Vitamine E: plus nocive que profitable?

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A
Forum
Abstract
PHARMAZIE UND MEDIZIN
PHARMACIE ET MÉDECINE
Vitamine E:
plus nocive que profitable?
La vitamine E, qui est un puissant antioxydant, fait partie des vitamines dont
l’activité a été la mieux explorée. De
nombreux essais cliniques contrôlés
ont établi son rôle protecteur dans diverses pathologies. La vitamine E a révélé ses effets aussi bien préventifs que
frénateurs sur la progression de la
polyarthrite rhumatoïde, des maladies
oculaires ou de la maladie d’Alzheimer,
effets non confirmés pour les maladies
cardiovasculaires. À ce jour, la vitamine
E passait pour être sûre d’emploi et
bien tolérée dans tous les cas. De récentes études semblent toutefois indiquer que la supplémentation en vitamine E à forte dose n’est pas sans présenter certains risques, notamment chez
les diabétiques et les malades cardiovasculaires.
Dans leur méta-analyse publiée fin
2004, Miller et al. rapportent une mortalité globale légèrement accrue (34
décès supplémentaires sur 10 000 personnes) en cas de prise de doses de vitamine E ≥ 400 UI/jour, alors que cette
même vitamine E administrée à faible
dose paraît réduire le risque de mortalité (33 décès en moins sur 10 000
personnes). Cette étude n’est pas incontestée, du fait que les 19 essais exploités par la méta-analyse n’ont pas
grand-chose en commun. Ils diffèrent
en effet par la sélection et le regroupement des groupes-cibles, par les endpoints choisis, les régimes d’intervention et la posologie (administration de
vitamine E à des doses très variées, en
monothérapie ou en association), ainsi
que par la durée des essais et la période d’observation choisie (entre 1,4 et
8,2 ans). Trois des essais analysés
n’étaient pas des essais cliniques contrôlés; dans 11 des essais méta-analysés, une majorité de patients âgés souffrant de pathologies chroniques (surtout d’une maladie cardiovasculaire,
mais aussi d’un cancer, d’un Parkinson
ou d’un Alzheimer) ont reçu de la vitamine E à forte dose (en moyenne ≥
400 UI/jour) pendant des périodes
variables.
Pour expliquer la légère augmentation de la mortalité qu’ils ont découverte, les auteurs incriminent d’une
part les effets pro-oxydants de la vitamine E et par ailleurs un possible dé-
séquilibre des systèmes antioxydants
endogènes de l’organisme respectivement des interactions potentielles avec
le système de coagulation physiologique, déclenchées par les doses élevées
de l’antioxydant. Miller et al. sont parfaitement conscients de ce que leurs
résultats ne peuvent pas être appliqués
tels quels à des sujets sains. La validité
générale de leur étude est en outre limitée par le fait qu’aucun des essais
choisis par ces auteurs ne définissait
comme endpoint primaire l’effet de la
prise de vitamine E sur le taux de mortalité globale. C’est ce qui fait dire aux
experts qu’il faudra attendre des essais
complémentaires de qualité irréprochable avant d’en arriver à des conclusions sans équivoque sur l’utilité clinique de la vitamine E.
Une autre étude de publication récente, due à une équipe de la McMaster University de Hamilton (Ontario,
Canada), incite à porter un regard critique sur le bénéfice cardioprotecteur
de doses élevées de vitamine E (de
l’ordre de 400 UI). S’inscrivant dans la
continuité de l’essai HOPE (Heart Outcomes Prevention Evaluation), le nouvel essai HOPE-TOO (HOPE-The Ongoing Outcome) a porté sur quelque
4000 patients qui ont continué durant
sept ans en moyenne à recevoir soit de
la vitamine E à raison de 400 UI/jour,
soit un placebo. Les données qui viennent d’être publiées (JAMA 2005; 293:
1338–1347) montrent que la vitamine
E n’a pas réduit l’incidence du cancer
ni exercé une action cardioprotectrice.
Bien au contraire, les sujets du groupe
sous vitamine E ont présenté, ce qui est
surprenant, un risque d’insuffisance
cardiaque supérieur à celui du groupe
sous placebo. Les auteurs estiment que
les malades vasculaires et les diabétiques ne devraient pas être traités au
long cours par des doses élevées de
vitamine E.
Que faut-il en conclure pour
les conseils en pharmacie?
En l’état actuel de la recherche, il convient de conseiller non seulement aux
diabétiques et aux patients cardiovasculaires identifiés, mais aussi à toutes
les personnes soucieuses de leur santé
de s’en tenir en principe aux recommandations posologiques internationales en matière de supplémentation en
vitamine E. La prise de cette vitamine
Journal suisse de pharmacie, 9/2005
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devrait se faire sous forme d’une préparation multivitaminée où la composante vitaminique E fournit un apport
journalier recommandé (AJR) de 15 mg.
L’Autorité européenne sur la sécurité
des aliments (AESA) a fixé une limite
supérieure de 300 mg à l’apport journalier, qui ne devrait pas être dépassée
sur le long terme. Là où il paraît utile
de prescrire la vitamine E en monopréparation, il convient concomitamment
d’assurer un approvisionnement en
vitamine C. Afin d’assurer aux conseils
du pharmacien un maximum d’efficacité, il importe de s’inspirer de l’ensemble des connaissances scientifiques
■
réunies à ce jour.
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21.4.2005 15:09:03 Uhr
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