Extrait de la publication Extrait de la publication Extrait de la publication AU LECTEUR L'oeuvre de l'anthropologiste Marcel Jousse tout entière se développe et rayonne à partir d'une intuition centrale le Mimisme humain. De quelque côté qu'on aborde cette œuvre, on retrouve cette profonde saisie anthropologique. LE PARLANT, LA PAROLE ET LE SOUFFLE composé de plusieurs études de Marcel Jousse, en est un nouvel exemple et se révèle l'indispensable complément de L'Anthropologie du Geste et de La Manducation de la Parole, précédemment publiés 1. En effet, si l'on trouve, dans ces textes, certains thèmes déjà abordés dans les deux précédents ouvrages, ces thèmes étaient alors étudiés d'une façon plus générale, au niveau de l'expression globale, tandis qu'ici, ils sont étudiés avec beaucoup plus de précision et développés surtout au niveau de l'anthropologie du Langage. i. Éd. Gallimard, collection « Voies ouvertes », Paris, 1974-1975. Extrait de la publication Le Parlant, la Parole et le Souffle Dans les deux premiers mémoires qui constituent les premiers chapitres du présent ouvrage, Jousse, partant de la loi spécifique du Mimisme humain, nous tient dans l'anthropologique en général Mimisme humain et Style corporel-manuel Mimisme humain et Anthropologie du Langage De là, saisissant l'homme jusque dans sa structure physiolo- gique, Jousse nous fait entrer dans l'étude des procédés techniques de son expression orale Bilatéralisme humain et Anthropologie du Langage Peu à peu, il déborde l'aspect linguistique pour entrer dans les mécanismes explicatifs et nous conduit à l'ethnologie en particulier à l'ethnologie palestinienne, en étudiant Formulisme et Anthropologie du Langage Sa pénétration anthropologique le fait même déboucher au seuil de la théologie par la pédagogie d'Israël Père, Fils et Paraclet dans le Milieu ethnique palestinien2 C'est ce mémoire qui fournit le titre de l'ouvrage le PARLANT, la PAROLE et le SOUFFLE. Trois mots, trois simples mots qui saisissent le mécanisme anthropologique jusque dans la formulation du mystère trinitaire chrétien. 2. Rappelons que le mot « palestinien », dans les travaux de l'anthro- pologiste Marcel Jousse, s'applique à un milieu culturel bien déterminé la fraction du c peuple de la Bible » qui habitait encore, au premier siècle de notre ère, la terre dite autrefois de Canaan et à laquelle le conquérant romain donna le nom de Palestine qui lui resta. Extrait de la publication Au lecteur Judâhen Judéen, Judaïste dans le Milieu ethnique palestinien Dans cette étude finale, Jousse nous fait constater que tous ces mécanismes profondément anthropologiques se particularisent selon des ethnies bien définies. Ce n'est pas seulement la doctrine qui joue, mais le terroir. Conclusion La tradition gallo-galiléenne. S'étant saisi dans son approfondissement anthropologique et son enracinement de terreux, Marcel Jousse « se connaît » paysan gallo-galiléen. Les publications de Jousse étaient surtout des aide-mémoire pour les auditeurs de ses cours. C'est pourquoi il nous a paru indispensable de détendre la densité de ces textes par de nombreuses et importantes notes tirées de ses cours oraux 3. Nous avons ainsi le professeur vivant expliquant sa page écrite. Ces annotations peuvent donc grandement contribuer à une plus parfaite compréhension du texte dont la cohérence interne et la profondeur presque inépuisable ne peuvent que frapper le lecteur. Gabrielle Baron. 3. Ces cours oraux qui avaient été pris en sténotypie sur son ordre, Jousse nous les a personnellement confiés. Son enseignement s'est étendu sur une période de vingt-cinq années (de 1932 à 1957). Nous avons utilisé les notations suivantes pour désigner les auditoires aux- quels s'adressaient les cours dont nous citons les extraits H.E. = Ecole des Hautes Etudes; E.A. = Ecole d'Anthropologie; S. = Sorbonne; Labo. = Laboratoire de Rythmo-pédagogie. Nous pensons être utile au lecteur en ajoutant des sous-titres au texte comme nous l'avons fait pour les deux ouvrages précédents L'Anthropologie du Geste et La Manducation de la Parole. Extrait de la publication PRÉFACE Les thèmes joussiens pour le lecteur qui aura franchi L'Anthropologie du Geste et La Manducation de la Parole ne lui sont plus étrangers. Toutefois, ces trois livres, posthumes, n'épuisent pas V œuvre de Marcel Jousse puisqu'il reste la totalité de ses cours dactylographiés. Une exégèse à la mesure de cette œuvre reste à faire. Plusieurs lectures de Marcel Jousse ont été proposées celle de médecins, dont celle du Docteur Joseph Morlaâs l'une des plus anciennes et des plus probantes celle de critiques littéraires, celle de pédagogues, d'exégètes bibliques, de philosophes, celle de Gabrielle Baron bien sûr, « rejouant » un homme dont elle suivit l'itinéraire et nous donnant, par là même, un livre de référence essentiel. Pourtant Jousse se pose comme un anthropologue. Or peu d'hommes de cette catégorie n'en ont proposé une lecture. On peut en déceler des traces chez Leroi-Gourhan, mais celui-ci ne cite pas Jousse. Il reste donc aux anthropologues à dire leur mot. C'est ce que nous tentons dans cette préface. Toutefois, les anthropologues aiment la totalité et celle-ci est fonction de cette exégèse dont nous parlions. Notre lecture ne sera donc que partielle, mais il vaut déjà la peine de marquer un étonnement et une interrogation face à une œuvre qui, si elle ne repose pas sur une analyse de terrain, n'en propose pas moins un mouvement vers l'Autre. Extrait de la publication Préface L'anthropologue se dit tel aujourd'hui pour diverses raisons. Les uns projettent le qualificatif même de l'anthropologie sociale ou de l'anthropologie culturelle. Il y a là un glissement de terme, une adaptation méthodologique, mais rien qui soit fondamentalement différent de ce qu'on appelle en français l'ethnologie. Il y a toutefois longtemps que l'ethnologie est pluridisciplinaire à travers les données qu'elle commente. Sa visée est de parvenir à une interdiscipline, laquelle, n'étant plus une superposition de connaissances encyclopédiques, se réalise dans une œuvre où chaque analyse respecte les conditions de validité de chaque discipline impliquée. Tel est l'autre éclairage de l'anthropologie, celui. qui justifie le mot et celui qui fonde une réflexion englobante, face à la multiplicité des faits et à l'autonomie des approches. Les auteurs qui ont parlé de Marcel Jousse ont toujours souligné combien son œuvre est interdisciplinaire. Il resterait à faire la jonction, quitte à clarifier les voies qui vont de Marcel Jousse à l'anthropologie actuelle du langage. Il est prématuré de le tenter, mais il est certain que Jousse est un précurseur. Sa problématique fondamentale le prouve. Toute son œuvre est une réponse à cette question « Comment les hommes, placés au sein des perpétuelles actions de l'univers, réagissent-ils à ces actions et en conservent-ils le souvenir? » Cette question est celle de l'anthropologue du langage face à toute « civilisation de l'oralité ». On peut restreindre la question et l'orienter sur les peuples qui, anciennement colonisés aux plans juridique ou seulement économique, éprouvent la nécessité politique de passer de l'oral à l'écrit. On peut élargir la question en faisant valoir qu'oralité et picturalité ne sont pas toujours antagonistes et que l'anthropologue est là face à un dynamisme qui relève de son champ d'intérêt. On peut dramatiser la question en faisant valoir que la conception occidentale s'est enfermée dans sa picturalité et n'a conçu que négativement, par absence de traits spécifiques, ce qui n'est pas elle. On peut encore dramatiser la question en faisant valoir que les objets humains de l'anthropologie sont devenus aujourd'hui des Extrait de la publication Le Parlant, la Parole et le Souffle sujets humains s'interrogeant non plus dans la perspective des sciences humaines, mais comme témoins concernés et politiquement responsables d'une civilisation historique. On peut enfin poser la question sur un plan éthique et se demander comment et pourquoi la civilisation occidentale a privilégié une affirmation péremptoire d'elle-même et dont le contenu conceptuel implique une exclusion également conceptuelle, mais aux conséquences politiques, de toute identité de l'Autre. A ce propos la notion de « primitif » reste aujourd'hui vivace chez de nombreux auteurs, contemplateurs de leur civilisation, pour lesquels la primitivité est une hypothèse déductivement nécessaire. Eh oui Une lecture attentive et en sympathie de Marcel Jousse nous amène à ces réflexions. Et ceci se comprend. Il y a dans l'œuvre de Marcel Jousse un aspect critique, second certes, mais récurrent la civilisation écrite réduisant la civilisation de l'oralité à des effets de folklore, donc à une archéologie de l'oralité, et se réduisant elle-même à une « algébrose tue-mémoire ». En d'autres termes, Jousse et là encore il est précurseur car son expression est actuelle réagit en face de l'ignorance que la civilisation occidentale sécrète à l'égard de ce qui n'est pas elle. L'Autre, c'est le négatif, le manque, le défaut, la tare. L'Anthropologie du Geste s'ouvre sur ceci: « Le péché originel, et capital, de notre civilisation de style écrit, est de se croire la Civilisation par excellence, LA Civilisation unique. Tout ce qui ne rentre pas dans sa page d'écriture est, pour elle, inexistant » (p. 3). Il y aurait des correctifs à apporter, non dirimants d'ailleurs, mais nous ne pouvons entrer dans les détails. On avouera que l'amplitude de cette position envoie ses ondes bien au-delà du projet limité de l'ethnologie. Il ne s'agit pas de dédouaner celle-ci comme le témoin d'une ouverture salutaire. Le problème est bien plus vaste. Il repose sur une antinomie existentielle dont l'autre terme est représenté par divers auteurs, par exemple Mc Luhan (Message et massage, p. 48) avant que l'homme ne sache lire et écrire, il « vivait dans un espace acoustique espace sans limite, ni direction, ni horizon, dans les ténèbres de l'esprit, dans le monde de Extrait de la publication Préface l'émotion, au moyen de l'intuition originelle, de la crainte. Le discours fut la carte sociale de ce marécage ». Et dans Pour comprendre les media (p. 105) « Les cultures tribales ne peuvent pas concevoir la possibilité de l'existence de l'individu et du citoyen distinct. Pour elles, l'espace et le temps ne sont pas continus et uniformes leur intensité est ressentie et comprimée dans l'instant. » Nous pourrions proposer des citations de même cuvée dans des ouvrages d'autres auteurs sur le livre et la civilisation écrite, sur l'histoire des dictionnaires français, sur les noms de personnes dans le monde, etc. Pour comprendre Marcel Jousse, il suffit de se situer a contrario. Nous sommes toujours dans notre sujet. Il faut dire ici que Marcel Jousse est originellement un rural. Ce fait est essentiel dans sa biographie. Il faut le prendre comme tel sans tomber dans le risque d'affirmer la ruralité comme une mise en conserve d'un traditionalisme politique. Un commentaire de Jousse pourrait y succomber, mais ce serait une récupération malheureuse. Marcel Jousse parle de « l'homme primordial », de « peuples spontanés ». Les termes sont désuets et fort critiquables. Mais il subsiste pour nous la problématique fondamentale de Jousse: il faut savoir que sa réponse affirme la prééminence chronologique, mais aussi au plan du vécu, du « geste humain », jeu et rejeu du monde ambiant, « à l'origine de l'expression humaine et donc de toutes les liturgies ». Dans son itinéraire, Jousse a rencontré Rousselot qui saisit la vie du langage « non plus sur la graphie humaine, mais en plein exercice vivant, sur des bouches humaines ». L'homme est pris dans un continuel mouvement triphasé « l'agent agissant l'agi. » C'est « l'interaction universelle ». Dès lors, le terrain d'observation proposé aux sciences humaines n'est plus l'espace textuel, mais la durée gestuelle. Le langage est la transposition accompagnée d'une réduction de l'expression corporelle et manuelle sur les muscles laryngo-buccaux. Le langage est un « geste » à finalité significative. La mémoire est valorisée. Le savoir est rassemblé dans des textes de Style oral, symbiose du Extrait de la publication Le Parlant, la Parole et le Souffle rythme et du sens. L'oralité qui est compatible avec des fixations graphiques est une dimension de l'anthropos, non seulement primordiale dans sa relation avec l'ethnique, mais aussi manifeste en tout homme tant qu'il sait maintenir, à travers sa parole, sa relation vécue au monde ambiant. Jousse a retrouvé celle-ci dans la personne de Jésus replacé dans son milieu ethnique palestinien, enseignant selon la pédagogie des Rabbis, de son temps, en récitatifs didactiques de Style oral araméen. Le livre que nous préfaçons, Le Parlant, la Parole et le Souffle, est composé de plusieurs études publiées par Jousse à des époques différentes et dans des revues dont les titres indiquent bien le sens de ses recherches La Revue anthropologique, L'Ethnographie. Ces études devaient servir d'aide-mémoire et d'outils de travail à ses « auditeurs ». C'est pourquoi il fut nécessaire dans cet ouvrage de compléter un texte devenu trop dense pour des « lecteurs », par des notes explicatives prises dans ses cours oraux recueillis en sténotypie (cf. l'avis au lecteur de La Manducation de la Parole, p. 8) 1. Ce volume prend ainsi une double direction, anthropologique et ethnique, entrecoupée de nombreux carrefours. Quand Jousse étudie le milieu palestinien, c'est toujours pour saisir dans l'ethnique particulier les fondements anthropologiques. Sa recherche des lois psycho-physiologiques de l'expression et de la mémorisation lui permet de reconstituer certains textes bibliques en deçà de leur fixation écrite et des particularités ethniques qu'imposa à ces textes oraux leur passage à travers la culture gréco-latine. L'homme est dans le monde celui-ci est un lieu d'interactions énergétiques. L'homme est lui-même agi, in-formé. Il joue ce qui l'entoure et le rejoue à travers ses gestes. La notion joussienne de i. Contrairement à ce qui a été écrit par ailleurs, il ne s'agit pas de notes de cours venant d'élèves différents, mais de cours sténotypés sur la demande même de Marcel Jousse. Ces sténotypies étaient la propriété de celui-ci. Elles ont été confiées par lui à Gabrielle Baron pour les transcrire et les conserver et, s'il disparaissait avant elle, pour les utiliser au mieux. L'analogie avec le grand livre posthume de Saussure ne tient donc pas. Extrait de la publication Préface rejeu est notable. Il faudra un jour que quelqu'un étudie son analogie avec la « païdeumatique » de Leo Frobenius. L'homme est donc récepteur et transmetteur, mais parce qu'il est d'abord mimeur. Le monde se joue comme un immense mimodrame par l'expression du corps, des mains et de la pensée. « L'homme ne connaît que ce qu'il reçoit en lui-même et ce qu'il rejoue. » (Anthr. du Geste, p. 54), l'homme est « intuitivement envahi et modelé par le réel » (K.G., p. 55). Les mimèmes étant des schèmes dynamiques de rejeu, on peut dire que l'enfant, à mesure qu'il grandit, irradie ses mimèmes. Jousse renouvelle un vieux mot, l'intussusception, pour signifier cette incorporation par l'homme des actions du monde ambiant. L'intussusception s'irradie en style corporel, se spécialise en style manuel, puis laryngobuccal. Quand l'homme tente d'exprimer le monde invisible, il ne le peut qu'en médiatisant, par le symbolisme et l'analogie, le concret vécu. La religion n'est pas une abstraction, elle est une sublimation du concret. Mais l'expression humaine est aussi RYTHMÉE. Jousse l'explique en ajoutant au mimisme un autre principe qui commande le rejeu, à savoir le bilatéralisme. L'homme partage le monde en avant et arrière, en haut et bas, en droite et gauche. Il est bilatéralement mimeur, selon la structure de son corps. Le monde dans sa représentation se trouve donc centré sur l'homme. Cette'idée n'est pas neuve, mais elle est prometteuse dans la perspective joussienne. En effet, en tant que principe à base physiologique de l'anthropos, elle devrait inciter à étudier ce fait que, dans de nombreuses langues, l'expression des relations spatiales et temporelles rejoint, au plan des signifiés, les termes propres aux parties du corps. C'est un grand problème de la sémantique qui est suggéré ici. La conséquence immédiate du bilatéralisme se marque dans le style de l'expression humaine quel qu'en soit le véhicule physique. Ainsi s'expliquent, en particulier, ces schèmes binaires et ternaires qui sous-tendent son expression orale. Le formulisme est le troisième grand principe de l'anthropos. Le Parlant, la Parole et le Souffle « Ce phénomène du formulisme se remarque dès qu'il y a expression socialisée. A l'origine, il y a écho et reflet du réel. Ensuite, l'expression se socialise, phase socialement indispensable pour qu'il y ait inter-communication. On peut dire qu'il y a formule (gestuelle ou orale) dès que, dans un milieu social, un individu joue un geste qui sera compris et rejoué par d'autres. La loi du formulisme est inéluctable. Elle est la base de toute pédagogie. La vie serait impossible dans un renouvellement incessant et total de tous nos gestes. » (H.E. 4/2/36). Jousse nous amène alors au domaine de ce qu'on appelle communément la « littérature orale ». Le terme mérite d'être sérieusement corrigé. D'abord il ne s'agit pas de littérature proprement dite puisque nous sommes en oralité. Ensuite, bien que la visée esthétique soit incontestablement présente, il s'agit avant tout de textes de style oral dont la profération et le contenu sont intimement liés à la vie collective. Jousse renouvelle ici une approche qui s'est trouvée faussée et l'est encore par de nombreux auteurs qui voient étroitement de la prose dans ce qui n'est pas vers, et réciproquement, projetant une distinction élaborée à propos et en vue d'une fixation écrite autonome. Claudel nous a d'ailleurs appris la relativité de cette distinction. Bref la « littérature orale » soulève une critique analogue à celle qu'on adressa, et admit, à propos de « l'art nègre ». Il reste à cerner de plus près les relations historiques et structurelles de l'oralité et de la picturalité. Ceci est de l'ordre d'une anthropologie du langage. Elle devra nécessairement s'inspirer de Marcel Jousse. Comment Marcel Jousse conçoit-il le phénomène « langue »? L'homme mime par son corps et ses mains les êtres environnants et leurs actions, puis en arrive à doubler ces gestes mimeurs de gestes laryngo-buccaux sonores 2. Ceux-ci sont moins réalistes que ceuxlà, mais ils sont aussi moins dispendieux car ils réclament moins d'énergie. Le geste corporel devient moins utile et se réduit pro2. La linguistique contemporaine ne repousserait pas cette. idée à condition d'admettre qu'il y a un transcodage à la fois réducteur et différenciateur. Préface gressivement. Cette conception génétique de Jousse ne peut certes être acceptée comme telle. Dans son intuition fondamentale, elle rejoint toutefois des tentatives d'explication contemporaine où des auteurs proposent de voir dans les gestes du bras la possibilité de différencier des signifiants. La linguistique a certes abandonné l'espoir de retrouver dans les segments radicaux le vestige de sons qui viendraient prolonger et réduire les gestes mimiques. Toutefois, en dehors du comparatisme historique, la linguistique n'est pas encore une science qui a intégré dans des synthèses les structures des langues qui ne sont pas indo-européennes. L'expressivité est en particulier un domaine qui ne dépasse pas la surface des monographies. Quand on retiendra le projet de Hjelmslev selon lequel la linguistique typologique doit s'approcher « de ce qu'on pourrait appeler le problème de la nature du langage » (Le Langage, p. 129), il faudra bien retenir dans un commentaire critique des propositions analogues à celles de Marcel Jousse. Et l'anthropologue du langage ne peut que le rejoindre quand il trouve que nous travaillons trop sur des « cadavres graphiques » dissociant parole et mélodie. L'homme est devenu un « regardeur », il n'est plus un « récitateur ». Ce n'est que l'un des sens que Jousse donne à cette réflexion. Il faut en voir un autre les « cadavres graphiques » sont aussi l'aliment d'une science qui ne conçoit pas son développement en dehors des textes écrits, alors qu'il existe de nombreuses langues dans le monde qui, même si elles sont connues dans des descriptions, n'ont jamais été utilisées dans des perspectives de synthèse. Quelle place occupent, dans une synthèse de psychologie générale par exemple, les idéophones africains, les structures syntaxiques chinoises dont l'analogie est soutenable avec des structures syntaxiques de certaines langues africaines, la récurrence d'images sémantiques ou de processus identiques de conceptualisation? dans des langues sans rapport historique, les traces d'africanité dans des langues créoles dont la lexicologie est étrangère aux langues africaines? Sommes-nous loin de Marcel Jousse? Non, car il est l'auteur qui a très fortement insisté sur le prisme tranquillisant de la civilisation européenne qui veut, sans démordre, expliquer l'homme à Extrait de la publication Le Parlant, la Parole et le Souffle partir d'elle-même. C'est bien ce qu'il veut signifier quand il écrit « Aussi serait-il parfaitement anti-scientifique d'étudier un Hillel et un Mahomet [et nous pouvons ajouter Jésus de Nazareth] comme on a l'habitude d'étudier Platon et Cicéron. » Mais c'est peut-être dans cette contestation qu'il faut chercher la cause du silence qui fut fait autour de Marcel Jousse. (Ris-Orangis, juin 1975) Maurice Houis École pratique des Hautes Études Extrait de la publication CHAPITRE PREMIER Mimisme humain et Style corporel-manuel Extrait de la publication Introduction LES BASES ANTHROPOLOGIQUES DE L'EXPRESSION HUMAINE Lorsque l'homme, à force d'ingéniosité et même de génie, semble avoir vaincu et dépassé la nature, on dirait que la nature prend alors sur lui une sourde et sournoise revanche 1. La découverte de l'Imprimerie était une admirable victoire sur l'espace et sur le temps. Grâce à elle, la voix grêle du penseur, transposée visuellement, pouvait se répandre par des milliers de feuilles aux quatre coins du monde. Son écho momentané ne tombait plus dans des mémoires sujettes à la déformation et à l'oubli. Les caractères de métal faisaient, avec de l'éphé- mère, quelque chose d'immuable et de quasi éternel. Mais voilà que l'homme commence à s'apercevoir des ravages psychologiques causés par l'usage prématuré et immodéré du livre. A peine l'enfant sait-il articuler ses premières phrases qu'on le condamne aux travaux forcés de la lecture. Ses yeux, si curieux de regarder les êtres vivants et mouvants, en sont impitoyablement détournés pour être rivés aux signes algébriques de l'alphabet. Ses mains, avides de tout saisir, n'ont plus que la permission de manier des manuels aux pages mornes et I. Cette étude de Jousse s'inscrit dans le déroulement de ses cours. Elle ne fait fonc pas mention des essais et des réalisations plus ou moins heureuses de la pédagogie actuelle pour tenter de libérer l'enfant d'une contrainte contre nature. Mimisme humain et Style corporel-manuel monotones. Ses doigts, faits pour tout palper, pour tout démonter et remonter, se crispent sur un stylo, destiné à tracer des graphies dont souvent l'orthographe ne correspond même pas aux articulations sonores qui se jouent sur ses lèvres. Tout son corps, fluide et spontané mimeur de tous les gestes et de toutes les actions de l'univers ambiant, est immédiatement contraint à se figer, sur le banc de l'école, dans l'attitude hiératique d'un petit pharaon assis en face de sa « maison d'éternité ». Ici, pour être sage, il faut être immobile. Le prix de sagesse est incompatible avec l'exubérance de la vie 2. Entre l'enfant vivant et l'univers mouvant s'interpose ainsi un monde étrange, congelé en graphies noires et mortes, au sens difficile et souvent contestable. Les choses apprises n'ont plus de contact avec les choses vécues. Toute l'épaisseur d'une feuille de papier les sépare. L'idéal, c'est de faire de l'enfant, le plus tôt possible, un érudit, un « fichier » qui ne connaît du monde réel que ce qu'en ont dit les livres dont on lui a imposé la lecture. A cette école, savoir le monde, c'est savoir où et comment les livres parlent du monde 3. 2. « Faire tenir les enfants tranquilles, c'est les brutaliser. » (École d'Anthropologie, 30-3-1936.) On lira avec intérêt l'excellent petit livre d'Yvonne Berge Vivre son corps. Pour une pédagogie du mouvement, Paris, Le Seuil, 1975. Il s'agit, pour Jousse, d'aider l'enfant à « se construire » en utilisant et en développant toutes ses potentialités anthropologiques qui ne sont pas les mêmes pour tous. « Nos méthodes trop exclusivement orientées vers l'écrit, sont inadaptées et, disons le mot, anormales par rapport à la plupart des enfants. » (E.A., 21-12-1930.) « L'enfant, cette fraîcheur en quête et en puissance d'univers, nous devons l'aider à monter ses gestes en face du réel. » (E.A., 6-11-1950.) 3. « Notre système scolaire livresque tend à retenir l'élève trop uniquement sur les conquêtes révolues et à répéter ce que les autres ont dit. Nous avons trop oublié la grande loi primordiale qui est l'intérêt spontané. » (Sorbonne, 12-1-1937.) Dans son besoin de rejeter d'inutiles servitudes, la jeune génération semble nettement déterminée à revenir, non seulement à la parole Extrait de la publication Extrait de la publication