
réaction de colère, sensitivité excessive, émoussement
affectif pouvant aller jusqu’à une incapacité à pleurer et
ou à exprimer des affects négatifs.
– Le début et la fin des épisodes sont plus aigus. La
durée des épisodes est plus courte que celle des unipo-
laires.
Le trouble de l’humeur peut s’exprimer
sous une forme atténuée
Les formes atténuées sont aussi de diagnostic difficile
et rarement un motif de consultation. C’est le conjoint ou
un autre membre de l’entourage familial qui, lors d’une
consultation, évoque des problèmes relationnels qui peu-
vent témoigner d’une hypomanie ou d’une cyclothymie.
L’hypomanie est un état vécu comme avantageux et
non pathologique par le patient qui ne consulte pas. Il est
en hyperactivité, d’humeur joviale mais présente parallè-
lement un trouble du caractère, une altération du jugement
pouvant le conduire à prendre des risques.
La cyclothymie se définit par une succession de pério-
des d’hypomanie et de dépression sur une durée de plus
de 2 ans.
Ces formes hypomaniaques et cyclothymiques ne sont
pas souvent diagnostiquées, car difficiles à différencier
des variations normales et excessives de l’humeur.
Le trouble de l’humeur peut être masqué
par d’autres troubles
On évoque souvent le terme de comorbidité, c’est-à-
dire de la coexistence de plusieurs pathologies. La fré-
quence des comorbidités est évaluée à plus de 65 % des
cas. Les abus, plus fréquents que les consommations
régulières et excessives, concernent toutes les catégories
de toxiques avec une prédominance de l’alcool. Les
dépendances tabagiques doivent faire rechercher un trou-
ble de l’humeur sous-jacent. Il est fréquent de constater
une augmentation de la consommation de cigarettes lors