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La transposition de la notion de culture, issue de l’anthropologie, au cas
de l’entreprise appelle encore trois réserves très importantes, si l’on ne veut pas
risquer d’ajouter au caractère normalement confus de la notion elle-même de
pures et simples erreurs.
En premier lieu, l’anthropologie s’intéresse classiquement à rendre
compte de ce que l’on appelle des “totalités”, généralement une société tradi-
tionnelle relativement close, dans laquelle on entreprend de mettre en relation
tous les éléments de la vie sociale. L’économique, le social, le politique, le
religieux, les systèmes de parenté, les catégories du savoir, etc., ne peuvent être
séparés, et c’est ce tout, qui forme une culture. Nous ne sommes absolument pas
dans ce cas lorsqu’il est question de l’entreprise, car des pans entiers de la vie
sociale en sont absents. Au cas par cas, il peut, certes, arriver que la religion, les
liens de parenté, voire les pratiques sexuelles, doivent être considérés comme
des éléments structurants d’une culture d’entreprise, mais ce n’est pas la
configuration la plus commune. En France, par exemple, l’entreprise, à l’image
de l’État, est laïque, et l’on ne se livre pas à la prière au moment de lancer un
nouveau produit, ni à la bénédiction lorsqu’on met en service une centrale
nucléaire, ce qui, pourtant, ne saurait faire de mal. L’entreprise ne règle pas
(sauf à travers les horaires de travail et les menus des cantines) la manière dont
on prend son sommeil ou sa nourriture, pas plus que le choix du conjoint. La
culture d’entreprise n’est qu’une fraction de la culture et celle-ci, fort
heureusement lui échappe en grande partie. Lorsque des entreprises tentent
abusivement d’élargir leur emprise sur ce point, voulant par exemple imposer
leur définition de la normalité, stigmatisant tour à tour ou simultanément les
obèses, les tabagiques ou les homosexuels, il ne convient plus de parler de
culture d’entreprise, mais de totalitarisme, ce qui est une tout autre question.
Bref, autant il est relativement facile de parler de culture nationale ou
régionale, de la culture d’une classe sociale, etc., en se référant à des sortes
“totalités”, où tous les aspects de la vie sociale sont présents, autant le cas de
l’entreprise est différent. Celle-ci n’est pas la source principale, la cause pre-
mière, ni quoi que ce soit de ce genre, d’une culture, mais elle est seulement l’un
des lieux où une culture se re-crée, et où elle peut acquérir des traits spécifiques.
Par exemple, l’entreprise ne réinvente pas le rapport hommes/ femmes, mais elle
le réactive et l’actualise à sa manière, différente suivant les cas. L’entreprise est
une réalité ouverte sur l’extérieur, par lequel elle est travaillée, et qu’elle